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Marc Villemain
6 octobre 2019

Mado lu par Anaïs Lefaucheux

 

 

L'autre qu'on (mado)rait

 

J'aime les histoires d'amitié toxique, d'emprise fascinée, passionnelle, borderline, je me suis régalée à lire Antéchrista d'Amélie Nothomb, Respire d'Anne-Sophie Brasme ou encore, plus récemment, Ça raconte Sarah de Pauline Delabroy-Allard ou Sous le soleil de mes cheveux blonds d'Agathe Ruga : les femmes sont douées pour parler des liens mi-nourriciers, mi-empoisonnés avec le même sexe, ces relations-miroir, ambiguës, extrêmes parfois.

 

Cette fois-ci, c'est un homme (Marc Villemain) qui se met dans la peau d'une narratrice (et avec quelle finesse, quelle lucidité), en l'occurrence Virginie, et qui nous raconte son histoire d'amour avec la Mado du titre. Marc Villemain possède, et on le comprend dès les premières pages, une connaissance intime, subtile, abyssale des méandres de l'adolescence, ses tâtonnements sensuels, son besoin de liberté, ses obsessions et ses phobies. 

 

Le lecteur rencontre la narratrice in medias res dans une scène inaugurale marquante : alors âgée d'une dizaine d'années, Virginie se voit confisquer tous ses vêtements par les frères de Mado, dans le cadre d'une baignade. On comprend vite qu'il n'est pas trop question de comédie ou d'humour : l'enfant dénudée se retrouve à errer en pleine soirée pour espérer retourner chez elle sans se faire remarquer. Bien des années après, ce souvenir mutera en traumatisme, plaie irrémédiable, et les auteurs de ce méfait deviendront ses bêtes noires. L'auteur dit très bien la honte de la victime, la peur, le sentiment de vulnérabilité de la nudité, la nuit qui gagne, les cachettes qu'il faut trouver... J'ai trouvé ce passage très bien vu et anxiogène à souhait.

 

Le récit s'attache ensuite à nous narrer les amours adolescentes, idylliques, de Virginie et Mado, cette lune de miel qui ne durera pourtant guère. La construction fait alterner les époques (marquées par le passage à l'italique) et le lecteur comprend bien vite que Virginie adulte est une femme malheureuse, mère célibataire d'une enfant qu'elle ne parvient pas à aimer comme elle le voudrait, femme déchirée, éternellement marquée au fer rouge par cette passion saphique au dénouement tragique (que je ne divulgâcherai pas). 

 

Marc Villemain excelle dans la peinture sensuelle, dans cet éveil conjoint des deux adolescentes au plaisir et à la jouissance, dans ces extases à la fois amoureuses et sexuelles, à l'abri de la cabane de Virginie (le carrelet). Mais l'adolescence est aussi la période de toutes les hésitations et Virginie en fera les frais, elle qui ne rêve que d'absolu vécu à deux avec celle dont elle dira qu'elle fut son seul amour. La rousse Mado exerce un charme vénéneux sur les hommes et certains qui traversent cette histoire vont avoir une importance capitale et agir comme des éléments perturbateurs (Julien, Florian). 

 

Marc Villemain sonde les rouages de la passion, cette folie pas douce du tout, la jalousie aussi et son cortège de stratagèmes vengeurs, ses délires, sa violence, ces cheveux arrachés dans les larmes, ces revanches à prendre sur cet autre qu'on adore, à qui on voue sa vie mais qui nous trahit. Roman d'apprentissage, d'initiation, Mado dit aussi fort bien la chute des idéaux, les yeux douloureusement dessillés qui ouvrent sur l'âge adulte. Très bien exprimée aussi cette idée que l'adolescence est la période du repli, du refuge quasi-foetal (la cabane, s'y enfouir), du retour à un certain état de nature, sauvage, instinctif. 

 

Il faut aussi souligner le style employé par Marc Villemain (que je découvre avec ce roman), ses réflexions si bien senties sur l'enfance, l'amour, ses nombreuses fulgurances lyriques, romantiques à souhait, ses belles descriptions de coucher de soleil qui disent si bien la coloration rêveuse de l'âme adolescente . 

 

Le mystérieux mais ô combien dramatique dénouement achève de donner à ces 145 pages une résonance mélancolique d'une grande intensité qui nous prouve, si besoin en était, dans quel état peut nous laisser une grande histoire d'amour et quelles empreintes peut laisser l'emprise.

 

Anaïs Lefaucheux
Lire l'article directement sur le site Sens critique.