Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Marc Villemain
13 mars 2010

Jean Ferrat, tu aurais pu vivre encore un peu.


jean_ferrat_melody_mpp_600À Marie.

Je n'aurai rien d'autre à dire de Jean Ferrat que ces quelques souvenirs intimes.

Je crois que j'ai six ans, sept tout au plus. Cet hiver, nous partons skier en famille, il me semble que c'est à la Bourboule, dans le Massif Central. C'est un matin encore, et il fait très beau. Le petit-déjeuner s'éternise, je suis pressé, j'ai revêtu ma combinaison, celle qui, sur les pistes, me fera désigner par l'affectueux sobriquet de petit jaune. Je sors sur le balcon du chalet qu'on nous a prêté, dans l'attente, prêt à me jeter dans la poudre, et comme j'ai toujours aimé le faire je contemple et admire la nature, ses monts blancs de griseries. 

Du salon me parvient une chanson, une circonstance étonnante, La Montagne. Mon père écoute ça - et je sais pourtant, je sais d'un savoir étrange, instinctuel, qu'il n'est pas soupçonnable de sympathie pour Jean Ferrat, lui qui milite dans le parti d'en face. Et cette chanson, là, cette joliesse, cette douceur, dans cette voix que je n'avais jamais entendue, je l'entends encore, et c'est toujours ainsi que je l'entends. Le temps sec, bleu, froid, et cette chanson qui parle de ça justement, de cette beauté, comment peut-on s'imaginer.

Ensuite, je pense que j'ai un peu moins de dix ans. Il y a chez mes parents un vieux vinyle, une compilation improbable de chansons françaises. Patachou, Vigneault, Les Compagnons de la Chanson, Léo Ferré chantant Le piano du pauvre, Brassens et son Gorille, et Ferrat, donc, dont je perçois sans rien y comprendre l'historique gravité de Nuit et Brouillard, que j'apprends par cœur en me demandant ce qui peut bien me plaire dans ce lyrisme martial et sans appel.

Dix ans plus tard, parce qu'il faut bien se convaincre qu'on a peut-être quelque rôle à jouer dans ce monde, la petite bande où je grandissais se départageait aussi autour de cette chanson, Le Bilan. Ceux qui y voyaient une trahison, ceux qui savaient y percevoir le courage. Ceux qui croyaient à la révolution, ceux qui n'y croyaient pas. De lui, ce sera l'un des rares textes engagés auquel je m'attacherai...

Plus tard, j'ai chanté et tournoyé sur L'amour est cerise. Je traînais chaque jour pendant des heures dans les radios locales et je la passais, cette chanson, n'importe quand, à n'importe quelle heure, sous n'importe quel prétexte, dès l'ouverture de l'antenne au petit matin, juste avant le flash d'information, et jusque tard dans le soir, quand, à minuit, je coupais l'émetteur de la radio - les nuits radiophoniques étaient silencieuses, à l'époque.

C'était un autre signe, un autre indice. Car plus tard, plus tard encore, la chanson est revenue dans ma vie, par la plus inespérée des voies, retrouvée intacte et précieuse dans la mémoire de la femme que j'aime.

Commentaires
A
...que cette heure arrêtée au cadran de la montre... que serais-je sans toi que ce balbutiement...<br /> Oui. Enfant j'ai écouté Ferrat comme ça, par hasard, une tante qui adorait Ferrat, une femme de caractère une femme sensible aussi chez qui j'aimais aller, une femme qui aimait les livres, les idées et les mots, et qui, donc, écoutait Ferrat.<br /> J'espère qu'Aragon lui a dit merci ;-)<br /> Je ne leur dit pas merci, à ces deux-là. Bercée par ces mots parfaits, j'en avais conclu que les hommes étaient forcément des poètes... La vérité est un peu plus nuancée ;-) Ferrat et Aragon sont, avec d'autres, responsables de mon inadaptation au monde réel, il me semble...<br /> Je plaisante. A peine. Merci de me faire penser à écouter, à nouveau, cette voix si particulière...
Répondre
M
Merci pour ces moments d'histoire avec Jean Ferrat !<br /> Ces textes, magnifiquement écrits, à sourire ou à pleurer, seront éternels, mais<br /> il va tellement nous manquer !<br /> "Il" aurait pu attendre encore un peu !
Répondre
M
J'aime cette façon de raconter Ferrat...<br /> Du coup ai découvert le site de Marie Dosé, Avocat à la Cour.<br /> Bonne soirée, Marc Villemain.
Répondre
G
Dés qu'on a un "certain âge", on a connu Jean Ferrat depuis "ma môme" et nos souvenirs remontent rien qu'en lisant les titres; Nuit et Brouillard associé aux images du film pour avoir conscience en 2nde de la réalité que mon père (prisonnier pendant toute la guerre) n'évoquait qu'à demi mots- et par bonheur, Aragon et la Montagne.<br /> Tant qu'il y a des oreilles pour les écouter, les chanteurs sont toujours présents parmi nous!
Répondre