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Marc Villemain
4 octobre 2006

Fumer, c'est vivre

lucky_luke
J
e vous l'accorde : un tel titre ne s'imposait pas d'évidence. Toutefois, la provocation étant moins nocive pour la santé (biologique) que quelque émanation dont la loi s'apprête à se saisir, j'ai l'illusion de penser que l'offuscation sera tempérée...

À entendre certains commentateurs et/ou militants de l'indiscutable bonne cause (ou simplement à croiser le regard de mes voisins de table au restaurant), entonner, de poignants trémoli dans la voix, leur chant de l'horreur humaine sur terre, j'ai parfois l'impression qu'on s'apprête à évoquer un génocide oublié, une entreprise inédite de terrorisme planétaire ou un acte de torture et de barbarie sur un nouveau-né particulièrement abject (l'acte de torture, pas le nouveau-né), enfin bref, quelque chose dans le genre. Au train où vont les choses, il n'est donc pas absolument déraisonnable de penser que, au-delà de la fiscalité éthique et autres formulaires d'amendes qui se concoctent goulûment au différents étages de Bercy, il s'avérera bientôt nécessaire d'envisager une sanction pénale (avec peine de sûreté, cela va de soi) pour fumeurs récalcitrants. On continuera certes de fumer dans les prisons (on voit mal les matons empêcher un trafic qui, appréciez la litote, ne les dérange pas), mais au moins le Mal sera-t-il circonscrit aux seuls indésirables, qui pourront donc s'en donner à coeur joie et crever entre eux tout en esquissant dans l'air de voluptueuses volutes.

Pour ma part, il y a bien longtemps que quiconque ne m'a plus demandé, comme on le faisait naguère, gentiment, poliment, élégamment : 
« Monsieur, excusez-moi, pourriez-vous veiller à ce que la fumée de votre cigarette n'affectât pas mon plaisir à dîner ? » (délicieuse injonction à laquelle je me soumettrais avec la meilleure grâce et, je vous prie de me croire, avec le sourire). Non, désormais, c'est regard de guingois, insultes, scandale, présentation des papiers et intervention de la puissance publique. L'idée même que fumeurs et non-fumeurs puissent converser s'est s'évanouie aussi vite que de la fumée. N'en déplaise à l'hygiénisme apolitique et post-moderne, nul ne répond à ce fait incontestable : il y a dix ans encore, la tolérance semblait aller de soi.

Par ailleurs, et parce que j'ai (moi aussi) grandi dans le culte de l'intérêt général et de la laïcité, je confesse avoir du mal à supporter que l'espace public cesserait de l'être (public) sous le seul effet d'un mouvement excommunicateur, fût-il populaire et hypocritement arc-bouté sur l'intérêt général ; et on n'ôtera pas de mon esprit, certes aussi encrassé que mes poumons, que l'exclusion de l'engeance fumeuse des lieux publics constitue une négation de la notion même d'espace public. Je n'en suis d'ailleurs pas plus surpris que cela, quand les fantasmes sécuritaires et autres obsessions purificatrices semblent devoir recueillir les suffrages de nos concitoyens unanimes. C'est tout un modèle social, culturel et philosophique qui, tout doucement, très tranquillement, très silencieusement, s'effrite.

L'allergie à la fumette, n'est pas discutable : on a le droit de ne pas supporter telle ou telle chose de la vie en société (moi-même, je ne supporte plus grand-chose) ; ce n'est d'ailleurs pas un droit, mais un fait. Mieux : nul ne conteste le mal qui s'ingère en nous par l'entremise des tiges à cancer. Je constate simplement que nombre de non-fumeurs se comportent de plus en plus comme des anti-fumeurs, ce qui, vous l'admettrez, ne correspond guère à l'esprit bon enfant, responsable, généreux, civique et, oui, osons le mot, humaniste, qui accompagne les campagnes anti-tabac (l'inénarrable fumer tue).

Que voulez-vous, il se trouve que les plaisirs terrestres ne sont finalement pas si nombreux - et ce n'est certainement pas la société du loisir obligatoire qui va arranger les choses. Un bon bouquin (ça n'emmerde personne, ça surprend juste les braves gens qui nous voient lire seuls au restaurant), un bon verre de vin rouge (d'accord, ça esquinte rudement le foie, mais au moins nul autre que soi ne sent son intégrité physique mise en danger), un bon clope (hic) : divine trilogie. La société, soudainement lucide devant un mal dont nous n'ignorons plus rien depuis cinquante ans, a décidé de jeter son dévolu (et son opprobre) sur les fumeurs. Bah, pourquoi pas... Un jour viendra le tour d'autres engeances malfaisantes : les bovins ? (ne riez pas, il semblerait que, via leurs incessantes flatuosités, leur responsabilité  soit rudement engagée dans le déjà triste état de notre pauvre couche d'ozone) ; les paysans ? (qui élèvent les bovins dont les incessantes flatuosités etc...) ; les vieillards ? (pensez un peu à la Sécu) ; les femmes sans enfants ? (une insulte à la civilisation) ; peut-être les intellectuels ? (une insulte au peuple) ;  trisomiques ? (une insulte au bon goût) ; musiciens ? (trop bruyants) ; les ouvriers ? (trop de sueur) ; les clochards ? (ils font peur aux enfants) ; les Juifs les Noirs et les Arabes (ça, c'est déjà fait) ; les chiens ? (ah non, ça, jamais !) ; peut-être les blogueurs ?

Commentaires
M
En effet, c'est un tropisme très humain, trop humain comme dirait l'autre, que d'exercer un jugement général à partir d'un cas particulier. Vous le dîtes vous-même : le problème soulevé ne tient qu'à "quelques fumeurs". On ne saurait mieux dire. Par ailleurs, il n'en demeure pas moins que cette évolution est extrêmement symptomatique de celle de nos sociétés. Ce que nous tolérions hier ("la délicate effluve") nous est intolérable aujourd'hui - et intolérable jusqu'à la rupture. Dès lors, le débat se déporte : non plus entre fumeurs et non fumeurs, mais entre courtois et discourtois, élégants et non élégants. Le problème est donc d'ordre culturel (je n'ose dire civilisationnel) : ce en quoi j'y vois un argument supplémentaire pour s'opposer à la loi... MV
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R
Pour se qui est de la fuereur des non-fumeurs envers leurs "amis" fumeurs quand ils reçoivent leur délicate effluve dasn leurs poumons, je pense que c'est majoritairement dû aux quelques fumeurs récalcitrants à apaiser leurs toux internes. Ils adoptent donc ce magnifique proverbe que l'on sort à chaque occasion "la meilleure des défenses c'est l'attaque". Ils veulent se protéger, et ce, par tous les moyens à leur disposition, n'en déplaise aux autres.<br /> On ne le sait que trop, de tout le troupeau de 1000 têtes, on ne retient que celle qui nous a gratifié d'un coup de sabot dans les parties, nous faisant haïr toutes celles de son espèce.
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M
Félicitations, tout d'abord : un ancien fumeur ou, disons, un fumeur guéri de son vice, qui se positionne contre la futur loi anti-tabac (ou anti-fumeurs, donc...) : ce n'est pas si fréquent ! et c'est le signe d'une tolérance à tout le moins louable par les temps qui courent.<br /> Pour ce qui est des lois, il faut néanmoins reconnaître leur nécessité... Que celle en préparation ne me plaise pas est un autre problème, et ne remet pas en cause le principe même d'une loi. La loi, sans doute, lorsqu'elle est mal utilisée, contribue à une déresponsabilisation ; mais dans bien des cas, elle permet d'organiser, et de canaliser certaines pulsions humaines un peu trop irrationnelles... Cela dit, il y en a trop, c'est bien connu ; et surtout, on en "pond" une pour n'importe quoi, pour l'affichage, et, ce faisant, on discrédite le principe même de la loi.<br /> Merci à vous, pour vos commentaires. MV
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I
J'aime bien les commentaires entre paranthèses...<br /> Je ne suis plus fumeur depuis 5 ans bientôt & je suis tout à fait d'accord avec le respect du fumeur envers les non-fumeurs.<br /> Cependant, je suis contre le fait de devoir en faire un loi...<br /> En effet les lois sont néfastes à l'élan d'émancipation que pourrait avoir un individu, pire : elles incitent à la déresponsabilisation...
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