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Marc Villemain
30 avril 2010

Cimetière - Dictionnaire de la Mort

Dictionnaire de la Mort, (s/d) Philippe Di Folco - Éditions Larousse, collection In Extenso

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Longtemps, les humains ont redouté le contact avec les morts : selon J. G. Frazer et E. Morin, s'ils honoraient leurs sépultures, c'est d'abord parce qu'ils craignaient leur retour. P. Ariès rapporte dans l'Homme devant la mort cette prescription de la loi des Douze Tables : "Qu'aucun mort ne soit inhumé ni incinéré à l'intérieur de la ville." Prescription qui sera reprise dans le code de Théodose : "Que tous les corps enfermés dans des urnes ou des sarcophages, sur le sol, soient enlevés et déposés hors de la ville", en l'espèce Constantinople. Ainsi en allait-il des cimetières de l'Antiquité, que l'on appelle un peu vite des "nécropoles". Dans la préhistoire, les sites funéraires étaient situés au milieu des vivants et des dieux : l'on portait donc le mort en terre au centre des structures habitables, élevant des tumulus pointés vers le ciel, des cairns, ou marquant le sol d'une stèle. La mise hors les murs des sépultures à partir de l'Antiquité répond surtout aux contraintes inhérentes à la naissance des villes et à la croissance démographique. Progressivement, le corps en tant que chair n'ayant plus rien de sacré, les zones d'ensevelissement des défunts déménagent vers la périphérie et s'installent le longs des voies de communication, ouvertes à tous et considérées comme des espaces de sociabilité comme les autres.

Eloignement progressif

L'enracinement progressif de la chrétienté fit évolue les choses différemment. Ainsi le bas Moyen Age enterrera-t-il ses saints directement dans les églises érigées au cœur des villages ; et l'on inhumait les habitants au plus près des saints (ad sanctos), afin de leur ménager un accès au paradis plus aisé. Pour des raisons d'hygiène, l'Église reviendra toutefois sur cette pratique et déplacera l'espace funéraire dans l'aître, terrain qui jouxte l'église. L'Occident chrétien médiéval a ceci de remarquable que les vivants coexistent avec leurs morts. Le cimetière s'apparente alors à ce que nous appellerions aujourd'hui un "lieu de vie", où la communauté poursuit à loisir ses activités traditionnelles : foires, salons, marchés, spectacles, divertissements ; l'activité des vivants se déploie dans un espace funéraire socialement surqualifié. Cet espace et les modalités de son occupation vont se transformer en fonction de l'évolution de l'institution ecclésiale. Le caractère sacré du lieu funéraire définitivement établi à la  Renaissance, il sera sanctuarisé, clôturé physiquement et symboliquement protégé du regard des vivants et de leur commerce.

Concomitamment, apparaîtront les premières sépultures individualisées et les premières décorations funéraires, reléguant à jamais les fosses communes usuelles. Dans le courant du XVIIIe siècle, les cimetières déserteront à nouveau les centres d'habitation vers les périphéries. Les progrès de l'hygiénisme sous-tendent ce déplacement géographique, mais il faudrait également évoquer le vitalisme optimiste de l'époque et les progrès de la laïcité. En France, devenues terrain public communal par une loi de 1881, les sépultures sont, dès la Révolution, gérées par les autorités municipales laïques.

Un espace paysagé

Les premières considérations esthétiques vont faire leur apparition au XIXe siècle, dans le souci d'adoucir l'image de l'espace funéraire ; ce mouvement s'accompagne de l'essor du romantisme noir, volontiers sépulcral, et de son compagnonnage lyrique avec la mort. C'est de cette époque que l'on peut dater la naissance du cimetière comme espace architectural et paysager, ainsi que le cadastrage des concessions, destinées à la location ou à la vente. La végétation y apparaît de plus en plus luxuriante, pour apaiser le caractère dramatique des visites. Le XXe siècle poursuivra et amplifiera ce mouvement. Aussi la plupart des nouveaux cimetières sont-ils désormais construits à l'extérieur des villes, et font état de projets qui entrent de plain-pied dans les plans d'aménagement et de développement urbains.

Devenue le mode légal de funérailles en France au VIème siècle, l’inhumation se heurte de nos jours à un épineux problème de place. Non parce que l’on mourrait davantage qu’autrefois, mais parce que l’expansion géographique des villes, conjuguée aux évolutions démographiques, à la montée en puissance des préoccupations environnementales et des contraintes définies par le Code de l’urbanisme compliquent au plus haut point l'édification de cimetières. 

Ce problème d’espace explique d’ailleurs en bonne partie le succès croissant des techniques de crémation. Reste que la tombe traditionnelle, en marquant physiquement l’emplacement du défunt, facilite le recueillement de ceux qui viennent honorer leurs morts. Etape importante du deuil ou simple manière de cultiver la mémoire du défunt, que l’on soit ou pas croyant, le recueillement s’avère en effet plus problématique devant un columbarium, d’aspect plus anonyme. 

Il est acquis que les cimetières de demain ne ressembleront que très lointainement aux terrains un peu désuets et ensauvagés qui font le charme des cimetières de petits villages, où quelques herbes folles poussent parmi les gravillons entre les tombes et où les visiteurs se partagent un arrosoir en plastique qu’ils remplissent sous un vieux robinet rouillé. La bonne intégration du cimetière dans l’environnement naturel et dans l’organisation de l’espace public conduit à de nouveaux modèles, vidéo-surveillés, qui ne sont pas sans évoquer celui des parcs ou jardins municipaux. Le cimetière paysager favorise les tombes sans dalles, où seules des stèles viennent orner l’emplacement. De la même manière, apparaissent des substituts aux columbariums traditionnels, trop massifs, où l’empilement de cases individuelles ou familiales peut créer un sentiment de malaise. Une des pistes les plus explorées et les plus prometteuses repose sans doute dans la conception de jardins du souvenir, engazonnés et agrémentés de pierres et de buissons, où les cendres peuvent être dispersées ou inhumées (sur des carrés de pelouse d’une profondeur d’environ 20 centimètres.)

Enfin, et d’aucuns y verront peut-être un effet du progrès, l’on ne peut conclure sans évoquer les cimetières virtuels sur Internet. Le principe en est simple : l’internaute se recueille devant son écran et, contre paiement, peut déposer sur la photographie du défunt une icône électronique représentant une fleur, une bougie, un message ou toute autre représentation symbolique. Manière assez simple et radicale, s’il en est, de régler un problème d’occupation des sols.

M. Villemain

Bibl. : Michel Lauwers, Naissance du cimetière – Lieux sacrés et terre des morts dans l'Occident médiéval, Paris, éd. Aubier, 2005 * François Ottmann, Créer ou aménager un cimetière – Géologie, techniques, hygiène, éditions du Moniteur, avril 1987

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