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Marc Villemain

12 octobre 2011

Les sorties du Sonneur

Deux livres rejoignent ce mois-ci La Petite Collection du Sonneur : En quête du rien, de William Wilkie Collins, et Les éperons, de Tod Robbins.

William Wilkie Collins - En quête du rienDe Wilkie Collins, grand ami de Dickens, on dit qu'il fut un des plus grands précurseurs de la littérature policière. On a oublié, d'ailleurs, combien était grande sa popularité, combien les lecteurs se précipitaient sur les feuilletons qu'il publiait en revues ou en magazines, sans parler des quelques polémiques que suscitaient des textes toujours plus ou moins sarcastiques et un genre de vie souvent qualifié d'immoral - il mettait une telle ardeur à consommer l'opium qu'il disait n'avoir presque aucun souvenir d'avoir écrit l'un de ses romans à succès, La Pierre de lune.

En quête du rien n'est probablement pas ce qu'il commit de plus éblouissant. Ce petit texte n'en est pas moins sémillant et caustique à souhait : il faut imaginer ce que l'on put dire, en 1857, de ce personnage à qui le médecin ordonne le calme et un absolu repos (jusqu'à l'interdiction de penser), dans une société bourgeoise aux aspirations très industrieuses. Sans nullement constituer un chef-d'oeuvre, tant le propos manque tout de même un peu d'étoffe, l'on ne peut s'empêcher de sourire aux remarques de cet esprit que rien ne semble plus amuser que de prendre ses contemporains à rebrousse-poil, et pour lequel, on s'en doute, il ne sera guère aisé de trouver le calme escompté : "En ce monde de vacarme et de confusion, je ne sais où nous pourrons trouver le bienheureux silence ; mais ce dont je suis sûr à présent, c'est qu'un village isolé est sans doute le dernier endroit où le chercher. Lecteurs, vous que vos pas guident vers ce but qui a nom tranquillité, évitez, je vous en conjure, la campagne anglaise." A lire, donc, avec un peu de malice, et en songeant à nos moeurs les plus contemporaines.

Tod Robbins - Les éperonsLe destin des Eperons (publié pour la première fois en 1923 sous le titre Spurs) sera tout autre, puisque Tod Browning s'en inspira largement pour réaliser Freaks (La Monstrueuse Parade), en 1932, film devenu culte dans les années soixante après avoir déclenché bien des batailles rangées et connu trente années de censure en Angleterre. Pour Tod Browning d'ailleurs, qui de la gloire ne connaîtra que son scandale, le film marquera à la fois l'apogée de la carrière cinématographique et le début d'un inexorable crépuscule.

De fait, on n'en mesure que mieux encore la folle modernité de cette nouvelle de Tod Robbins, condensé du meilleur esprit de la farce, dont elle a tous les groteques attraits, de la fable, car elle n'en est pas moins édifiante à sa manière, et de la satire, tant c'est aussi de l'époque que Robbins se moque. Peut-être pourrait-on dire qu'il use des personnages de foire comme La Fontaine usait des animaux : non tant pour se moquer des hommes que pour en déplorer la suffisance et la bêtise. J'ai toujours pensé qu'il y avait aussi une part de mélancolie, voire de colère, dans ce registre qui conduit le lecteur à louvoyer entre hilarité, stupéfaction, cynisme gourmand et voyeurisme grand-guignolesque. Dans le genre, Les éperons nous donnent une petite leçon de maîtrise et de composition : c'est vif, roboratif, implacable, et d'une concision narrative dont le goût du détail ne pâtit jamais.

La préface des Eperons est de Xavier Legrand-Ferronière. Les deux textes sont traduits par Anne-Sylvie Homassel.

 Travaillant comme éditeur aux éditions du Sonneur, mes recensions d'ouvrages émanant de cette maison ne seront publiées que sur ce seul blog personnel.

11 octobre 2011

THEATRE : L'avare - Molière - Comédie française


L'avare 3Q
ue les souvenirs de collégien ne dissuadent personne de replonger dans cette pièce qui n'en finit pas de réjouir depuis sa création en 1668. On y vérifiera alors combien la langue peut y être populaire et châtiée, pudique et dévergondée, vive et complexe. Combien aussi, en dépit de ce que l'on croit en savoir, tant L'avare appartient depuis longtemps au patrimoine commun, elle autorise d'interprétations, même si message et personnages ne laissent guère de place à l'ambiguïté. Qu'à leur tour viennent s'y confronter la grande Catherine Hiegel et le non moins prestigieux Denys Podalydès, voilà bien le signe réjouissant, outre que c'est naturellement pour eux un défi que de se colleter avec le ressassé, que Molière n'en finit pas de nous parler.

Le pari de Catherine Hiegel, pari réussi, était pourtant sans doute plus délicat qu'il n'y paraît. Car, à ce niveau de théâtre, j'ai dans l'idée qu'il faut savoir faire face à certaines tentations irrépressibles. Celle, tout d'abord, de vouloir à tout prix se distinguer : cette pièce a fait l'objet de tant d'interprétations, et pour d'aucunes immensément prestigieuses, que le risque était grand d'aller quérir l'originalité à tout prix, et ce faisant de chercher à rétrécir un peu le champ des comparaisons. Celle enfin qui consisterait, dans un souci bien compris de mise au goût du jour, à en gommer les aspects les plus anciens, à en ôter la patine. Que Catherine Hiegel ait contourné avec aisance ces deux profonds écueils n'est pas pour nous surprendre : cela ne l'en rend pas moins louable. Aussi est-ce une troupe relativement jeune qui se produit sur la scène du Français, dans un décor mêlé de simple et de somptueux, d'épure et de majestueux. A l'instar des costumes, attendus mais très justes, dégageant ce qu'il faut de dignité bourgeoise et de vantardes fanfreluches - la palme de la tartufferie revenant bien sûr au seigneur Anselme, incarné par le toujours excellent Serge Bagdassarian, Harpagon étant accoutré de manière plus austère qu'un corbeau, autrement dit vêtu avec la frugalité que requiert son éthique...

Ni excès d'originalité, donc, ni révérence outrée au passé, pour cette adaptation à vocation populaire. Bien sûr, les comédiens, spécialement les plus jeunes, peuvent avoir une infime tendance à cultiver une certaine différence, chose qui d'ailleurs ne s'observe que dans les détails : une certaine gouaille un peu relâchée, une attitude corporelle, une manière de regard. Toutefois, seule l'impressionnante Dominique Constanza, qui incarne Frosine (l'entremetteuse), appuie plus sciemment sur la touche moderne : c'est à la fois terriblement efficace et un tout petit peu anachronique, et j'avoue avoir L'avare 2parfois hésité entre l'admiration pour sa présence, très forte et très souveraine, et un léger doute quant à manière assez actuelle de lancer ses reparties très goguenardes. Il n'en demeure pas moins qu'elle sait prendre dans cette représentation un rôle tout à fait essentiel, et qu'elle n'est pas pour rien dans l'énergie interne de certaines scènes disons plus rentrées.

Reste, bien sûr, Harpagon, car c'est tout de même sur ses épaules que repose l'édifice. Et on a beau s'appeler Denis Podalydès, ou, même, parce qu'on s'appelle Denis Podalydès, le risque n'était pas mince d'échouer au double devoir théâtral de conserver à Harpagon ses traits distinctifs et de l'incarner d'une manière suffisamment singulière pour n'être pas vaine. A cette aune, il faut bien reconnaître que le comédien excelle, faisant montre du même talent dans la facétie que dans le drame - fût-il feint -, de la même ardeur dans la pitrerie individuelle que dans le jeu collectif. Et s'il faut une belle énergie pour tenir un tel rôle, ce serait très insuffisant si elle ne se doublait d'une volupté à jouer la langue, d'un plaisir potache à la faire sonner, à en exhausser les silences, à en extraire ce qu'elle contient de résonances, de sonorités alambiquées et de sens cachés. Car la drôlerie ne résume pas Harpagon, être absolument abject s'il en est : il y a aussi, il doit y avoir aussi, dans son abjection, une once, non d'humanité, mais d'incertitude, de jeu, peut-être l'ombre d'un certain mystère irrésolu. Naturellement, pour les besoins de la cause et du personnage, la question ne doit pas se poser de sa moralité ; il faut toutefois que la figure du comédien n'anéantisse pas ce qui fait de lui un personnage que l'on pourrait aussi vouloir comprendre. Or Podalydès a suffisamment de ressort et de cartes dans son jeu pour, à des moments très choisis, laisser entrevoir une peine, un malaise, une ambivalence. Un beau moment de théâtre, donc, et, j'ai plaisir à le consigner, un baptême du feu théâtral réussi pour mon fils, qui, à l'instar d'autres enfants que je voyais dans la salle, rit franchement à ce texte dont la langue nous est pourtant, avec le temps, devenue assez lointaine. Preuve ultime, s'il en fallait encore, du caractère atemporel et universel de cette pièce - et des petits travers humains dont elle se fait l'écho réjoui...

L'avare, comédie en cinq actes de Molière. Mise en scène : Catherine Hiegel.
Visiter le site de la Comédie française.

 

29 septembre 2011

Souvenir du banquet littéraire de Lieuran-Cabrières

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Samedi 17 septembre dernier, se ltenait à Lieuran-Cabrières (Hérault) le premier banquet littéraire de la commune. Conséquemment, il y fut question de bon manger et de bien lire - nobles questions déjà abordées la veille avec l'association piscénoise (de Pézenas, merci de suivre) "Aux livres, citoyens !"
Voici donc, témoignage de ma gratitude, ce que je peux en dire aujourd'hui.

*

L’on peut bien, exceptionnellement, faire un peu mentir le grand Montaigne et sa maxime d’intransigeant humanisme : « Ne fault pas tant regarder ce qu’on mange qu’avecques qui on mange. » C’est que, par la force des choses, notre homme n’eut pas IMG_0098le loisir d’être convié au premier banquet littéraire de Lieuran-Cabrières : j’eus, moi, quoique n’ayant ni l’aura ni le génie de ce gourmet de philosophe, le privilège d’en être l’hôte, et d’honneur avec ça ! Pour ce qui est de « ce qu’on mange », la chose prête davantage à sieste homérique qu’à oisive discussion : terrine de vairadèls, pathérèse et tourte aux épluchures de patates m’auront laissé un peu d’ardeur (et de panse) pour attaquer, et féroce avec ça, la chichoumeye de grand-mère, la sombre gardianne aux olives noires, la sauce de l’homme pauvre ou l’ineffable croustade de Clermont, fines gueules et autres picoreurs de bon goût ne ratant pas une miette des goloubtsys, chous farcis, oui, et à la russe, mais savamment concoctés par nos lettrés lieuranais.

Car on aime ici autant les mots que les mets, on se sustente d’autant d’esprit sain que de bonne chère, et c’est dans les livres IMG_0078de la littérature du monde que l’on s’en va puiser les recettes du jour. Car où Montaigne, après tout, ne pouvait avoir complètement tort, c’est qu’on ne saurait civilement apprécier la succulence dans la mauvaise compagnie de gnafrons sans esprit : comme il eût pu le dire : bombance sans conscience n’est que ruine de l’âme. Dame ! c’est que d’âme on ne manque point, à Lieuran-Cabrières, et s’il est vrai qu’au dessert on dévore les livres, fussent-ils de très proustienne mousse au chocolat, ce n’est pas tant la chair que l’on vient honorer que son esprit. Foin de brutales ripailles, donc : il faut être un peu artiste, sans doute, pour aux belles lettres prêter un tel estomac. Les vertus du Petit vin blanc et les gouleyances de L’âme des poètes méritaient bien que l’on chaloupât entre deux lectures et que l’on cédât aux chants de sirènes (où l’on retrouve Homère) d’une scie qui ne fut pas moins spiritueuse que musicale. Je maudis mon prochain – je veux dire : j’envie mon successeur. Qui enfin, à son tour, saura ce que manger veut dire.

20 septembre 2011

Le Magazine des Livres, n° 32

Le Magazine des Livres, 32


L
e Magazine des Livres
, qui n'en finit pas de peaufiner et d'améliorer sa formule, vient de paraître.

J'y recense deux romans que l'on attendait beaucoup lors de cette rentrée littéraire : celui de David Vann, Désolations, paru chez Gallmeister, et celui d'Antoni Casas Ros, Chroniques de la dernière révolution, chez Gallimard.

Le numéro étant comme toujours très riche, il ne s'agit pas de s'intéresser à tout. Je recommanderai de prêter attention aux entretiens réalisés avec Stéphane Audeguy, Eric Bonnargent, Antoni Casas Ros et Georges Flipo. La carte blanche de Pierre Jourde attisera vraisemblablement quelques commentaires. Mention spéciale enfin aux articles de Jean-François Foulon sur Dostoïevski et de Frédéric Saenen sur Fritz Zorn.

 

 

 

5 septembre 2011

Une critique de Murielle-Lucie Clément (Aventure littéraire)


Murielle Lucie Clément vient de publier, dans le magazine Aventure littéraire, une belle et élogieuse critique du Pourceau, le Diable et la Putain.

Quatre-vingt-quinze pages de ronchonnements, de pitreries et de réflexions. Le Pourceau, le Diable et la Putain de Marc Villemain conduit son lecteur dans les méandres du cerveau d’un homme qui, à l’inverse de son auteur, n’a rien, mais alors rien d’un humaniste. Rien donc d’autobiographique dans cet opuscule, cette grande nouvelle à la Prospère Mérimée en plus acharné mais tout autant intemporelle. Cela dit, Marc Villemain, c’est tout de même la recherche de l’excellence que le lecteur averti peut distinguer à chaque phrase pour peu qu’il se mette à l’écoute du texte.

Il y a les pavés de neuf cent pages et plus et il y a les grands livres dont le poids ne se compte pas en pages, mais en contenu. Le livre de Villemain est de ceux-là. Oui, on imagine très bien quel opéra Bizet aurait pu faire de ce Pourceau, de ce Diable et de cette Putain. Oui, mieux peut-être, ce qu’en aurait fait un Alban Berg car en lisant le phrasé souple, musical, de Villemain on se laisse porter par une mélodie subtile tout en profondeur et, paradoxalement, tout en légèreté intense. Il est vrai que Villemain nous avait déjà habitué à cette écriture de haute voltige avec son superbe roman Et je dirai au monde toute la haine qu’il m’inspire, paru chez Maren Sell et ses nouvelles réunies dans Et que morts s’ensuivent au Seuil.

Léandre d’Arleboist, un vieillard misanthrope, auteur d’un ouvrage, Le Misanthropisme est un humanisme, mène son dernier combat dans un hospice, un mouroir, face à Géraldine Bouvier, l’infirmière et la putain du titre et son fils, le Pourceau. Léandre est octogénaire, grabataire et, plus que tout, acariâtre et vitupérant, fielleux contre la terre entière. Mais Léandre est lucide peut-être avant tout :

     Mais me voici parvenu à cet âge où l’amertume vaporise le souvenir de ces fleurettes, à la façon des cheveux blancs qui colonisent mon crâne. Ce n’est d’ailleurs pas un âge spécialement ingrat (on s’y prépare) mais, pour un homme de mon espèce, façonné dans l’auréole glapissante de la gente féminine, il s’agit de transmuer l’adoration quotidienne de la chair en une application chaque jour renouvelée à la jubilation des choses de l’esprit. Entreprise d’autant plus laborieuse que si un travail méthodique permet d’occulter ce que l’existence a pu receler d’un peu déplaisant, la mémoire sensorielle semble devoir rejaillir, plus vive et plus aimable, à mesure que la perspective des lombrics se fait plus écumeuse.

Dans Le Pourceau, le Diable et la Putain, Villemain transmet un monde par l’écrit, un monde à nul autre pareil, subjectif, certes, mais ô combien réel dans sa fictivité étincelante d’une vérité romanesque au mentir vrai.

 

30 août 2011

Archives : Soir 3, 29/10/09 - "Les nègres des politiques"

A titre d'archive : Soir 3 - "Les nègres en politique" - Reportage de Sandrine Rigaud - Diffusion : 29 octobre 2009


Soir 3 - 29 octobre 2009

 

24 août 2011

Une critique de Shangols

shangols


Le Pourceau, le Diable et la Putain
n’a peut-être pas la qualité de ses modèles (le spectre des misanthropes éloquents, qui va de Bogousslavski à Calaferte, et de Martinet à Léautaud, disons) ; mais il a suffisamment de talent pour en être l’outsider glorieux, c’est déjà pas si mal. Marc Villemain s’aventure donc sur les chemins de la colère pamphlétaire anti-genre humain, en signant l’amusant portrait d’un vieil homme en train de mourir. Pas mécontent de mourir d’ailleurs, puisqu’il trouve l’essentiel de la gente humaine absurde, méchant, dérisoire, crétin et méprisable. Il n’en exclut que sa salope d’infirmière, presque aussi haineuse que lui, et donc attachante, d’autant qu’elle est dotée d’attributs tout féminins qui réveillent un peu la libido assagie du narrateur. Tous les autres, son fils y compris, il les montre en pauvres idiots méprisables, retraçant sa vie faite de misanthropie aiguë à grands coups de sentences assassines.

CouvPourceauVillemain a une écriture brillante, le sens de la formule, le chic pour trouver le mot le plus grinçant possible pour fustiger les médiocres qui l’entourent. Nul doute que le bougre est virtuose, jonglant avec des phrases (parfois inutilement) complexes, adepte d’une écriture classique, classieuse, précise et musicale. Une fois accepté le système (écrire compliqué quand on pourrait faire simple, juste parce que c’est plus joli), on se marre bien devant ces phrases ciselées qui retombent sur leurs pieds avec maestria après être passées par mille circonvolutions risquées. On peut se fatiguer à la longue, par ce petit côté premier de la classe, qui regarde les autres de façon supérieure, qui écrit mieux que les autres et vous le prouve en sortant tout son cirque. On peut aussi regretter les auteurs cités plus haut en ce sens qu’eux au moins ont l’âge et l’attitude intellectuelle de leurs personnages haineux (Septentrion de Calaferte ou La Morue de Brixton de Bogousslavski sont le résultat d’une expérience longue de la vie, qui a abouti au rejet de la société ; Le Pourceau est le livre d’un jeune homme dont on doute un peu, du coup, de la sincérité). Mais ma foi, on aurait tort de bouder son plaisir devant la réelle méchanceté jubilatoire de ce roman, qu’on lit souvent avec des ricanements entendus. Bienvenue au club, Marc.

Lire la critique dans son contexte original : Shangols

 

5 août 2011

Jean-Marie Dallet - Au plus loin du tropique

Jean-Marie Dallet - Au plus loin du tropique


E
n refermant Au plus loin du tropique, je me suis demandé comment j'avais pu passer aussi longtemps à côté de Jean-Marie Dallet, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'en est pourtant pas à son coup d'essai, puisque son premier livre, Les Antipodes (préfacé par Marguerite Duras) parut en 1968. Un peu honteux, donc, de n'avoir été plus alerte, il est grand temps de me racheter une conduite et de faire preuve d'un peu d'éloquence dans mon enthousiasme.

Ce petit chef-d'oeuvre de style et d'esprit met en scène cinq personnages, tous bannis du monde ou condamnés par lui à tel ou tel titre criminel. Assignés à résidence au paradis, signification en maori du mot Parataito, du nom de cet atoll où ils expient, ceux-là tâchent d'y édifier un monde pas trop invivable, guettant sans trop y croire la goélette pénitentiaire qui leur fera grâce des quelques restes de l'opulence continentale. Il y a là Ma Pouta, qui du temps de sa splendeur tenait à Papeete un bordel digne de ce nom où, dans les bras d'une de ses filles, le gouverneur hélas trépassa ; il y a Trinité, pauvre matelot métis, unijambiste et enfant de choeur à ses heures ; Pétino, chantre lyrique de Pétain depuis que celui-ci le décora pour avoir reçu en 1915 "un éclat dans la fesse droite" ; Corentin le curé, "condamné à souffrir pour toujours sur cet enfer posé sur les flots" parce qu'il fit en son temps couler le sang de la servante qu'il avait engrossée ;  enfin Ah You, le marchand chinois, celui sur qui les mioches jetaient des pierres, "voilà le Chinois qui pue, voilà Ah You le marchand de caca", parce qu'il conduisait la "carriole tirée par la mule pour gagner à l'aube la caserne où je recueillais merde fraîche, eaux usées à livrer aux cultivateurs, aux éleveurs de cochons." Ce sont des relégués, de pauvres bougres pleins de cicatrices et d'épais souvenirs, vaccinés de l'espérance et autres ressasseurs sans destin ; leur paradis est la poubelle du monde, faubourg tout indiqué pour y parquer la part faible et sans rémission de l'humanité. Maintenant, pourtant, ils y ont leurs habitudes, leurs rituels, ils y vivent en famille : ils y ont recréé le sentiment d'une communauté. Jusqu'à ce que le cyclone vienne faire échouer un marin sur leur rive - "Alors là de mémoire de frégate on n'a jamais vu ça, et les six oiseaux plongent en piqué vers l'île bouleversée par le cyclone d'où montent des vapeurs brûlantes, elles poussent des cris rauques, glissent en rase-mottes au-dessus de ce curieux équipage : qu'est-ce que c'est ? Comment peut-on se démener ainsi par cette chaleur mortelle ? Ah les vilains bonshommes, il vaut mieux reprendre de l'altitude (...)".

A chacun d'eux Jean-Marie Dallet donne non seulement une voix, mais un timbre, une corpulence, un sang, une singularité ; il nous oblige à les entendre, à entrer dans leur parler tortueux, drolatique et blasé, formidablement vivant pourtant, plein d'estomac, de chair lubrique et de généreuse colère. La clé de tout cela, c'est bien sûr la langue de Dallet, imprévisible, charnue, cabriolant entre syntaxe audacieuse et lexique baroque, une langue légère finalement, libre, aussi aérienne que sa texture est terrienne et férocement arc-boutée à d'antiques oralités. Chant lyrique, élégie des bas-fonds du monde autant qu'ode au tréfonds humain, critique sociale autant que tableau de moeurs, Au plus loin du tropique est ce qu'il convient d'appeler un petit bijou. Il était temps d'en parler.

25 juillet 2011

Comte Eric Stenbock - Etudes sur la mort

Eric Stenbock - Etudes sur la mort


Les éditions du Visage Vert ont donc ce talent de ressusciter les morts. Ce qui est bel et bien la position dans laquelle se trouve le Comte Eric Stenbock, trepassé en 1865 à l'âge de trente-cinq après avoir fait une mauvaise chute sur la tête, et qui de son vivant n'aura laissé d'autre souvenir que celui d'un jeune homme très fortuné et aussi copieusement excentrique. Il meurt d'ailleurs très opportunément, si l'on peut dire, et comme nous l'apprend Olivier Naudin dans sa préface, le jour où s'ouvre à Londres le procès d'Oscar Wilde - on dit qu'ils se rencontrèrent. La traduction, pour la première fois en France, de ses contes romantiques, originellement publiés à Londres en 1894, est sans doute un petit événement pour tous les curieux de cette école décadente à laquelle on peut rattacher Eric Stenbock, autour duquel quelques légendes commencent donc à prendre corps.

Son écriture, sans tonitruance aucune, va pourtant à rebours de la profusion luxuriante à laquelle nous ont plutôt habitués les littératures dites gothiques. Stenbock est un esthète dont le style un peu las charrie une sorte de grâce imberbe, une douceur sourde, anxieuse, sophistiquée. Témoignant d'une sensualité naïve, mais toujours étrange et mélancolique, l'onirisme où, par petites touches, il conduit ses récits, laisse le lecteur sur l'agréable impression d'avoir traversé un autre éther, un monde presque pictural où le désir et la mort sont toujours, chez ce catholique fervent, dignes d'une 66828784certaine théâtralité. Mais tout se passe dans le calme, sans ornements, le plus naturellement possible. "L'unique passion de ma vie fut la beauté", fait-il dire à ce personnage de somptueux Narcisse que les circonstances enlaidiront au point de ne plus pouvoir être l'ami que d'un jeune aveugle. La jeunesse est d'ailleurs un autre thème de ce recueil, une jeunesse le plus souvent masculine, d'une beauté toujours inconsciente, presque hellénique, avec ses "beaux adolescents soufflant dans des conques", avec Lionel, "cette fleur exotique", ou Gabriel, "d'une nature moins cruelle et plus douce que le commun." La jeunesse est angélique et rédemptrice, comme la nature où s'uniront une petite fille et un albatros, comme cette "grande chenille verte" qui promet d'être "la larve du bonheur", comme la peau humaine dont le luthier trouvera usage pour tisser les plus belles cordes d'une viole d'amour. Il y a là un tragique sans pathos, d'une beauté moins formelle que spirituelle, d'une étrangeté qui n'a pas tant pour ambition de marquer les esprits que d'exprimer une certaine quête de soi. A lire en écoutant les Nocturnes de Chopin, et si possible avant de s'endormir. 

Etudes sur la mort, Contes romantiques - Comte Eric Stenbock - Editions du Visage Vert. Traduction : Olivier Naudin ; illustrations : Florence Bongui et Marc Brunier-Mestas.

Visiter le site du Visage Vert.

 

 

22 juillet 2011

Programme de l'été

Louis Janmot - Rayons de soleil

 

 

Sait-on jamais où nous mènent les errances estivales... Pour ceux que cela intéresserait ou qui auraient un peu de temps à perdre, je serai :

- le lundi 1er août dans l'Hérault, pour une causerie dans le cadre des Vagabondages littéraires en Haut-Languedoc.
Davantage d'informations ici.

- le samedi 13 août à Dinan (Côtes d'Armor), où je dédicacerai Le Pourceau, le Diable et la Putain à la librairie Le Grenier.
Davantage d'informations ici.

- le vendredi 16 septembre à Pézenas (Hérault), invité au salon qu'organise l'association Aux Livres, Citoyens !, puis, le lendemain, samedi 17, au banquet littéraire dont la table sera dressée par la bibliothèque municipale de Lieuran-Cabrières.
Davantage d'informations ici.

Iconographie : Louis Janmot, Rayons de soleil


16 juillet 2011

Entretien avec Joseph Vebret - Le Magazine des Livres


Le Magazine des Livre, n° 31, juillet/août 2011
Entretien avec Marc Villemain - Propos recueillis par Joseph Vebret

 

"L'écriture est souveraine"

Dans son quatrième livre, Le Pourceau, le Diable et la Putain, Marc Villemain met en scène un misanthrope mourant à travers un monologue où chacun en prend pour son grade. Réjouissant. Une belle écriture, assurément.


 

Le Magazine des Livres, 31 - Juillet-août 2011

Où avez-vous puisé votre inspiration pour ce nouveau roman, Le Pourceau, le diable et la putain, l’idée, le thème, le fil conducteur ?

Dans l’agonie d’un cloporte : je ne sais donc pas si cela mérite qu’on parle d’inspiration… ! Devant moi, donc, cette bête, les pattes à moitié brisées, cloporte éclopé. C’est ici que la conscience humaine (humaniste, allez savoir) entre en jeu : mon devoir était-il d'abréger son existence en l’écrasant d’un viril coup de talon ? ou était-il plus convenable que je prolonge une vie qui, selon toute probabilité, ne serait plus que d’impotence ? J’ai décidé de laisser faire la nature. Mais, en même temps que je voyais l’animal se dépatouiller, si vous me passez ce terrible jeu de mots, je commençai à écrire ce qui se déroulait, là, sous mes yeux. Et qui, pour en revenir à mon livre, ne sera finalement que de bien faible rapport avec lui ; c’est aussi ce que j’aime, dans l’écriture : qu’elle m’entraîne, qu’elle érige elle-même les conditions de son empire, moissonne de son propre chef la terre que j’irai sillonner. Elle est souveraine, et je lui laisse le plus volontiers du monde la jouissance de ce pouvoir sur moi.

Vos deux dernières productions proposent des formats courts, des nouvelles pour Et que mort s’ensuivent, moins de 100 pages pour ce nouveau roman. Est-ce un hasard ou le choix de vous orienter dans cette direction ?

Je ne décide pas plus du format de mes livres que de leur destination ; tout au plus me donné-je une orientation générale. Je ne peux en constater, comme vous, que le relatif laconisme. Ce qui ne va pas sans m’intriguer, soit dit en passant. La seule explication qui puisse parfois s’esquisser, et qui vaut ce qu’elle vaut, me plaît bien : ayant, à l’âge de dix-huit ans, subi une opération de chirurgie qui m’a privé d’un poumon, j’aime parfois me dire que la brièveté de mes livres serait comme le pendant, la conséquence peut-être, d’un souffle court. Je suis assez séduit, et amusé, par cette correspondance, assurément hypothétique, mais plausible, entre l’esprit et le corps.

Une part d’autobiographie ?

Le personnage principal de ce roman a quatre-vingts ans, il a été professeur d’université, il est mourant et hait son fils par-dessus tout. Accordez-moi au moins cela : j’ai la moitié de son âge, je n’ai connu l’université que de très loin et sur le tard, je n’ai pas trop à me plaindre de ma santé, et je ne suis pas avare d’amour envers mon fils. Non, sérieusement, les péripéties de mon existence ne justifieraient pas à elles seules que je me hasarde en littérature. En revanche, oui, bien sûr, on trouve toujours autour de soi mille et une petites choses dont il peut-être stimulant, enivrant, parfois nécessaire, de faire juter le suc qui, peut-être, irriguera l’œuvre. Dans mon cas, c’est assez secondaire : il s’agit surtout de paysages, de figures, de diverses perceptions, mentales, rétiniennes, de faits très menus et autres circonstances sans importance. Je ne m’en sers que pour fabriquer un décor sur lequel je pourrai asseoir une sensation, une tonalité, où je pourrai dessiner les contours d’un monde nouveau où j’accepterais et aurais envie de me sentir projeté.

Dans un roman, il y a le sujet apparent, l’histoire, qui n’est parfois qu’un prétexte, et le sujet profond, subliminal : qu’avez-vous voulu dire ou faire passer ?

Rien. Je ne veux rien dire, rien faire passer. Je ne suis pas un directeur de conscience, je cohabite avec le dubitatif. Et suis bien trop intimidé par le seul fait de vivre pour me sentir seulement autorisé à dire son fait au monde. Cela dit, il n’aura échappé à personne que je suis un humain, une carne gratifiée d’un vecteur de jugement. Même lorsqu’on ne veut pas regarder le monde, ce qui m’arrive plus souvent qu’à mon tour, on ne peut jamais empêcher le monde de venir à soi. Il a pour cela mille moyens à sa disposition, des intrusions publicitaires aux innombrables modalités du commerce entre les hommes, des bribes de parole recueillies dans la rue aux fréquentations obligées, de l’incrustation de lumière sur le capot d’une voiture au reflet du soleil sur la roche. Je suis ce qu’il convient d’appeler un contemplatif – celui qui considère par la pensée : je ne dis rien : j’éponge, je recrache.

Parallèlement à votre activité d’écrivain, vous vous orientez vers l’édition de fiction. Comment jugez-vous la littérature contemporaine ?

Ce qui m’intéresse dans la littérature est ce qui, chez elle, n’est pas explicitement contemporain – fût-elle, donc, contemporaine. Si l’on entend par littérature contemporaine celle qui intègre, donc officialise, homologue, les réflexes du temps, son lexique, qui donne à son impensé l’apparence d’une substance, éventuellement d’une essence, alors celle-là, en effet, ne m’intéresse pas – ce qui n’induit pas que sa qualité en soit nécessairement mauvaise, cela va sans dire. Ce qui m’intéresse, qui me touche ou m’emporte, c’est quelque chose qui pourrait avoir trait à de l’intemporel, quelque chose dont on pourrait dire, demain, que la part éventuellement contemporaine n’affecte pas l’actualité. C’est, en fait, la possibilité de lire un de mes contemporains en me disant qu’il pourrait être, qu’il sera peut-être, ce que l’on appelait naguère un classique. Tout le sel de cette appréciation induisant que nous soyons capables d’imaginer, non seulement la culture, mais les déterminants, les obsessions, le lexique, disons l’habitus, de nos successeurs et descendants : chose évidemment impossible, mais distrayante, excitante, et peut-être pas aussi vaine qu’il y paraît. Voilà donc un peu ce j’aimerais faire, et réussir comme éditeur : non repérer les classiques de demain, je ne suis pas fou !, mais affûter mon acuité, mon audace, et donner à lire des écrivains dont je sais qu’ils ne seront peut-être pas entendus de nos contemporains, mais dont je pressens, avec la colossale marge d’erreur de rigueur, qu’ils font déjà partie de l’épopée littéraire, d’un temps presque sans borne et sans détermination.

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Et l’écriture de la nouvelle génération ? Parleriez-vous de diversité ou de normalisation ? Le style est-il encore une priorité ? Qu’en est-il de la langue ?

Comment le dire ? Sur quels critères fonder notre jugement ? Tant de livres paraissent, que je n’ai pas lus et ne lirai jamais. Alors, bien sûr, je ne voudrais pas pécher par excès de prudence ou d’attentisme, j’ai des yeux pour voir : action, émotion, tension narrative, sensiblerie ou complaisance dans l’abjection (c’est selon), alignement du champ lexical sur le tout-venant, etc… Mais cela ne vaut que pour les livres qui rencontrent le succès, autrement dit une infime poignée, et ne saurait résumer à soi seul la littérature qui se fait, et que je crois, moi, très vivante. Je ne saurais dire si, en France, elle traverse une zone de basse pression. Nous savons juste que son rayonnement est plutôt en berne, ce qui n’a rien à voir avec sa qualité. Est-ce dû, donc, à la littérature en tant que telle, ou à la crise de ce que l’on croyait il n’y a pas si longtemps encore impérissable : le génie national ? à un environnement éditorial, médiatique, financier, dont l’intérêt presque exclusif est de réaliser des bénéfices donnant à ses investissements un avant-goût de paradis fiscal ? Vous voyez qu’il m’est difficile de répondre à votre question autrement que par une intuition. Si j’en fais état avec honnêteté, alors je dirai, oui, que l’eau où baigne notre langage est plutôt, appréciez l’oxymore, terne par excès de transparence ; moite par excès de contraste ; sirupeuse, davantage que rafraîchissante. Une littérature libérée, mais pas nécessairement libre.

Nos contemporains perçoivent peut-être un peu moins qu’auparavant combien la langue charrie le monde, combien il est impossible de créer le moindre univers qui n’ait pas l’obsession du style. Ceux-là ont peut-être le tort de trop vouloir dire, exprimer, manifester, qui n’est pas, selon moi, la principale fonction de la littérature. D’autant que le monde n’a jamais façonné et possédé autant de supports et d’occasions d’exprimer la singularité et l’individualité. La littérature doit, autant que faire se peut, évacuer cette obsession de l’expression, elle n’est pas et n’a pas à être une modalité de la démocratie ; elle n’est pas ou ne peut pas être définie comme l’occasion ou l’instance d’une prise de parole. Ce qui prend la parole, en littérature, est une singularité qui doit à la fois s’exhausser et s’oublier, se sanctuariser et se diluer.

De même, comment jugez-vous la critique littéraire ? Vous avez été vivement attaqué par une journaliste vous reprochant d’utiliser « trop de mots » et trop de subjonctifs…

Y a-t-il vraiment lieu de s’en étonner ? Pourquoi la critique échapperait-elle à l’air du temps ? Vous connaissez la remarque fameuse que l’on prête à l’empereur Joseph II, lequel, à l’issue de la première représentation de L’Enlèvement au Sérail, aurait lancé à Mozart : « trop de notes ! ». Comme il a bien dû se trouver, à une autre époque, quelques critiques en vogue pour s’émouvoir d’une ponctuation célinienne à tout le moins hétérodoxe, voire d’un usage complaisant des « gros mots ». Cela étant dit, soyez bien certain que j’ai toujours trouvé à me réjouir d’une critique qui ne manquât (pardon, un subjonctif) jamais d’exigence, de rudesse pourquoi pas. Pour peu, donc, qu’elle ne s’enivrât pas d’elle-même et n’oubliât rien de sa raison d’être : donner à voir d’une œuvre ce qu’une lecture moins professionnelle ou moins avertie pourrait éventuellement ne pas y distinguer. Et quand bien même mon ego très sensible s’affecterait de quelques froideurs péremptoires, l’accueil fait à mon dernier roman suffirait à m’en consoler, Le Pourceau, le Diable et la Putain ayant suscité de plus nets éloges qu’aucun de mes précédents livres.

Bref, il y a deux sortes de critiques, pour aller vite. Ceux qui s’acharnent à servir de paratonnerre aux lubies, aux platitudes de leur temps, et ceux qui revendiquent, pour le coup, l’ultra-contemporanéité de leur opinion, dont ils ne peuvent hélas pas voir qu’elle est l’indicateur même de leur insignifiance dans le champ de la pensée et de la littérature. Vous admettrez avec moi que se revendiquer d’une instance critique pour regretter qu’un roman contienne « trop de mots » (sous-entendu : trop de mots compliqués) constitue l’occasion d’une farce dont il ne fait pas de doute qu’un Molière ou un Guitry auraient su faire leur beurre. Je m’en tiens ici à l’enseignement très simple d’un Maurice Nadeau : le critique doit s’effacer, se mettre à la place de l’auteur, ne pas renverser les rôles, vivre avec l’humilité chevillée au cœur, et, mieux que cela : éprouvant le plaisir ou la curiosité de l’autre, prendre goût à cette humilité. Être, comme Nadeau l’a écrit, un « serviteur ». Ce qui, mécaniquement, exclut de ce champ les innombrables Cassandre qui ne font, ni plus ni moins, que mettre les rieurs de leur côté. Ce qu’en d’autres lieux on appellera le populisme.

Faut-il y voir un phénomène d’époque ?

à tout le moins, disons que celle-ci ne rend pas la fonction sociale de critique très aisée. De plus en plus, il me semble qu’on attend d’eux qu’ils fassent le spectacle, qu’ils créent l’événement, l’inventent au besoin. Or, l’événement, dans une société qui n’en finit pas d’abdiquer et la lettre du sentiment démocratique, et l’esprit de la conversation, l’événement, disais-je, repose en bonne part sur la possibilité de créer, non plus de la disputatio, mais du pugilat. Michel Polac le comprit très vite, avant que Zemmour et Naulleau poussent leur talent au maximum afin de complaire à un public qui ne demande jamais mieux que de tourner le pouce vers le bas. C’est un autre sujet, car ce qui s’y joue dépasse la littérature : c’est, peut-être pas le devenir, disons au moins le cheminement que suit, poursuit, notre civilisation. Or, à trop vouloir en gratter le vernis, sous prétexte de transparence et autres authenticités, on finit par en dévoiler la part consubstantiellement et inexorablement avariée, pourrie.

Selon vous, où va la littérature ? Son salut viendra-t-il des petits éditeurs indépendants et courageux ?

Entendons-nous. Non seulement les humains éprouveront toujours la nécessité de décortiquer le sens, s’il en est un, de leur  passage sur terre, non seulement leur esprit a partie liée, dans sa plus inexpugnable intimité, avec l’art et la création, mais nous serons morts depuis des lustres lorsque verront le jour des œuvres inouïes, magnifiques, aptes à dire la petitesse autant que la souveraineté de l’homme, sa part de misère propre autant que sa gloire particulière. De cela il ne faut pas douter, non parce qu’une volonté au forceps nous obligerait à l’optimisme, lequel n’a jamais été ma sensation nourricière, mais parce que c’est le tropisme même de l’esprit humain que de passer son existence et le monde au tamis de ses rêves et de sa raison créatrice. Ne croyez pas que j’esquive votre question, tout au contraire : je veux dire que la littérature n’attend rien d’un salut, elle n’a besoin d’aucune instance salvatrice. Nous avons l’impression de vivre un temps unique, inédit, comparable à aucun autre, notre impression très spontanée nous pousse toujours à croire que c’est toujours sur notre tête à nous que le ciel tombe : mais il n’est pas une génération qui nous ait précédés qui n’ait éprouvé ou ressassé une telle idée. Le monde avance en tâtonnant, le secteur de l’édition est le reflet de ce tâtonnement. L’édition est aussi un commerce, que cela plaise ou non. On y trouve des gens plus ou moins cyniques, plus ou moins sincèrement convaincus de l’importance de ce qui se joue, et il est dans la logique des choses économiques que les marchands, gros ou petits, prennent le dessus. Certains vendent des livres, mais il ne fait pas de doute qu’ils pourraient tout aussi bien vendre autre chose. La force de ce que l’on appelle les gros éditeurs n’est plus aujourd’hui qu’une force économique – celle qui, incontestablement, domine notre monde. Celle des plus modestes réside dans l’obligation qui leur est faite de se distinguer, de rechercher l’excellence, d’emmener le lecteur sur des terrains moins balisés, moins flatteurs, de creuser toujours et inlassablement le sillon d’une littérature qui, sans chercher à s’y opposer, perturbe, contrarie, fasse violence à ce que l’on croit être le « goût du public. » C’est donc à la fois une question de survie autant que d’audace. Ce qui revient à dire que, dans les faits, oui, sans doute, le meilleur de la littérature est à attendre d’éditeurs plus modestes : mais je ne peux avancer cette assertion qu’à la condition de ne pas en faire un système, une opinion systématique.

Travaillez-vous à un nouveau roman ? Dans la même veine ?

Je travaille toujours. A un roman ou à autre chose, en tout cas à la possibilité de transmettre un monde par l’écrit, à la transposition de certains de ses pans dans l’écriture. À certains moments, j’y travaille de la façon la plus pratique qui soit – feuille, stylo, ordinateur. À d’autres, j’y travaille en laissant mon cerveau décider de prendre en note ce qui lui vient, de consigner ce que je n’attendais pas et qui pourtant se présente à lui. J’ai plusieurs textes en cours, bien sûr. Certains semblent dormir dans un tiroir, mais je sais bien, moi, qu’ils font semblant. Ils attendent que j’aille les chercher, sans doute, mais j’attends aussi d’eux qu’ils viennent me trouver. La latitude, la liberté laissée au temps m’est décisive. Le plus grand travers, le plus grand piège, c’est la précipitation. Une écriture a besoin de beaucoup de repos, de beaucoup de silence et d’épreuves nocturnes. J’écris, je laisse reposer, et ce repos peut durer une journée, un an, dix ans. Ce n’est pas en sommeil, c’est en veille. Ne pensons jamais qu’il ne se passe rien lorsque le temps s’écoule. On le croit vide, mort, mais il poursuit son incessant travail d’accumulation/épuration. Je peux toutefois répondre simplement à ceux que cela pourrait éventuellement intéresser : oui, je travaille à un nouveau roman. Il sera bref, donc, et d’une veine en effet très différente, presque opposée au précédent.

Le magazine des livres

 

13 juillet 2011

Léon Bloy - Le Désespéré

Léon Bloy


Un peu intrigué par les allusions répétées à Léon Bloy qui inspirèrent certaines appréciations de Et que morts s'ensuivent, mais bien davantage encore du Pourceau, le Diable et la Putain, je me suis plongé dans cet écrivain assez unique en son genre, et peu ou prou ennemi d'un genre humain qui le lui rendit (lui rend) assez bien. Léon Bloy, donc, dont je ne lus, naguère, que quelques textes symboliques et censément représentatifs de la verve pamphlétaire, ainsi, plus tard, que les exégèses de quelques-uns de ses admirateurs ou défenseurs, de Maurice Dantec à Juan Asensio. Le Désespéré fut, non son premier livre, mais son premier roman ; paru en 1887, il ne suscita pas davantage d'échos qu'il ne rencontra le succès mais valut à son auteur "plus d'un quart de siècle de souffrance", si l'on en croit ce qu'il écrivit à l'un de ses amis, le Frère Dacien. C'est donc avec une connaissance un peu rudimentaire que j'entre dans son oeuvre, tout juste armé de quelques notions sur le personnage et sur ce qu'il inspira ou continue d'inspirer.

Si Le Désepéré est un roman, ce que l'on pourrait discuter à loisir, alors avançons d'emblée qu'il est à tout le moins autobiographique : il ne faut pas être grand clerc pour faire observer combien le personnage de Caïn Marchenoir, "voué, par nature, à l'observation des hideurs sociales" et regardant le monde moderne comme "une Atlantide submergée dans un dépotoir", correspond à l'idée que Léon Bloy se fait de lui-même, du moins de l'effort auquel il veut contraindre son existence et de la direction qu'il veut lui imprimer. Mystique, misanthrope, révolutionnaire, anti-bourgeois, ascétique, comptenteur de son temps, ce héros-là est l'exacte image de la représentation commune que l'on se fait de Bloy. Hormis la chute, poignante et d'une grande beauté tragique, tout ici est l'écho presque direct de ce qu'il vécut : la relation entre Caïn Marchenoir et Véronique Cheminot est la transposition à peine fardée de l'amour fou qui unit Léon Bloy et Anne-Marie Roulé, prostituée qu'il convertit à sa foi apocalyptique jusqu'à ce qu'on n'ait plus d'autre possibilité que de la faire interner à Sainte-Anne, et la retraite qu'entreprend Caïn à la Grande Chartreuse évoque évidemment l'épisode de Bloy à la Grande Trappe de Soligny. Le reste, vertige de réflexions torrentielles sur la décadence de l'humanité, de l'Église et de la société des hommes, est une illustration, souvent magnifique, toujours habitée, de l'absolu dont Léon Bloy avait fait son pain quotidien.

BloyDevantCochonsIl n'est pas interdit, parfois, de soupirer d'ennui ou de lassitude, tant Bloy y épanche et assène ses très métaphysiques tourments. Il n'en demeure pas moins que c'est magnifiquement écrit ; même si bien des traits ont vieilli, même si la composition souffre de quelque tentation du bavardage et autres adiposités, la langue assez géniale de Bloy suffit à donner à sa prose un rythme, une vigueur, une incandescence et une virilité (le mot et l'idée reviennent souvent sous sa plume) absolument sans égal. Il ne s'agit pas de s'obliger à épouser une pensée, et il sera d'ailleurs difficile de suivre Bloy sur tous ses chemins sans trébucher sur quelque délire acide, jugement à l'emporte-pièce, anti-républicanisme grossier, rude saillie antisémite ("on prohibe le désinfectant et on se plaint d'avoir des punaises") ou âpreté absolutiste - fût-ce, donc, de la plus belle manière. En revanche, et pour peu que l'on s'évertue à comprendre plutôt qu'à juger, à entrer, peut-être pas dans les raisons du narrateur, au moins dans ses motifs, bref, pour peu que l'on accepte de se laisser entraîner dans un mouvement qui, quelle qu'en soit l'intention, transcende l'humeur et créé de l'art, alors il est difficile de ne pas être subjugué. Même et y compris lorsqu'on peut s'agacer de certains traits stylistiques qui, s'ils peuvent être caractéristiques, n'en sont pas moins un peu éprouvants, à commencer par cet usage à tout le moins pléthorique de l'adjectif et de l'adverbe. Car, pour le reste, l'impression est tout de même de fréquenter une sorte de génie, c'est-à-dire de singularité quasi absolue, indifférente pour ne pas dire insensible à tout ce qui ne la nourrirrait pas, et qui serait comme le vecteur unique d'un irréductible tropisme de colère et de dégoût. Ce qui n'exclut pas l'humour, dont les contours seront bien sûr sarcastiques, et pour peu qu'il jugeât cette disposition suffisamment armée pour partir en guerre. Bloy a parfois quelque chose d'un Audiard avant l'heure ; on l'observe notamment lors des scènes où il décrit, irrésistible, les arrivistes dîners mondains de la petite coterie littéraire - où l'on comprend mieux, soit dit en passant, le grand silence où la presse spécialisée cantonna son oeuvre. Ainsi, Caïn Marchenoir, convié, pour de sourdes raisons, à prendre part aux agapes de la haute société lettrée, dresse-t-il une série de portraits en tous points poilants. De tel héraut des Lettres, "écumeur de pots de chambre", il dira que "son côté lyrique est fort apprécié des clercs de notaire et des étudiants en pharmacie qui copient, en secret, ses vers, pour en faire hommage à leur blanchisseuse" ; de cet autre : "On l'a souvent comparé à un sanglier, par un impardonnable oubli de la grandeur sculpturale de ce sauvage pourchassé des Dieux. C'est une charcuterie et non pas une venaison. La bucolique dénomination de goret est déjà presque honorable pour ce locataire de l'Ignominie. Mais les bourgeois se complaisent en cette figure symbolique de toutes les bestialités dont leur âme est pleine, et qu'ils présument assez épiscopale d'illustration, pour les absoudre valablement de leur trichinose." Ou encore, parce qu'on ne s'en lasse pas : "On fait ce qu'on peut et j'aurais mauvaise grâce à contester le choix d'une arme défensive à n'importe quel chenapan dont je serais l'agresseur. Si je poursuis un putois, le glaive de feu à la main, et qu'il me combatte avec un le jus de son derrière, c'est absolument son droit et je n'ai rien à dire" ; et ailleurs, donc, le très audiardien : "Monsieur, je vous conseille de numéroter vos chicots, car je vous préviens que j'ai la calotte facile."

Reste que la grande affaire de Bloy est d'être le contempteur d'un monde, d'un siècle, d'une humanité même, dont il se sent et se veut le banni - "je souffre une violence infinie et les colères qui sortent de moi ne sont que des échos, singulièrement affaiblis, d'une Imprécation supérieure que j'ai l'étonnante disgrâce de répercuter", met-il dans la bouche de Caïn Marchenoir. L'horreur que lui inspire la déchéance du Christ dans l'Église, dont il exhausse un anticléricalisme ravageur, la honte où il tient tout ce qui peut s'apparenter à la moindre compromission avec la société de son temps, l'effroyable mélancolie où le plonge cette intuition que les humains ne trouveront jamais leur bon plaisir que dans le reniement d'un Idéal et dans la consommation de la jouissance, sans l'once d'un souci de justice sociale et spirituelle ("je suis en communion d'impatience avec tous les révoltés, tous les déçus, tous les inexaucés, tous les damnés de ce monde"), font de lui un de ces êtres inapaisables, taraudés par la douleur de vivre et la souffrance d'être. Son génie aura peut-être été de donner à cet apocalyptisme une forme de sublimité, une expression qui doit autant à son mysticisme qu'au réalisme le plus cru.

10 juillet 2011

Vagabondages littéraires : 15ème

15ème Vagabondages littéraires


S
e tiendront du dimanche 31 juillet au vendredi 5 août les XVème Vagabondages littéraires du Haut-Languedoc, dans les vallées de l'Orb, de la Mare et du Jaur (Hérault).

C'est une des plus jolies initiatives estivales et littéraires qui soient, où se mêlent rencontres avec le public, dégustations de vins et découverte de la région.

Mon intervention est prévue le lundi 1er août à partir de 18h30, sur le parvis de la chapelle de Villecelle.

J'y retrouverai Eric Bonnargent, mon complice du blog L'Anagnoste, ainsi que Lionel-Edouard Martin - ceux qui me lisent un peu savent quelle importance j'accorde à oeuvre. Les autres auteurs programmés sont Annie Saumont et Marie Chartres ; enfin, point d'orgue de ce festival, Jacques Bonnet nous fera découvrir la forêt dite des écrivains combattants.

Le blog et le programme de ces quinzièmes Rencontres peuvent être consultés ici.

8 juillet 2011

Une critique de Laurence Patri - Biblioblog

 

biblioblogIl est des personnages de fiction que l'on aime haïr, Léandre est sans conteste de ceux-là. Vieux salopard octogénaire, Léandre n'en finit pas de mourir dans sa chambre d'hôpital et nous livre sa vision acide et cruelle de l'existence.

Léandre se définit lui même comme un misanthrope. Il n'aime personne et tout le monde le lui rend bien. De son fils à l'infirmière très belle mais un peu sotte, aucun ne semble trouver grâce à ses yeux. Pas même lui. Car Léandre a cette cohérence de se malmener autant qu'il malmène les autres. Or n'est pas misanthrope qui veut : la misanthropie est un effort des tous les jours, l'œuvre de toute une vie, que les lâches, comme son fils, ne pourront jamais atteindre. Et ce n'est pas en bout de parcours, à la veille de son dernier souffle, que Léandre va tout bousiller par des relents de compassion gluants. Non, Léandre répand son mépris pour l'Autre jusqu'à la lie, jusqu'à l'agonie.

Qu'il est bon parfois d'avoir de l'aversion pour des personnages de fiction. On le déteste pour ses propos abjects sur les étrangers, les femmes et les enfants. Léandre est dans la provocation outrancière mais après tout pourquoi se censurer quand on sait que la faucheuse rôde aux pieds du lit ? À quoi servirait ce dernier soubresaut de bienséance ? Pour faire plaisir à qui ? Alors Léandre se défoule et s'en donne à cœur joie. Tout y passe : ses anciens étudiants, ses conquêtes et son crétin de fils qu'il a surnommé dans un accès de bonté "le pourceau".

Mais si on déteste Léandre c'est aussi et surtout pour l'image qu'il renvoie : ce corps qui se délite malgré nous et nous rend dépendants des autres. Ces autres que l'on haïra car sans eux, nous serions réduits à l'état de pourceaux, incapables de subvenir à nos propres besoins. Car au-delà la provocation du misanthrope, il y a dans ce court récit, un état des lieux effrayant de la déchéance des corps vieillissants alors même que l'esprit continue d'être vert et vaillant. Ce corps répugnant devenu notre pire geôlier.

Et si on aime cette détestation, c'est que Léandre, en tenant des propos aussi féroces, nous rassure sur notre propre situation. Quel que soit notre degré de misanthropie (et nous sommes avons tous un peu d'Alceste en nous), nous ne pouvons égaler ce vieux con. Moyennant quoi, nous nous trouvons finalement plutôt aimables…

Paradoxe supplémentaire, ce roman sur la mort et la déchéance ne sombre jamais dans le pathos. Bien au contraire, Marc Villemain offre à l'ensemble une légèreté insolente et jouissive, un humour noir délicieux. En alternant les registres, en passant de la gouaille à une langue riche et classique (amis du subjonctif, soyez les bienvenus), l'auteur permet au lecteur de rire sans complexe des horreurs prononcées par le narrateur.

Alors bien sûr d'aucuns trouveront le style peut-être trop ampoulé et les clichés trop marqués. Mais cette exagération, cette outrance sont pour moi tellement indissociables du personnage que je vois mal comment il en aurait pu être autrement. Oui, on déteste Léandre mais qu'il est bon parfois de se laisser aller à ce plaisir coupable mais jouissif, de haïr l'Autre, le temps d'un récit.

Laurence Patri

Lire la critique dans son contexte original : Biblioblog.


4 juillet 2011

Une critique de Camille Thomine - Le Magazine Littéraire

Le Magazine Littéraire


Bréviaire atrabilaire

Quand vous serez un octogénaire grabataire et incontinent, n'ayant plus guère pour vous distraire que les déhanchements d'une infirmière et le trot des cloportes aux murs de votre hospice, comment tromperez-vous l'ennui ? Sans doute rejoindrez-vous l'une des deux catégories d'agonisants : celle des "infatigables postulants au podium de la chochotterie universelle", ou celle, peut-être plus pitoyable encore, des "John Wayne de la condition souffreteuse." A moins qu'à la manière de Léandre d'Arleboist vous n'attendiez patiemment la Faucheuse en raillant les uns et les autres, et avec le genre humain.

Du fond de ses draps poissés, le vieux narrateur acariâtre du Pourceau, le Diable et la Putain entend bien faire contre mauvaise fortune bonne chère et se repaître jusqu'à ce que mort s'ensuive du "pathétique festin" des vanités terrestres. Un festin dont les convives pourraient bien se nommer Alceste, Léon Bloy et Pierres Desproges, tant il est vrai que l'écriture de Marc Villemain conjugue avec bonheur l'ardeur misanthropique de l'un, la verve mordante de l'autre et la causticité fleurie du dernier. Troquant la nostalgie contre la goguenardise, le moribond dissèque souvenirs initiatiques et rencontres navrantes pour les convertir en autant de chroniques de la haine salutaire. Point de rescapés sous le geyser de son fiel : ni la "cohorte d'avariés" partageant son couloir d'hôpital, ni ses "benêts bêlants" de collègues universitaires, ni ses étudiants suintant le crétinisme et le sébum, ni les coquettes quadragénaires, "affolées à l'idée de récupérer en cellulite ce qu'elles avaient depuis longtemps perdu en séduction."

De ce cortège grotesque de "bipèdes criards et psychotiques" se détachent pourtant deux parangons, plus consternants d'ineptie que tous les autres : le fils-pourceau - faiblard mélancolique - et l'infirmière-putain - jolie bécasse inculte qui porte sans hasard aucun le nom de Géraldine Bouvier, figure récurrente et protéiforme de l'oeuvre de Marc Villemain. Quant au "diable" du titre, qui n'apparaît plus guère après la couverture, force est d'y reconnaître le narrateur lui-même : calomniateur en chef, comme le veut l'étymologie ("diable" vient du grec diabolos, qui signifie "calomniateur"), mais aussi puissance d'inversion, séduisant chambardeur des convictions et conventions. Car tel est bien aussi ce qu'incarne ce vieux conteur désabusé : par-delà le lynchage exutoire et (faussement) facile, la tentation brûlante et communicative d'envoyer au diable l'esprit de sérieux, les bons sentiments, l'humanisme complaisant et le prétendu volontarisme contemporains. A l'horizon de ce vade-mecum cynique qu'est Le Pourceau, le Diable et la Putain, il vous vient des envies de clamer haut et fort : vivons haineux en attendant la mort !

Camille Thomine
Le Magazine Littéraire - N° 510, juillet/août 2011

 

3 juillet 2011

Marie-Noël Rio - Paysages sous la pluie

 

Marie-Noël Rio - Paysages sous la pluieMarie-Noël Rio, Paysages sous la pluie - Editions du Sonneur

Si ma lecture de ce troisième roman de Marie-Noël Rio a commencé dans le scepticisme (ces images de peau forcément "laiteuse" ou de bouche "charnue", cette manière hyper-concise de poser d'emblée les contours sociaux du décor - "la vie au jour le jour, à coups d'allocations"), alors il faut dire aussi, et d'emblée, qu'elle s'est achevée avec un peu plus d'entrain. C'est un effet intéressant à éprouver que de sentir la qualité d'un livre basculer, car on sent alors combien c'est un ensemble qui bascule : un style, une cadence, une implication, une amplitude ; combien, dès lors, nous nous sentons embarqués, et sûr de ce que nous lisons : l'auteur a trouvé son chemin, sa voix.

La bascule ici va venir avec le basculement même de l'histoire. L'entrée dans le livre nous met en présence de trois jeunes filles des années soixante, Alice, Laure et Fleur. On cerne leur vie, à chacune on attribue un style, un caractère, des couleurs ; elles sont tout en rage et fragilité, percluses de tendresse et de brutalité rentrée. Quelque chose de trois soeurs. Le temps ne défile pas vraiment, il est simplement déroulé, un peu linéaire. Et puis la bascule, donc, le deuxième temps du récit, qui est à la fois accélération et ralentissement intime.

C'est dans une Inde où l'on ne rencontrera nulle trace d'exotisme ou de fantasmes que ces personnages vont s'épaissir, incarner la détresse, la désespérance où la vie les met, autant que seront éprouvées les raisons de leur lutte - ou de leur abdication. Marie-Noël Rio nous fait toucher du doigt l'essence de ces complexions inextricables, tout au long d'un récit assez touchant, dont la mélancolie à la fois sèche et romantique ne souffrira pas la moindre once d'humour ou de réserve. On sent peser ici tout le poids des arcanes de nos attachements, ce que ceux-ci contiennent d'un peu pathologique, irrémédiable ou destinal. Sans que l'auteur revendique nullement une quelconque esthétique de la désespérance, il n'est guère d'illusion qui résiste à l'empire de ce que vivent ces personnages et à l'impossibilité qui est la leur de pouvoir seulement attendre quoi que ce soit de la vie - "Les choses les plus tristes sont celles qui n'ont pas eu lieu." Ce qui m'apparut d'abord comme concision un peu maladroite ou frustrante s'impose par la suite et devient concision nécessaire : l'économie de mots comme la résonance du souffle qui s'éteint. Jusqu'à faire vaciller la flamme de l'humain dans les yeux d'une vielle chienne.

 

2 juillet 2011

Technikart - Juin 2011

- Atypique Pourceau -

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30 juin 2011

Une critique de Stéphane Beau / Revue "Le Grognard"

LE GROGNARD N°18


«
 Papa, c’est quoi un pourceau ? - Ça vient de porc... C’est un cochon, si tu préfères... - Ah, d’accord... Et putain ? -  Heu... »

Bravo Monsieur Villemain, bel exemple pour la jeunesse. Et pourtant, malgré tout, je vous remercie de m’avoir mis dans cette embarrassante situation, car elle vient de belle manière conforter le message même de votre nouveau livre Le pourceau, le diable et la putain : à savoir qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre les choses de la vie et que le seul fait qu’on soit plus à l’aise pour définir ce qu’est un cochon qu’une pute démontre bien toute l’étendue de la bêtise et de l’hypocrisie humaines. Cette petite scène de la vie quotidienne aurait très probablement plu, en tout cas, à Léandre d’Arleboist, le héros misanthrope de votre récit.

L’intrigue du livre est simplissime et presque secondaire : un vieil homme vit ses derniers instants dans un hospice et remâche ses souvenirs sous le regard vigilant d’une infirmière sensuelle mais peu futée, Géraldine Bouvier (les lecteurs fidèles de Marc Villemain connaissent bien ce nom qui revient, tel un fantôme, hanter nombre de ses héros féminins). Parfois, il repense à son fils, « le Pourceau », pour lequel il n’a jamais pu ressentir autre chose que de l’ennui et du dédain. Le reste du temps, il revient sur ses souvenirs d’enfance, ses premiers émois sensuels et sexuels, où il philosophe sur le sens de la vie et sur le principe misanthropique qui a été le sien depuis toujours.

C’est là surtout que le livre, qui se mue en un véritable traité de misanthropie, prend toute son ampleur: Et l’on découvre à l’occasion, grâce à Léandre d’Arleboist (auquel Marc Villemain attribue la paternité d’un ouvrage, Le Misanthropisme est un humanisme, que l’on rêverait de lire) qu’être un vrai misanthrope n’est pas donné à tout le monde et que c’est même un combat de tous les jours, que l’on mène contre les autres, bien entendu, mais plus encore contre soi-même.

L’écriture de Marc Villemain est riche, élégante, raffinée, et son livre se déguste avec gourmandise. À tel point qu’on a presque plus envie d’en citer des extraits que de le commenter. Quand il parle de la misanthropie, notamment : « Le véritable misanthrope [...] ne darde ses flèches qu’en cas d’absolue nécessité, soucieux de ne pas disperser son fiel dans les misérables occasions que la vie lui tend en mille et une occurrences quotidiennes. » ; « Je ne saurais l’expliquer mais je n’ai jamais fait autre chose qu’attendre la fin, certes sans spécialement la désirer, mais enfin avec un parfait sentiment d’évidence apaisée : stoïcien un jour, stoïcien toujours. » ; « Il y a dans toute amitié quelque chose du soin palliatif : l’autre n’est jamais qu’un onguent de circonstance dont on se sert comme d’un baume sur notre âme affectée. »

La plume de Marc Villemain sait aussi se montrer malicieuse et pleine d’humour : « disons qu’aux yeux du monde, j’aurai évolué, très tranquillement et en quatre-vingts années, d’une connerie aggravée d’immaturité à une autre lestée de gâtisme. » ; « L’enseignant a quelque chose du conducteur de chariot élévateur sur le chantier d’une périphérie abandonnée : il s’imagine qu’empiler des blocs de béton suffit à construire un immeuble. » ; « Il importe [...] de se défier des apparences universitaires comme de l’abstinence chez l’abbé. »

Le Pourceau, le diable et la putain est court, trop court hélas (100 pages seulement), et l’on aurait aimé suivre Léandre d’Arleboist un peu plus longtemps. C’est le seul reproche que l’on peut adresser à ce magnifique petit récit qui confirme une fois de plus tout le talent de son auteur.

Stéphane Beau
 Le Grognard, n° 18 - Juin 2011

 

 

28 juin 2011

Iron Maiden à Bercy, 27 juin 2011 (+ extrait vidéo)

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Q
ue peut-on dire de ce groupe qui n'ait déjà été dit, et que puis-je bien dire d'honnête après un concert d'Iron Maiden ? J'avais sept ans lorsque le groupe fut fondé, en 1975, à l'instigation notamment de Steve Harris, le bassiste ; j'en avais à peu près douze lorsque parut Killers, leur deuxième album, en 1981 ; j'en ai quarante-deux quand je les retrouve, là, dans un Bercy qui craque et déborde de toutes parts, où l'on croise aussi bien des ados à tignasses et bouches molles que des bikers des profondeurs, le gros de la troupe étant constitué de l'introuvable classe moyenne, indécise, bigarrée, sans parler des familles au grand complet, dernier né et grand-parent inclus - quelque chose d'une kermesse à laquelle ne manquera donc que les gauffres et les barbes à papa (on observera d'ailleurs, plus tard, que c'est moins un pogo qui s'improvise dans la fosse sur l'inévitable Running Free qu'une ronde ou une chenille) : il y a belle lurette que le rock endiablé ne fait plus peur, pas même un vague malaise ou une très légère inquiétude, pas même un petit frisson d'interdit à braver, non, rien, on y va aussi pour pouvoir dire qu'on y était ; Robert Hossein y donnerait un nouveau spectacle qu'on ne serait pas plus surpris - mais ce n'est pas bien gentil pour mes Iron's, ça.

IMG_0038J'arrive très (très) en avance et colonise une terrasse où, sous une chaleur parfaitement écrasante, je m'enquille une (première) bière, jette un oeil distrait aux fans qui commencent à arriver par petits groupes, tout en parcourant, chacun appréciera, les Notes sur la mélodie des choses de Rainer Maria Rilke. Les effigies de Maiden commencent à sortir de terre tandis que les employés du ministère des Finances abandonnent la place - qui ne tardera plus à se joncher de canettes, qui sont un peu au rock'n'roll ce que les pissenlits sont au gazon. On sait déjà, à contempler la foule qui se masse, à observer et entendre sa joie anticipée, que, quoi qu'il arrive, chacun est décidé à rappeler au groupe qu'il n'est pas un titre de son répertoire qu'il ne connaisse par coeur. Alors, bien sûr, je pourrais dire, et m'échiner à montrer, que le grand Maiden s'est, selon moi, arrêté en 1985, après Powerslave - bref que seuls les cinq premiers albums témoignent à la fois d'une pureté, d'un esprit, d'une nouveauté et d'une flamme qu'ils ne retrouveront plus tout à fait. Ce qui n'induit pas que tout ce qu'ils aient fait ensuite soit mauvais ou qu'on n'y trouve pas, même, quelques morceaux de bravoure et/ou d'anthologie, cela va sans dire : simplement qu'ils ne parviendront jamais tout à fait à réitérer ce miracle-là.

Maiden 2011Il y eut d'ailleurs un indice : c'est en entonnant Doctor, Doctor (Ufo, 1974, repris et magnifié plus tard par Michael Schenker) que le public se chauffe. Cela donne le ton, auquel ce concert n'échappera pas : si l'ouverture sur The Final Frontier était attendue, promotion du dernier album oblige, c'est avec les premières mesures de The Trooper (1984) que s'installe un enthousiasme et, disons-le, une ferveur, que rien ne viendra tarir. C'est le Iron Maiden qu'on aime, tout en tension, tout en lyrisme, énergie conquérante, batailleuse, avec sa tentation hymnique, son sens du break, sa manière de faire grossir un climat comme une houle, de faire monter la sève. Le répertoire plus récent donne certes lieu à des compositions plus alambiquées, un peu moins viscérales, et si le spectacle n'y perd rien, tant les Iron's, depuis plus de trente-cinq ans, ont eu le temps d'apprendre à transformer le plomb en or, l'impression musicale ne s'ancre pas avec autant d'évidence. Du dernier album, j'attendais tout de même le très beau et désabusé When the Wild Wind Blows (Have you heard what they said on the news today / Have you heard what is coming to us all / That the world as we know it will be coming to an end), où l'on retrouve quelque chose de l'inspiration originelle : un phrasé, un motif, une ligne mélodique imparable, et, bien sûr, cette façon de rendre compte d'une vision finalement assez grave. Autant dire que je ne fus pas déçu.

 

Reste que c'est dans les vieux pots que. Two minutes too midnight, bien sûr ; plus récent mais difficile à éviter, le sombre et religieux Fear of the Dark. Mais pour réunir tout le monde, le fan grisonnant voire carrément dégarni de la première heure comme celui qui a la chance de découvrir Maiden, on peut compter sur deux titres du premier album (1980), Iron Maiden et Running Free, sur le mythique Number of the Beast, et, bien sûr, le magistral et déjà culte Hallowed Be Thy Name. De mémoire bercienne (?), je ne me souviens pas avoir entendu un public chanter autant, sur lequel un groupe puisse autant s'appuyer, avoir, même, déjà observé une telle effusion, une telle unité. Car disons les choses : voilà des années qu'Iron Maiden ne peut plus échouer : ceux qui vont les voir sont, de toute façon, galvanisés avant même qu'aient résonné les premières mesures du concert. Cela participe d'un rituel : il ne fait guère de doute que le public se déplace aussi, peut-être surtout, pour rendre hommage au groupe, à une histoire, à une manière d'épopée.

 

On appréciera d'autant plus ce moment que ces musiciens, dont il est inutile ici de dire combien ils sont expérimentés, précis, véloces, attentifs, pourraient aisément s'en tenir à ce qu'ils savent faire. D'une certaine manière, c'est d'ailleurs un peu le cas, et nul ne pourra se dire surpris de l'arrivée sur scène d'Eddie (la mascotte), ou de la manière qu'a Bruce Dickinson de galvaniser son public depuis toujours ("Scream for me, Bercy !"), mais nous sommes ici en plein rituel. Et puis, surtout, là où un ZZ TOP, par exemple, pourra sembler un peu blasé sur une telle scène, les Iron's continueront, eux, de s'amuser comme des gamins, gesticulant, riant, courant partout, finalement ne se lassant jamais de la scène. Si j'avais su, j'aurais fait en sorte de pouvoir y retourner ce soir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

When the Wild Wind Blows (extrait)


When the Wild Wind Blows - Iron Maiden - Bercy

 

 

 

 

21 juin 2011

Sur Maurice Nadeau, quelques mots


Centenaire et noblesse obligent, je lisais ces derniers temps Grâces leur soient rendues, mémoires littéraires de Maurice Nadeau rééditées à l'occasion de son anniversaire. Il ne s'agira ici que de simples impressions personnelles.

Maurice Nadeau - Grâce leur soient renduesQue vais-je donc chercher dans ces souvenirs ? Sans doute quelque réflexions ou indices aptes à servir ma propre expérience dans la critique et l'édition, où, comme chacun sait, Maurice Nadeau brille par son acuité, son opiniâtreté et son dévouement à la littérature. Tout cela n'étant rendu possible qu'en vertu d'une admiration chez lui absolue, principielle, viscérale pour les écrivains, admiration dont le pendant bien connu est une forme d'humilité qui ne doit rien à la posture, mais qui est le matériau même dans lequel il a été et s'est fabriqué. S'il y a là une leçon, que je prends naturellement pour moi en priorité mais à laquelle chaque éditeur, chaque critique doit se sentir redevable, c'est bien celle-là : être, comme éditeur, comme critique, incessamment au service de l'écrivain et de son texte. Il y en a, il y en aura de meilleurs que d'autres, bien sûr. Mais ce qui est touchant, chez Maurice Nadeau, et qui devrait l'être chez tous ceux qui font profession de foi littéraire, de quelque endroit qu'ils parlent, d'où qu'ils oeuvrent, c'est que l'auteur le plus modeste, aux textes encore imparfaits, attendus, voire ratés, demeure digne d'une certaine et particulière estime. Non pour l'art dont il aurait accouché, donc, mais en raison de cette loi intime et peut-être souveraine qui le conduit à écrire, c'est-à-dire à ne pouvoir envisager l'existence sans, pour reprendre les termes de Nadeau dans un portrait qui fut fait de lui, sans, disais-je, éprouver la nécessité de l'évasion ou du combat.

On dira peut-être que c'est l'auteur en moi qui parle - ce serait de bonne guerre, mais faux. Avant d'être auteur, j'ai été et suis lecteur. Que j'en aie eu conscience ou pas, j'ai et aurai vécu dans l'aura ou l'auréole, non des écrivains, mais de la chose écrite. Qui, donc, depuis longtemps et en large partie à mon insu, aura probablement teinté mon horizon intime et spirituel. Autrement dit, le fait d'écrire, de publier, ne me rend pas moins admiratif, non seulement de nombreux écrivains, mais du fait même que d'autres puissent éprouver la même loi qui conduit au geste d'écriture, c'est-à-dire, avec toutes les précautions d'usage, de transcendance.

C'est peut-être, au fond, ce qui me plaît le plus chez Maurice Nadeau, cet amour indéfectible, inconditionnel, cette rage à laquelle il se chauffe lorsqu'un grand texte lui échappe, lorsque tel de ces écrivains qu'il admire ne trouve pas son public - et, parfois, pas même un article de presse. Histoire et parcours assez exemplaires, donc, ce qui n'induit pas que j'adhère à la totalité de son propos. Je tiens compte, naturellement, du fait que je n'ai rien vécu de ce qu'il a vécu, que je n'ai pas eu la chance d'être l'ami d'Henry Miller, Pierre Naville, Roland Barthes, Michel Leiris ou Leonardo Sciascia, que je n'ai évidemment pas traversé un siècle d'histoire de l'édition, avec ses rivalités inexpugnables et ses mots impardonnables, bref que je n'ai, eu égard à ma naissance, pas pu plonger dans le bouillon de ses passions. Mais, tout de même, j'ai trouvé que Maurice Nadeau, dans ces souvenirs, se montrait parfois sous un jour un peu cabotin, ne détestant pas, à telle ou telle occasion, mettre en scène son humilité. Surtout, et même si, je le répète, il va de soi que nul ne pourrait sortir parfaitement magnanime de plusieurs décennies d'adversité, j'ai moins apprécié que ces mémoires se fassent un écho un peu systématique de ses inimitiés. Cela leur donne un tour parfois injuste, et, comment dire, déraisonnable, comme si la circonstance ne pouvait passer. Ainsi Camus, Mauriac, Paulhan et quelques autres en prennent-ils pour leur grade ; et si cela n'affecte en rien leur postérité, cela affecte en revanche un peu le bon et bel esprit de ce texte ; disons, au risque de passer pour présomptueux, que j'aurais peut-être espéré davantage de clémence. Et que mon souci d'honnêteté me pousse à en faire mention ne diminue évidemment en rien le très grand intérêt de ce recueil, pour ne rien dire de la fébrilité éprouvée tout au long de ce témoignage lumineux, profondément charnel et sensible.

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