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Marc Villemain
25 juillet 2011

Comte Eric Stenbock - Etudes sur la mort

Eric Stenbock - Etudes sur la mort


Les éditions du Visage Vert ont donc ce talent de ressusciter les morts. Ce qui est bel et bien la position dans laquelle se trouve le Comte Eric Stenbock, trepassé en 1865 à l'âge de trente-cinq après avoir fait une mauvaise chute sur la tête, et qui de son vivant n'aura laissé d'autre souvenir que celui d'un jeune homme très fortuné et aussi copieusement excentrique. Il meurt d'ailleurs très opportunément, si l'on peut dire, et comme nous l'apprend Olivier Naudin dans sa préface, le jour où s'ouvre à Londres le procès d'Oscar Wilde - on dit qu'ils se rencontrèrent. La traduction, pour la première fois en France, de ses contes romantiques, originellement publiés à Londres en 1894, est sans doute un petit événement pour tous les curieux de cette école décadente à laquelle on peut rattacher Eric Stenbock, autour duquel quelques légendes commencent donc à prendre corps.

Son écriture, sans tonitruance aucune, va pourtant à rebours de la profusion luxuriante à laquelle nous ont plutôt habitués les littératures dites gothiques. Stenbock est un esthète dont le style un peu las charrie une sorte de grâce imberbe, une douceur sourde, anxieuse, sophistiquée. Témoignant d'une sensualité naïve, mais toujours étrange et mélancolique, l'onirisme où, par petites touches, il conduit ses récits, laisse le lecteur sur l'agréable impression d'avoir traversé un autre éther, un monde presque pictural où le désir et la mort sont toujours, chez ce catholique fervent, dignes d'une 66828784certaine théâtralité. Mais tout se passe dans le calme, sans ornements, le plus naturellement possible. "L'unique passion de ma vie fut la beauté", fait-il dire à ce personnage de somptueux Narcisse que les circonstances enlaidiront au point de ne plus pouvoir être l'ami que d'un jeune aveugle. La jeunesse est d'ailleurs un autre thème de ce recueil, une jeunesse le plus souvent masculine, d'une beauté toujours inconsciente, presque hellénique, avec ses "beaux adolescents soufflant dans des conques", avec Lionel, "cette fleur exotique", ou Gabriel, "d'une nature moins cruelle et plus douce que le commun." La jeunesse est angélique et rédemptrice, comme la nature où s'uniront une petite fille et un albatros, comme cette "grande chenille verte" qui promet d'être "la larve du bonheur", comme la peau humaine dont le luthier trouvera usage pour tisser les plus belles cordes d'une viole d'amour. Il y a là un tragique sans pathos, d'une beauté moins formelle que spirituelle, d'une étrangeté qui n'a pas tant pour ambition de marquer les esprits que d'exprimer une certaine quête de soi. A lire en écoutant les Nocturnes de Chopin, et si possible avant de s'endormir. 

Etudes sur la mort, Contes romantiques - Comte Eric Stenbock - Editions du Visage Vert. Traduction : Olivier Naudin ; illustrations : Florence Bongui et Marc Brunier-Mestas.

Visiter le site du Visage Vert.

 

 

22 juillet 2011

Programme de l'été

Louis Janmot - Rayons de soleil

 

 

Sait-on jamais où nous mènent les errances estivales... Pour ceux que cela intéresserait ou qui auraient un peu de temps à perdre, je serai :

- le lundi 1er août dans l'Hérault, pour une causerie dans le cadre des Vagabondages littéraires en Haut-Languedoc.
Davantage d'informations ici.

- le samedi 13 août à Dinan (Côtes d'Armor), où je dédicacerai Le Pourceau, le Diable et la Putain à la librairie Le Grenier.
Davantage d'informations ici.

- le vendredi 16 septembre à Pézenas (Hérault), invité au salon qu'organise l'association Aux Livres, Citoyens !, puis, le lendemain, samedi 17, au banquet littéraire dont la table sera dressée par la bibliothèque municipale de Lieuran-Cabrières.
Davantage d'informations ici.

Iconographie : Louis Janmot, Rayons de soleil


16 juillet 2011

Entretien avec Joseph Vebret - Le Magazine des Livres


Le Magazine des Livre, n° 31, juillet/août 2011
Entretien avec Marc Villemain - Propos recueillis par Joseph Vebret

 

"L'écriture est souveraine"

Dans son quatrième livre, Le Pourceau, le Diable et la Putain, Marc Villemain met en scène un misanthrope mourant à travers un monologue où chacun en prend pour son grade. Réjouissant. Une belle écriture, assurément.


 

Le Magazine des Livres, 31 - Juillet-août 2011

Où avez-vous puisé votre inspiration pour ce nouveau roman, Le Pourceau, le diable et la putain, l’idée, le thème, le fil conducteur ?

Dans l’agonie d’un cloporte : je ne sais donc pas si cela mérite qu’on parle d’inspiration… ! Devant moi, donc, cette bête, les pattes à moitié brisées, cloporte éclopé. C’est ici que la conscience humaine (humaniste, allez savoir) entre en jeu : mon devoir était-il d'abréger son existence en l’écrasant d’un viril coup de talon ? ou était-il plus convenable que je prolonge une vie qui, selon toute probabilité, ne serait plus que d’impotence ? J’ai décidé de laisser faire la nature. Mais, en même temps que je voyais l’animal se dépatouiller, si vous me passez ce terrible jeu de mots, je commençai à écrire ce qui se déroulait, là, sous mes yeux. Et qui, pour en revenir à mon livre, ne sera finalement que de bien faible rapport avec lui ; c’est aussi ce que j’aime, dans l’écriture : qu’elle m’entraîne, qu’elle érige elle-même les conditions de son empire, moissonne de son propre chef la terre que j’irai sillonner. Elle est souveraine, et je lui laisse le plus volontiers du monde la jouissance de ce pouvoir sur moi.

Vos deux dernières productions proposent des formats courts, des nouvelles pour Et que mort s’ensuivent, moins de 100 pages pour ce nouveau roman. Est-ce un hasard ou le choix de vous orienter dans cette direction ?

Je ne décide pas plus du format de mes livres que de leur destination ; tout au plus me donné-je une orientation générale. Je ne peux en constater, comme vous, que le relatif laconisme. Ce qui ne va pas sans m’intriguer, soit dit en passant. La seule explication qui puisse parfois s’esquisser, et qui vaut ce qu’elle vaut, me plaît bien : ayant, à l’âge de dix-huit ans, subi une opération de chirurgie qui m’a privé d’un poumon, j’aime parfois me dire que la brièveté de mes livres serait comme le pendant, la conséquence peut-être, d’un souffle court. Je suis assez séduit, et amusé, par cette correspondance, assurément hypothétique, mais plausible, entre l’esprit et le corps.

Une part d’autobiographie ?

Le personnage principal de ce roman a quatre-vingts ans, il a été professeur d’université, il est mourant et hait son fils par-dessus tout. Accordez-moi au moins cela : j’ai la moitié de son âge, je n’ai connu l’université que de très loin et sur le tard, je n’ai pas trop à me plaindre de ma santé, et je ne suis pas avare d’amour envers mon fils. Non, sérieusement, les péripéties de mon existence ne justifieraient pas à elles seules que je me hasarde en littérature. En revanche, oui, bien sûr, on trouve toujours autour de soi mille et une petites choses dont il peut-être stimulant, enivrant, parfois nécessaire, de faire juter le suc qui, peut-être, irriguera l’œuvre. Dans mon cas, c’est assez secondaire : il s’agit surtout de paysages, de figures, de diverses perceptions, mentales, rétiniennes, de faits très menus et autres circonstances sans importance. Je ne m’en sers que pour fabriquer un décor sur lequel je pourrai asseoir une sensation, une tonalité, où je pourrai dessiner les contours d’un monde nouveau où j’accepterais et aurais envie de me sentir projeté.

Dans un roman, il y a le sujet apparent, l’histoire, qui n’est parfois qu’un prétexte, et le sujet profond, subliminal : qu’avez-vous voulu dire ou faire passer ?

Rien. Je ne veux rien dire, rien faire passer. Je ne suis pas un directeur de conscience, je cohabite avec le dubitatif. Et suis bien trop intimidé par le seul fait de vivre pour me sentir seulement autorisé à dire son fait au monde. Cela dit, il n’aura échappé à personne que je suis un humain, une carne gratifiée d’un vecteur de jugement. Même lorsqu’on ne veut pas regarder le monde, ce qui m’arrive plus souvent qu’à mon tour, on ne peut jamais empêcher le monde de venir à soi. Il a pour cela mille moyens à sa disposition, des intrusions publicitaires aux innombrables modalités du commerce entre les hommes, des bribes de parole recueillies dans la rue aux fréquentations obligées, de l’incrustation de lumière sur le capot d’une voiture au reflet du soleil sur la roche. Je suis ce qu’il convient d’appeler un contemplatif – celui qui considère par la pensée : je ne dis rien : j’éponge, je recrache.

Parallèlement à votre activité d’écrivain, vous vous orientez vers l’édition de fiction. Comment jugez-vous la littérature contemporaine ?

Ce qui m’intéresse dans la littérature est ce qui, chez elle, n’est pas explicitement contemporain – fût-elle, donc, contemporaine. Si l’on entend par littérature contemporaine celle qui intègre, donc officialise, homologue, les réflexes du temps, son lexique, qui donne à son impensé l’apparence d’une substance, éventuellement d’une essence, alors celle-là, en effet, ne m’intéresse pas – ce qui n’induit pas que sa qualité en soit nécessairement mauvaise, cela va sans dire. Ce qui m’intéresse, qui me touche ou m’emporte, c’est quelque chose qui pourrait avoir trait à de l’intemporel, quelque chose dont on pourrait dire, demain, que la part éventuellement contemporaine n’affecte pas l’actualité. C’est, en fait, la possibilité de lire un de mes contemporains en me disant qu’il pourrait être, qu’il sera peut-être, ce que l’on appelait naguère un classique. Tout le sel de cette appréciation induisant que nous soyons capables d’imaginer, non seulement la culture, mais les déterminants, les obsessions, le lexique, disons l’habitus, de nos successeurs et descendants : chose évidemment impossible, mais distrayante, excitante, et peut-être pas aussi vaine qu’il y paraît. Voilà donc un peu ce j’aimerais faire, et réussir comme éditeur : non repérer les classiques de demain, je ne suis pas fou !, mais affûter mon acuité, mon audace, et donner à lire des écrivains dont je sais qu’ils ne seront peut-être pas entendus de nos contemporains, mais dont je pressens, avec la colossale marge d’erreur de rigueur, qu’ils font déjà partie de l’épopée littéraire, d’un temps presque sans borne et sans détermination.

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Et l’écriture de la nouvelle génération ? Parleriez-vous de diversité ou de normalisation ? Le style est-il encore une priorité ? Qu’en est-il de la langue ?

Comment le dire ? Sur quels critères fonder notre jugement ? Tant de livres paraissent, que je n’ai pas lus et ne lirai jamais. Alors, bien sûr, je ne voudrais pas pécher par excès de prudence ou d’attentisme, j’ai des yeux pour voir : action, émotion, tension narrative, sensiblerie ou complaisance dans l’abjection (c’est selon), alignement du champ lexical sur le tout-venant, etc… Mais cela ne vaut que pour les livres qui rencontrent le succès, autrement dit une infime poignée, et ne saurait résumer à soi seul la littérature qui se fait, et que je crois, moi, très vivante. Je ne saurais dire si, en France, elle traverse une zone de basse pression. Nous savons juste que son rayonnement est plutôt en berne, ce qui n’a rien à voir avec sa qualité. Est-ce dû, donc, à la littérature en tant que telle, ou à la crise de ce que l’on croyait il n’y a pas si longtemps encore impérissable : le génie national ? à un environnement éditorial, médiatique, financier, dont l’intérêt presque exclusif est de réaliser des bénéfices donnant à ses investissements un avant-goût de paradis fiscal ? Vous voyez qu’il m’est difficile de répondre à votre question autrement que par une intuition. Si j’en fais état avec honnêteté, alors je dirai, oui, que l’eau où baigne notre langage est plutôt, appréciez l’oxymore, terne par excès de transparence ; moite par excès de contraste ; sirupeuse, davantage que rafraîchissante. Une littérature libérée, mais pas nécessairement libre.

Nos contemporains perçoivent peut-être un peu moins qu’auparavant combien la langue charrie le monde, combien il est impossible de créer le moindre univers qui n’ait pas l’obsession du style. Ceux-là ont peut-être le tort de trop vouloir dire, exprimer, manifester, qui n’est pas, selon moi, la principale fonction de la littérature. D’autant que le monde n’a jamais façonné et possédé autant de supports et d’occasions d’exprimer la singularité et l’individualité. La littérature doit, autant que faire se peut, évacuer cette obsession de l’expression, elle n’est pas et n’a pas à être une modalité de la démocratie ; elle n’est pas ou ne peut pas être définie comme l’occasion ou l’instance d’une prise de parole. Ce qui prend la parole, en littérature, est une singularité qui doit à la fois s’exhausser et s’oublier, se sanctuariser et se diluer.

De même, comment jugez-vous la critique littéraire ? Vous avez été vivement attaqué par une journaliste vous reprochant d’utiliser « trop de mots » et trop de subjonctifs…

Y a-t-il vraiment lieu de s’en étonner ? Pourquoi la critique échapperait-elle à l’air du temps ? Vous connaissez la remarque fameuse que l’on prête à l’empereur Joseph II, lequel, à l’issue de la première représentation de L’Enlèvement au Sérail, aurait lancé à Mozart : « trop de notes ! ». Comme il a bien dû se trouver, à une autre époque, quelques critiques en vogue pour s’émouvoir d’une ponctuation célinienne à tout le moins hétérodoxe, voire d’un usage complaisant des « gros mots ». Cela étant dit, soyez bien certain que j’ai toujours trouvé à me réjouir d’une critique qui ne manquât (pardon, un subjonctif) jamais d’exigence, de rudesse pourquoi pas. Pour peu, donc, qu’elle ne s’enivrât pas d’elle-même et n’oubliât rien de sa raison d’être : donner à voir d’une œuvre ce qu’une lecture moins professionnelle ou moins avertie pourrait éventuellement ne pas y distinguer. Et quand bien même mon ego très sensible s’affecterait de quelques froideurs péremptoires, l’accueil fait à mon dernier roman suffirait à m’en consoler, Le Pourceau, le Diable et la Putain ayant suscité de plus nets éloges qu’aucun de mes précédents livres.

Bref, il y a deux sortes de critiques, pour aller vite. Ceux qui s’acharnent à servir de paratonnerre aux lubies, aux platitudes de leur temps, et ceux qui revendiquent, pour le coup, l’ultra-contemporanéité de leur opinion, dont ils ne peuvent hélas pas voir qu’elle est l’indicateur même de leur insignifiance dans le champ de la pensée et de la littérature. Vous admettrez avec moi que se revendiquer d’une instance critique pour regretter qu’un roman contienne « trop de mots » (sous-entendu : trop de mots compliqués) constitue l’occasion d’une farce dont il ne fait pas de doute qu’un Molière ou un Guitry auraient su faire leur beurre. Je m’en tiens ici à l’enseignement très simple d’un Maurice Nadeau : le critique doit s’effacer, se mettre à la place de l’auteur, ne pas renverser les rôles, vivre avec l’humilité chevillée au cœur, et, mieux que cela : éprouvant le plaisir ou la curiosité de l’autre, prendre goût à cette humilité. Être, comme Nadeau l’a écrit, un « serviteur ». Ce qui, mécaniquement, exclut de ce champ les innombrables Cassandre qui ne font, ni plus ni moins, que mettre les rieurs de leur côté. Ce qu’en d’autres lieux on appellera le populisme.

Faut-il y voir un phénomène d’époque ?

à tout le moins, disons que celle-ci ne rend pas la fonction sociale de critique très aisée. De plus en plus, il me semble qu’on attend d’eux qu’ils fassent le spectacle, qu’ils créent l’événement, l’inventent au besoin. Or, l’événement, dans une société qui n’en finit pas d’abdiquer et la lettre du sentiment démocratique, et l’esprit de la conversation, l’événement, disais-je, repose en bonne part sur la possibilité de créer, non plus de la disputatio, mais du pugilat. Michel Polac le comprit très vite, avant que Zemmour et Naulleau poussent leur talent au maximum afin de complaire à un public qui ne demande jamais mieux que de tourner le pouce vers le bas. C’est un autre sujet, car ce qui s’y joue dépasse la littérature : c’est, peut-être pas le devenir, disons au moins le cheminement que suit, poursuit, notre civilisation. Or, à trop vouloir en gratter le vernis, sous prétexte de transparence et autres authenticités, on finit par en dévoiler la part consubstantiellement et inexorablement avariée, pourrie.

Selon vous, où va la littérature ? Son salut viendra-t-il des petits éditeurs indépendants et courageux ?

Entendons-nous. Non seulement les humains éprouveront toujours la nécessité de décortiquer le sens, s’il en est un, de leur  passage sur terre, non seulement leur esprit a partie liée, dans sa plus inexpugnable intimité, avec l’art et la création, mais nous serons morts depuis des lustres lorsque verront le jour des œuvres inouïes, magnifiques, aptes à dire la petitesse autant que la souveraineté de l’homme, sa part de misère propre autant que sa gloire particulière. De cela il ne faut pas douter, non parce qu’une volonté au forceps nous obligerait à l’optimisme, lequel n’a jamais été ma sensation nourricière, mais parce que c’est le tropisme même de l’esprit humain que de passer son existence et le monde au tamis de ses rêves et de sa raison créatrice. Ne croyez pas que j’esquive votre question, tout au contraire : je veux dire que la littérature n’attend rien d’un salut, elle n’a besoin d’aucune instance salvatrice. Nous avons l’impression de vivre un temps unique, inédit, comparable à aucun autre, notre impression très spontanée nous pousse toujours à croire que c’est toujours sur notre tête à nous que le ciel tombe : mais il n’est pas une génération qui nous ait précédés qui n’ait éprouvé ou ressassé une telle idée. Le monde avance en tâtonnant, le secteur de l’édition est le reflet de ce tâtonnement. L’édition est aussi un commerce, que cela plaise ou non. On y trouve des gens plus ou moins cyniques, plus ou moins sincèrement convaincus de l’importance de ce qui se joue, et il est dans la logique des choses économiques que les marchands, gros ou petits, prennent le dessus. Certains vendent des livres, mais il ne fait pas de doute qu’ils pourraient tout aussi bien vendre autre chose. La force de ce que l’on appelle les gros éditeurs n’est plus aujourd’hui qu’une force économique – celle qui, incontestablement, domine notre monde. Celle des plus modestes réside dans l’obligation qui leur est faite de se distinguer, de rechercher l’excellence, d’emmener le lecteur sur des terrains moins balisés, moins flatteurs, de creuser toujours et inlassablement le sillon d’une littérature qui, sans chercher à s’y opposer, perturbe, contrarie, fasse violence à ce que l’on croit être le « goût du public. » C’est donc à la fois une question de survie autant que d’audace. Ce qui revient à dire que, dans les faits, oui, sans doute, le meilleur de la littérature est à attendre d’éditeurs plus modestes : mais je ne peux avancer cette assertion qu’à la condition de ne pas en faire un système, une opinion systématique.

Travaillez-vous à un nouveau roman ? Dans la même veine ?

Je travaille toujours. A un roman ou à autre chose, en tout cas à la possibilité de transmettre un monde par l’écrit, à la transposition de certains de ses pans dans l’écriture. À certains moments, j’y travaille de la façon la plus pratique qui soit – feuille, stylo, ordinateur. À d’autres, j’y travaille en laissant mon cerveau décider de prendre en note ce qui lui vient, de consigner ce que je n’attendais pas et qui pourtant se présente à lui. J’ai plusieurs textes en cours, bien sûr. Certains semblent dormir dans un tiroir, mais je sais bien, moi, qu’ils font semblant. Ils attendent que j’aille les chercher, sans doute, mais j’attends aussi d’eux qu’ils viennent me trouver. La latitude, la liberté laissée au temps m’est décisive. Le plus grand travers, le plus grand piège, c’est la précipitation. Une écriture a besoin de beaucoup de repos, de beaucoup de silence et d’épreuves nocturnes. J’écris, je laisse reposer, et ce repos peut durer une journée, un an, dix ans. Ce n’est pas en sommeil, c’est en veille. Ne pensons jamais qu’il ne se passe rien lorsque le temps s’écoule. On le croit vide, mort, mais il poursuit son incessant travail d’accumulation/épuration. Je peux toutefois répondre simplement à ceux que cela pourrait éventuellement intéresser : oui, je travaille à un nouveau roman. Il sera bref, donc, et d’une veine en effet très différente, presque opposée au précédent.

Le magazine des livres

 

13 juillet 2011

Léon Bloy - Le Désespéré

Léon Bloy


Un peu intrigué par les allusions répétées à Léon Bloy qui inspirèrent certaines appréciations de Et que morts s'ensuivent, mais bien davantage encore du Pourceau, le Diable et la Putain, je me suis plongé dans cet écrivain assez unique en son genre, et peu ou prou ennemi d'un genre humain qui le lui rendit (lui rend) assez bien. Léon Bloy, donc, dont je ne lus, naguère, que quelques textes symboliques et censément représentatifs de la verve pamphlétaire, ainsi, plus tard, que les exégèses de quelques-uns de ses admirateurs ou défenseurs, de Maurice Dantec à Juan Asensio. Le Désespéré fut, non son premier livre, mais son premier roman ; paru en 1887, il ne suscita pas davantage d'échos qu'il ne rencontra le succès mais valut à son auteur "plus d'un quart de siècle de souffrance", si l'on en croit ce qu'il écrivit à l'un de ses amis, le Frère Dacien. C'est donc avec une connaissance un peu rudimentaire que j'entre dans son oeuvre, tout juste armé de quelques notions sur le personnage et sur ce qu'il inspira ou continue d'inspirer.

Si Le Désepéré est un roman, ce que l'on pourrait discuter à loisir, alors avançons d'emblée qu'il est à tout le moins autobiographique : il ne faut pas être grand clerc pour faire observer combien le personnage de Caïn Marchenoir, "voué, par nature, à l'observation des hideurs sociales" et regardant le monde moderne comme "une Atlantide submergée dans un dépotoir", correspond à l'idée que Léon Bloy se fait de lui-même, du moins de l'effort auquel il veut contraindre son existence et de la direction qu'il veut lui imprimer. Mystique, misanthrope, révolutionnaire, anti-bourgeois, ascétique, comptenteur de son temps, ce héros-là est l'exacte image de la représentation commune que l'on se fait de Bloy. Hormis la chute, poignante et d'une grande beauté tragique, tout ici est l'écho presque direct de ce qu'il vécut : la relation entre Caïn Marchenoir et Véronique Cheminot est la transposition à peine fardée de l'amour fou qui unit Léon Bloy et Anne-Marie Roulé, prostituée qu'il convertit à sa foi apocalyptique jusqu'à ce qu'on n'ait plus d'autre possibilité que de la faire interner à Sainte-Anne, et la retraite qu'entreprend Caïn à la Grande Chartreuse évoque évidemment l'épisode de Bloy à la Grande Trappe de Soligny. Le reste, vertige de réflexions torrentielles sur la décadence de l'humanité, de l'Église et de la société des hommes, est une illustration, souvent magnifique, toujours habitée, de l'absolu dont Léon Bloy avait fait son pain quotidien.

BloyDevantCochonsIl n'est pas interdit, parfois, de soupirer d'ennui ou de lassitude, tant Bloy y épanche et assène ses très métaphysiques tourments. Il n'en demeure pas moins que c'est magnifiquement écrit ; même si bien des traits ont vieilli, même si la composition souffre de quelque tentation du bavardage et autres adiposités, la langue assez géniale de Bloy suffit à donner à sa prose un rythme, une vigueur, une incandescence et une virilité (le mot et l'idée reviennent souvent sous sa plume) absolument sans égal. Il ne s'agit pas de s'obliger à épouser une pensée, et il sera d'ailleurs difficile de suivre Bloy sur tous ses chemins sans trébucher sur quelque délire acide, jugement à l'emporte-pièce, anti-républicanisme grossier, rude saillie antisémite ("on prohibe le désinfectant et on se plaint d'avoir des punaises") ou âpreté absolutiste - fût-ce, donc, de la plus belle manière. En revanche, et pour peu que l'on s'évertue à comprendre plutôt qu'à juger, à entrer, peut-être pas dans les raisons du narrateur, au moins dans ses motifs, bref, pour peu que l'on accepte de se laisser entraîner dans un mouvement qui, quelle qu'en soit l'intention, transcende l'humeur et créé de l'art, alors il est difficile de ne pas être subjugué. Même et y compris lorsqu'on peut s'agacer de certains traits stylistiques qui, s'ils peuvent être caractéristiques, n'en sont pas moins un peu éprouvants, à commencer par cet usage à tout le moins pléthorique de l'adjectif et de l'adverbe. Car, pour le reste, l'impression est tout de même de fréquenter une sorte de génie, c'est-à-dire de singularité quasi absolue, indifférente pour ne pas dire insensible à tout ce qui ne la nourrirrait pas, et qui serait comme le vecteur unique d'un irréductible tropisme de colère et de dégoût. Ce qui n'exclut pas l'humour, dont les contours seront bien sûr sarcastiques, et pour peu qu'il jugeât cette disposition suffisamment armée pour partir en guerre. Bloy a parfois quelque chose d'un Audiard avant l'heure ; on l'observe notamment lors des scènes où il décrit, irrésistible, les arrivistes dîners mondains de la petite coterie littéraire - où l'on comprend mieux, soit dit en passant, le grand silence où la presse spécialisée cantonna son oeuvre. Ainsi, Caïn Marchenoir, convié, pour de sourdes raisons, à prendre part aux agapes de la haute société lettrée, dresse-t-il une série de portraits en tous points poilants. De tel héraut des Lettres, "écumeur de pots de chambre", il dira que "son côté lyrique est fort apprécié des clercs de notaire et des étudiants en pharmacie qui copient, en secret, ses vers, pour en faire hommage à leur blanchisseuse" ; de cet autre : "On l'a souvent comparé à un sanglier, par un impardonnable oubli de la grandeur sculpturale de ce sauvage pourchassé des Dieux. C'est une charcuterie et non pas une venaison. La bucolique dénomination de goret est déjà presque honorable pour ce locataire de l'Ignominie. Mais les bourgeois se complaisent en cette figure symbolique de toutes les bestialités dont leur âme est pleine, et qu'ils présument assez épiscopale d'illustration, pour les absoudre valablement de leur trichinose." Ou encore, parce qu'on ne s'en lasse pas : "On fait ce qu'on peut et j'aurais mauvaise grâce à contester le choix d'une arme défensive à n'importe quel chenapan dont je serais l'agresseur. Si je poursuis un putois, le glaive de feu à la main, et qu'il me combatte avec un le jus de son derrière, c'est absolument son droit et je n'ai rien à dire" ; et ailleurs, donc, le très audiardien : "Monsieur, je vous conseille de numéroter vos chicots, car je vous préviens que j'ai la calotte facile."

Reste que la grande affaire de Bloy est d'être le contempteur d'un monde, d'un siècle, d'une humanité même, dont il se sent et se veut le banni - "je souffre une violence infinie et les colères qui sortent de moi ne sont que des échos, singulièrement affaiblis, d'une Imprécation supérieure que j'ai l'étonnante disgrâce de répercuter", met-il dans la bouche de Caïn Marchenoir. L'horreur que lui inspire la déchéance du Christ dans l'Église, dont il exhausse un anticléricalisme ravageur, la honte où il tient tout ce qui peut s'apparenter à la moindre compromission avec la société de son temps, l'effroyable mélancolie où le plonge cette intuition que les humains ne trouveront jamais leur bon plaisir que dans le reniement d'un Idéal et dans la consommation de la jouissance, sans l'once d'un souci de justice sociale et spirituelle ("je suis en communion d'impatience avec tous les révoltés, tous les déçus, tous les inexaucés, tous les damnés de ce monde"), font de lui un de ces êtres inapaisables, taraudés par la douleur de vivre et la souffrance d'être. Son génie aura peut-être été de donner à cet apocalyptisme une forme de sublimité, une expression qui doit autant à son mysticisme qu'au réalisme le plus cru.

10 juillet 2011

Vagabondages littéraires : 15ème

15ème Vagabondages littéraires


S
e tiendront du dimanche 31 juillet au vendredi 5 août les XVème Vagabondages littéraires du Haut-Languedoc, dans les vallées de l'Orb, de la Mare et du Jaur (Hérault).

C'est une des plus jolies initiatives estivales et littéraires qui soient, où se mêlent rencontres avec le public, dégustations de vins et découverte de la région.

Mon intervention est prévue le lundi 1er août à partir de 18h30, sur le parvis de la chapelle de Villecelle.

J'y retrouverai Eric Bonnargent, mon complice du blog L'Anagnoste, ainsi que Lionel-Edouard Martin - ceux qui me lisent un peu savent quelle importance j'accorde à oeuvre. Les autres auteurs programmés sont Annie Saumont et Marie Chartres ; enfin, point d'orgue de ce festival, Jacques Bonnet nous fera découvrir la forêt dite des écrivains combattants.

Le blog et le programme de ces quinzièmes Rencontres peuvent être consultés ici.

8 juillet 2011

Une critique de Laurence Patri - Biblioblog

 

biblioblogIl est des personnages de fiction que l'on aime haïr, Léandre est sans conteste de ceux-là. Vieux salopard octogénaire, Léandre n'en finit pas de mourir dans sa chambre d'hôpital et nous livre sa vision acide et cruelle de l'existence.

Léandre se définit lui même comme un misanthrope. Il n'aime personne et tout le monde le lui rend bien. De son fils à l'infirmière très belle mais un peu sotte, aucun ne semble trouver grâce à ses yeux. Pas même lui. Car Léandre a cette cohérence de se malmener autant qu'il malmène les autres. Or n'est pas misanthrope qui veut : la misanthropie est un effort des tous les jours, l'œuvre de toute une vie, que les lâches, comme son fils, ne pourront jamais atteindre. Et ce n'est pas en bout de parcours, à la veille de son dernier souffle, que Léandre va tout bousiller par des relents de compassion gluants. Non, Léandre répand son mépris pour l'Autre jusqu'à la lie, jusqu'à l'agonie.

Qu'il est bon parfois d'avoir de l'aversion pour des personnages de fiction. On le déteste pour ses propos abjects sur les étrangers, les femmes et les enfants. Léandre est dans la provocation outrancière mais après tout pourquoi se censurer quand on sait que la faucheuse rôde aux pieds du lit ? À quoi servirait ce dernier soubresaut de bienséance ? Pour faire plaisir à qui ? Alors Léandre se défoule et s'en donne à cœur joie. Tout y passe : ses anciens étudiants, ses conquêtes et son crétin de fils qu'il a surnommé dans un accès de bonté "le pourceau".

Mais si on déteste Léandre c'est aussi et surtout pour l'image qu'il renvoie : ce corps qui se délite malgré nous et nous rend dépendants des autres. Ces autres que l'on haïra car sans eux, nous serions réduits à l'état de pourceaux, incapables de subvenir à nos propres besoins. Car au-delà la provocation du misanthrope, il y a dans ce court récit, un état des lieux effrayant de la déchéance des corps vieillissants alors même que l'esprit continue d'être vert et vaillant. Ce corps répugnant devenu notre pire geôlier.

Et si on aime cette détestation, c'est que Léandre, en tenant des propos aussi féroces, nous rassure sur notre propre situation. Quel que soit notre degré de misanthropie (et nous sommes avons tous un peu d'Alceste en nous), nous ne pouvons égaler ce vieux con. Moyennant quoi, nous nous trouvons finalement plutôt aimables…

Paradoxe supplémentaire, ce roman sur la mort et la déchéance ne sombre jamais dans le pathos. Bien au contraire, Marc Villemain offre à l'ensemble une légèreté insolente et jouissive, un humour noir délicieux. En alternant les registres, en passant de la gouaille à une langue riche et classique (amis du subjonctif, soyez les bienvenus), l'auteur permet au lecteur de rire sans complexe des horreurs prononcées par le narrateur.

Alors bien sûr d'aucuns trouveront le style peut-être trop ampoulé et les clichés trop marqués. Mais cette exagération, cette outrance sont pour moi tellement indissociables du personnage que je vois mal comment il en aurait pu être autrement. Oui, on déteste Léandre mais qu'il est bon parfois de se laisser aller à ce plaisir coupable mais jouissif, de haïr l'Autre, le temps d'un récit.

Laurence Patri

Lire la critique dans son contexte original : Biblioblog.


4 juillet 2011

Une critique de Camille Thomine - Le Magazine Littéraire

Le Magazine Littéraire


Bréviaire atrabilaire

Quand vous serez un octogénaire grabataire et incontinent, n'ayant plus guère pour vous distraire que les déhanchements d'une infirmière et le trot des cloportes aux murs de votre hospice, comment tromperez-vous l'ennui ? Sans doute rejoindrez-vous l'une des deux catégories d'agonisants : celle des "infatigables postulants au podium de la chochotterie universelle", ou celle, peut-être plus pitoyable encore, des "John Wayne de la condition souffreteuse." A moins qu'à la manière de Léandre d'Arleboist vous n'attendiez patiemment la Faucheuse en raillant les uns et les autres, et avec le genre humain.

Du fond de ses draps poissés, le vieux narrateur acariâtre du Pourceau, le Diable et la Putain entend bien faire contre mauvaise fortune bonne chère et se repaître jusqu'à ce que mort s'ensuive du "pathétique festin" des vanités terrestres. Un festin dont les convives pourraient bien se nommer Alceste, Léon Bloy et Pierres Desproges, tant il est vrai que l'écriture de Marc Villemain conjugue avec bonheur l'ardeur misanthropique de l'un, la verve mordante de l'autre et la causticité fleurie du dernier. Troquant la nostalgie contre la goguenardise, le moribond dissèque souvenirs initiatiques et rencontres navrantes pour les convertir en autant de chroniques de la haine salutaire. Point de rescapés sous le geyser de son fiel : ni la "cohorte d'avariés" partageant son couloir d'hôpital, ni ses "benêts bêlants" de collègues universitaires, ni ses étudiants suintant le crétinisme et le sébum, ni les coquettes quadragénaires, "affolées à l'idée de récupérer en cellulite ce qu'elles avaient depuis longtemps perdu en séduction."

De ce cortège grotesque de "bipèdes criards et psychotiques" se détachent pourtant deux parangons, plus consternants d'ineptie que tous les autres : le fils-pourceau - faiblard mélancolique - et l'infirmière-putain - jolie bécasse inculte qui porte sans hasard aucun le nom de Géraldine Bouvier, figure récurrente et protéiforme de l'oeuvre de Marc Villemain. Quant au "diable" du titre, qui n'apparaît plus guère après la couverture, force est d'y reconnaître le narrateur lui-même : calomniateur en chef, comme le veut l'étymologie ("diable" vient du grec diabolos, qui signifie "calomniateur"), mais aussi puissance d'inversion, séduisant chambardeur des convictions et conventions. Car tel est bien aussi ce qu'incarne ce vieux conteur désabusé : par-delà le lynchage exutoire et (faussement) facile, la tentation brûlante et communicative d'envoyer au diable l'esprit de sérieux, les bons sentiments, l'humanisme complaisant et le prétendu volontarisme contemporains. A l'horizon de ce vade-mecum cynique qu'est Le Pourceau, le Diable et la Putain, il vous vient des envies de clamer haut et fort : vivons haineux en attendant la mort !

Camille Thomine
Le Magazine Littéraire - N° 510, juillet/août 2011

 

3 juillet 2011

Marie-Noël Rio - Paysages sous la pluie

 

Marie-Noël Rio - Paysages sous la pluieMarie-Noël Rio, Paysages sous la pluie - Editions du Sonneur

Si ma lecture de ce troisième roman de Marie-Noël Rio a commencé dans le scepticisme (ces images de peau forcément "laiteuse" ou de bouche "charnue", cette manière hyper-concise de poser d'emblée les contours sociaux du décor - "la vie au jour le jour, à coups d'allocations"), alors il faut dire aussi, et d'emblée, qu'elle s'est achevée avec un peu plus d'entrain. C'est un effet intéressant à éprouver que de sentir la qualité d'un livre basculer, car on sent alors combien c'est un ensemble qui bascule : un style, une cadence, une implication, une amplitude ; combien, dès lors, nous nous sentons embarqués, et sûr de ce que nous lisons : l'auteur a trouvé son chemin, sa voix.

La bascule ici va venir avec le basculement même de l'histoire. L'entrée dans le livre nous met en présence de trois jeunes filles des années soixante, Alice, Laure et Fleur. On cerne leur vie, à chacune on attribue un style, un caractère, des couleurs ; elles sont tout en rage et fragilité, percluses de tendresse et de brutalité rentrée. Quelque chose de trois soeurs. Le temps ne défile pas vraiment, il est simplement déroulé, un peu linéaire. Et puis la bascule, donc, le deuxième temps du récit, qui est à la fois accélération et ralentissement intime.

C'est dans une Inde où l'on ne rencontrera nulle trace d'exotisme ou de fantasmes que ces personnages vont s'épaissir, incarner la détresse, la désespérance où la vie les met, autant que seront éprouvées les raisons de leur lutte - ou de leur abdication. Marie-Noël Rio nous fait toucher du doigt l'essence de ces complexions inextricables, tout au long d'un récit assez touchant, dont la mélancolie à la fois sèche et romantique ne souffrira pas la moindre once d'humour ou de réserve. On sent peser ici tout le poids des arcanes de nos attachements, ce que ceux-ci contiennent d'un peu pathologique, irrémédiable ou destinal. Sans que l'auteur revendique nullement une quelconque esthétique de la désespérance, il n'est guère d'illusion qui résiste à l'empire de ce que vivent ces personnages et à l'impossibilité qui est la leur de pouvoir seulement attendre quoi que ce soit de la vie - "Les choses les plus tristes sont celles qui n'ont pas eu lieu." Ce qui m'apparut d'abord comme concision un peu maladroite ou frustrante s'impose par la suite et devient concision nécessaire : l'économie de mots comme la résonance du souffle qui s'éteint. Jusqu'à faire vaciller la flamme de l'humain dans les yeux d'une vielle chienne.

 

2 juillet 2011

Technikart - Juin 2011

- Atypique Pourceau -

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