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Marc Villemain
30 novembre 2017

Astrid de Larminat a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

 


Fragments de souvenirs amoureux
Un recueil de nouvelles où l'on voit
que les garçons sont plus tendres qu'il n'y paraît.

 

 

Les hommes, même ceux qui roulent des mécaniques ou se comportent comme des goujats, auraient-ils peur des filles ? Et si c’était ça, leur secret inavouable ? Peur de leur beauté, peur de n’en être pas aimés, de leur faire mal avec leur grand corps ou qu’elles leur fassent trop mal en se moquant d’eux, peur de ne pas savoir être un homme à leurs côtés ?

 

C’est en tout cas ce qui ressort des nouvelles de ce recueil, une douzaine d’histoires racontées par un petit garçon, un adolescent ou un tout jeune homme. Sous des vêtements, des couleurs, des saisons et des cieux différents, ces narrateurs successifs évoquent la même douleur et douceur, celle qui les envahit lorsqu’ils s’approchent de la petite ou jeune fille dont ils sont épris.

 

Il y a l’histoire de ce lycéen amoureux d’une camarade qui n’est pas la plus jolie de la classe mais l’attire parce qu’elle est fraîche comme « un cœur à livre ouvert », pas comme ses copines qui déjà déploient tout un art féminin dans la pose, les mines, les réparties. Un jour à l’heure du déjeuner, en sortant du lycée, elle met sa main dans la sienne et le conduit chez elle, au douzième étage d’un immeuble HLM, mais à peine ont-ils commencé à s’embrasser dans sa chambre que sa petite sœur frappe à la porte.

 

Plus loin, dans un village de montagne « empesé de blancheur », un petit collégien chausse ses skis, s’en va suivre des sentiers de traverse, aperçoit une mince forme blanche posée sur le bord du chemin et, dépassant de sa combinaison, des cheveux couleur de filaments de caramel encadrant des traits d’ange. Elle pleure. Elle a une voix si pure qu’« en elle rien ne semble désaccordé ». Il lui offre sa gourde de chocolat chaud. Elle lui dit qu’il l’a sauvée, il veut se marier avec elle. Mais les vacances s’achèvent.

Dans cet épisode-là, l’auteur décrit le long des pistes « les gentianes que des racines bienveillantes ou quelque mystérieuse source de chaleur souterraine semblent préserver du gel ». Belle vision qui figure le désir qu’ont tous ces petits hommes - qui n’en forment peut-être qu’un seul à plusieurs moments de sa vie – de devenir forts sans s’endurcir. Confusément, ils sentent quelque chose de surnaturel dans la beauté féminine qui les attendrit, les ouvre à plus grand qu’eux.

 

Mais vient un âge où les filles ne tiennent pas les promesses de leur grâce. Les béguins sont sans lendemain. L’un des narrateurs cherche désespérément à aimer. « Mais ça ne prenait jamais. Il éprouvait une sorte d’empêchement. » Son idéal contrarié se convertit en rage : « Il finissait par en concevoir une aversion pour les filles. » Une nuit, dans une discothèque, entre une fille ravissante vers qui tous les regards convergent. Et c’est de lui, le plus timide, qu’elle tombe amoureuse. Lorsqu’elle lui expliquera qu’il n’y a rien de « si craquant qu’un type désarmé », il se sentira libéré des démonstrations de virilité obligées et grandira d’un coup. Mais cette nouvelle assurance va faire de lui « un salaud ». Il a un coup de foudre pour une autre. Il les aime toutes les deux. Elles le découvrent. Il voudrait leur donner des preuves de sa sincérité, leur dire qu’il n’a jamais cherché des aventures, qu’au contraire il a toujours guetté l’amour « mais la vieille pudeur masculine imbécile » l’en retient.

 

     Le sceau du rêve

 

La vieille pudeur masculine... c’est l’une des « rivières infranchissables » qu’évoque le titre du recueil de Marc Villemain, quarante-neuf ans, auteur discret, amoureux des teintes tendres de la province, qui a l’art de faire chatoyer et rendre leur jus de nostalgie aux scènes de la vie quotidienne. Sans doute ses personnages ne sont-ils pas emblématiques d’un éternel masculin, ils sont marqués du sceau des rêveurs qui souffrent de l’inadéquation entre la poésie qu’ils sentent en eux, en elles, entre eux, et les mots et les gestes par lesquels ils voudraient l’exprimer. L’auteur, contrairement à l’une des jeunes filles qu’il met en scène, qui défend une morale de l’action et du combat politique, se garde des concepts et des jugements. Il « ne pense pas, il songe. Aux temps anciens, à la création du monde, à tout ce qui nous rend si sensibles, si petits, si précieux ».

 

Ce chapelet de nouvelles s’achève par un éloge des vieux couples qui s’aiment dans la routine comme aux premiers temps. En les lisant, on se dit que la littérature, autrement mieux que les idées, agit sur le monde en donnant aux lecteurs le goût de la délicatesse de cœur.

 

Astrid de Larminat - Le Figaro littéraire, 30/11/2017
Lire l'article sur le site du Figaro

21 novembre 2017

Alexia Kalantzis a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

 

Amours de jeunesse

 

Une jeune fille aperçue dans un jardin, une camarade de classe entraînée dans une escapade buissonnière, un amour de vacances achevé tragiquement, des rencontres, regards et frôlements dans des bals et des fêtes, telles sont les intrigues qui se nouent dans les nouvelles proposées par Marc Villemain autour des amours enfantines et adolescentes.

 

Marc Villemain, dans ces charmants récits des amours contrariées, esquissées ou consommées, décrit les premiers émois avec une grande délicatesse. À travers une variation presque musicale sur des motifs comme l’eau, le jardin ou le bal, il évoque de façon très poétique les sentiments et sensations de l’éveil amoureux.

 

La construction du volume oscille habilement entre unité et fragmentation, autour du motif des rivières infranchissables qui donne son titre au recueil, et d’un narrateur qui se construit au fil des pages. Cette promenade au cœur de l’enfance est tendre et revigorante à la fois.

 

Alexia Kalantzis
La Petite Revue

20 novembre 2017

Jacques Josse a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

 

C’est la découverte du sentiment amoureux qui sert de fil rouge aux treize nouvelles réunies ici par Marc Villemain. L’élan, l’attirance mais aussi l’hésitation et la peur s’y imbriquent pour éclairer l’intensité de ces moments de tendresse maladroite qui disent parfaitement les commencements, les tremblements, l’envie, le désir qui s’empare des corps fébriles. Ceux-ci se touchent, se cherchent.

 

Ils (et elles) ont huit, dix, douze, quatorze ou quinze ans. Le monde qu’il leur faut explorer, en façonnant eux-mêmes les clés pour y entrer, leur est encore inconnu. Ils savent néanmoins comment en percer les secrets. Et ont assez de ressource en eux pour y parvenir.

 

C’est l’initiation d’un unique personnage – se mouvant au milieu des autres – que l’on suit de texte en texte. Il se trouve au bord de la mer ou en montagne, dans une petite ville ou en rase campagne. Où qu’il soit, il tombe inévitablement amoureux. À chaque fois, cela lui chamboule le cœur tout en lui mettant le corps en émoi. Il multiplie les rondes, les guets, les approches. Profite d’un bal, d’un concert pour faciliter la rencontre. Ça marche ou ça coince mais quoi qu’il arrive, il se montre régulièrement discret, disponible, patient, attentif. Et parfois fataliste.

 

La dernière nouvelle est particulière. Elle a pour décor Venise. Et pour héros un vieil homme, un écrivain qui raconte succinctement ses aventures d’enfant puis d’adolescent en quête de sentiments et de désirs à partager. Ces aventures ne sont autres que celles qui sont présentes dans cet ouvrage. La boucle est ainsi subtilement bouclée, ce final attestant, s’il en était besoin, de l’unité d’un ensemble qui vaut par les fragments de tension émotive qui le traversent mais aussi par l’écriture délicate et très évocatrice de Marc Villemain.

 

Il y a chez lui un sens du détail évident. Il apparaît dans la finesse des traits de personnalité des uns et des autres et dans les descriptions minutieuses des paysages qui servent de décor à chacun de ses récits.

 

Jacques Josse
Lire l'article de Jacques Josse sur le site remue.net

19 novembre 2017

Vincent Monadé a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

 

Marc Villemain, atours de jeunesse
Par Vincent Monadé, président du Centre National du Livre

 

Pour se souvenir des années 80, des spencer et de la crinière de Rod Stewart, deux options : soit le revival clinquant de Stranger Things ; soit la petite musique, autrement entêtante et forte, de Marc Villemain. Dans son dernier recueil de nouvelles, l’auteur explore le vert paradis des amours enfantines et celui, déjà pourrissant, de l’adolescence, quand le corps souffre et que se cherchent, sans se trouver, deux désirs. Mille fois, par d’autres, le sillon a été creusé. Villemain y laisse la marque franche d’un soc neuf, d’un acier juste, d’un talent net.

 

Comment parvient-il à tant de beauté ? Qu’est-ce qui, dans cet écheveau de fils d’araignées trop fins, de presque rien et de silences, dans ce rythme ternaire qui coule des mots rares, nous empoigne le cœur et nous laisse nostalgiques de ce que nous fûmes avant que sur nous ne s’abattent ambitions, compromis et renoncements ? Chant lyrique et sec, Il y avait des rivières infranchissables fait penser au mariage entre le premier Giono, celui du Grand Troupeau, et le dernier Carver, dont chaque nouvelle repose sur une phrase qui, au cœur d’un faux néant, claque comme une balle.

 

Ici, pas d’évocation de 86 et des enfants privés de révolution s’en inventant une, rien du Paris dur d’Un monde sans pitié. Sous nos yeux s’éveille la Province, qu’on n’appelait pas « les territoires », les petites villes et les maisons de notaires, les murs gris des lycées, les tentes de camping et les boules à facettes. Au cœur de ces années 80, ni meilleures ni pires que d’autres, peut-être un peu plus grises, Villemain fait son éducation sentimentale. On voudrait, pour convaincre le lecteur, tout lire à voix haute tant la phrase est belle au verbe généreux. On citera ceci, « trop de peurs en lui, trop de douceurs écorchées pour se choisir des adversaires - trop de couchers de soleil et de lunes orangées, trop d’écureuils farouches et de brebis égarées » et ceci encore, « ils savent ce qui les attend, la vie en ce monde. Lui arrachent seulement un tout petit peu de temps, un tout petit peu d’espace, un tout petit peu d’espoir ».


Puis on ira, souriant, pleurer un peu. Et on ne sera pas grave, mais beau. Enfin, peut-être.

 

Vincent Monadé
Lire l'article sur le site de Libération 

19 novembre 2017

Le Monde des Livres - Portrait

 

Tendre violence

 

Venu tardivement à la littérature, Marc Villemain, ancienne «plume» socialiste, a écrit des livres durs avant de s’autoriser de délicates nouvelles sur l’amour.

 

Il y a du monde à Étretat (Seine-Maritime). Les parkings sont pleins et les crêperies bondées. « C’est la dernière semaine des vacances de la Toussaint, explique Marc Villemain. Dans quelques jours, il n’y aura plus personne. » Sa maison blottie au fond d’une courette de ville est à l’abri des touristes et des vents venant de la plage. Dès qu’il peut, il quitte Paris pour venir ici. Cet écrivain discret a le goût de la province.

 

Il vient de publier son sixième livre, Il y avait des rivières infranchissables, un recueil de nouvelles très intime sur les premiers sentiments amoureux. Rosaire doucement égrainé de ces émotions maladroites qu’on garde, sa vie durant, enfermées dans son cœur. Son narrateur a une dizaine d’années, à peine moins, un peu plus, puis un peu plus encore. Le collège, le lycée. Histoires de petites amoureuses et de baisers volés, d’étreintes fugitives, d’attentes, de fiertés adolescentes, de hontes, de chagrins. C’est tendre, quelquefois tragique, ça met le rouge aux joues et réveille parfois comme un frisson ancien.

 

Marc Villemain est un de ces « enfants vieillis » dont parle Lewis Carroll, de ceux qui continuent à craindre de se coucher le soir. À l’heure des souvenirs lourds et des vilains cauchemars. Il est né en octobre 1968, dernier après trois grandes sœurs chez des parents tous deux professeurs de lettres classiques. « À table, se souvient-il, quand ils ne voulaient pas que l’on comprenne, ils parlaient latin.»  Le père, proviseur du lycée de Loudun (Vienne), doit renoncer aux responsabilités pour raisons de santé. La famille s’installe alors à Châtelaillon-Plage en Charente-Maritime, puis à Saint-Vivien, un village à l’intérieur des terres. « L’été 1981, mon père est mort. J’allais entrer en cinquième. Tout a basculé. » Élève brillant, il décroche, se retrouve dans un lycée technique à apprendre la dactylographie (« J’avais les cheveux au milieu des épaules et j’écoutais du hard-rock toute la journée »). Il a 16 ans. Il quitte l’école, enchaîne les petits boulots et se sent follement libre.

 

« En même temps quelque chose mûrissait en moi. » Sans transition, lui qui a abandonné depuis longtemps la lecture avec Le Clan des sept, d’Enid Blyton, s’empare du Journal de Kafka. « Je recopiais des passages comme si sa noirceur rencontrait la mienne à ce moment-là. » Il se met à écrire compulsivement des nouvelles, dévore tous les livres qui lui tombent sous la main. Et surtout, à la télévision, il découvre Les Aventures de la liberté, déclinaison par Bernard-Henri Lévy de son livre éponyme (Grasset, 1991). « Je vois ce documentaire, je lis le livre, et j’apprends comme jamais je n’ai appris. Les figures de Céline, de Malraux, de Brasillach, de Proust. Dreyfus jusqu’aux combats de la décolonisation. L’histoire, la littérature, la politique, tout arrive en même temps. Et par lui. Comme je suis un jeune homme passionné et excessif, je lui écris. Des lettres de pedzouille : “Cher monsieur Lévy j’aime beaucoup ce que vous faites…” Et il me répond, une fois, deux fois, trois fois. Ça me donne des ailes. »

 

Cette révélation, et les bouleversements qui vont s’ensuivre, Marc Villemain les raconte dans un étonnant premier roman, Monsieur Lévy (Plon, 2003), livre de sa dette de jeunesse envers BHL, récit d’apprentissage, chronique littéraire, et surtout politique. Car, après avoir repris ses études à 22 ans, passé son baccalauréat à 25 et intégré Sciences Po Toulouse, il se retrouve au Parti socialiste, assistant parlementaire, puis « plume » de Jean-Paul Huchon, de François Hollande (alors premier secrétaire du PS), puis de Jack Lang. « Il m’a fallu du temps, mais je me suis aperçu que je n’avais ni le corps ni le tempérament politique. Que cela m’éloignait de la littérature. » Ce qu’il veut, c’est écrire. Et plus pour les autres.

 

En 2006, il publie chez Maren Sell Et je dirai au monde toute la haine qu’il m’inspire, les stances rageuses d’un politicien dévoré d’amertume. Suivront en 2009 un recueil de nouvelles cruelles (Et que morts s’ensuivent, Seuil), puis Le Pourceau, le Diable et la Putain, vociférant monologue d’un octogénaire misanthrope et haineux (Quidam, 2011). Ils marchent le regard fier (Le Sonneur, 2013), terrifiante anticipation, raconte comment, dans une société en proie à un délirant et assassin jeunisme, les vieux en viennent à descendre dans la rue pour défendre leur peau. Le paradoxe Villemain est que la violence des mots cache une palpitante tendresse. Toujours. On la retrouve à nu, cette fois, douce, délicate, dans Il y avait des rivières

 

Marc Villemain a été critique (notamment au Magazine des livres), il est directeur de collection aux éditions du Sonneur. De la littérature il fait sa maison. Qu’il partage avec sa femme, ­Marie, à qui, depuis leur mariage en 2005, chacun de ses livres est dédié. Mais ce tout dernier est une déclaration d’amour. À n’en pas douter.

 

Xavier Houssin
Lire l'article sur le site du Monde

13 novembre 2017

Gérard-Georges Lemaire a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

 

 

On peut voir en Marc Villemain un écrivain qui a des qualités qu'on ressent dès les premières pages : une grande vivacité dans le style, de l'invention dans la manière de narrer son histoire, de l'invention à revendre. Il n'a pas la prétention de révolutionner la littérature, mais au moins de lui donner un caractère qui n'appartient qu'à lui. Ses nouvelles ne relatent pas des histoires extraordinaires, ni ne cherchent à produire une nouvelle modalité d'écriture. Mais elles ont un charme indéniable. Ces petits récits procurent un vrai plaisir et, grâce à son originalité, s'élève au-dessus de la simple transcription d'une réalité somme toute assez banale. Il contredit cette banalité et lui procure une sorte de poésie, mais qui n'est pas une manière de sublimer ces amourettes ou ces rencontres. Son thème central est l'amour, sans un grand A. Mais pas non plus avec un petit a. L'amour révèle sa beauté, son charme, son élan par le biais d'une façon très singulière de camper un paysage, un climat, une situation.

 

Il y a dans ces pages une fraicheur d'esprit et une grâce assez peu communes, et Marc Villemain me paraît beaucoup plus prometteur que bien des auteurs qui ont une plus grande maîtrise de leurs moyens, mais pas beaucoup de capacité de rendre des sentiments amoureux avec tant de finesse. Il a toute la concision de Guy de Maupassant sans en avoir le mordant, et tout le charme d'une Colette qui aurait été contaminée par la prose de Francis Carco ou de Roland Dorgelès. C'est une des bonnes (et donc rares) surprises de la rentrée littéraire.

 

Gérard-Georges Lemaire
La chronique d’un bibliomane mélancolique

À lire dans son contexte originel

12 novembre 2017

France Inter - La personnalité de la semaine

J'étais ce dimanche l'invité de Patricia Martin, sur France Inter, pour évoquer la parution de Il y avait des rivières infranchissables.

 

 Pour (ré)écouter l'émission, cliquer sur l'image

Patricia Martin France Inter

10 novembre 2017

Frédéric Verger a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

 

L'article qui suit est extrait d'une notice plus large, intitulée « Trois versions du charme », que l'écrivain Frédéric Verger a publiée dans le numéro de novembre 2017 de la Revue des Deux MondesDans cette recension, outre mon propre recueil de nouvelles, il évoque Un amour d'espion, le roman de Clément Bénech paru chez Flammarion, et les Revers de mes rêves, de Grégory Cingal (chez Finitudes).

 

* * *

 

 

Marc Villemain offre de merveilleux exemples dans beaucoup des nouvelles de son récent recueil de ces touches artistiques qui transforment une histoire apparemment banale en un récit déchirant. Il y a quelque chose de plaisant et d’audacieux à voir un écrivain choisir comme fil directeur de son recueil un thème – les premiers émois de l’amour – où tout semble avoir été fait et refait, de le traiter dans une forme générale assez commune aujourd’hui (récit au présent au travers du point de vue d’un personnage, le jeune amoureux, enfant ou adolescent), et pourtant de parvenir à la beauté et à l’originalité. Il y a dans ce livre faussement modeste un défi et une leçon. Beaucoup d’auteurs qui s’attachent, de façon un peu trop « voulue », à décrire le monde contemporain tombent dans un réalisme épais et primitif où l’effort pour mettre en scène les détails du monde d’aujourd’hui est si laborieux qu’il exhale déjà le fumet du démodé ; à l’inverse, il existe encore des auteurs capables d’évocations lyriques, de méditations ou de vues prenantes ou profondes, mais dont les textes paraissent un peu hors du temps (ce qui n’est pas d’ailleurs un problème).

 

Marc Villemain semble un des rares auteurs contemporains qui mêle avec le plus grand art le lyrique, l’élégiaque au réalisme, au trivial. Son lyrisme n’est jamais emphatique, son réalisme jamais forcé. C’est sans doute la condition de leur amalgame si parfait. Le détachement et le sentimental, le poétique et le trivial sont ainsi mêlés avec un tact rare. La beauté de ces nouvelles vient de l’attention aux notations sensuelles du monde, encore que ce terme de sensualité soit trop stupidement réducteur. Car ce qu’on appelle ainsi n’est en réalité rien d’autre que la transcription de l’émerveillement et de l’étrangeté de la vie, c’est-à-dire ce qui constitue peut-être le motif essentiel de toute création d’ordre artistique. Le charme du recueil vient aussi de la finesse et de la formulation des notations morales ou psychologiques, comme dans ce passage à propos de deux amoureux s’adossant à un arbre : « avec un mouvement plus naturel, plus réciproque que ce qu’ils auraient voulu laisser voir ».

 

Frédéric Verger
La Revue des Deux Mondes

9 novembre 2017

[Vidéo] Lecture de Claude Aufaure / Il y avait des rivières infranchissables

 

Il n'y avait que des amis et du joli monde, hier soir à la librairie L'Humeur Vagabonde (Paris 18e), où Olivier Michel avait invité le comédien Claude Aufaure à mettre en voix une nouvelle extraite du recueil Il y avait des rivières infranchissables.

 

- Donc, merci à Claude Aufaure, toujours aussi amical, souriant et bienveillant. Inutile de dire combien je suis honoré d'avoir été lu par un tel comédien, rompu aux plus grands auteurs et aux plus grands textes.

- Merci à Olivier Michel, libraire mais pas que : non content de pousser les murs, il prépare lui-même sa terrine et son boeuf bourguignon - ce qui ne manque pas de sel.

- Merci à Christelle Mata et Joëlle Losfeld, toujours aux petits soins.

- Merci à Jean-Claude Lalumière (planqué dans un couloir, plaqué contre un mur) qui a consigné l'intégralité de cette lecture pour l'éternité (ou presque).

- Enfin bien sûr merci au public, lecteurs, curieux, amis, devant lesquels je suis toujours un peu intimidé...

 

 

8 novembre 2017

Marie Du Crest a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

 

Il y avait des rivières infranchissables

 

 

J’emprunte le titre de ma chronique à Marc Villemain lui-même, ou plutôt au narrateur de la dernière nouvelle de son nouveau recueil, Il y avait des rivières infranchissables. Je devrais dire à la rumeur qui entoure son dernier personnage masculin : un auteur de romans et de nouvelles, installé à Venise avec sa compagne. La Nostalgie, c’est toujours un retour, un nostos. Les douze premières nouvelles du livre sont marquées du sceau du retour à l’enfance, à l’adolescence ; du retour au pays océanique ; du retour au temps des chocolatines, des magasins Carrefour, des boums, des mobs ; à la musique écoutée sur une cassette audio. Retour enfin « aux premières fois », aux premières histoires d’amour souvent sans lendemain. Titre au passé.

 

Les personnages des nouvelles (filles et garçons) sont sans prénom ou nom, juste des « ils » ou des « elles » comme s’ils vivaient à travers chaque texte une expérience, presque une expérimentation du désir, des sentiments. Ils pourraient être aussi le même (c’est essentiellement le regard du garçon, son point de vue qui importe ici) à qui il arrive ces diverses aventures. Ils n’ont pas besoin d’être rattachés à une identité définie puisque l’important se situe dans ce présent (verbal) de l’adolescence et parfois de l’enfance.

 

La brièveté des nouvelles en vérité les prive volontairement de toute ligne de vie : il s’agit d’un épisode (le bal, des moments à la ferme, un repas dans un chalet, un concert de heavy metal…) qui cristallise la découverte érotique dans toute sa maladresse, son hésitation, son « infranchissable » appel. Les douze nouvelles aux teintes parfois ironiques abandonnent leurs personnages au bord du chemin, parfois dans un état de fiasco comme disait Stendhal. Solitude du jeune collégien, mort tragique dans une rivière de la petite amoureuse, impossibilité à choisir l’élu(e). L’incertitude, l’inachèvement de la question Qui sait ? résume assez bien l’art d’aimer dans le recueil.

 

Pourtant, en contrepoint de l’enchantement nostalgique, teinté de déception, Marc Villemain construit en fin de compte un hymne à l’amour qui débute avec sa dédicataire (Marie) et son retour dans la treizième et ultime nouvelle. La compagne autobiographique, l’amante de la chanson de Brel qui fait titre. Le livre est tout entier appelé par sa « chute », par ce qui l’accomplit. Aux duos, aux trios adolescents éphémères s’oppose le couple âgé qui a traversé l’existence côte à côte. Les villages, les petites cités balnéaires au bord de l’océan disparaissent au profit de Venise. L’italien mord sur le français et la nostalgie n’est plus ce qu’elle était ; le retour ou le flashback n’ont plus lieu d’être. Marc Villemain anticipe sa propre vieillesse, sa propre mort et celle de sa bien aimée. La dernière phrase sera d’ailleurs écrite au futur. La dernière nouvelle en fait vampirise les précédentes. Le personnage de l’écrivain sur la fin de sa vie est celui qui a écrit Le petit jaune, Le bal, Petite fermière et Ik hou ook van jou, ou encore Douceur en milieu tempéré, Qui sait. Il n’est pas uniquement l’auteur de ces textes mais bien celui qui a vécu tous les moments rapportés dans les différents textes : Tout y passe, jusqu’à ses amours enfantines.

 

La musique, les chansons sont aussi autant de miroirs sonores de cette initiation affective et sexuelle (les slows), et ce, des premières amours jusqu’à la mort à deux. On entend au fil du texte, et même sur son seuil avec les 2 épigraphes, une playlist datée, une sorte de programmation « radio Nostalgie » du début des années 80, avec Michel Jonasz, Trust, Goldman, Cookie Dingler ou Foreigner. La première de couverture évoque aussi le temps déjà ancien du walkman. Mais la dernière chanson intemporelle de Brel, écrite en 1967, résonne telle une ode à l’amour qui résiste justement au temps, à « la tendre guerre », et illustre l’histoire du couple comme si, à la fin de son recueil, Marc Villemain rendait hommage à cet amour immense, prolongement merveilleux de ces jeunes amours ébauchées et maladroites, comme si la rivière avait été enfin traversée.

 

Marie Du Crest
Lire l'article de Marie Du Crest sur le site de La Cause Littéraire

7 novembre 2017

Martine Galati a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

 

 

Difficile de choisir une seule bonne nouvelle du lundi quand c'est tout un recueil qui est excellent. En disant cela, j'ai l'impression de me répéter, lundi après lundi, ces dernières semaines, mais c'est tellement vrai en l'occurrence encore avec ce recueil de Marc Villemain Il y avait des rivières infranchissables, paru aux Éditions Joëlle Losfeld.

 

Ce recueil, c'est une déclaration d'amour au fil des nouvelles qui le composent. Mais, attention, pas une déclaration d'amour universelle, non! Mais bien au contraire, ce sont des petits mots doux, des petits mots d'amour que l'on ose à peine se murmurer à l'oreille ; des émotions qu'on ne sait pas encore ou pas vraiment nommer, dont on sait bien qu'elles existent pourtant mais qui nous tombent dessus sans crier gare.

 

Ces émotions, ces petits gestes d'affection, ces tendres sentiments, ce sont des enfants qui les découvrent, qui les éprouvent sans trop bien savoir ce qui leur arrive mais en comprenant d'instinct que celui ou celle pour qui ils ressentent cet émoi, l'éprouve également. Comme une évidence entre elle et lui, entre lui et elle, un secret à ne partager qu'à deux.

 

Ces nouvelles, ce sont autant de premières fois, treize au total. Treize histoires d'enfance, de rencontre, de découverte, de partage. Treize histoires d'amour, de belles histoires vécues avec une intensité singulière, avec toute l'innocence d'un enfant qui devine mais ne connait pas encore. Treize histoires qui, chacune dans son écrit, nous émeut et nous bouleverse, soit par la simplicité des faits et situations évoquées, soit parce qu'elle nous renvoie à une part de nous-même qu'on pensait ou qu'on a cru oubliée et qui nous revient en pleine face sans prévenir. 

 

J'ai déjà lu il y a quelques années des nouvelles signées par Marc Villemain et j'avais déjà été très agréablement surprise par la qualité de ses récits et surtout de son écriture. Et là, avec ce nouveau recueil, le charme a agit à la puissance 10, multiplié au centuple. L'écriture est encore plus belle, majestueuse, d'une sensibilité rare et d'une maîtrise parfaite. Chaque mot est à sa place, bien choisi, et en accord avec ceux qui le précèdent ou le suivent. Cela vient par petites touches, l'émotion se glisse, s'insinue, s'installe. Alors qu'on a commencé à lire tranquillement, voilà qu'un noeud se forme au fond de notre gorge, que quelques larmes se pointent au bord de nos yeux, que notre coeur se serre. Et on ne peut qu'être là, pris, surpris par cette émotion soudaine. Et on ne peut qu'assister à ce qui se passe ensuite, cette fin, cette chute parfois heureuse, parfois brutale, mais toujours bien nette. Cette chute qui tombe comme un couperet et qui nous met devant le fait accompli. Effectivement...

 

Je ne vais pas vous détailler chacune de ces treize nouvelles parce que, pour moi, elles suivent un fil conducteur qui les relie entre elles et en fait un tout unique. Ce fil, c'est cette petite phrase, ou une partie seulement de cette phrase, qui revient dans chaque nouvelle, comme un leitmotiv : "Il y avait des rivières infranchissables". Et pourtant... 

 

Martine Galati
Lire l'article directement sur le blog de Martine Galati

3 novembre 2017

Thierry Guinhut a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

 

Thierry Guinhut s'appuie sur l'article (paru dans Le Matricule des Anges) qu'il avait consacré à mon précédent roman pour évoquer Il y avait des rivières infranchissables

 

 

 

De la révolution vieillarde et autres rivières infranchissables de la jeunesse

 

Les âges de la vie ne peuvent qu’inspirer l’écrivain conscient de lui-même et d’autrui. De l’enfance à la vieillesse, nous passons de révolution en révolution, qu’elles soient amoureuses, sociales, politiques. Ainsi vont les personnages de Marc Villemain, animés avec la modestie du nouvelliste. L’Anglais J. G. Ballard avait imaginé la révolte meurtrière des enfants, la fuite des adultes vers d’éternelles vacances. Mais pas la révolution des vieillards. Ce que Marc Villemain met en scène dans Ils marchent le regard fier. L’autre versant de la vie, plus proche d’Eros que de Thanatos, est illustré par les nouvelles d’Il y avait des rivières infranchissables. Ainsi l’on saura comment un écrivain discret s’attache à capter les éblouissements et les fractures de nos existences…

 

Passablement matois et retors, Marc Villemain emprunte le langage sans conséquence des vieux campagnards, de ceux qui « marchent le regard fier ». Il remâche leurs clichés et ressassements plein la bouche, non sans fausse naïveté, avant de basculer dans un projet ébouriffant. En quelle année sommes-nous ? La société n’est guère différente de la nôtre, mais avec ce  léger parfum répugnant d’anti-utopie, quand les jeunes commencent à faire la chasse, pit-bulls jetés sur les rides et les trognes moquées, quand l’administration impose des « quotas d’anciens ». S’ensuit une manifestation de quatre millions d’ancêtres, menée par Donatien et le narrateur à qui vient la riche idée des « canne-épées » en cas d’agression…

 

Le réalisme est à petites touches quand la tyrannie du jeunisme n’est qu’allusivement évoquée. Au-delà de la brûlante question de société, le drame d’un homme, d’une famille montre en abyme les conflits de ce temps improbable et pourtant possibles, entre la vie confite des presque croulants et les jeunots arrogants. En filigrane de ce propos politique court un éloge émouvant de Marie, la femme de Donatien, de sa jeunesse à son grand âge, « Marie l’artiste, toujours dans ses livres qu’on aurait bien pu lui donner le prix de lecture, avec sa frimousse d’écureuil. »

 

Peut-être l’auteur aurait-il dû abréger son préambule présentant les personnages, et leur vie terne et moisie, pour entrainer avec plus de largeur de vue son lecteur dans cette surprenante contestation. Mais en ce qui n’est qu’une longue nouvelle, ou un court roman, on ne sait, réside un charme amer, une ironie du sort mordante… L’apologue moral est cruel, la révolte est un sursaut peut-être salutaire, quand la chute est désabusée. Il a choisi, plutôt que le vaste tableau d’un totalitarisme en marche et d’une résistance avortée, le drame et la pudeur des victimes ; en un louable parti-pris.

 

« Les rivières infranchissables » sont-elles celles du temps ? En un recueil de treize nouvelles élégiaques, Marc Villemain capte les émois de l’adolescence, les écueils du passage à l’âge adulte, lors des bourgeons, des floraisons et des pourrissements de l’amour. On trouve dans la nouvelle inaugurale, « Douceur en milieu tempéré », un bel hommage, qui est un des souterrains leitmotivs du volume : « Tout un art. C’est cela, pour lui, alors, une femme. » Et lorsque le jeune héros sent deux mains prendre les siennes dans ses poches, l’une pour le désir, l’autre pour l’amour, lui aussi, « il marche le regard fier. » Pourtant leur première fois est avortée, l’art d’aimer n’est pas au rendez-vous, la solitude reprend son cours. Plus loin, l’innocence de l’enfance se heurte à la mort subite. Ou, « crinière lascive, candide sylphide », la vision soudaine de la nudité embrase un enthousiaste. Étonnemment, l’embrasement est réciproque, quoique si bref, trois nuits, et son départ. On retrouve dans « Petite fermière », cet hommage, avec « une peau plus luxueuse que l’angora, une fille avec de la tendresse » et « toute cette poésie en elle. »

 

Une banlieue près de l’océan, un bar médiocre, un HLM, des collégiens, la rentrée et la sortie des classes, une discothèque, un bal rural, une boum, un concert de heavy metal, des joints, les années quatre-vingts ; l’attirail du réalisme et de la déréliction infuse l’écriture. À moins que les étés campagnards illuminent l’atmosphère, en une sorte de pastorale, allusive et néanmoins érotique. Ou que les neiges des pistes de ski donnent l’occasion d’une rencontre entre « le petit jaune » et une jeune fille « aux cheveux caramel » qu’il peut réconforter. En un autre récit, qui sait si « c’était lui, le tremblant, le penaud, l’encombré, que la plus belle fille de ce bled pourri ait jamais vue venait d’embrasser. » L’on saura bientôt combien l’amertume succède au miracle…        

 

Souvent, « maladresse est mère des sentiments » ; parfois le pain et le chocolat ont la saveur d’une proustienne madeleine ; toujours « à chaque instant tout pouvait basculer, être détruit ou magnifié. » Reste le mystère de l’amour, invérifiable, entre « les petits attouchements de circonstance et les petits béguins sans lendemain », d’un « je t’aime aussi », à la merci de l’inaccompli, voire d’un réel sordide. Ainsi « les rivières infranchissables » sont également celles de l’amour plus rêvé que vécu, et d’un rite de passage fort malaisé, au point que trop souvent l’on vivra sa vie sans trouver le gué, sans que l’éblouissement amoureux caresse les années. Mais, étonnement, en une surprenante antithèse temporelle, la dernière nouvelle propulse le lecteur auprès d’un vieil écrivain et d’une femme « friable », à Venise ; là encore on est amoureux. Le miracle aurait-il lieu sur le tard ? Car « c’est le bonheur qui les a tués. » Celui qui vient de terminer un livre de nouvelles est-il, en une belle mise en abyme, une projection de notre auteur ?

 

L’exercice de nostalgie va sans mièvrerie, sans misérabilisme, le romantisme sans pathos. L’attendrissement s’adresse à la fois à ce qui est peut-être, et discrètement, un puzzle autobiographique, et à ces adolescents que l’enseignant côtoie, que chacun de nous croise, que l’écrivain ausculte avec psychologie et un doigté prudent…

 

Est-ce un brin désuet ? À l’image d’une couverture assez laide, même si métaphorique avec sa vieille cassette audio qu’il faut encore entendre. À moins que le charme de ces pages tienne justement à ce que le nouvelliste flirte avec ces thématiques à cheval sur le réalisme et une poésie trop oubliée. Il y a là un air de modestie sentimentale, bien assumée par le clin d’œil du titre, qui n’est celui d’aucune nouvelle, mais est tiré d’une chanson de Michel Jonasz : « Je t’aime ». Si le lot d’un recueil est d’être soumis au risque des inégales compositions (« Un enfant de Dieu » et « Inexactitude des heures à venir » sont un peu pâles, quand d’autres, comme « La boum », ont bien plus de vigueur), il reste entre nos doigts un précieux parfum de fleurs fanées que l’écrivain a su ranimer. Et sublimer dans l’ultime, concise, elliptique et magnifique nouvelle titrée « De l’aube claire jusqu’à la fin du jour ».

 

L’usage de la nouvelle est un art délicat, entre minimalisme et puissance, entre vivacité et suggestion. Marc Villemain l’a bien compris, lui qui en use avec constance ; et non sans succès. N’a-t-il pas écopé du Grand prix de la Société des Gens de Lettres de la Nouvelle pour Et que les morts s’ensuivent ? Qui sait s’il a l’ambition louable (du jeune écrivain encore puisqu’il est né en 1968) d’égaler les maîtres du genre, de Julio Cortazar à Henry James...

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Thierry Guinhut
La partie sur Ils marchent le regard fier a été publiée dans 
Le Matricule des Anges en avril 2013

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2 novembre 2017

Pierre-Vincent Guitard a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

 

 

Adolescence, le sortir de l’enfance, de l’innocence, l’âge où sauter le pas, Marc Villemain s’y attarde, comme si, avant d’atteindre la cinquantaine, il éprouvait le besoin, une dernière fois, de se retourner sur le paradis perdu. Nostalgie des initiatrices, mais aussi des tout derniers jours de fraîcheur, parce qu’au-delà de la rivière un monde ordurier se dessine, celui d’un grand qui baise debout derrière la cloison et traite la fille de salope. Ces nouvelles racontent exclusivement la vie d’avant. Comment a-t-on fait pour entrer dans ce monde-là et parvenir un jour à évoquer ses amours enfantines à Venise sur les Zattere où l’on fête ses quarante ans de mariage avec celle dont on avait su tout de suite que
c’était elle pour la vie.

L’inquiétude est grande, les mots manquent pour franchir la rivière avec celle que l’on a choisie : 

mais quelle parole en un tel instant pourrions-nous prononcer qui ne soit ni trop sotte ni trop maladroite, quelle parole pourrait ne pas échouer à dire ce que nous éprouvons.

 

Le héros de ces nouvelles est confronté au désir de dire ses sentiments, les mots ne lui viennent pas. Et c’est comme si cette rivière infranchissable qui sépare le monde de l’enfance du monde des adultes séparait également le langage en deux entités distinctes, comme si pour retrouver l’enfance il fallait inventer un langage perdu, une innocence inimaginable de ce côté-ci de la littérature. Âge de la pureté, Marc Villemain ose la nostalgie des premiers émois, en explore la complexité, en démasque l’ambiguïté :

Et lui qui ne sait pas, qui ne sait plus qui regarder, à qui parler, à qui sourire, lui qui voudrait tout, tout doit être possible.

Parce que la fin de l’enfance c’est cela, la fin de l’innocence c’est aussi une illusion qui se referme, désormais tout n’est pas possible, le rêve n’a duré qu’un instant :

Elle aura eu l’audace de l’inviter à danser le dernier slow [malgré le regard des grands frères], il aura eu celle de le lui dire en premier. Mais le slow est terminé – tout est terminé.

 

Désormais le rêve est brisé, l’harmonie n’est plus, s’en est allée la
voix d’une petite fille tellement pure qu’en elle rien ne semble disjoint, désaccordé, qu’en elle tout est à l’unisson.
On entend bien ce que dit Marc Villemain de l’enfance, cette enfance où le petit citadin pouvait être amoureux de la petite fermière. Cette unité-là n’est plus, le champ des possibles s’est rétréci, ne restent que la nostalgie et l’écriture pour lui donner droit de cité.

C’est ce sur quoi il insiste par l’intermédiaire de l’épouse de son héros :
[…] elle sait combien c’est cela, aussi, un écrivain, combien cela éprouve le besoin de ressasser, de revisiter, de revenir à soi.
Fidélité à soi-même que l’on retrouvera dans la toute dernière nouvelle, fidélité que l’on peut lire comme une réussite, bien sûr, que l’on peut aussi entendre comme un enfermement, un choix irrévocable qui ne trouve à se dépasser que par la création littéraire. Douze nouvelles, plus une qui les reprendra toutes, douze possibles c’est aussi cela que l’écrivain se permet, douze déclinaisons de cet instant unique de la première fois, comme un pied de nez à la vie et à sa fugacité.

 

 

Ces heures fugitives, l’écrivain nous propose de les prolonger avec lui, ne boudons pas notre plaisir, 
[laissons-nous] un peu porter, comme si de [notre] enfance océanique [nous avions conservé] quelque chose d’un flottement, d’un ondoiement, un penchant pour la dérive.

 

Pierre-Vincent Guitard
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1 novembre 2017

Alexandre Burg a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

 

OH MES PRINTEMPS, OH MES SOLEILS - OH MES FOLLES ANNÉES PERDUES - OH MES QUINZE ANS, OH MES MERVEILLES

 

 

Facebook a ceci de parfois magique que tu croises des personnes, au gré des amitiés qui s’étoffent, dont un jour un livre arrive sur ta table. Tu as demandé le livre… parce que de loin en proche la personne qui l’a écrit a l’air d’être une bonne personne… parce que la couverture attire l’œil, avec ses cassettes désuètes et son casque même pas bluetooth qui fait des cœurs même pas avec les doigts… parce que tu as vu par-ci par-là que ça avait l’air bien… parce que tu as cru comprendre que ce sont des nouvelles et que ça te sortira un peu de tes habitudes…

 

Facebook a ceci de parfois magique que tous les parce que s’estompent quand tu découvres les premières pages du livre, que tu vas jeter un coup d’œil rapide aux titres des nouvelles. Alors tu comprends pourquoi le hasard ou quel que soit son nom à mis tes pas dans les pas de Marc Villemain et que tu te sens bien sur les chemins de traverse que vous empruntez l’un derrière l’autre, lui devant, d’avoir écrit ce recueil et toi derrière à presque flâner pour profiter des textes qu’il a cueillis pour toi. Pour toi ou pour un autre, finalement, cela importe peu.

 

Parce que cette rencontre tu l’as faite autant avec toi-même qu’avec l’auteur. Peut-être, certainement, parce que ces textes te renvoient à ta propre jeunesse, à ta propre adolescence, à tes propres tourments amoureux.

 

Les histoires autant que le style de Marc Villemain te touchent droit au cœur et tu te dis qu’il est des rivières infranchissables dans lesquelles il est tellement doux de se noyer.


La douceur, l’infinie tendresse, l’amour sont les maîtres mots de ce maître recueil de maîtresses nouvelles. Autour de la jeunesse, de l’enfance à l’adolescence, Marc Villemain dresse autant de tableaux amoureux qui se glissent dans les interstices entre rêve et réalité, entre fantasmes et concrétisation, entre dits et non-dits – surtout les non-dits –, entre regards et paroles. Timidité, peur, boule au ventre, incertitude, au sein des années walkman et cassettes, des années déconnectées, des années aux « yeux couleur menthe à l’eau et aux cœurs grenadines », Marc Villemain esquisse le portrait d’une jeunesse provinciale pleine de toute la fougue et de la glorieuse incertitude des premiers émois, des premières déceptions, des premiers échecs, des premières conquêtes, des premières interrogations.

 

Et puis tout de même, malgré l’indéniable charme de chaque nouvelle, tu te dis que tous ces récits sont quand même un peu les mêmes. La forme change, un peu, mais le fond ne bronche pas, droit dans ses bottes, comme dans une langueur toute désuète destinée à bercer le lecteur, à endormir sa vigilance.


En lecteur averti (qui n’en vaut toutefois pas deux, il faut savoir rester humble), tu te dis que ça ne peut être aussi simpliste, aussi linéaire. Tu as affaire à des rivières infranchissables, pas à de longs fleuves tranquilles. On ne te la fait pas, à toi… Alors tu commences à imaginer ce recueil comme un diamant brut : chaque histoire est un morceau de ce diamant, une facette, éclairée par un prisme lumineux qui projettent des ombres variables et changeantes, à la nuance près, au gré des passions évoquées.

 

Toutes ces évocations, tous ces prismes, toutes ces facettes prennent d’autant plus de sens que le lecteur arrive à la dernière nouvelle. Mais chut, ça c’est le secret qui doit rester entre Marc Villemain et ceux qui le liront. Je ne doute pas et souhaite qu’ils soient nombreux.

 

Alexandre Burg
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