mercredi 26 juin 2013

Une critique de Jacques Josse

 

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On ne peut pas ne pas s’organiser, s’assembler, tout faire pour préparer une riposte de grande ampleur quand une partie importante de la population se trouve ainsi méprisée, mise à l’écart, au rencart. C’est ce que martèle Donatien (qui œuvre depuis des mois en coulisse), trouvant les mots justes pour inciter les laissés pour compte à manifester, à se regrouper, à montrer leur force. Il s’est entouré d’une garde rapprochée dans laquelle sa femme tient un rôle primordial et où il souhaite que prenne également place celui qui est son ami de toujours, en l’occurrence le narrateur qui, conscient de la gravité de la situation, le rejoint sans hésiter.

Il faut dire que leur monde va mal depuis que les vieux, eux tous, qui flirtent avec la soixantaine et plus, sont devenus au fil du temps indésirables aux yeux des plus jeunes (trente, quarante ans) qui ont réussi à conquérir le pouvoir politique, culturel, sportif, médiatique et social.

Ici ce sont des ados qui lancent leurs pitbulls sur un couple d’octogénaires. Là c’est un ancien que des gamins traînent sur le trottoir, avançant en le tirant par les pieds. Ailleurs, ce sont les hôpitaux qui éjectent des malades trop âgés pour être soignés. Les banques leur refusent tout crédit. On les rançonne dans les bus. On instaure des quotas de vieux dans les restaurants. Et l’état songe à leur retirer le droit de vote passé un certain âge tandis que la propagande va bon train. Ils coûtent trop cher en retraite et en frais médicaux. Ce sont des bouches inutiles. Et des traînards. Qui bloquent les autres aux caisses des magasins, sur les trottoirs ou en voiture quand ils en ont une.

« À la fin de l’envoi, en vérité, ce qu’ils disaient, c’est qu’un vieux c’est la mort, et que la chose ne se montre point à un mioche. »

Alors tous préparent le grand jour, celui où ils vont prouver que les vieux réunis existent et constituent, par leur nombre, une force avec laquelle il faudra compter. Leurs seules armes : la sagesse et la solidarité. Au jour J, Donatien et quelques autres marchent en tête du défilé. Leur esprit est pacifique. Certains se sont munis d’une canne-épée au cas où ça déraperait... Et, forcément, ça dérape. Les barres de fer brandies par ceux du camp d’en face s’abattent soudain au coin d’une rue, faisant valser mégaphones, chapeaux, casquettes, écharpes, paires de lunettes, dentiers et sonotones... Donatien, ce sera terrible et injuste, va bientôt voir son fils unique (rallié aux idées des autres) tomber devant lui.

« Et maintenant Donatien est sur son banc, (...), la tête à pleurer dans les mains. De le voir comme ça moi ça me chamboule. Et toute cette souillure que ça met sur ma vie. »

Celui qui s’exprime, qui revient (avec des phrases courtes et un vocabulaire en adéquation avec son métier de cultivateur) sur la drôle d’épopée d’époque, le fait vingt ans plus tard. En un temps où les tensions entre générations se sont apaisées sans que puissent se refermer de vives (et irréparables) blessures. C’est une fable cruelle que donne à lire Marc Villemain. Un drame percutant qui n’est pas sans en rappeler d’autres, très récents ou plus anciens, survenant dès que certains ayant grand pouvoir, respectabilité de façade et pignon sur rues, boulevards et médias s’activent pour mettre en branle de puissants réseaux chargés de diviser en désignant ceux qu’ils jugent différents (et par ce seul fait inférieurs à eux) à la vindicte populaire.

 

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Jacques Josse
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lundi 24 juin 2013

Quand les libraires font le boulot

 

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L'époque, dit-on avec raison, est rude pour le livre, en une circonstance où, sans être encore une denrée rare, il n'en fait pas moins (mauvaise) figure de produit de luxe.
- Rude pour les auteurs, dont les droits persistent à ondoyer autour de dix pour cent (en dessous de huit, considérez cela comme de la malhonnêteté, voire davantage) ;
- rude pour les éditeurs, quoi qu'on en ait, qui allument cierges sur cierges en espérant que leur soit enfin adressé le juteux manuscrit qui leur permettra d'étoffer sans trop rougir un catalogue digne de sa qualification littéraire ;
- rude pour ces "petits" métiers qui, il y a peu encore, faisaient la splendeur de l'édition française - typographe, relecteurs, correcteurs...;
- rude pour les magazines spécialisés, pour leurs critiques (très) majoritairement bénévoles et pour les suppléments littéraires des grands quotidiens qui voient leur espace et leur lectorat se réduire comme peau de chagrin (et qui, comme dans le roman de Balzac, finiront donc peut-être par s'éteindre en même temps que le désir de lecture) ;
- rude pour les libraires, qui naviguent à vue entre concurrences virtuelles et/ou déloyales, cherté des loyers et raréfaction de la clientèle ;
- rude pour la Culture - mais nous aurions tort de nous inquiéter, pas vrai, puisque son ministère est tenu par une des nôtres ; et puis surtout, c'est un autre sujet.

page et plume

Tout cela est résumé à traits on ne peut plus grossiers, mais c'était juste pour esquisser le panorama d'une économie dont tout un chacun pourra au moins concevoir la morosité. Mais après tout, entend-on aussi, qu'importe le vin pourvu qu'on ait l'ivresse ? - entendez : qu'importe l'oseille quand on a la passion? Car il en est qui pensent ainsi et qui ne peuvent rien aimer davantage qu'un écrivain souffrant de malédiction, sans le sou et n'ayant pour seule compagnie qu'un vieux chat arthritique (chien, canari, hamster et lapin nain feront tout aussi bien l'affaire), ceux-là perroquant à qui mieux-mieux qu'on "n'écrit pas pour l'argent, Monsieur" (le "Monsieur", c'est moi qui l'ajoute), un peu à la façon de ces aïeux priant le Ciel qu'une bonne guerre vienne enfin mettre un peu de plomb dans la cervelle (ou autres) de la jeunesse.

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Introduction aussi gratuite que parfaitement inutile, je n'en disconviens pas, à un propos qui ne visait en fait qu'à remercier quelques libraires qui se donnent bien du mal pour faire connaître Ils marchent le regard fier, mon dernier roman. Je pense à Lydie Zannini, de la librairie du Théâtre à Bourg-en-Bresse, qui se démêne comme une diablesse et inonde le pays lyonnais de ma prose ; je pense au groupement Initiales et au Moulin des Lettres, la librairie d'Epinal ; à Aurélie Janssens, de la librairie Page et Plume, à Limoges ; à Anne-Françoise Kavauvéa, de la librairie Point d'Encrage, qui ne ménage pas sa peine pour faire connaître les écrivains contemporains à Lyon ; ou encore à la librairie commercienne, qui fait aussi bien des efforts. Tant d'autres encore, bien sûr, que je ne peux citer tant le lecteur en bâillerait (mais le coeur y est), et qui honorent leur profession (car, mais vous l'avez compris, il en va des libraires comme des chasseurs, des huissiers de justice ou des apothicaires : il y a les bons et les mauvais.)

Quant à nous autres, auteurs, de toute façon, pas le choix : on continue.

 

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jeudi 20 juin 2013

Une critique de Xavier Houssin

 

Logo Le Monde des Livres

Et si les vieux se révoltaient ?
Une fable de Marc Villemain imagine cette cruelle «croisade d’ancêtres»

Nous vieillirons le poing levé

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XAVIER HOUSSIN

Houssin


C
es deux-là se sont donné du « Mon vieux » depuis la cour d’école de leur bourg de campagne. Entre eux s’est nouée, à la vie, à la mort, une de ces amitiés enfantines qui durent. « J’ai toujours connu Donatien », explique d’emblée le narrateur d’Ils marchent le regard fier. Donatien n’était pas tout à fait un gamin comme les autres. Il avait la grâce étrange de ces meilleurs en tout. Habile aux exercices physiques et tout autant réfléchi et secret. Toujours le nez dans les livres, trimballant avec lui La Légende dorée, de Jacques de Voragine, où il relisait sans cesse l’histoire de saint Julien, qui tua père et mère et fut sauvé de l’enfer par un ange venu à lui sous la forme d’un lépreux.

« Il n’avait pas 10 ans, si avancé déjà, le front qui lui mangeait la moitié du visage, ce regard de clarté, les mains veineuses qu’on aurait dit celles d’un tailleur de pierre (…). Moi ça m’impressionnait. » L’un dans l’ombre de l’autre, les années ont passé. Donatien a épousé Marie, « la plus jolie, (…) un peu dans son genre à lui. » Et ils ont eu un fils que, sans crainte de la légende, ils ont tenu à appeler Julien.
« Mon vieux »… Avec le temps, l’affectueuse apostrophe a lentement pris son poids. Et sa réalité de souvenirs, de fatigues et de rides. Donatien et son fidèle ami vont s’apercevoir qu’on vieillit surtout dans le regard des autres. Le nouveau très court roman de Marc Villemain tisse une étrange et rude fable autour de ce constat. Il y tient la chronique d’une révolte qui fait descendre dans la rue des millions de gens âgés en colère, prêts à en découdre, question de survie, avec une jeunesse devenue l’ennemi absolu. Et dresse le tableau d’un véritable « gériacide ». Terrible époque. «On a peine à se l’imaginer.»

Demain, à qui le tour ?

Passe encore de laisser les vieux debout dans les transports, de se faire servir avant eux chez les commerçants. Passe même de leur limiter l’accès aux lieux publics. Mais voici que, à la télévision, des programmes les incitent au suicide. Qu’on les jette hors des hôpitaux pour les laisser mourir sur le trottoir et qu’on leur fait la chasse, lâchant sur eux les chiens.


Dans cette société qui massacre ses aînés, le pouvoir est tenu par des trentenaires et des quadras qui semblent avoir oublié que pour eux aussi les années vont filer. Demain, à qui le tour ? Donatien est déjà bien avancé en âge. Si, dans sa campagne, les violences ne se déchaînent pas comme en ville, le poison de ce lourd conflit de générations commence aussi à se répandre. Il a même atteint sa propre famille. Après une dernière dispute, son fils Julien lui a tourné le dos. Il ne faut donc plus tarder à réagir. « Dans une tripotée de bourgades, et pas forcément les plus grandes, et pas forcément les plus fières, des vieux (…) se mettaient en boule et faisaient du barouf. » Donatien va se mettre à la tête de cette croisade d’ancêtres. Son nom de guerre : le Débris.

Nous voilà embarqués dans le récit d’une folle épopée, une geste héroïque, où Donatien a son Joinville. « Je voudrais pouvoir raconter les choses telles qu’elles se sont vraiment passées. Il ne faut pas inventer, je ne vais dire que ce qui est dans mes souvenirs…» L’ami d’enfance narrateur, obsédé par son rôle de témoin, s’exprime dans un parler paysan appliqué. Il ressasse, digresse, détaille, fait de longs retours en arrière, cherche les formules justes, les images parlantes. Ça piétine et ça cogne. Jouant de l’invraisemblance, du cliché assumé, du Grand-Guignol. Ici, on se chauffe la tête en buvant de l’eau-de-vie de prune et on part manifester avec des cannes-épées. Villemain n’est pas un auteur pour les « gueules délicates » que raille Paul Valet dans Solstices terrassés (Maihors saison, 1983). Mais son expressionnisme emporté recouvre une attention particulière à la fragilité des êtres. Chez lui, le grotesque masque le tragique. Le ricanement assourdit les soupirs douloureux. De l’homme politique déchu et amer de Et je dirai au monde toute la haine qu’il m’inspire (Maren Sell, 2006) aux onze cadavres en ribambelle de ses nouvelles cyniques, Et que morts s’ensuivent (Seuil, 2009), c’est tout une humanité abattue qu’on retrouve. Comme dans Le Pourceau, le Diable et la Putain (Quidam, 2011), son précédent texte, où il donnait voix à un abominable octogénaire misanthrope, crevant sur son lit d’hospice de mépris pour les autres et le monde.

Où va-t-on croiser le drame ? On l’attend sur le chemin de Donatien et de ses compagnons de lutte. Quand le monde « suinte la méchanceté », que valent encore les serments des enfants : à la vie, à la mort ? t

Extrait

« Nos groupes ont investi les terrasses, ou direct aux comptoirs. Boire un dernier café avant l’effort, sans compter qu’il fallait aussi s’exercer à repérer les fâcheux: un groupe de jeunes excités, un flic en civil, un de ces messieurs de la presse (…). A 11 heures, l’embranchement où avait été établi le point de rendez-vous était noir de monde. (…) Ce n’était pas seulement noir, c’est que ça débordait. Et toutes les rues à côté avec, les petites et les moyennes, les adjacentes et les obliques, et jusque sur la grande avenue qui descendait on sentait bien que ça s’agglutinait sec. Du grouillement comme on n’en avait jamais vu. »
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Ils marchent le regard fier
, page 68

 

mercredi 19 juin 2013

THEATRE : Demain il fera jour, de Henry de Montherlant

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Texte : Henry de Montherlant
Mise en scène : Michel Fau

Avec : Michel Fau (Georges Carrion), Léa Drucker (Marie Sandoval), Loïc Mobihan (Gilles Sandoval - "Gillou"), Roman Girelli (un messager)


C'était une belle idée. Montherlant, un peu délaissé aujourd'hui, fut de son vivant l'objet d'une admiration très vive, et cette pièce, qui frôla l'interdiction lors de sa création au théâtre Mogador en 1949, n'avait, depuis, jamais été rejouée : il n'en fallait pas davantage à Michel Fau, dont on connaît l'indifférence aux modes et l'aisance à naviguer à contre-courant, pour s'en emparer. Prenant pour décor un intérieur bourgeois mais spartiate, et pour période le mois de juin 1944, Montherlant y déroule avec une certaine causticité, voire crudité, les troubles de l'époque et ses contorsions psychologiques, familiales, politiques ou spirituelles. Mais il le fait à la manière de Montherlant, c'est-à-dire avec lyrisme et dans un souffle qu'inspire souvent la tragédie antique.
Georges Carrion (Michel Fau) refuse que Gillou (Loïc Mobihan), son fils bâtard, rejoigne la Résistance à quelques semaines de la fin de la guerre, arguant de l'ineptie et du danger d'un tel désir. La mère de Gillou (Léa Drucker, alias Marie Sandoval), témoigne d'un amour un peu hystérique pour lui, finalement le seul homme de sa vie. Mais les choses vont s'inverser, pour des motifs dont on comprend bien vite qu'ils ne doivent pas grand-chose à la vie de famille, la responsabilité parentale ou le sens de l'honneur. On retrouve ici bien des thèmes ordinaires de l'oeuvre de Montherlant, l'ambiguité fondamentale nichée dans les consciences individuelles, les mobiles cachés ou secrets de nos actes, et toutes ces questions tournant autour de l'honneur, du courage et de la lâcheté.

C'était une belle idée, donc. Mais quelque chose ne fonctionne pas. On n'y croit pas. Dès la première scène, il y a quelque chose de figé, de froid, d'excessivement sépulcral, et cela nous touche assez peu - d'où, peut-être, ces rires forcés dans la salle, toujours pénibles, même si je sais bien qu'il y a toujours des cons pour rire de tout et trop fort ; et puis, franchement, pour rire à gorge déployée sur un texte de Montherlant, il faut tout de même avoir avalé des pastilles hallucinogènes. Bref. Michel Fau est un comédien de très grand talent, la chose n'est pas discutable, mais, ici, c'est comme s'il se sous-employait lui-même. Il a une gueule, une présence, un regard, bien sûr, il en impose, mais on dirait qu'il n'y croit qu'à moitié - même son salut final au public semble contraint. Et lui qui sait si bien se jouer des situations ambiguës manque ici, bizarrement, de duplicité, de perversité, de jeu. La même remarque vaut, mais de manière plus dommageable, pour Léa Drucker, dont l'interprétation souffre d'un je ne sais quoi de scolaire, d'une diction sur-articulée qui n'aurait pas fait tache dans les salons de Louis XIV (moi qui me plains souvent, au cinéma, que les jeunes acteurs manquent de diction...), d'un timbre qui trop rarement varie ; le plus pénible étant les quelques monologues de son personnage de mère, dont on dirait qu'elle cherche à le jouer comme dans une pièce de Duras - ou plutôt comme dans la parodie d'une pièce de Duras. Sans doute ne démérite-t-elle pas complètement et est-elle plus convaincante lorsqu'elle se tourne vers Gillou, mais, tout de même, je la crois mieux taillée pour la comédie que pour le drame. Disons qu'elle semble manquer d'inspiration, qu'elle joue comme on a tant joué déjà ; et pourquoi pas, d'ailleurs, on ne demande pas forcément à un comédien de faire du neuf, mais son jeu est ici trop marqué, trop massif, trop attendu, et je persiste à penser qu'elle joue d'un seul et même bloc un personnage qui, certes, n'est pas exempt (à dessein) de traits caricaturaux, mais qui laisse aussi un peu d'espace pour ménager quelques effets ou nuances.

Demain-il-fera-jour-photoSans doute avec l'excellente intention d'exhausser le caractère peu ou prou antique du drame, Michel Fau donne à cette mise en scène un tour étrangement académique, auquel il manque donc un transport, un engagement, une implication. On ne parvient pas à se défaire de cette impression que les choses avancent de façon trop mécanique, comme s'il s'agissait de répondre aux canons esthétiques d'une école - ce qui est d'autant plus troublant que Michel Fau n'est pas réputé pour transiger sur sa liberté. C'est pourquoi l'esquisse de folie qui peu à peu saisit les deux principaux personnages ne parvient pas à se défaire d'un tropisme vaguement esthétique : trop de tenue, peut-être, et pas assez de sueur. Ce qui m'a manqué surtout, je crois, c'est une sensation de graduation ; psychologiquement, ce ne sont que retournements, revirements, volte-face, alors que les mots, les attitudes, les timbres, exigeaient quelque chose de plus progressif ; j'aurais préféré que l'on fasse venir les mouvements de l'âme, plutôt que de les voir virevolter sans crier gare. Le potentiel hystérique était là déjà, dans le texte, dans la trame, en rajouter a peut-être fait trébucher l'ensemble, qui pâtit donc d'un défaut de suggestivité. Du coup, on ne croit pas à cet avocat misanthrope et, à sa façon, perdu, qui soudain délaisse son autoritarisme naturel pour s'écrouler en pleurs, pas plus qu'on ne croit à cette femme redevenue maîtresse d'elle-même après avoir, l'instant d'avant, hurlé son angoisse de mère. Une mise en scène un petit peu décevante, donc, et quoi qu'il m'en coûte d'avoir à manifester une réserve alors que l'intention, et l'affiche, étaient si bonnes.

Demain il fera jour, de Henry de Montherlant
Théâtre de l'Oeuvre (site)
 

mardi 18 juin 2013

Une critique de Jacques Bernard


Une petite perle

Je viens de lire un petit roman singulier intitulé Ils marchent le regard fier écrit par Marc Villemain et publié aux Editions du Sonneur.

Un texte à la fois sobre et riche, très émouvant. Des personnages confondants d’authenticité, des émotions profondes et vraies, une écriture juste qui s’accorde parfaitement avec l’esprit rural et rude du narrateur. Un roman qui ose dire ce que, parfois, on ne veut pas voir, qui incite le lecteur à une réflexion sur la vieillesse, la vie de couple, et le regard de la jeunesse. C’est amusant, jamais larmoyant. Jusqu’à la dernière page, où le lecteur reste accroché à ces personnages dont on aimerait que l’histoire ne s’arrête pas.

Marie, Donatien, le narrateur, ami d’enfance de ce dernier, au seuil de leur vie se lancent avec d’autres dans une ultime révolution pour crier leur colère contre ce monde qui les marginalise, qui fait la place belle à la jeunesse. C’est à la relation de cet évènement que nous convie Marc Villemain.

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samedi 8 juin 2013

Une critique de Séverine Laus-Toni

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D
ans la pile, hum, non, pardon... Sur l'étagère de romans que je garde pour mes enfants, il y a désormais Ils marchent le regard fier... (roman sorti dans une édition que je ne connaissais pas et dont j'ai apprécié le format et la présentation).

Marc Villemain, en quelques pages courtes (80) (lues deux fois en 48h), pleines de poésie mais aussi d'une densité extrême, fait monter la tension en utilisant un langage parlé/suranné/abrupt et paysan totalement atypique, qui nous plonge immédiatement dans la peau du narrateur dont la vie a basculé, par pure amitié.

Nous ne connaissons pas l'époque. Il n'y en a pas. Ca pourrait être aujourd'hui, demain, dans 30 ans...
Ca pourrait être vu comme de la pure fiction et pourtant, on frissonne d'appréhension.

Une crise qui fait perdre les fondamentaux, petit à petit, sournoisement, voilà qu'on en vient à nier les vieux (dont un couple, magnifique, qui semble s'aimer depuis des siècles...), leur tourner le dos à ces oisifs qui coûtent cher, leur ôter des droits, de vote, de soins, les accuser d'être uniquement un poids, leur prendre leur dignité...

Les maltraiter. Rejeter sur eux des fautes, nier les racines essentielles qu'ils représentent... Les écarter de la société, ingrate, qui encourage le jeunisme, refuse la vieillesse jusque dans la dégradation physique sans cesse repoussée, puis isolée pour ne pas qu'elle fasse tâche...

Jusqu'à ce que monte la révolte. Parce que ces vieux, ce sont d'anciens jeunes, parce qu'ils pensent mériter d'être écoutés et entendus, quitte à se confronter à leurs propres enfants.
Quitte à ce que le cynisme, la violence incontrôlée, le drame, finissent par couler à vie dans leurs veines... 
Quitte à être pris à leur propre piège... et à ce que certains se retrouvent, malgré eux, à se sacrifier pour une cause plus grande?

En ces temps où l'individualisme est malheureusement privilégié, ce livre nous ouvre les yeux de manière sismique sur les débordements qui nous pendent au nez.

Un livre qui donne envie de vivre "tant que"...
Qui donne envie de rapprocher les jeunes générations des anciens, leur rappeler que c'est d'eux qu'elles viennent, et que c'est vers ce statut là qu'elles vont.

Leur dire qu'une société qui n'aime pas ses vieux est une société malade.

Les prier d'honorer ce cycle de la vie, jusqu'au bout, même quand ça devient moche ou pesant, oui, jusqu'au bout.
Jusqu'au bout.

*** EXTRAIT ***

" Et puis je pensais à Marie. Je me disais qu’une des plus belles choses que cette Terre ait jamais données, c’étaient bien ses rides, à Marie. Et par-devers moi que si les jeunes chiméraient une vieillesse sans rides, alors, vraiment, ils n’avaient pas idée d’à côté de quoi ils passeraient. "

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samedi 1 juin 2013

Une critique de Vincent Monadé

 

Demain les Vieux

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Régulièrement, un imbécile quelconque se fend d’un long papier pour nous expliquer la mort de la littérature française.

D’abord, rappelons que ses pairs écrivaient les mêmes papiers quand Breton, Gracq, Duras, Sagan, Soupault… écrivaient et publiaient. Ensuite, notons qu’ils continuent de violenter les diptères alors que Michon, Bergougnoux, Le Clézio, Ernaux… sont à l’ouvrage.

Surtout, pointons ce que ce type de papier dénote : la bêtise satisfaite et grasse, homaisque, qui considère juger de la littérature à l’aune de ce qu’elle lit parce qu’elle le reçoit en SP gratuits, Beigbeder, Houellebecq, Angot, Reza… ; l’absence de curiosité.

En France, aujourd’hui, une page de la littérature s’écrit. Non pas la littérature des Rubempré qui tiennent d’autant plus haut le pavé qu’ils finiront par laisser dessus une trace aussi durable que celle de la pluie, mais celle de Tolédo et de Claro, de Lionel-Edouard Martin, de Pierre Autin-Grenier, de Gailly, de Marie Ndiaye, de Rouaud et donc, puisque c’est de lui qu’il s’agit, de Marc Villemain.

Ils marchent le regard fier, le dernier roman du susdit, publié au Sonneur, prouve deux choses. D’abord qu’il n’aurait jamais pu gagner sa vie en vendant ses titres ; ensuite, qu’il est bien devenu un des écrivains les plus intéressants de sa génération.

Pitchons donc, puisqu’il faut pitcher : en une époque non située, les vieux, battus, pourchassés, mis au ban, menacés d’être interdits de vote, écrasés par une société dédiée au jeunisme, se révoltent.

En soi, l’argument, qui inverse la tentation française de la révolte étudiante sur-glorifiée par ceux-là mêmes qui, en 1968, ratèrent la leur, aurait pu donner lieu à toutes les dérives, de la Soupe aux Choux littéraire avec vieillards cacochymes et péteurs au pensum pseudo-philosophique voire à la tentation du grand-roman-américain-et-universel-qui-englobe-le-monde-le-pense-et-le-résume-en-se-colletant-avec-la-réalité-la-vraie-celle-de-la-rue, comme on écrit dans les Inrocks.

Villemain a choisi l’uppercut. Le texte court, 88 pages ramassées autour d’une merveille d’écriture, riche comme d’habitude mais maîtrisée du début à la fin. Déjà, nous savions, depuis son recueil de nouvelles paru au Seuil, que Villemain excellait dans la forme courte. Il confirme.

Le roman reprend les thèmes anciens de l’auteur, l’arrogance et la bêtise de la jeunesse, l’acculturation du monde contemporain, la filiation. Il s’inscrit donc dans ce qui est en train de s’affirmer comme une œuvre réactionnaire, sans que ce qualificatif prenne, ici, de sens péjoratif (Gracq : tout œuvre est, à proprement parler, réactionnaire). Marc Villemain est un auteur antimoderniste qui refuse, sous prétexte que les temps s’y prêtent, d’adorer des veaux d’or pixélisés.

On pourrait, ici, gloser sur ce refus du monde comme il est chez un homme qui vit plutôt à côté de ce monde, légèrement décalé, que contre. On pourrait lui objecter qu’il continue (ce livre renoue avec l’esthétique révolutionnaire de Et je dirai au monde toute la haine qu'il m'inspire, son second roman) de présenter la révolte comme une offre politique.

L’essentiel est ailleurs, dans Donatien (là encore, prénom d’écrivain révolutionnaire) qui pleure assis sur son banc, à la dernière page du roman comme à la première.

L’essentiel, c’est sans doute cette quête de la paternité d’un écrivain qui, n’ayant pu tuer le père, assassine symboliquement le fils, d’un auteur qui, toujours, prend le parti des vaincus de l’Histoire, d’un styliste, enfin, qui parvient à transformer les affèteries du début de son œuvre en une écriture magistrale, à la fois lourde et tendue, comme si Cohen corrigeait Hammett.

Car l’enjeu de ce grand livre de 88 pages, c’est peut-être cela, un texte sur-écrit mais tenu de bout en bout, une écriture de l’adjectif qui fait claquer son verbe. Il y a, chez Villemain, plus qu’une lointaine ascendance avec Jules Barbey d’Aurevilly, comme un flambeau pour éclairer les marches qu’il monte, un fanal qui le précède et affirme, de plus en plus clairement, sa famille littéraire.

A pas posés, qui sont les siens, Marc Villemain bâtit une œuvre. Artisan, il a appris son métier et s’affirme, petit à petit, Compagnon, tailleur de pierre, écrivain, important.

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     Vincent Monadé (Facebook)