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Marc Villemain
15 décembre 2006

Du courage

David_and_Goliath
P
ourquoi nous souhaitons-nous si souvent, à la moindre occasion, comme ça, au détour d'un bonjour ou d'un au revoir, pourquoi nous souhaitons-nous si souvent "bon courage" ? D'aucuns méritent cet encouragement : ils souffrent en leur âme ou dans leurs chairs, leur vie est un désastre, ou, plus simplement, requiert une obstination, une pugnacité, un courage particulier, justifié, parfois exemplaire. Mais cette sollicitude a atteint de tels degrés, s'est répandue à un point tel, qu'elle ne peut décemment recouvrir une quelconque réalité. Faire la queue dans une grande surface, respecter une obligation professionnelle, prendre sa voiture pour une durée supérieure à une heure, sortir acheter des croissants alors que le soleil n'est pas encore levé, ou même sans raison, parce qu'il faut bien que la journée se passe : tout est prétexte à cette sollicitude. J'ai chaque jour l'occasion de souhaiter bon courage à mon épouse ; mais je sais pourquoi : son activité dépasse de très loin mes capacités, physiques, psychologiques et morales, je sais que je m'écroulerais dans un lit d'hôpital au bout de dix jours de son régime, et ne conçois donc la possibilité même de son activité qu'à la condition de faire montre d'un courage que je n'ai pas, moi, à éprouver. Peut-être cela signifie-t-il, donc, que tous ceux qui nous souhaitent "bon courage" sont ceux-là mêmes qui, en leur for intérieur, savent qu'ils en manquent ? Peut-être. Mais cela va sans doute au-delà de cela. Car si l'on met de côté les cas les plus évidents (souffrance, abandon, solitude, misère, deuil, dépression, maladie, terreurs diverses), les occasions pour les contemporains occidentaux de faire preuve de courage sont somme toute assez rares. Tout au plus avons-nous besoin, pour vivre au jour le jour, d'un peu de volonté, de fermeté morale et d'énergie. Alors ? Alors il se pourrait bien que notre société, qui promeut comme aucune autre la promesse du bien-être, du confort, de l'esthétique corporelle, de l'enfance éternelle et de la mort sans douleur, qui valorise comme jamais l'organisation, la planification, l'anticipation, le contrôle social et le bien-nommé principe de précaution, qui prête une attention exorbitante aux moindres caprices, aux moindres plaintes, aux moindres frustrations, ne soit plus en mesure d'appréhender le dépassement de soi, de comprendre l'effort résigné, silencieux, assumé, d'accepter, même, l'idée que la vie ne soit pas jouissance perpétuelle. Tant et si bien que nous faisons de nos petits tracas motif de grandes doléances, et que nous nous sentons sincèrement satisfaits de nous-mêmes lorsque nous avons pu les surpasser. Laissant le vrai courage à d'autres - ceux qui n'ont pas même le loisir de s'en prévaloir.

Commentaires
I
J'ai moi aussi tendance à croire que banaliser des "aspirations surhumaines" n'est pas souhaitable pour l'évolution de notre civilisation...<br /> Pour ce qui est du commentaire de Rose, je dirais que c'est une évolution (surement dûe aux progrès techniques) : aujourd'hui on peut être à la fois acteur, détracteur & Dieu...<br /> Personne ne peut se prévaloir d'être courageux. On peut éventuélement voir le courage chez autrui mais pas en soi même : une personne qui se dit victime, par exemple ne l'ai pas puisqu'une victime par essence ne connaît pas sa condition
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M
Il ne s'agit pas tant d'aimer ou pas le mot "courage" que de lui reconnaitre un sens, un fondement, une incarnation - oui, le courage existe, et avec lui les êtres courageux. Il est étrange de constater qu'on stigmatise bien plus facilement un être ("c'est un lâche !"). Le courage n'est pas une notion abstraite, et, pardon d'être un peu vieux jeu, mais une vertu. Bien sûr il y a mille manières d'être courageux, et mille motifs de l'être, mais c'est un fait que la cote du courage, hautement valorisé en certains temps, est aujourd'hui à la baisse. On lui préfère la souplesse, "l'adaptabilité", la ruse, l'aisance apparente, le fluide - toute disposition vantée par une société dominée par l'esprit de marché. Le courage renvoie à un ensemble de valeurs (que vous placez sous la tutelle indirecte de la judéo-chrétienté) qui n'est pas sans noblesse (j'allais dire "pour autant"...). Qu'on ait soi-même l'impression d'en faire preuve ou pas ne change rien à l'affaire. Celles ou ceux qui vous trouvent courageuse ont quelque raison de le penser, bonne ou mauvaise. Et que vous-même ne sacrifiez pas à l'autosatisfaction en la matière ne saurait prouver que vous êtes ou que vous n'êtes pas courageuse. Par ailleurs, que vous pensiez ainsi étaye le propos de mon petit article : nous avons peu d'occasions de faire preuve de courage, mais bien de passion, d'engagement, de constance.
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R
"courage" est un mot que je n'aime pas. On m'a souvent dit en effet que j'avais, que j'ai du courage, alors que je ne sais pas à quoi ressemble le courage. Je vis tout simplement, je me passionne pour ce je fais. Le courage a pour moi une connotation vaguement judéo-chrétienne, de l'ordre du sacrifice. Or je n'ai pas l'impression de m'inscrire dans ce truc-là.<br /> Pourtant je sais qu'il en faut à certains, certaines, du courage pour vivre, tout simplement. Je pense que l'on ne naît pas égaux face à la vie. Et que ce qui me semble normal, voire agréable, comme par exemple me lever le matin, est pour d'autres quelque chose de fort difficile. <br /> (J'ai eu à faire face dans ma vie à de nombreuses situations très difficiles, mais je n'ai pas l'impression d'avoir fait preuve de courage pour les affronter, disons que c'était juste normal.)
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