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Marc Villemain
24 octobre 2009

THEATRE : Simplement compliqué - Thomas Bernhard

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De deux choses, l'une. Soit Georges Wilson, en se saisissant d'un texte et d'un répertoire qui lui sont proches (il dit se retrouver "et dans l'écrivain lui-même et dans le personnage qui parle"), a choisi, si l'on peut dire, la "facilité", soit, pour les mêmes et strictes raisons, il a fait, en s'affrontant lui-même, un choix courageux. A quoi bon poser une telle question ?, me fera-t-on peut-être remarquer, nul n'ayant jamais accès aux arcanes du cerveau, du désir et des bien nommées affres de la création. C'est que Georges Wilson représente à la fois une tradition et un pan entier (et quel pan !) de l'histoire du théâtre français : aussi l'on ne peut faire comme si ses choix n'étaient pas, non seulement mûrement réfléchis, mais sérieusement intériorisés.

Nous n'irons donc pas contre le concert de louanges qui lui sont adressées. Wilson est un maître, un immense professionnel. Non seulement il est chez lui sur les planches, mais il y recouvre d'emblée un corps, une énergie, un regard, parfois une facétie qui confine au cabotinage. Du reste, coup de grâce, il peut bien rester assis, il peut bien être fatigué, ou mal luné, ratatiné dans son fauteuil ou chaussé de charentaises, il n'en est pas moins majestueux. Nul besoin pour lui de se couvrir le chef de la couronne de Richard III, comme s'y autorise son personnage en souvenir du grand rôle de sa vie : avec ou sans diadème, Georges Wilson est un colosse hiératique, un souverain qui n'a plus même à se soucier de l'Histoire — il en est un acteur parmi les plus émérites. Autant le dire, donc : cette pièce a quelque chose du petit bijou, on ne s'y ennuie jamais, on y sourit souvent, on s'attendrit parfois ; quant au rendez-vous hebdomadaire du vieil homme avec la petite fille, qui n'était pas sans receler quelques pièges, il fonctionne très bien, et non sans grâce. La rencontre entre ces deux êtres, si elle ne constitue pas, théâtralement, le moment le plus abouti de la pièce, n'en demeure pas moins dotée d'un évident pouvoir d'évocation, d'émotion, et d'étrangeté. Cette enfant, dont Georges Wilson pourrait être l'arrière grand-père, sera d'ailleurs, peut-être, dans soixante ou soixante-dix ans, une des très rares, voire la seule, à pouvoir revendiquer le privilège d'avoir joué avec le monstre sacré.

Pourquoi donc ferions-nous la fine bouche ? Nous avons assisté à une petite leçon de théâtre, quelque chose d'aussi léger que profond, d'aussi distrayant qu'intelligent, servi par un texte  sans faille ni manières, vif, habile, tendre et percutant, et jamais ni l'intérêt ni le plaisir n'ont manqué, ni même l'émotion parfois. Mais c'est cette émotion, précisément, qu'il faut interroger. Et l'on ne peut alors manquer de se demander si elle émane du théâtre, ou de cet acteur qui n'en est plus tout à fait un tant il ressemble au personnage qu'il est censé incarner — et dont chaque spectateur, au passage, ne peut pas se dire que c'est sans doute la dernière fois, ou l'une des toutes dernières, qu'il le verra. Que George Wilson revendique et assume cette correspondance n'interdit évidemment pas de poser la question. Ce personnage d'acteur, donc, ce vieux misanthrope esseulé, ronchon et caustique, poétique et dépossédé, a tous les traits de son interprète, dont on sait le sourire rare et l'exigence totale. Aussi, jusqu'à quel point Georges Wilson joue-t-il, ce soir ? Qu'il ait choisi ce texte en dit évidemment long sur ses dispositions personnelles, sur la façon dont il se voit et dont il contemple sa trajectoire, sur le regard mêlé de tendresse, de rouerie et de lassitude qu'il porte sur la vie, les êtres et le monde. En choisissant ce texte, sans doute profite-t-il de la seule chose qu'il sache faire (son métier, et à la perfection) pour poursuivre son introspection et approfondir les pensées dont son existence est sans doute emplie. Rien de mal à cela, cela va de soi, et ce n'est pas pour rien dans le plaisir et l'émotion de le voir jouer et s'approprier cette pièce, mais une interrogation persistante, tout de même, sur ce qui est au cœur même du métier d'acteur : l'interprétation. Alors, Georges Wilson aurait-il pu interpréter ce texte différemment ? Sans doute pas : personnage et acteur y sont trop semblables, ou trop ressemblants. S'il s'était agi de littérature, nous aurions peut-être, de loin en loin, évoqué l'autofiction. Mais ici, bien sûr, dans la meilleure de ses acceptions. 

Simplement compliqué, de Thomas Bernhard (1986) — Théâtre des Bouffes du Nord.

Commentaires
G
acceptez-vous que nous reprenions votre article ur http://www.autofiction.org/index.php?post/2009/10/25/TEATRE%3A-Simplement-complique-Thomas-Bernhard-/-Georges-WilsonTheatre-des-Bouffes-du-Nord?<br /> mille merci<br /> isabelle grell
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