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Marc Villemain
3 novembre 2006

Bastille à (re)prendre

prison
Je pense avoir été des rares spectateurs indirects, en tout cas résolument extérieurs aux institutions judiciaires, à répondre, il y a quelques semaines de cela, au questionnaire qui fit suite aux États généraux de la condition pénitentiaire organisés par l'Observatoire International des Prisons (OIP). Spectateur indirect, disais-je, puisque je partage mon existence avec une avocate pénaliste et qu'à ce titre, quelle que soit par ailleurs ma très ancienne et très spontanée allergie à certaines manifestations de la violence légale, mon intérêt initial pour l'univers carcéral et pour tout ce qui a trait, de près ou de loin, à la privation de liberté, s'en est peu à peu trouvé enrichi.

Ce qui est en cause ici, ce n'est pas la prison dans son principe - tout groupement humain doit pouvoir stopper dans son élan un individu qui s'avérerait immédiatement dangereux pour ses congénères. C'est bien là le seul intérêt (et le seul but officiel, faut-il le rappeler) de l'emprisonnement : protéger les individus et la société en empêchant d'agir celles ou ceux qui pourraient leur nuire. Cette vision est naturellement idyllique, et nul n'a jamais connu de geôles confortables - sauf, peut-être, certaines personnalités très fortunées ou jouissant d'un entregent peu ordinaire. Et si l'exemple nordique, le plus proche de l'idéal d'un univers carcéral respectueux des droits humains, semble commencer à faire quelques émules chez nous, nous n'y sommes pas encore, loin s'en faut.

Ce que nous savons de manière certaine, et dont attestent toutes les enquêtes un peu sérieuses, c'est que, au fil du temps, la prison française est devenue criminogène. Autrement dit, celui qui en sort aujourd'hui a plus de chances de commettre de nouveaux délits que de retrouver une existence que l'on qualifiera, faute de mieux, de normale. Il y a à cela mille raisons, qu'on pourra se contenter d'énumérer : désintérêt général, renoncement du politique, durcissement unanime des politiques de répression, peines exorbitantes, diminution des budgets, mauvaise ou insuffisante formation des acteurs, etc... Mais la raison essentielle, et d'autres l'ont dit infiniment mieux que moi, c'est que la société a les prisons, non seulement qu'elle mérite, mais qu'elle veut. C'est une volonté du temps, en effet, consécutive à certain état de notre civilisation, qui a fait des prisons françaises ce qu'elles sont - les pires d'Europe, selon un Rapport du Conseil de l'Europe paru l'an dernier. Or un certain pessimisme me semble aujourd'hui de mise : rien, dans la société, n'indique un quelconque début de commencement de renversement. Ce qui hier encore passait pour un fait divers tout juste bon pour la presse locale fait aujourd'hui les gros titres de tous les médias nationaux : à cette aune-là, et elle est décisive, l'on voit mal ce qui pourrait déclencher un quelconque mouvement - malgré l'action résolue de l'OIP . La campagne présidentielle qui s'amorce n'y aidera d'ailleurs pas : vous verrez que, d'ici le printemps, quelques faits divers sitôt oubliés donneront moult arguments à certains, voire à tous, pour muscler davantage encore leurs "discours". Il faudra donc attendre que le peuple français (dont on nous explique aujourd'hui qu'il serait le meilleur expert de l'évaluation politique) ait admis l'idée que, non contente d'être résolument immorale et anti-républicaine, la prison française est tout bonnement inefficace et contre-productive. Ce temps arrivera - mais quand ?

Commentaires
M
Nous sommes bien d'accord...
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M
Hélas, je ne pense pas que ce soit pour bientôt. Cela ne semble pas être une priorité pour les hommes politiques et leurs électeurs.
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M
Je crois en effet savoir qu'un programme de rénovation / réhabilitation des prisons avait été décidé. Mais celui-ci s'étale sur de nombreuses années (2013 ?), puisqu'il s'agit, dans l'esprit du gouvernement, de faire en sorte que la capacité "d'accueil" des prisons ne diminue pas pendant les travaux.<br /> Je ne sais pas si les choses sont aussi complexes que vous le dites, je n'en suis pas sûr. Ce qui est complexe, et c'est peu de le dire, c'est l'organisation et le fonctionnement du système judiciaire. Pour le reste (les conditions de détention, de réinsertion, de formation, de surveillance, le recours croissant à des peines exorbitantes - du type prison ferme pour un vol de sac à main -), tout cela ne me semble pas si complexe. Par ailleurs, je ne suis même pas sûr de pouvoir dire, avec vous, que la prison permet au moins de "protéger le citoyen sur le moment" : si un individu est en prison, c'est bien qu'il a commis un délit avant. <br /> Je ne sais pas comment je sortirais de prison - qui sait : peut-être devrai-un jour y séjourner... ? Mais au vu de ce que je sais, je crois que j'en sortirai (si j'en sors) démoli, et vraisemblablement moins inséré que jamais.<br /> Qu'il y ait un problème de murs, de vétusté, d'hygiène (les rats partouts, jusque dans les parloirs avocats), c'est certain. Et il est heureux que l'on cherche à rénover tout ça. Mais cela ne changera pas grand-chose : je veux dire par là que, si les conditions de vie seront plus décentes, le problème du rapport à la prison, à l'enfermement, à la vengeance, à la punition, lui, n'aura pas changé. Des locaux neufs, modernes ? Très bien. Mais si tel ou tel surveillant refuse de mettre le chauffage dans les cellules, comme cela arrive fréquemment en plein hiver ? Des douches plus spacieuses ? Très bien. Mais si tel ou tel surveillant refuse que les détenus prennent des douches en pleine canicule, comme cela arrive fréquemment en plein été ? Etc... Nous sommes bien, ici, face à une question de mentalité, une question de culture et de politique. Et comme je le disais, je ne vois pas se profiler l'ombre d'un changement dans l'opinion...
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K
Et les peines d'emprisonnement, comme tout jugement, sont rendues au nom du peuple français, c'est-à-dire au nom de chacun d'entre nous.<br /> Il me semble qu'il y a quelques années, on nous promettait des prisons flambant neuves prêtes pour 2010 ou à peu près : effet d'annonce ou c'est sur les rails ?<br /> La prison ne faillit pas à son premier devoir : protéger le citoyen sur le moment. Du moins dans un premier temps, mais elle faillit à la réinsertion trop souvent, paraît-il. J'imagine que la question mérite un débat complexe, que nous n'aurons probablement pas.
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