jeudi 30 novembre 2017

Astrid de Larminat a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

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ASTRID DE LARMINAT - Le Figaro littéraire, 30/11/2017
Lire l'article sur le site du Figaro

Fragments de souvenirs amoureux
MARC VILLEMAIN Un recueil de nouvelles où l'on voit
que les garçons sont plus tendres qu'il n'y paraît.

Les hommes, même ceux qui roulent des mécaniques ou se comportent comme des goujats, auraient-ils peur des filles ? Et si c’était ça, leur secret inavouable ? Peur de leur beauté, peur de n’en être pas aimés, de leur faire mal avec leur grand corps ou qu’elles leur fassent trop mal en se moquant d’eux, peur de ne pas savoir être un homme à leurs côtés ?

C’est en tout cas ce qui ressort des nouvelles de ce recueil, une douzaine d’histoires racontées par un petit garçon, un adolescent ou un tout jeune homme. Sous des vêtements, des couleurs, des saisons et des cieux différents, ces narrateurs successifs évoquent la même douleur et douceur, celle qui les envahit lorsqu’ils s’approchent de la petite ou jeune fille dont ils sont épris.

Il y a l’histoire de ce lycéen amoureux d’une camarade qui n’est pas la plus jolie de la classe mais l’attire parce qu’elle est fraîche comme « un cœur à livre ouvert », pas comme ses copines qui déjà déploient tout un art féminin dans la pose, les mines, les réparties. Un jour à l’heure du déjeuner, en sortant du lycée, elle met sa main dans la sienne et le conduit chez elle, au douzième étage d’un immeuble HLM, mais à peine ont-ils commencé à s’embrasser dans sa chambre que sa petite sœur frappe à la porte.

Plus loin, dans un village de montagne « empesé de blancheur », un petit collégien chausse ses skis, s’en va suivre des sentiers de traverse, aperçoit une mince forme blanche posée sur le bord du chemin et, dépassant de sa combinaison, des cheveux couleur de filaments de caramel encadrant des traits d’ange. Elle pleure. Elle a une voix si pure qu’« en elle rien ne semble désaccordé ». Il lui offre sa gourde de chocolat chaud. Elle lui dit qu’il l’a sauvée, il veut se marier avec elle. Mais les vacances s’achèvent.
Dans cet épisode-là, l’auteur décrit le long des pistes « les gentianes que des racines bienveillantes ou quelque mystérieuse source de chaleur souterraine semblent préserver du gel ». Belle vision qui figure le désir qu’ont tous ces petits hommes - qui n’en forment peut-être qu’un seul à plusieurs moments de sa vie – de devenir forts sans s’endurcir. Confusément, ils sentent quelque chose de surnaturel dans la beauté féminine qui les attendrit, les ouvre à plus grand qu’eux.

Mais vient un âge où les filles ne tiennent pas les promesses de leur grâce. Les béguins sont sans lendemain. L’un des narrateurs cherche désespérément à aimer. « Mais ça ne prenait jamais. Il éprouvait une sorte d’empêchement. » Son idéal contrarié se convertit en rage : « Il finissait par en concevoir une aversion pour les filles. » Une nuit, dans une discothèque, entre une fille ravissante vers qui tous les regards convergent. Et c’est de lui, le plus timide, qu’elle tombe amoureuse. Lorsqu’elle lui expliquera qu’il n’y a rien de « si craquant qu’un type désarmé », il se sentira libéré des démonstrations de virilité obligées et grandira d’un coup. Mais cette nouvelle assurance va faire de lui « un salaud ». Il a un coup de foudre pour une autre. Il les aime toutes les deux. Elles le découvrent. Il voudrait leur donner des preuves de sa sincérité, leur dire qu’il n’a jamais cherché des aventures, qu’au contraire il a toujours guetté l’amour « mais la vieille pudeur masculine imbécile » l’en retient.

     Le sceau du rêve

La vieille pudeur masculine... c’est l’une des « rivières infranchissables » qu’évoque le titre du recueil de Marc Villemain, quarante-neuf ans, auteur discret, amoureux des teintes tendres de la province, qui a l’art de faire chatoyer et rendre leur jus de nostalgie aux scènes de la vie quotidienne. Sans doute ses personnages ne sont-ils pas emblématiques d’un éternel masculin, ils sont marqués du sceau des rêveurs qui souffrent de l’inadéquation entre la poésie qu’ils sentent en eux, en elles, entre eux, et les mots et les gestes par lesquels ils voudraient l’exprimer. L’auteur, contrairement à l’une des jeunes filles qu’il met en scène, qui défend une morale de l’action et du combat politique, se garde des concepts et des jugements. Il « ne pense pas, il songe. Aux temps anciens, à la création du monde, à tout ce qui nous rend si sensibles, si petits, si précieux ».

Ce chapelet de nouvelles s’achève par un éloge des vieux couples qui s’aiment dans la routine comme aux premiers temps. En les lisant, on se dit que la littérature, autrement mieux que les idées, agit sur le monde en donnant aux lecteurs le goût de la délicatesse de cœur.


mardi 21 novembre 2017

Alexia Kalantzis a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

petite_revueLire l'article d'Alexia Kalantzis sur le site de La Petite Revue

Amours de jeunesse

Une jeune fille aperçue dans un jardin, une camarade de classe entraînée dans une escapade buissonnière, un amour de vacances achevé tragiquement, des rencontres, regards et frôlements dans des bals et des fêtes, telles sont les intrigues qui se nouent dans les nouvelles proposées par Marc Villemain autour des amours enfantines et adolescentes.

Marc Villemain, dans ces charmants récits des amours contrariées, esquissées ou consommées, décrit les premiers émois avec une grande délicatesse. À travers une variation presque musicale sur des motifs comme l’eau, le jardin ou le bal, il évoque de façon très poétique les sentiments et sensations de l’éveil amoureux.

La construction du volume oscille habilement entre unité et fragmentation, autour du motif des rivières infranchissables qui donne son titre au recueil, et d’un narrateur qui se construit au fil des pages. Cette promenade au cœur de l’enfance est tendre et revigorante à la fois. =

lundi 20 novembre 2017

Jacques Josse a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

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Lire l'article de Jacques Josse sur le site remue.net

C’est la découverte du sentiment amoureux qui sert de fil rouge aux treize nouvelles réunies ici par Marc Villemain. L’élan, l’attirance mais aussi l’hésitation et la peur s’y imbriquent pour éclairer l’intensité de ces moments de tendresse maladroite qui disent parfaitement les commencements, les tremblements, l’envie, le désir qui s’empare des corps fébriles. Ceux-ci se touchent, se cherchent.

Ils (et elles) ont huit, dix, douze, quatorze ou quinze ans. Le monde qu’il leur faut explorer, en façonnant eux-mêmes les clés pour y entrer, leur est encore inconnu. Ils savent néanmoins comment en percer les secrets. Et ont assez de ressource en eux pour y parvenir.

C’est l’initiation d’un unique personnage – se mouvant au milieu des autres – que l’on suit de texte en texte. Il se trouve au bord de la mer ou en montagne, dans une petite ville ou en rase campagne. Où qu’il soit, il tombe inévitablement amoureux. À chaque fois, cela lui chamboule le cœur tout en lui mettant le corps en émoi. Il multiplie les rondes, les guets, les approches. Profite d’un bal, d’un concert pour faciliter la rencontre. Ça marche ou ça coince mais quoi qu’il arrive, il se montre régulièrement discret, disponible, patient, attentif. Et parfois fataliste.

La dernière nouvelle est particulière. Elle a pour décor Venise. Et pour héros un vieil homme, un écrivain qui raconte succinctement ses aventures d’enfant puis d’adolescent en quête de sentiments et de désirs à partager. Ces aventures ne sont autres que celles qui sont présentes dans cet ouvrage. La boucle est ainsi subtilement bouclée, ce final attestant, s’il en était besoin, de l’unité d’un ensemble qui vaut par les fragments de tension émotive qui le traversent mais aussi par l’écriture délicate et très évocatrice de Marc Villemain.

Il y a chez lui un sens du détail évident. Il apparaît dans la finesse des traits de personnalité des uns et des autres et dans les descriptions minutieuses des paysages qui servent de décor à chacun de ses récits. =

dimanche 19 novembre 2017

Vincent Monadé a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

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Lire l'article sur le site de Libération 

Marc Villemain, atours de jeunesse
Par VINCENT MONADÉ est Président du Centre National du Livre
LIBÉRATION, 18/11/17

Pour se souvenir des années 80, des spencer et de la crinière de Rod Stewart, deux options : soit le revival clinquant de Stranger Things ; soit la petite musique, autrement entêtante et forte, de Marc Villemain. Dans son dernier recueil de nouvelles, l’auteur explore le vert paradis des amours enfantines et celui, déjà pourrissant, de l’adolescence, quand le corps souffre et que se cherchent, sans se trouver, deux désirs. Mille fois, par d’autres, le sillon a été creusé. Villemain y laisse la marque franche d’un soc neuf, d’un acier juste, d’un talent net.

Comment parvient-il à tant de beauté ? Qu’est-ce qui, dans cet écheveau de fils d’araignées trop fins, de presque rien et de silences, dans ce rythme ternaire qui coule des mots rares, nous empoigne le cœur et nous laisse nostalgiques de ce que nous fûmes avant que sur nous ne s’abattent ambitions, compromis et renoncements ? Chant lyrique et sec, Il y avait des rivières infranchissables fait penser au mariage entre le premier Giono, celui du Grand Troupeau, et le dernier Carver, dont chaque nouvelle repose sur une phrase qui, au cœur d’un faux néant, claque comme une balle.

Ici, pas d’évocation de 86 et des enfants privés de révolution s’en inventant une, rien du Paris dur d’Un monde sans pitié. Sous nos yeux s’éveille la Province, qu’on n’appelait pas « les territoires », les petites villes et les maisons de notaires, les murs gris des lycées, les tentes de camping et les boules à facettes. Au cœur de ces années 80, ni meilleures ni pires que d’autres, peut-être un peu plus grises, Villemain fait son éducation sentimentale. On voudrait, pour convaincre le lecteur, tout lire à voix haute tant la phrase est belle au verbe généreux. On citera ceci, « trop de peurs en lui, trop de douceurs écorchées pour se choisir des adversaires - trop de couchers de soleil et de lunes orangées, trop d’écureuils farouches et de brebis égarées » et ceci encore, « ils savent ce qui les attend, la vie en ce monde. Lui arrachent seulement un tout petit peu de temps, un tout petit peu d’espace, un tout petit peu d’espoir ».
Puis on ira, souriant, pleurer un peu. Et on ne sera pas grave, mais beau. Enfin, peut-être.

Le Monde des Livres - Portrait

Le Monde des Livres

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Lire l'article sur le site du Monde

Tendre violence
par XAVIER HOUSSIN
Le Monde des Livres, 16/11/17

Venu tardivement à la littérature, Marc Villemain, ancienne «plume» socialiste, a écrit des livres durs avant de s’autoriser de délicates nouvelles sur l’amour.

Il y a du monde à Étretat (Seine-Maritime). Les parkings sont pleins et les crêperies bondées. « C’est la dernière semaine des vacances de la Toussaint, explique Marc Villemain. Dans quelques jours, il n’y aura plus personne. » Sa maison blottie au fond d’une courette de ville est à l’abri des touristes et des vents venant de la plage. Dès qu’il peut, il quitte Paris pour venir ici. Cet écrivain discret a le goût de la province.

Il vient de publier son sixième livre, Il y avait des rivières infranchissables, un recueil de nouvelles très intime sur les premiers sentiments amoureux. Rosaire doucement égrainé de ces émotions maladroites qu’on garde, sa vie durant, enfermées dans son cœur. Son narrateur a une dizaine d’années, à peine moins, un peu plus, puis un peu plus encore. Le collège, le lycée. Histoires de petites amoureuses et de baisers volés, d’étreintes fugitives, d’attentes, de fiertés adolescentes, de hontes, de chagrins. C’est tendre, quelquefois tragique, ça met le rouge aux joues et réveille parfois comme un frisson ancien.

Marc Villemain est un de ces « enfants vieillis » dont parle Lewis Carroll, de ceux qui continuent à craindre de se coucher le soir. À l’heure des souvenirs lourds et des vilains cauchemars. Il est né en octobre 1968, dernier après trois grandes sœurs chez des parents tous deux professeurs de lettres classiques. « À table, se souvient-il, quand ils ne voulaient pas que l’on comprenne, ils parlaient latin.»  Le père, proviseur du lycée de Loudun (Vienne), doit renoncer aux responsabilités pour raisons de santé. La famille s’installe alors à Châtelaillon-Plage en Charente-Maritime, puis à Saint-Vivien, un village à l’intérieur des terres. « L’été 1981, mon père est mort. J’allais entrer en cinquième. Tout a basculé. » Élève brillant, il décroche, se retrouve dans un lycée technique à apprendre la dactylographie (« J’avais les cheveux au milieu des épaules et j’écoutais du hard-rock toute la journée »). Il a 16 ans. Il quitte l’école, enchaîne les petits boulots et se sent follement libre.

« En même temps quelque chose mûrissait en moi. » Sans transition, lui qui a abandonné depuis longtemps la lecture avec Le Clan des sept, d’Enid Blyton, s’empare du Journal de Kafka. « Je recopiais des passages comme si sa noirceur rencontrait la mienne à ce moment-là. » Il se met à écrire compulsivement des nouvelles, dévore tous les livres qui lui tombent sous la main. Et surtout, à la télévision, il découvre Les Aventures de la liberté, déclinaison par Bernard-Henri Lévy de son livre éponyme (Grasset, 1991). « Je vois ce documentaire, je lis le livre, et j’apprends comme jamais je n’ai appris. Les figures de Céline, de Malraux, de Brasillach, de Proust. Dreyfus jusqu’aux combats de la décolonisation. L’histoire, la littérature, la politique, tout arrive en même temps. Et par lui. Comme je suis un jeune homme passionné et excessif, je lui écris. Des lettres de pedzouille : “Cher monsieur Lévy j’aime beaucoup ce que vous faites…” Et il me répond, une fois, deux fois, trois fois. Ça me donne des ailes. »

Cette révélation, et les bouleversements qui vont s’ensuivre, Marc Villemain les raconte dans un étonnant premier roman, Monsieur Lévy (Plon, 2003), livre de sa dette de jeunesse envers BHL, récit d’apprentissage, chronique littéraire, et surtout politique. Car, après avoir repris ses études à 22 ans, passé son baccalauréat à 25 et intégré Sciences Po Toulouse, il se retrouve au Parti socialiste, assistant parlementaire, puis « plume » de Jean-Paul Huchon, de François Hollande (alors premier secrétaire du PS), puis de Jack Lang. « Il m’a fallu du temps, mais je me suis aperçu que je n’avais ni le corps ni le tempérament politique. Que cela m’éloignait de la littérature. » Ce qu’il veut, c’est écrire. Et plus pour les autres.

En 2006, il publie chez Maren Sell Et je dirai au monde toute la haine qu’il m’inspire, les stances rageuses d’un politicien dévoré d’amertume. Suivront en 2009 un recueil de nouvelles cruelles (Et que morts s’ensuivent, Seuil), puis Le Pourceau, le Diable et la Putain, vociférant monologue d’un octogénaire misanthrope et haineux (Quidam, 2011). Ils marchent le regard fier (Le Sonneur, 2013), terrifiante anticipation, raconte comment, dans une société en proie à un délirant et assassin jeunisme, les vieux en viennent à descendre dans la rue pour défendre leur peau. Le paradoxe Villemain est que la violence des mots cache une palpitante tendresse. Toujours. On la retrouve à nu, cette fois, douce, délicate, dans Il y avait des rivières

Marc Villemain a été critique (notamment au Magazine des livres), il est directeur de collection aux éditions du Sonneur. De la littérature il fait sa maison. Qu’il partage avec sa femme, ­Marie, à qui, depuis leur mariage en 2005, chacun de ses livres est dédié. Mais ce tout dernier est une déclaration d’amour. À n’en pas douter.


lundi 13 novembre 2017

Gérard-Georges Lemaire a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

Verso hebdo

 

La chronique d’un bibliomane mélancolique : Gérard-Georges Lemaire
À lire dans son contexte originel

On peut voir en Marc Villemain un écrivain qui a des qualités qu'on ressent dès les premières pages : une grande vivacité dans le style, de l'invention dans la manière de narrer son histoire, de l'invention à revendre. Il n'a pas la prétention de révolutionner la littérature, mais au moins de lui donner un caractère qui n'appartient qu'à lui. Ses nouvelles ne relatent pas des histoires extraordinaires, ni ne cherchent à produire une nouvelle modalité d'écriture. Mais elles ont un charme indéniable. Ces petits récits procurent un vrai plaisir et, grâce à son originalité, s'élève au-dessus de la simple transcription d'une réalité somme toute assez banale. Il contredit cette banalité et lui procure une sorte de poésie, mais qui n'est pas une manière de sublimer ces amourettes ou ces rencontres. Son thème central est l'amour, sans un grand A. Mais pas non plus avec un petit a. L'amour révèle sa beauté, son charme, son élan par le biais d'une façon très singulière de camper un paysage, un climat, une situation.

Il y a dans ces pages une fraicheur d'esprit et une grâce assez peu communes, et Marc Villemain me paraît beaucoup plus prometteur que bien des auteurs qui ont une plus grande maîtrise de leurs moyens, mais pas beaucoup de capacité de rendre des sentiments amoureux avec tant de finesse. Il a toute la concision de Guy de Maupassant sans en avoir le mordant, et tout le charme d'une Colette qui aurait été contaminée par la prose de Francis Carco ou de Roland Dorgelès. C'est une des bonnes (et donc rares) surprises de la rentrée littéraire. =

dimanche 12 novembre 2017

France Inter - "La personnalité de la semaine"

J'étais ce dimanche l'invité de Patricia Martin, sur France Inter, pour évoquer la parution de Il y avait des rivières infranchissables.

 v Pour (ré)écouter l'émission, cliquer sur l'image v

Patricia Martin France Inter

vendredi 10 novembre 2017

Frédéric Verger a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

Revue des Deux Mondes nov 17-side

 

L'article qui suit est extrait d'une notice plus large, intitulée « Trois versions du charme », que l'écrivain Frédéric Verger a publiée dans le numéro de novembre 2017 de la Revue des Deux Mondes.

Dans cette recension, outre mon propre recueil de nouvelles, il évoque Un amour d'espion, le roman de Clément Bénech paru chez Flammarion, et les Revers de mes rêves, de Grégory Cingal (chez Finitudes).

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Marc Villemain offre de merveilleux exemples dans beaucoup des nouvelles de son récent recueil de ces touches artistiques qui transforment une histoire apparemment banale en un récit déchirant. Il y a quelque chose de plaisant et d’audacieux à voir un écrivain choisir comme fil directeur de son recueil un thème – les premiers émois de l’amour – où tout semble avoir été fait et refait, de le traiter dans une forme générale assez commune aujourd’hui (récit au présent au travers du point de vue d’un personnage, le jeune amoureux, enfant ou adolescent), et pourtant de parvenir à la beauté et à l’originalité. Il y a dans ce livre faussement modeste un défi et une leçon. Beaucoup d’auteurs qui s’attachent, de façon un peu trop « voulue », à décrire le monde contemporain tombent dans un réalisme épais et primitif où l’effort pour mettre en scène les détails du monde d’aujourd’hui est si laborieux qu’il exhale déjà le fumet du démodé ; à l’inverse, il existe encore des auteurs capables d’évocations lyriques, de méditations ou de vues prenantes ou profondes, mais dont les textes paraissent un peu hors du temps (ce qui n’est pas d’ailleurs un problème).

Marc Villemain semble un des rares auteurs contemporains qui mêle avec le plus grand art le lyrique, l’élégiaque au réalisme, au trivial. Son lyrisme n’est jamais emphatique, son réalisme jamais forcé. C’est sans doute la condition de leur amalgame si parfait. Le détachement et le sentimental, le poétique et le trivial sont ainsi mêlés avec un tact rare. La beauté de ces nouvelles vient de l’attention aux notations sensuelles du monde, encore que ce terme de sensualité soit trop stupidement réducteur. Car ce qu’on appelle ainsi n’est en réalité rien d’autre que la transcription de l’émerveillement et de l’étrangeté de la vie, c’est-à-dire ce qui constitue peut-être le motif essentiel de toute création d’ordre artistique. Le charme du recueil vient aussi de la finesse et de la formulation des notations morales ou psychologiques, comme dans ce passage à propos de deux amoureux s’adossant à un arbre : « avec un mouvement plus naturel, plus réciproque que ce qu’ils auraient voulu laisser voir ». =

jeudi 9 novembre 2017

[Vidéo] Lecture de Claude Aufaure / Il y avait des rivières infranchissables

Joëlle Losfeld et Claude Aufaure - Photo : Soraya Désirée Belkhr



Il n'y avait que des amis et du joli monde, hier soir à la librairie L'Humeur Vagabonde (Paris 18e), où Olivier Michel avait invité le comédien Claude Aufaure à mettre en voix une nouvelle extraite du recueil Il y avait des rivières infranchissables.

- Donc, merci à Claude Aufaure, toujours aussi amical, souriant et bienveillant. Inutile de dire combien je suis honoré d'avoir été lu par un tel comédien, rompu aux plus grands auteurs et aux plus grands textes.
- Merci à Olivier Michel, libraire mais pas que : non content de pousser les murs, il prépare lui-même sa terrine et son boeuf bourguignon - ce qui ne manque pas de sel.
- Merci à Christelle Mata et Joëlle Losfeld, toujours aux petits soins.
- Merci à Jean-Claude Lalumière (planqué dans un couloir, plaqué contre un mur) qui a consigné l'intégralité de cette lecture pour l'éternité (ou presque).
- Enfin bien sûr merci au public, lecteurs, curieux, amis, devant lesquels je suis toujours un peu intimidé...

v  Prochain rendez-vous  v
France Inter, La personnalité de la semaine (émission animée par Patricia Martin) 
dimanche 12 novembre, 07h50.

 

mercredi 8 novembre 2017

Marie Du Crest a lu "Il y avait des rivières infranchissables"

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Lire l'article de Marie Du Crest sur le site de La Cause Littéraire

 

 

 Il y avait des rivières infranchissables

J’emprunte le titre de ma chronique à Marc Villemain lui-même, ou plutôt au narrateur de la dernière nouvelle de son nouveau recueil, Il y avait des rivières infranchissables. Je devrais dire à la rumeur qui entoure son dernier personnage masculin : un auteur de romans et de nouvelles, installé à Venise avec sa compagne. La Nostalgie, c’est toujours un retour, un nostos. Les douze premières nouvelles du livre sont marquées du sceau du retour à l’enfance, à l’adolescence ; du retour au pays océanique ; du retour au temps des chocolatines, des magasins Carrefour, des boums, des mobs ; à la musique écoutée sur une cassette audio. Retour enfin « aux premières fois », aux premières histoires d’amour souvent sans lendemain. Titre au passé.

Les personnages des nouvelles (filles et garçons) sont sans prénom ou nom, juste des « ils » ou des « elles » comme s’ils vivaient à travers chaque texte une expérience, presque une expérimentation du désir, des sentiments. Ils pourraient être aussi le même (c’est essentiellement le regard du garçon, son point de vue qui importe ici) à qui il arrive ces diverses aventures. Ils n’ont pas besoin d’être rattachés à une identité définie puisque l’important se situe dans ce présent (verbal) de l’adolescence et parfois de l’enfance.

La brièveté des nouvelles en vérité les prive volontairement de toute ligne de vie : il s’agit d’un épisode (le bal, des moments à la ferme, un repas dans un chalet, un concert de heavy metal…) qui cristallise la découverte érotique dans toute sa maladresse, son hésitation, son « infranchissable » appel. Les douze nouvelles aux teintes parfois ironiques abandonnent leurs personnages au bord du chemin, parfois dans un état de fiasco comme disait Stendhal. Solitude du jeune collégien, mort tragique dans une rivière de la petite amoureuse, impossibilité à choisir l’élu(e). L’incertitude, l’inachèvement de la question Qui sait ? résume assez bien l’art d’aimer dans le recueil.

Pourtant, en contrepoint de l’enchantement nostalgique, teinté de déception, Marc Villemain construit en fin de compte un hymne à l’amour qui débute avec sa dédicataire (Marie) et son retour dans la treizième et ultime nouvelle. La compagne autobiographique, l’amante de la chanson de Brel qui fait titre. Le livre est tout entier appelé par sa « chute », par ce qui l’accomplit. Aux duos, aux trios adolescents éphémères s’oppose le couple âgé qui a traversé l’existence côte à côte. Les villages, les petites cités balnéaires au bord de l’océan disparaissent au profit de Venise. L’italien mord sur le français et la nostalgie n’est plus ce qu’elle était ; le retour ou le flashback n’ont plus lieu d’être. Marc Villemain anticipe sa propre vieillesse, sa propre mort et celle de sa bien aimée. La dernière phrase sera d’ailleurs écrite au futur. La dernière nouvelle en fait vampirise les précédentes. Le personnage de l’écrivain sur la fin de sa vie est celui qui a écrit Le petit jaune, Le bal, Petite fermière et Ik hou ook van jou, ou encore Douceur en milieu tempéré, Qui sait. Il n’est pas uniquement l’auteur de ces textes mais bien celui qui a vécu tous les moments rapportés dans les différents textes : Tout y passe, jusqu’à ses amours enfantines.

La musique, les chansons sont aussi autant de miroirs sonores de cette initiation affective et sexuelle (les slows), et ce, des premières amours jusqu’à la mort à deux. On entend au fil du texte, et même sur son seuil avec les 2 épigraphes, une playlist datée, une sorte de programmation « radio Nostalgie » du début des années 80, avec Michel Jonasz, Trust, Goldman, Cookie Dingler ou Foreigner. La première de couverture évoque aussi le temps déjà ancien du walkman. Mais la dernière chanson intemporelle de Brel, écrite en 1967, résonne telle une ode à l’amour qui résiste justement au temps, à « la tendre guerre », et illustre l’histoire du couple comme si, à la fin de son recueil, Marc Villemain rendait hommage à cet amour immense, prolongement merveilleux de ces jeunes amours ébauchées et maladroites, comme si la rivière avait été enfin traversée. =