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Marc Villemain
27 août 2008

Abkahzie, Ossétie : à qui le (re)tour ?

La Russie de Medvedev, poutinienne en diable, vient donc de donner une leçon de realpolitik à l'Occident. Leçon qui pourrait avoir tous les attributs du cas d'école :

- présence militaire au long cours et pression aux abords d'un territoire national perclus de mouvements séparatistes - la Géorgie ;
- riposte immédiate à une initiative militaire géorgienne dans ses territoires séparatistes ;
- cessez-le-feu (le plan Sarkozy-Medvedev) inespéré pour la Russie, puisque ne comprenant aucune mention à l'intégrité territoriale géorgienne ;
- mépris du cessez-le-feu et de l'accord, et installation plus ou moins provisoire de l'armée sur les territoires incriminés ;
- reconnaissance de l'indépendance abkhaze et ossétienne.

Tout cela en deux semaines. Les experts apprécieront le savoir-faire des Russes. Et subsidiairement de leur nouveau président, Dmitri Medvedev, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne suit pas vraiment la voie qu'il avait tracée pour être élu, en mars dernier, avec plus de 70 % des  suffrages. Il est vrai que Vladimir Poutine avait prévenu, quelques heures après l'élection : Medvedev « n'est pas moins russe nationaliste que moi, dans le bon sens du terme. C'est un patriote qui défendra les intérêts de la Russie sur le plan international. »

Nous avions souligné, dans un message précédent, la vacuité du plan concocté par Nicolas Sarkozy et co-rédigé par Dmitri Medvedev. L'échec du président français est donc total, comme le redoutaient de nombreux spécialistes. Pire : il n'est pas illégitime de penser que ce plan, muet sur l'intégrité du territoire géorgien, conjugué aux propos du président français sur le droit de la Russie à « défendre les intérêts des russophones », aura encouragé les Russes dans leur action, au bas mot les aura libérés de toute réserve.

Des commentateurs, mais aussi Medvedev lui-même (qui dit ne pas en « avoir peur »), évoquent un retour à la guerre froide. Ce ne sont là que des rodomontades, manière assez classique de montrer les muscles et de poursuivre sur le registre d'une provocation qui tétanise l'Occident. L'idée en effet me semble saugrenue, mais plus encore parfaitement irréaliste : la Russie de 2008 n'est pas l'Union Soviétique, elle n'en a aucun des moyens géopolitiques, économiques ou humains. Cela n'enlève rien à son ambition : retrouver une suprématie impériale dans sa géographie historique - cet introuvable « étranger proche. » Ambition très improbable, mais suffisamment ardente pour créer un climat d'insécurité militaire comme on n'en avait pas connu depuis longtemps. Ainsi les réactions des pays baltes, de la Pologne, et davantage encore de l'Ukraine, compréhensibles à maints égards, ne peuvent laisser d'inquiéter. Ne serait-ce que parce qu'un différent militaire entre la Russie et l'Ukraine aurait évidemment une tout autre portée qu'entre la Russie et la petite Géorgie.

Ce qui déroute enfin, et qui, en effet, nous ramène à des temps plus anciens, c'est le changement de ton de la Russie, cette impression qu'elle dit en substance ne plus vouloir se soucier désormais des déclarations et des menaces de l'Occident, cette nouvelle affirmation d'elle-même, non en tant que membre de la communauté internationale, mais en tant qu'acteur indépendant et auto-suffisant. Medvedev a sans doute en tête, à plus ou moins longue échéance, d'approfondir les politiques de coopération avec l'Europe et les États-Unis - du moins est-il trop tôt pour penser le contraire. Son pari consiste sans doute à geler la situation et à parier sur le temps, autrement dit à faire en sorte que la Russie ait, de facto, repris pied dans le Caucase, avant de reprendre la politique de conciliation et de coopération qu'il afficha avant son élection. C'est ce jeu dialectique-là, pour classique qu'il soit, qui me semble lourd de menaces.

Commentaires
R
Oui,je crois que nous avons une approche similaire des choses, in fine.<br /> Quand je prétends cependant que la Russie de Medvedev/Poutine est quasiment en état de légitime défense, je sous-entends également que cela l'arrange bigrement.<br /> Mon "normalement" n'est donc pas tout à fait le bon mot.<br /> Ca fait longtemps qu'ils attendent "l'erreur" grossière de Saakachvili, tellement grossière qu'on est en droit de la soupconner téléguidée.<br /> D'ailleurs, s'agissant des soldats présents là-bàs, la télévison russe parle "d'ambassadeurs de la paix." <br /> Nous en sommes à la démonstration de force. Chacun roule des épaules pour tâcher d'obtenir de la partie adverse des concessions. "Si vis pacem parabellum."<br /> Jeu dangereux.Vous avez raison de souligner les égarements de l'Europe qui ne sait plus très bien où sont ses frontières ( Turquie, Ukraine etc)<br /> Normal. L'Europe est historiqument un paysage géographique et humain bourré de contradictions. En faire un espace politique est autre chose et où planter le dernier poteau ?<br /> Aussi loin qu'elle aille, il lui faudra côtoyer ce bloc différent, ce bloc qui pèse sur les politiques de la planète et qu'est la Russie.<br /> Le mieux est d'en faire un voisin de bonne intelligence. On échange des civilités et on se rend de menus services.<br /> Etre voisin d'un Empire, suppose cependant d'avaler de temps à autres quelques couleuvres.Pour un service demandé, il peut en exiger deux en retour.<br /> Etêtre voisin d'un tel empire en affichant carrément qu'on est amoureux d'un autre situé par-delà les océans, suppose, à plus ou moins long terme, qu'on essuie quelques coups de "realpolitik", des rappels à l'ordre géopolitique.
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M
Je savais, Bertrand, ou du moins j'avais l'intuition, que vous viendriez me saluer sur ce message...<br /> <br /> Je vous lis, et me retrouve, moi, globalement assez d'accord avec ce que vous dites. Sans doute parce que nous ne parlons pas tout à fait de la même chose. <br /> <br /> Vous dites avec vos mots ce que je crois avoir écrit, dans ce texte ainsi que dans le précédent, à savoir par exemple que Russie et Occident (je sais ou subodore que la distinction, ainsi formulée, ne vous siéront qu'à peu près...) ne parlent pas le même langage ; je relevais notamment qu'il y avait là deux visions de l'histoire, et soulignais la persistance des peuples à se sentir d'Orient ou d'Occident. <br /> De la même manière, si j'écris ici que la Russie (nous) donne une belle leçon de realpolitik, c'est précisément qu'elle a une tradition en la matière, ce qui sous-entendait en effet que nous commettons souvent avec elle l'erreur d'analyser son positionnement "dans ses déclarations d'intention". Et en l'espèce, je crois assez peu à une "myopie", mais bien plutôt à une forme d'impuissance internationale.<br /> <br /> Les propos de Poutine que vous rappelez sont bien connus ; ceux-là comme d'autres, d'ailleurs, puisqu'il est plutôt prolixe en la matière. Nul n'est vraiment surpris, aujourd'hui, par ce qui arrive. La surprise, si surprise il y a, c'est que l'attitude de la Russie n'avait plus été aussi volontaire et aussi volontairement indifférente aux traités internationaux depuis la fin de l'Urss (je ne parle pas de la Tchétchénie, qui est une sorte de "sale guerre", et dont la tragédie n'a pas suscité les mêmes clivages sur le plan international, et en tout cas de chambardement comparable des positionnements géopolitiques traditionnels.) <br /> <br /> Je suis moins d'accord en revanche sur l'idée selon laquelle la Russie aurait réagi "normalement". Que, depuis la fin de l'Urss et la floraison qui s'ensuivit des séparatismes et des nationalismes (tout de même compréhensibles après un siècle d'impérialisme soviétique), la Russie se sente "encerclée", limitée dans ses mouvements, moins rayonnante, avide de retrouver un espace à la hauteur de son histoire et de son ambition, tout cela est évidemment vrai. C'est le produit de l'histoire, y compris de la sienne propre qui, peu ou prou, a consolidé et légitimé nombre de désirs de libération, qu'ils se soient mués ou pas en nationalismes.<br /> <br /> Sur les grands mouvements de l'histoire, nous pourrions donc être d'accord. Et il ne s'agit nullement (ce serait d'ailleurs une erreur) de se positionner en "donneurs de leçons". Le tropisme impérial russe est ce qu'il est, nourri au passage par quelques aigreurs historiques bien naturelles. Chacun le sait. Cela ne signifie pas, loin s'en faut, que "l'Occident" ne commette pas régulièrement d'erreurs. Saakachvili est aussi un produit de ces erreurs, et une certaine inconsistance des alliances occidentales aura aussi permis qu'il décide d'intervenir un peu à l'aveuglette en Ossétie. Les provocations, en l'espèce, venaient vraisemblablement des deux côtés. Mais sur la dernière quinzaine de jours, l'intention et l'ambition russes sont extrêmement explicites, voire revendiquées. L'aventure géorgienne en Ossétie fut une divine surprise, mais une surprise préparée, si vous me passez l'expression. Sur le déroulement des opérations, sur la maîtrise du calendrier diplomatique, la Russie a mené sa barque sans tanguer. Ce qui n'est pas le cas de l'Europe et des Etats-Unis, mal à l'aise dans des alliances parfois improbables, et dans une géographie dont ils doutent ; naguère, ils savaient où s'arrêtait l'Occident, ils savaient où s'arrêtait l'Europe - en Oural ? - ; aujourd'hui, depuis la chute du Mur, ils ne le savent plus, et il faudrait dire : nous ne le savons plus.<br /> <br /> Les Russes joueurs d'échec, oui, absolument. Pas d'improvisation, de la méthode. Tout est bon - le Kosovo ici est d'ailleurs un référent bien pratique, et je ne crois pas exagérer beaucoup en considérant que c'est bien ainsi que, in petto, les Russes considérèrent l'indépendance kosovare : ils avaient déjà leur idée derrière la tête, assez facile à deviner. <br /> <br /> L'odeur de la poudre, donc : je ne suis pas plus optimiste que vous, et vois assez mal, pour le moment, ce qui pourrait arrêter un certain mouvement de fragmentation. Encore une fois, il y a de la dialectique dans tout cela, c'est-à-dire de la méthode, et l'on voit bien que celle de la Russie est d'avancer de deux pas pour reculer d'un : au bout d'un moment, elle aura bien fini par recouvrer ses positions d'antan...
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R
Sur plein de points, je ne suis pas d'accord avec vous, Marc.<br /> Ce serait trop long sur commentaires ici.<br /> <br /> En gros : Personne n'a fait gaffe à une déclaration de Poutine, en 2006, je crois, qui disait en substance : Les Etats Unis, gendarmes du monde, ça suffit. La prioritç de la Russie sera dçsormais, l'armée et le réarmement.<br /> Je l'avais notée mais je je saurais la retrouver.<br /> <br /> D'abord, la Russie et l'Occident, comme vous dites, ne parlent pas le même langage. La Russie n'est pas une démocratie. L'analyser dans ses déclarations d'intention revient à vouloir lire avec des lunettes de presbyte conçues pour un myope ( je ne dis pas ça pour vous, Marc.)<br /> <br /> Surtout, la provocation vient des Américains et de leurs valets européens. Dites-moi, Marc, qu'est-ce que la Géorgie a à foutre dans un traité dit de l'Atlantique Nord ?<br /> La Géorgie est en Asie, armée et conseillée par Israel...<br /> Et puis, ici, en Pologne, les batteries de missiles, ou anti-missiles : Au Nord du pays,sur la Baltique, en ligne droite juste braquées sur le territoire russe (une enclave en-dessous des pays baltes)...On ne pouvait pas moins bien affichées les intentions. C'est sûr.Et un radar géant en Tchéquie...<br /> La Russie ne veut pas se laisser encercler. En dépit du peu d'affection que j'ai pour les pouvoirs du Kremlin, la Russie réagit normalement.<br /> Une base en Floride sous contrôle russe, ça donnerait quoi, Marc ? Qu'en diraient les démocraties donneuses de lecons ?<br /> Et puis, Poutine avait prévenu : "Le Kosovo vous retombera sur la gueule."<br /> L'Occident pris à son propre piège.<br /> La Russie ne veut pas d'une suucursale de la CIA a sa porte. Normal.<br /> Cette tentative d'encerclement par les provocateurs occidentaux ( qui n'ont jamais su décrypter le langage de la Russie) en cache une autre. A mon seul avis.<br /> La frappe de l'Iran. Immobiliser la Russie pour qu'elle ne puisse réagir. La Russie est à la source du programme nucléaire iranien.<br /> Le jeu des engrenages est lancé. De ces engrenages d'alliance qui font les grands cataclysmes.<br /> La Russie s'en fout des gesticalions de Sarkozy et autres "Kouchenerades."<br /> Militairement et stratégiquement, elle a déjà gagné. Et puis, savez-vous que Medvedev reçoit son homologue chinois et espère son soutien, quasiment acquis...Alors, les protestaions des démocraties....Elles ne font pas le poids.<br /> les Russes sont des joueurs d'échecs. les coups sont longtemps prévus à l'avance et ils voient clair dans le jeu des autres....<br /> Je ne suis pas optimiste, Marc.Ca ne sent pas bon.<br /> Ca sent la poudre.
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