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Marc Villemain
25 avril 2007

Le pouvoir rend fou


Je m'étais pourtant juré de ne pas y revenir, et de ne plus évoquer cette campagne...

Hier en fin d'après-midi, vers 18 heures, Jean-Luc Mélenchon fait savoir qu'il quittera le parti socialiste en cas d'alliance avec l'UDF. Trois heures plus tard à peu près, lors d'un meeting à Montpellier, Ségolène Royal invite les électeurs de François Bayrou à construire autour d'elle une France "arc-en-ciel", avant de déclarer aux journalistes que, "bien sûr", elle prévoit d'intégrer des ministres UDF dans son futur gouvernement. Dans la salle du meeting, discret mais accompagné de quelques amis, Georges Frèche rayonne, bien que dénoncé comme raciste et conséquemment exclu du parti socialiste trois mois auparavant. L'impératif de cohérence n'étant que de peu d'importance dans cette campagne électorale, Ségolène Royal, acclamée pour son ouverture au centre qualifiée quarante-huit heures plus tôt "d'immorale" par Jack Lang (qui y voyait de quoi justifier l'exclusion de Michel Rocard), "d'inadmissible" par Pierre Mauroy, de "mystification" par Lionel Jospin, et "d'alliance de circonstance" par François Hollande, déclenchait concurremment une standing ovation en remerciant "du fond du coeur" l'extrême-gauche, et spécialement Arlette Laguillier. Comprenne qui pourra.

Admettons que j'admire la performance, pour faire plaisir aux petits Machiavel qui pullulent dans les réunions de section. Mais comment peut-on proclamer l'urgence de la rénovation politique et injurier de la sorte plusieurs millions d'électeurs ? Ceux qui ont voté pour Ségolène Royal, arguant à qui mieux-mieux que François Bayrou était "de droite" et qu'à ce titre jamais aucune alliance ne serait envisageable ? (et comment font-ils, au passage, victimes d'aveuglement, de schizophrénie ou de cynisme, pour, dans le même temps, applaudir à "l'ouverture" au centre et acclamer Arlette Laguillier ?). Ceux encore qui ont voté pour François Bayrou, que l'on a montrés du doigt comme "complices de Sarkozy" et qui se découvrent aujourd'hui tant de nouveaux amis, qui tous assurent partager exactement les mêmes valeurs qu'eux ? Et comment feront-ils pour voter, ceux qui refusaient d'avoir à choisir entre Bayrou et Sarkozy, maintenant que Royal a promis des ministres bayrouistes ?

Au-delà de la très relative crédibilité et authenticité de cette démarche d'ouverture, ce qui frappe est donc et d'abord sa parfaite indécence. Or cette indécence a une origine : ce qui meut le parti socialiste, au fond, et nonobstant la sincérité initiale des engagements individuels, c'est la seule conquête du pouvoir. Le PS, depuis 1981, ne se vit plus que comme un parti de gouvernement - il n'est d'ailleurs pas un parti d'élus pour rien. Seule importe la victoire de leur étiquette - et tant pis si le sens y perd des plumes, si la doctrine change au gré du vent ou des humeurs, s'il faut tordre le cou à Jaurès, aux électeurs ou aux engagements de campagne, ou s'il faut ajourner encore le questionnement sur le monde, et sur soi.

Commentaires
F
Si le pouvoir sur les autres (car le pouvoir sur soi-même est lui illimité) rend fou, nous pouvons observer également qu'il est une fin et non un moyen. L'indécence de la démarche actuelle fait partie des médicaments nécessaires à l'intérêt du pouvoir.<br /> Que ceux qui veulent se prosterner en inférieur avec humbles sollicitations soient libres de prendre leur route et prêts à se baisser pour ramasser quelques miettes de puissance.<br /> Ceux qui vendent les béquilles ont besoin d'estropiés.<br /> Mais n'oublions pas que notre monde est interconnecté avec toute l'énormité que cela représente quant à la responsabilité du pouvoir; de même celui qui veut le pouvoir doit se maquiller en argumentant son appui sur l'opinion populaire. <br /> Je veux croire qu'il sera compris que d'ajourner encore le questionnement sur le monde, et sur soi serait totalement irresponsable.<br /> <br /> Et si le pouvoir n'était finalement, en tant qu'événement social, que le résultat de la contradiction de nos vies inéluctables ? <br /> La planète Terre abrite encore des dictatures, ainsi je ne peux qu'aimer et vouloir la démocratie avant tout et cette envie anesthésie le temps que je perdrais à comprendre et à critiquer, à tort ou à raison, les principes de jeu de ces élections présidentielles. Mais nous n'avons pas le temps de jouer...
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M
Ce n'est pas tant le défaut de jeunesse qui m'ennuie - je me défie du "jeunisme" comme de la peste... C'est plutôt la standardisation des profils, des trajectoires, des postures, des vocabulaires.<br /> S'agissant de Lang et Royal, tous deux ont dû avaler les couleuvres de l'autre... Sans doute en prend-on l'habitude.<br /> Oui, la campagne fut franco-française. On répondra à cela qu'il en est toujours ainsi ; et qu'après tout il s'agit d'une élection nationale. J'observe toutefois que François Bayrou, en s'attaquant au sujet de la dette, n'a certainement pas contribué à se rendre populaire ; quand à son engagement européen, il est suffisamment ancien et marqué pour ne pas soulever d'inquiétude.<br /> PS / Oui, j'avais remarqué votre propre faute... Par compassion, et plus encore par honte de la mienne propre, je me suis interdit de vous en faire le clin d'oeil...
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K
Vous dites les choses comme je les ressens. J'ajouterais, et ça va dans le même sens (je crois) : où sont les jeunes ? Comment se fait-il que, sur les plateaux télés principaux, on ne voit que les vieilles branches d'avant-hier ? Je trouve curieux qu'on voit tant Lang (qui dut être une belle couleuvre à avaler pour Royal) quand on jure sur tous les tons qu'on est "libre"...<br /> Ce n'est pas si grave, allez... Ce qui l'est, je crois, c'est que cette campagne fut incroyablement franco-française. Et quand on parle de l'Europe, c'est pour l'imaginer à l'heure française. Je ne suis pas certain qu'aujourd'hui l'Europe rêve de France, malgré son intérêt. Et où a-t-on débattu politique extérieure, politique de la Défense ?<br /> Bayrou aurait eu (je crois) plus de poids encore en s'emparant de ces sujets désertés.<br /> Hé ! faut-il rappeler que le président est l'homme* du bouton, la tête du siège (ahem) permanent à l'ONU ? Est-ce si peu important ?<br /> Cette campagne m'aura laissé sur la faim, et je gage que cette quinzaine ne me rassasiera pas.<br /> <br /> * : Qu'on me fasse grâce des nuances de genre...<br /> <br /> P.S. : Avez-vous remarqué que, vous corrigeant dans mon commentaire précédent, je faisais une grosse faute ?
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