Il est déconcertant de vouloir écrire, d'en éprouver le désir - de l'éprouver, même, avec une certaine vivacité - et de ne rien trouver à écrire. Ce n'est pas le syndrome de la page blanche, ou pas tout à fait. On sent surtout s'interposer entre soi et le monde une sorte de pellicule, ou un écran de ouate - des poussières parasites qui tuent dans l'œuf toute représentation, tout sentiment naissant. L'indifférence ne nous emporte pas, ou pas forcément ; nous sommes plus près d'un état que recouvre une forme de mutisme ou d'atterrement. Quelque chose d'impérieux en tout cas, et d'impérial. La volonté ne peut, seule, en venir à bout, pas plus que le désir, ou même le travail. Il faut attendre. Attendre, non que cela passe, mais que ce qui naît et semble vouloir se mouvoir en soi ait achevé sa course, soit allé au bout de ses petites œuvres. Il faut laisser aller la chose en soi, accepter d'attendre qu'elle se soit épanchée et ait tout recouvert, dans une attitude d'ouverture, de consentement, de contemplation active. Cela tient à un fil. Est-ce à dire que la machine en nous à fabriquer les mots peut s'émanciper de l'idée ou de la pensée ? Je ne crois pas - même s'il n'est d'aucune utilité d'avoir quelque chose à dire pour l'écrire. Simplement que l'idée et la pensée ont besoin de temps, et qu'elles nous manipulent.
Commentaires sur C'est la ouate
- c'est étrange cette dernière phrase, l'idée et la pensée ont besoin de temps (peut-être quoique la notion de temps soit relative) mais qu'elles nous manipulent tendrait à faire croire que vous n'êtes pas le sujet de l'idée et de la pensée, mais son objet, or là-dessus je ne suis pas d'accord...
- De ce petit billet sur une des nombreuses humeurs de l'écriture, la dernière phrase est évidemment la plus sujette à discussion. Ne serait-ce que parce qu'elle va finalement à rebours de la représentation hyper-humaniste et prométhéenne de l'homme-sujet, maître et acteur de ses volontés comme de ses pensées. Cette représentation n'est pas fausse en soi et en général, mais ne saurait être un absolu. Qu'est-ce qui fait que l'on pense telle chose à telle moment ? Décidons-nous vraiment de ce que l'on pense (je ne parle de ce que nous décidons, ou décidons de décider, ou de tout ce qui induirait un acte volontaire, délibéré, de pensée) ?
Aux questions que je pose, je crois que nous devons accepter de n'avoir jamais de réponses... Et oui, à tort ou à raison (mais nous sommes très au-delà, me semble-t-il, de cette pauvre alternative), nous sommes parfois davantage pensés que nous ne pensons nous-mêmes. Ce qui vient à soi sous la forme de pensées ou de représentations nous échappe en grande partie ; nous ne savons pas pourquoi c'est cela qui vient, et pas autre chose ; nous nous l'expliquons certes par un ensemble de facteurs (notre histoire personnelle, le contenu de la journée passée, nos rêves, nos angoisses conscientes ou quotidiennes, etc, etc... mille autres choses d'inégales valeur et importance). Mais au final, une part de tout cela nous échappe, et c'est plutôt troublant.
Enfin, il ne me dérange pas, à titre personnel, de sentir cela en moi. Cela participe d'une sorte d'envahissement qui m'est nécessaire au moment de l'écriture. C'est ma manière sans doute de me rendre disponible à tout, à un flux d'idées ou de pensées imprévues. Cela ne signifie pas forcément que je ne maîtrise pas, ou que je ne reprends pas, à un moment donné, la maîtrise de mes pensées, simplement que je me laisse pénétrer par des flux ou des sensations que je n'ai pas choisis, avant d'en faire quelque chose qui se tienne et me ressemble...
A nouveau, merci pour vos nombreux commentaires.
MV - Réponse à MurielDouloureux, je ne sais pas... Je ne crois pas, en fait - enfin je parle pour moi, naturellement. J'aime assez, au fond, cette légère impression de naufrage, de panique ; de me sentir comme une sorte de réceptacle. Mais sans doute cela devient-il douloureux quand cela dure trop, que cela "ne donne rien", et qu'on se sent finalement stérile. Quand cela arrive, je suppose qu'alors nous approchons des zones de la dépression - zones qui, jusqu'à présent, et à ma grande fortune, m'ont toujours épargné...
Merci à vous - MV - "ne pas avoir de réponses" pourquoi écrire alors?
c'est une de mes questions, à laquelle j'essaie de répondre...en écrivant
et le serpent se mord la queue
qui de la poule fait l'oeuf?
quelle est l'origine de la pensée (si elle existe, la pensée, comme "bien" matériel)
or la pensée ne se mesure pas, pas plus qu'elle se contrôle
elle est l'aboutissement de soi, tout simplement
ce que l'on est et ce que l'on fait naître
rentrée par tous les pores de la peau, l'ouïe, la vue, le toucher
elle est émotion
est-elle nature ou bien culture?
les deux bien sûr
elle forme un tout qui envahit, et se rejoint
et qui ressort parfois en rien...du tout
mais rien ne nous échappe
écrire permet de rattrapper ces fragments de pensées échappées
enfin, c'est ce que je pense....
"Est-ce à dire que la machine en nous à fabriquer les mots peut s'émanciper de l'idée ou de la pensée ?" : Lacan vous dirait que non, bien sûr que non - Réponse à RosePrécisément : on n'écrit pas pour avoir de réponses, du moins pas initialement, et pas avec l'objectif conscient d'en obtenir. Ce qui ne signifie pas que des réponses n'adviennent pas dans et par l'écriture. "Pourquoi écrire alors", dites-vous ? Sans doute pour "faire oeuvre", comme on disait naguère ; par amour ; par désespérance ; par goût, tout simplement ; tout ce que vous voulez, sauf "pour" quelque chose.
En résumé, je n'ai pas l'obsession des réponses : les questions sont en général bien plus fructueuses.
PS (pour l'anecdote) : le dilemme de l'oeuf et de la poule semble avoir été résolu - je dis bien : semble. Des scientifiques anglais ont récemment prouvé ou voulu prouvé que l'œuf a précédé la poule. Thèse : sachant que le matériau génétique n'évolue pas durant la vie d'un organisme vivant, le premier oiseau à devenir une poule a dû exister le premier, en tant qu'embryon à l'intérieur d'un œuf. Voilà qui nous éclaire tout à fait... - Totale justesseLa contemplation active... Ah oui ! la locution et le texte, à la fois rassurants (« Ah, lui aussi ? ») et motivants, font mouche ! Vous mettez en mots justes et précis la volonté d'écrire, le moteur de l'écriture, en tout cas chez moi, et je suis ravi de constater que ma façon de faire n'est pas *complètement* névrotique ; je me le demande, parfois (de plus en plus rarement il est vrai). Difficile la contemplation active, dans ce monde.
- Réponse à "Nikita"Pas grand-chose à dire, si ce n'est vous remercier de ce message.
Oui, cette "contemplation active" dont je me revendique (mais dont, surtout, je constate l'empire en moi) est une forme de luxe, j'en ai bien conscience. Même si elle peut parfois prendre des traits un peu apathiques, ou déprimants. Je partage absolument votre conclusion, selon laquelle notre monde ne la permet guère. Et ce n'est pas rassurant...
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