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Marc Villemain
29 mars 2019

Mado lu par Claro (Le Monde des Livres)

 

 

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« Mado », de Marc Villemain : le feuilleton littéraire de Claro

 

Claro se révèle sensible à l’esthétique de l’émoi manifestée par Marc Villemain dans son nouveau roman.

 

 

Comme au premier jour

 

Avant même d’inventer un monde, de fabriquer des personnages, de bricoler des intrigues, l’écriture romanesque n’a d’autre choix que d’inventer une perspective, c’est-à-dire d’établir son camp de base dans un repaire plus ou moins secret d’où sera projetée, comme bon lui semble, la lumière. Ce qui sera raconté peut être banal ou extraordinaire, là n’est pas la question, on s’en doute. L’important, c’est que cette perspective, qui est davantage qu’un point de vue, qui est point de réflexion, de sensation, devienne très vite, pour le lecteur, le lieu d’embuscade privilégié de sa lecture. Les livres qui nous captivent le plus sont ceux qui nous donnent l’impression de s’écrire sous nos yeux, et nous donnent le sentiment, troublant, de participer à leur déroulement.

 

Pour cela, bien sûr, il y a plusieurs solutions. Le romancier peut se contenter de n’éclairer que le visible en recourant à des phrases aussi généreuses qu’un néon neuf – on lit alors son livre avec le même entrain qu’on met à aligner de la pâte dentifrice sur une brosse à dents, et très vite on recrache. Heureusement, certains écrivains préfèrent élire demeure dans les plis, la pénombre, et œuvrer à la confection d’impressions sismiques grâce auxquelles nous éprouvons, même au sein de l’ordinaire, la secousse de l’inédit. Pour Mado, Marc Villemain se livre avec subtilité à l’archéologie d’un trouble qui aurait pu, traité par d’autres, se déliter en bluette. Mais d’une simple liaison entre deux adolescentes, il a su faire un récit charnel où c’est sa phrase et pas seulement ce qu’elle expose qui trouble.

 

 

Il était une fois Virginie et il était une fois Mado. Avant de s’éprendre l’une de l’autre, un drame en apparence anodin va charpenter la vie entière de Virginie. Cette dernière, âgée de 9 ans, se baigne dans la mer quand elle se retrouve délestée de sa culotte et de son paréo par deux garçons – des jumeaux – qui l’obligent à affronter nue et la nuit et sa conscience. La scène se transfigure imperceptiblement en quelque chose de mythologique. La mésaventure de Virginie nous rappelle Artémis surprise par Actéon, « Suzanne et les vieillards » : c’est l’histoire immortelle de la femme piégée. « C’est bête d’avoir transformé une anecdote d’enfance, une péripétie balnéaire, un même pas événement, en une espèce de drame constitutif de la femme que je suis devenue », dit très tôt, lucide et blessée, la narratrice. Bête ? Plutôt que bête, l’épisode relève du bestial et vient révéler une part animale qui va innerver tout le récit. La mythologie est affaire de dévoration.

 

Les deux garçons ne se contentaient pas de rire, ils « bondissaient, beuglaient, crachaient, suaient, salivaient. Du haut de mes 9 ans, il me semblait voir ce qu’ils s’apprêtaient à être. Leur devenir-homme. Des hommes, voilà. C’est-à-dire, pour la gamine que j’étais, des bêtes sauvages, carnassières. Cannibales ».La confrontation avec cette animalité fait de Virginie elle aussi une bête fantasque, elle se met à courir « comme courent les biches, les lapins, les chevreaux » et finit par se terrer… dans le ventre d’un carrelet – non pas un poisson, mais une de ces cabanes de pêcheur qui de loin ressemblent à « des échassiers d’un autre monde ». Et quand elle finit par rentrer chez elle, sa mère lui donne une « gifle animale, une gifle de chair, nue de toute intention ». Il y aura aussi un poisson pêché aux dimensions christiques, « son regard de supplicié, le sang qui perlait le long de ses flancs olivâtres ».

 

Ainsi marquée, mordue, l’histoire de Mado peut devenir le récit d’un amour intense et ravageur, et Marc Villemain a toute latitude alors pour tracer sur la page des lignes de sensualités à la fois quiètes et fiévreuses, évoquer « cette suée légère à la racine [des] cheveux », la « tiédeur (…) progressive, lénifiante, enclose sur elle-même », la paume qui s’aplatit « contre [la] chair comme pour l’animer, la préparer ». Les jours passent, et la liaison entre Virginie et Mado, dans leur balcon sur la mer, se fait plus torride, plus profonde, ensemble elles apprennent l’adieu à l’enfance et les chemins du plaisir. Tout n’est plus que gestes et attentions, pensées et attentes brûlantes, la page enfle et respire au rythme de leurs rendez-vous, même si une voix blessée – celle de Virginie plus tard, devenue mère – nous rappelle par intermittence que le bonheur n’a pas duré, qu’il s’est passé quelque chose qui a tout englouti.

 

On aurait tort de réduire Mado à une fable moderne, et d’imaginer que l’auteur a voulu expliquer le saphisme de ses héroïnes par la bêtise crasse des jumeaux voyeurs. La passion qu’il raconte, il ne cherche pas à la rendre fabuleuse, préférant la bâtir par touches sensibles et discrètes, disséminant ici et là des motifs qui échappent au symbolique, comme ces chardons bleus dont les métamorphoses nourrissent la vie des deux amantes. J’ai parlé plus tôt d’une archéologie du trouble, mais l’on pourrait tout aussi bien invoquer une esthétique de l’émoi, tant Villemain en dresse le portrait sensible et saisissant, « jusqu’à la dernière ondulation de l’air »Mado émeut. Qui dit mieux ?

 

Claro (écrivain et traducteur)

25 mars 2019

Mado lu par François Xavier (Le Salon littéraire)

 

 

Mado, au-delà de l'amour

 

Marc Villemain nous avait déjà démontré sa maîtrise dans l’art de l’étude du détail chez les personnes âgées (Ils marchent le regard fier), dans sa capacité à décrire grandement les petites choses des braves gens que l’on n’entend pas – c’était avant les Gilets jaunes…

 

Le voilà quelques années plus tard relevant le défi de se glisser dans la peau d’une adolescente foudroyée par la passion amoureuse. Autant dire qu’il s’offrait un voyage à trois cents à l’heure sur des petites routes de campagnes avec neuf chances sur dix de finir dans le décor. Mais non, point de mur en pleine face, c’est plutôt un torrent d’émotions qui submergent le lecteur au point de ne plus parvenir à lâcher le livre. Lu d’une traite ce dimanche gris, j’avais de la lumière dans les yeux, chaud au ventre, parfois la gorge sèche, je sentais le vent dans les dunes, j’entendais la mer battre contre les piliers du carrelet ; j’y étais… avec Mado…

 

Tout débute par un jeu idiot entre deux garçons taquins et une petite fille de neuf ans qui se retrouve toute nue sur la plage, les deux zozos allant jusqu’à s’enfuir avec ses affaires après lui avoir ôté son maillot… Terrifiée, elle ira se terrer dans sa cabane, sur un ponton abandonné derrière les dunes ; y passera toute la nuit avant de regagner sa chambre aux premières lueurs matutinales. Quelques années plus tard, les deux garnements étant retournés chez leur mère, la désormais jeune fille peut alors renouer avec sa meilleure amie en classe de quatrième, au collège. Mais entre temps Mado est devenue une chipie, provocant son monde, rayonnante de beauté, ayant le mot juste et l’esprit libre, elle fascine autant qu’elle agace…

 

Va alors se nouer une relation qui, petit à petit, d’amitié amoureuse muera en amour puis en passion dévorante, dévastatrice, sexuelle et perverse, les deux amantes sombrant dans la perversion narcissique à tour de rôle, selon les influences extérieures, les garçons de passage…

 

Magnifiquement troussée dans une langue épurée et un rythme totalement maîtrisé, cette drôle d’histoire d’amour finira mal, mais au-delà du drame en point d’orgue infernal, c’est le parcours chaotique de la narratrice qui est fascinant. On la voit écartelée entre ses désirs, sa quête d’absolu, sa candeur, sa jalousie, sa folie destructrice, son empathie, sa force et son jusqu’auboutisme qui la conduira à commettre certaines bourdes. On touche ici à l’essentiel, à ce que la littérature a de plus indispensable : renommer l’indicible qui nous travaille chaque seconde, mettre à jour les ténèbres qui nous aspirent quand bien même on n’aurait soif que de lumière joyeuse. Il n’y a que l’être humain pour jouer ainsi avec le feu, se pencher toujours plus vers le vide et s’étonner après d’y être tombé. On n’a de cesse de vouloir détruire ce que l’on chérit le plus.

 

Vercors avait raison, nous sommes des animaux dénaturés…

 

François Xavier

Lire l'article directement sur Le Salon littéraire

20 mars 2019

Bertrand Runtz - Reine d'un jour

 

 

Fin de reine

 

Qui connaît un peu leur travail ne sera pas surpris que les éditions Finitude accueillent les univers très sensibles de Bertrand Runtz. À première vue, la nostalgie prime ; elle est même revendiquée. Mais ce sont des univers où l’hier résonne bien trop durement dans l’aujourd’hui pour être simplement éplorés. La crudité et la justesse du sentiment donnent tout son éclat et son intérêt à cette Reine d’un jour hors des modes. « Dans la famille, on ne remplace pas les disparus » : l’ouverture est grave, définitive, mais on ne saurait la dire amère. Sans paradoxe dans les termes, la sécheresse factuelle du constat n’est pas neutre : elle dit aussi, sans doute, la forme ténue du respect, à tout le moins de la considération, pour une certaine doctrine familiale. Jusqu’à éventuellement constituer un fondement où poser sa propre appréhension de l’existence. 

 

Nous tournons donc en même temps que Bertrand Runtz les pages de ce cahier d’histoire, probablement la sienne. Et partons en sa compagnie à la rencontre de quelques personnalités aux destins aussi communs qu’exceptionnels – le propre, peut-être, de tout destin individuel. Enfin, quand même. Il y a cette tante, qui fera tant causer, ou au contraire dont l’existence, brimée, bridée, tue, acculera chacun à tenir le silence, fût-ce en taisant l'abjection, « cette femme au visage triste et marqué, la couronne légèrement de guingois, encadrée par les ombres portées du lustre, mais qu’on dirait plutôt produites par des grilles ou bien des bois d’animaux fantastiques », et qui commença sa vie de malheur en venant « au monde toute tordue, la tête collée sur une épaule. » C’est elle, cette improbable reine, dont le sombre souvenir nous saisit à peine le livre ouvert, elle dont le narrateur dit qu’il la « fixe pour l’éternité, dans l’odeur sucrée et un peu amère de la frangipane réchauffée. » Son histoire est une chose, et une chose terrible – qui s’achèvera dans cette « Maison d’Humanité Publique » où il la visitera, péniblement, à rebours, taraudé par un infini sentiment de culpabilité : « Du coin de l’œil, je l’observais détremper soigneusement ses petits-beurre dans le jus de pomme – mais cependant pas trop car sinon ils auraient risqué de se déliter au fond du verre – avant de les porter vivement à sa bouche qui s’ouvrait en frémissant aux commissures en les voyant s’approcher, comme douée d’une vie propre. C’était fascinant à observer. J’en avais le cœur au bord des lèvres. » Il n’y aurait sur la vie de cette femme rien d’autre à éprouver que de la compassion, parfois de la pitié. Et c’est aussi à travers ses yeux que Bertrand Runtz raconte cette histoire, avec une sensibilité très juste, très précise, sans se faire jamais le moindre cadeau. Car tout au long de cette Reine d’un jour, l’enfance n’en finit pas d’envoyer ses missiles, ses flammèches perçantes qui interdisent tout repos. Il y a du ressassement, donc, et c’est aussi dans ce ressassement que puise l’auteur, afin peut-être de pouvoir mieux vivre. C’est écrit très joliment, sans autres manières que celles que la pudeur commande ; je ne sais si notre époque tapageuse saura l’entendre. Je l’espère.

 

Bertrand Runtz, Reine d'un jour - Éditions Finitude
Article publié sur L'Anagnoste en 2011

10 mars 2019

Mado lu par Dominique Baillon-Lalande

Capture d’écran 2019-03-07 à 12

 

 

Virginie a neuf ans quand les frères de Mado, sa meilleure et seule amie, lui subtilisent par jeu ses habits et sa culotte lors d’une baignade en mer. Désemparée de se retrouver nue et inapte à se battre contre deux pour les récupérer, elle choisit de narguer les petits mâles hilares en leur tournant le dos fièrement avant de les abandonner sur place. Elle file se cacher dans les dunes avec à ses trousses les deux mini-mâles poussant joyeusement des cris de bêtes. Une course s’engage. Quand Virginie, ne les entendant plus, pense les avoir semés, elle se dirige vers son refuge secret à proximité, une cabane de pêcheur sur pilotis (un Carrelet) abandonnée, délabrée, loin de tout et dérobée aux regards. « Quand on les voit d’un peu loin, ces échassiers d’un autre monde on dirait des gros animaux montés sur de très longues pattes, minces et fragiles, vraiment c’est très beau, d’une poésie sans nom. C’est beau quand sous le gris du ciel le bois de ces sortes d’animaux semble pleurer. C’est beau quand le soleil rayonne et qu’alors ça vous donne des envies de flâner, de dormir, de vous offrir à l’azur. » Cette nature sauvage que ses pieds connaissent si bien la rassure et sa course folle sur le sable entre chardons et buissons la galvanise et la grise. « J’avais la juste intuition de ma survie ; [...] J’ai adoré sentir en moi cette part animale qui t’indique la meilleure façon d’agir, qui te fait spontanément faire le pas de côté. [...] J’ai continué à courir [...] comme courent les biches, les lapins, les chevreaux, portant mon corps vers l’avant, bondissant, regardant droit devant moi [...] aussi sûre de mon chemin que la mouette qui rentre au nid l’est de son vol. » Les garçons vite lassés par cette chasse sans enjeux ont depuis longtemps abandonné la poursuite. Une fois en sécurité dans son abri Virginie relâche un temps la tension mais l’angoisse de la tombée de la nuit prend insidieusement le relais chez la gamine fragilisée par l’épuisement, le froid et la faim. Dans un sursaut de courage elle repart, profitant de cette obscurité qui si elle l’effraye peut aussi masquer sa nudité pour regagner sa maison par la plage. C’est la joie et la tendresse d’une famille inquiète et bouleversée par sa disparition qui l’accueilleront. Quand après les effusions viendra le temps des explications, Virginie racontera le vol, sa fuite dans les dunes pour cacher sa nudité en attendant la nuit puis le froid, la faim et la peur mais de la poursuite et de son perchoir secret elle ne dira rien à personne.

 

Son amie Mado qui ne voit dans cet événement qu’une mauvaise blague et n’en retient que l’éviction des coupables du cercle familial par le renvoi effectif des demi-frères chez leur mère au Danemark,  semble depuis la bouder et les vacances aidant une distance s’installe entre les deux gamines durant plusieurs années. Virginie en deviendra de plus en plus solitaire et la belle Mado de plus en plus excentrique et courtisée. C’est en fin de quatrième qu’elles se retrouvent. Entre Mado sûre d’elle, excessive, marginale et souveraine et Virginie, réservée mais de plus en plus fascinée par l’audace de cette autre si différente, la complicité renaît alors doublée d’un étrange manège de séduction, de provocation, de légèreté et d’ambiguïté. S’ensuivra, de leurs quatorze à leurs quinze ans, à l’âge des découvertes et en toute liberté, une année d’amour fou, de sensualité débridée, de promesses, de bonheur intense où la jalousie et la souffrance parfois prennent place.

 

Quinze ans plus tard, Virginie revient au bord de l’océan, sur les traces de ce passé dont elle n’est jamais parvenue à se déprendre, avec dans sa main celle d’une petite fille de dix ans qui lui ressemble. Éblouie par sa première rencontre avec la mer, la petite pleine d’amour pour la vie et sa mère, prête au bonheur, ferme la boucle pour ouvrir la porte à l’avenir.

 

Ce roman sur les amours adolescentes a plusieurs facettes. Il se fait bien évidemment récit d’une initiation sentimentale et d’un apprentissage sexuel sans craindre d’évoquer la jouissance et l’homosexualité des deux jeunes filles. L’art de l’auteur est de parvenir à  restituer ici l’intensité des ébats sans voyeurisme mais sans fards, avec simplement naturel et justesse,  entre prise de pouvoir de l’une et soumission de l’autre, dans une histoire brute comme un diamant, faite de plénitude des sens mais aussi de doutes, de fureur et de dangers.


C’est aussi toute la profondeur et la complexité des sentiments qui se livrent dans ce presque journal intime tenu par Virginie. Et cette passion qui sur son passage dévaste tout chez les deux héroïnes aspirant totalement leur existence n’offre de même au lecteur aucune échappatoire : de ce qui se passe à l’extérieur de cette bulle amoureuse, de ce qui, hors leur goût commun pour la solitude, constitue individuellement l’une et l’autre des jeunes filles, il ne saura que peu de choses. Mado la fantasque à la famille large d’idées et bienveillante conservera jusqu’au bout sa part de mystère quant à la narratrice, petite souris discrète dans une famille plus traditionnelle mais aimante soudain éblouie et soumise à celle qui la fascine, rien ne la définit vraiment en dehors de ce tsunami amoureux.  

 

L’omniprésence des dunes désertes et de la mer qui entourent le Carrelet, écrin de ces émois, en renforce l’apparence de liberté, y ajoute un côté magique et absolu hors du temps et du monde. Mais plus encore, à travers de superbes descriptions, Marc Villemain fait de cette nature alors encore préservée des touristes, de sa beauté, de sa lumière et sa sauvagerie, le troisième personnage de son histoire. 

 

Une autre force constitutive de ce roman est l’importance des corps. Évidente dans  la découverte de la sensualité et l’initiation à la sexualité dans la passion, elle se profile déjà dans l’épisode de la blague des garçons prépubères. C’est lui qui fera prendre conscience à Virginie de son enveloppe corporelle. Par la découverte de ce corps de femme pour la première fois perçu par son exposition comme facteur de gêne voire de fragilité ou en danger potentiel, par les caresses ou les agressions du vent, du sable, des herbes ou des chardons sur sa peau qui l’émeuvent, à travers cette respiration que sa longue course l’oblige à maîtriser pour parvenir à son but, cette scène enfantine, loin d’être envisagée sous l’angle de la cruauté des enfants, d’un éventuel traumatisme ou d’une violence symbolique, se transforme en rite de passage de l’enfance à l’adolescence. 

 

Prendre pour héroïnes deux jeunes filles de quatorze ans pour évoquer l’éveil sexuel et l’homosexualité à l’heure où la morale collective, confrontée à un puritanisme religieux venu des États-Unis ou de l’islam, semble prendre ses distances avec la libération sexuelle des années soixante-dix est un pari audacieux, glissant et presque provocateur. C’est là qu’intervient l’excellence de Marc Villemain à dire l’adolescence, ses désirs, ses plaisirs ou ses frustrations à ce moment où l’enfance s’efface pour laisser place à l’âge adulte, sans faux-fuyant ni jugement mais sans jamais basculer dans l’indécence ou le trouble malsain, dans un élan naturel de vie et d’amour.  Porté par une écriture musicale pleine de finesse ce roman dense, habité, tour à tour sombre ou lumineux, est une plongée dans l’intimité de l’adolescence au féminin,  dont le respect, la délicatesse, la sensibilité sont la marque.
Un petit bijou à lire et faire lire à partir de 15 ans.

 

Lire l'article sur Encres vagabondes

 

1 mars 2019

Mado lu par Pierre-Vincent Guitard

 

 

Ils virent qu’ils étaient nus - Genèse. Mais marc Villemain préfère écrire « elles » et, ce faisant, nous placer d’emblée au cœur de la nostalgie. Roman nostalgique ou roman sur la nostalgie, on hésite tant celle-ci est prenante. Jusqu’à son ultime résolution, la mort. Et pas n’importe laquelle, Mado disparaît dans l’eau noire. Inconsolable mélancolie est-il écrit. 

 

Cela pourrait être le roman de l’enfance perdue : Mon enfance est morte, ils l’ont tuée. - dit Virginie - mais ce sentiment-là nous parle bien plus qu’il a parlé aux générations précédentes quand venait l’âge de se retourner sur sa jeunesse. Et ce romantisme revisité trouve ici, par catharsis, les moyens de se dépasser, de transmettre un héritage renouvelé à l’enfant du viol, Émilie. Il faut peut-être mettre en parallèle, l’histoire de la France et ce roman, puisqu’après tout il s’agit de littérature française, et donc d’identité française. Mado a perdu son honneur et doit aller au bout de sa mélancolie, permettre aux générations futures de trouver le chemin de la reconstruction. Nous n’en sommes plus là diront certains, la reconstruction a eu lieu, la France n’a plus besoin de revenir sur le passé du siècle dernier. En sont-ils si sûr ? Le temps de la littérature comme celui de la société est un temps long, les cicatrices se referment lentement. 

 

Virginie ne parvient pas à faire le deuil de son amour homosexuel, à imaginer que Mado puisse vivre autre chose. Par deux fois elle nie l’évidence, malgré les apparences Mado ne peut aimer Julien pas plus que Florian, Virginie ouvrira donc son histoire à sa fille : Je voulais tout montrer à Emilie. […] Elle a contemplé l’océan et j’ai vu dans ses yeux une envie de vivre, une envie de joie. 

 

Roman de l’enfance perdue, de l’innocence en allée, sans doute, mais surtout, mais aussi, roman où la vierge Virginie se délivre de la pécheresse Mado, avec elle retourne à la mer et l’y abandonne alors j’ai fait un pas en avant vers elle pour l’embrasser mais sa main s’est arrêtée sur ma joue en tremblant, elle a dit pardonne-moi je t’aime et a disparu dans l’eau noire. 

 

Ainsi le romancier nous libère-t-il de nos démons, il nous prend au piège du romantisme pour nous inviter à nous en défaire et ce qui semblait être une bluette à la mode contemporaine, un petit roman d’amour lesbien, est tout au contraire une initiation à la vie. Virginie ne sera jamais celle qui épousera un homme gentil, celle qui s’installera dans une petite maison au bord de la mer, elle a déconné et enfanté une pauvre gamine, un rayon de soleil en plein désert. Que l’on songe au sens premier de déconner que je traduirais élégamment par "se sortir de là" et c’est bien ce à quoi nous sommes conviés. 

 

Je ne dis rien du style, ni de la composition minutieuse du roman, d’autres le disent mieux que moi et le lecteur saura apprécier, je dis seulement que sous des apparences romantiques se cache un roman infiniment plus subtil qu’il ne veut bien le dire.

 

Pierre-Vincent Guitard

Lire l'article sur Exigence Littérature