vendredi 5 mai 2023

Il faut croire au printemps

Printemps 4



C'est dans quelques jours, le 11 mai, que paraîtra aux Éditions Joëlle Losfeld mon nouveau roman, qui, après Il y avait des rivières infranchissables et Mado, vient refermer ce que j'appelle un peu présomptueusement ma « trilogie du tendre ».

Il faut croire au printemps racontant une histoire très simple mais plus complexe à résumer qu'il y paraît, je n'en prendrai pas ici le risque. Il suffira au lecteur de savoir qu'il y est question d'une histoire conjugale qui tourne (très) mal, de la possibilité de l'amour après le drame, de la relation entre un père et son fils, de certains mensonges (nécessaires ?) à la reconstruction d'une existence, enfin de tout un tas d'autres petites choses que le lecteur affûté saura lire entre les lignes. Tout cela sur un air de jazz et avec quelque trompeuse allure de polar, et en vous emmenant du côté d'Étretat, sur les côtes d'Irlande et dans les massifs bavarois - bref, on y fait aussi beaucoup de voiture.

Le roman sera lancé - avec douceur - le 11 mai à 19h à la librairie l'Écume des Pages (Paris 6è) en présence de ce merveilleux comédien et ami qu'est Claude Aufaure, qui vous en lira même quelques pages.

N.B. : Merci à Hubert Artus qui, dans le n° 518 de Lire / Le Magazine littéraire, se fait déjà écho de cette publication et y loue « une écriture qui suggère, griffe et caresse ».

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mardi 18 avril 2023

Guy Darol - Village fantôme

Guy Darol - Village fantôme


Le temps du granit

Auteur paisiblement buissonnier, flâneur des bas-côtés, étranger à toute coterie, Guy Darol nous emmène, nous emporte plutôt dans son Village Fantôme, bourg presque anonyme de Haute-Bretagne où il passa ses étés jusqu’au début des années 1970 et que l’exploitation d’une carrière de granit a fini par entièrement rayer de la carte. Il en rapporte un récit admirable de pureté, de justesse et d’élégance.

Si l’on devine sans peine l’émotion qu’a pu occasionner l’écriture de ce retour aux sources, sources non seulement de l’enfance et de la famille mais aussi, probablement, d’une certaine manière de voir le monde, Village Fantôme ne saurait toutefois être réduit à ses seules dispositions élégiaques. Et si l’on ne peut pas ne pas y entendre une certaine nostalgie – savourée comme des « gouttes de rosée qui ne sèchent jamais » –, si l’on ne peut réprimer un sourire attendri à l’évocation de Lucien Jeunesse ou des raideurs de la Peugeot 204, si l’on peut se surprendre à chantonner Chez Laurette ou éprouver un certain trouble lorsque, se remémorant son cœur jouvenceau, l’auteur écrit de la jeune fille installée sur ses genoux au bal du Comité des Fêtes que « ses cheveux sentaient le Dop », Guy Darol nous parle bien moins de lui qu’il ne réanime, au sens littéral de « rendre à la vie », ce que fut un certain monde paysan, uni, digne, dur à la tâche, sédentaire, pour ainsi dire immobile, plus soucieux d’honorer ses legs que de s’adapter à la course du temps. Ce faisant, il laisse au lecteur le soin de mesurer ce qui n’aura eu besoin que de quelques années pour s’éteindre. Mais derrière l’intention mémorielle et la réactivation de sensations moins perdues qu’éloignées, l’on entend aussi toute la gratitude pour ces aïeux laboureurs qui, sans spécialement chercher à l’instruire ou à l’édifier, lui ont, par leur façon d’être et de vivre, leurs joies simples et leurs solidarités immédiates, en somme par leur exemple, indiqué une certaine manière de cheminer dans l’existence. C’est qu’aux triomphants Darol préfère les anonymes, les discrets, les perplexes, les sceptiques, ceux qui ne trouvent pas anormal de vivre leur vie incognito, qui se savent hors de l’histoire et s’en contentent ma foi fort bien, qui se défient de la lumière, et qui non seulement se résignent mais s’acceptent. 

Si cette histoire est circonscrite à un tout petit bout de territoire et que l’usage du gallo, ou langue gallèse, justifie le glossaire de fin de volume, Village Fantôme n’est en rien assimilable à une quelconque littérature recroquevillée, de clocher ou pire encore « de terroir ». C’est tout un monde en effet qui s’y profile malgré l’exiguïté du périmètre, un monde dont on sent bien que, s’il aura nourri l’auteur, jamais il ne l’aura empêché de s’engouffrer dans bien plus vaste. Dans la passion de la littérature d’abord, dont les prémices pointillent le récit, puis jusqu’aux musiques les plus innovantes, voire les plus avant-gardistes – songeons seulement à cette passion pour Frank Zappa, auquel Darol a déjà consacré plusieurs ouvrages. Et si l’écriture se révèle assez virtuose, pourtant, miracle s’il en est de la littérature, la pureté du geste et la sincérité de l’intention vont droit au cœur.

L’avancée dans la modernité, qui conduira donc à la destruction de « La Ville Jéhan », n’induit pas pour autant sa condamnation. La pudeur de Guy Darol, sa conscience aussi, peut-être, qu’aucun monde n’est jamais destiné à durer, ôte à ce texte toute la colère à laquelle, pourtant, l’on sent bien qu’il aurait pu s’abreuver. Et si vraiment l’on devait y relever un sentiment un peu négatif, alors pourrions-nous simplement parler d’une sorte de chagrin, d’une désolation secrète quoique assez douce, d’une amertume qui ne fait guère qu’authentifier le passage des ans, autant de sentiments que tout un chacun peut éprouver devant l’extinction achevée ou programmée de ses mondes intimes, ou lorsque, revenus sur les lieux de notre mémoire, nous n’en reconnaissons plus rien ou tout comme. Il y a décidément bien de la pudeur dans ce récit de Guy Darol, pudeur qui pourrait bien procéder d’une forme de sagesse. Celle de pressentir, d’accepter peut-être que certaines colères sont infertiles, celle enfin de savoir emporter les temps révolus par-devers soi afin que ce qui vit en soit rehaussé.

Guy Darol, Village Fantôme - Éditions Maurice Nadeau

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jeudi 30 mars 2023

Isabelle Flaten - Un honnête homme

Isabelle Flaten - Un homme ordinaire


Ce pauvre Charles

C’est l’idée que tout écrivain pourrait, devrait jalouser : donner enfin la parole à ce pauvre Charles Bovary – et voilà-t’y pas qu’aussitôt nous vient l’envie de jeter quelques idées sur un bout de papier pour faire parler Mathilde de La Mole… Certes, d’autres déjà ont prêté leur plume à Charles et tenté de sonder cet homme honnête dont on nous enseigne très tôt qu’il est du genre secondaire, et en l’espèce plutôt falot. Mais ce qui est intéressant dans ce que nous en renvoie Isabelle Flaten, c’est peut-être ce que sa lecture et son propos doivent aussi à notre temps. Ce dont elle est bien sûr éminemment consciente, elle qui n’aime rien tant que pousser les feux de la lucidité, chatouiller les vertueux et sourire aux dadas d’une époque. La nôtre étant ce qu’elle est, immergée, pour ne pas dire noyée dans les affres infernales de la construction identitaire et de la frénésie du ou des genre(s), le lecteur s’amusera peut-être à éprouver la nécessité de réviser un peu son jugement : Charles a sans doute bien des défauts (qui n’en a pas ?), et ils me paraissent, à moi, plutôt bénins, mais il faut reconnaître qu’Emma requiert de sa part des vertus exorbitantes de la patience commune… 

Il en va d’ailleurs de Charles comme de Bouvard et de Pécuchet – dont j’ai récemment eu le bonheur de relire les pittoresques aventures : la chronique des mœurs et l’histoire littéraire ont fait de ces trois-là de bons bougres plutôt mal dégrossis, immatures, naïfs, couards, pusillanimes et souvent assez sots, mais voilà qui fait partie des iniquités propres à tout récit transmis un peu grossièrement. Bref, l’histoire les a mal jugés : elle a eu tort. Ce que nous confirme plutôt Isabelle Flaten, ledit Charles m’apparaissant, dans son nouveau roman, bien moins pleutre que victime (Emma a de rudes exigences mais c’est d’abord de la redoutable emprise maternelle que Charles doit se défaire), bien moins candide qu’esquinté par la vie, bien moins craintif qu’embarrassé par lui-même, et bien plus digne et méritant que les innombrables Homais qu’il doit se résoudre à fréquenter. De son temps, Charles présente finalement une sorte de contrepoint, s’escrimant à vivre selon sa morale propre, indifférent à ce qu’on attend de lui, et plus sensible qu’on ne le croit aux mille et une situations dont profitent insidieusement le mensonge, l’arrivisme et l’hypocrisie. Attentionné, généreux, doux, dévoué, peu sûr de lui, facile à attendrir (donc à blouser), sentimental malgré lui, d’un romantisme qui n’est pas de lecture mais de sensation, aspirant bien davantage à l’apaisement existentiel et domestique – y compris dans ses apprêts bourgeois – qu’à l’aventurisme conquérant, il est, en somme, un garçon qui n’est jamais assez homme. Spontanément, instinctivement, inconsciemment, Charles se montre plutôt hostile au dix-neuvième siècle.

Les lecteurs d’Isabelle Flaten ne seront pas surpris de retrouver ici les qualités qu’ils aiment d’ordinaire chez elle. Un type d’humour d’abord, très identifiable, fait de petites saillies élégamment sarcastiques posées au beau milieu d’un groupe de phrases ou en guise de morale pour clore un paragraphe. Un goût pour le simple fait, le simple geste, la simple parole qui, à bien s’y pencher, en disent et montrent bien plus que ce que pourrait en attraper un regard pressé ou trop paresseux. Un rythme, une façon semble-t-il évidente de bondir d’une phrase à l’autre, de rebondir sur une image ou une idée, avec malice et bon sens. Car il n’est jamais rien de prétentieux chez Flaten, elle déroule toujours sa pelote dans un mouvement d’une grande clarté, franc et direct, et, n’était cette espèce d’ironie latente, on pourrait presque dire littéral. Reste que quelque chose m’a surpris : sa capacité, ici assez étonnante, non de changer d’écriture mais de l’adapter, de lui apposer une sorte de vernis tantôt amusé, tantôt lyrique, afin, sans doute, de lui conférer quelque air de roman bourgeois. C’est tellement vrai que, pour la première fois, il m’est arrivé de ne pas reconnaître l’auteur/teure/teuse/trice (servez-vous, c’est « open »). Raison supplémentaire pour toi, lecteur, de t’enquérir d’Un honnête homme, où, comme moi peut-être, tu trouveras en ce pauvre Charles un nouvel ami.

Isabelle Flaten, Un honnête homme – Éditions Anne Carrière

jeudi 9 mars 2023

Alain Giorgetti - Massif

Alain Giorgetti - Massifs


Giorgetti, romancier des marges

« Ce qui m’intéresse, c’est de rendre compte de ce fond silencieux gisant derrière les choses », fait dire l’auteur à Nicolas, dont la figure lyrique et orageuse façonne ce singulier roman. Mais je me demande si là n’est pas, plus généralement, une des marques les plus prégnantes qui fondent le travail d'écriture d’Alain Giorgetti, dont on se souvient encore de La nuit nous serons semblables à nous-mêmes, paru il y a trois ans. Avec Massif en effet, on a le sentiment que Giorgetti poursuit un travail que l’on pourrait dire d’excavation du réel, lequel ne nous apparaîtrait jamais que voilé, serait toujours plus ou moins délibérément fallacieux, son apparence obstinément massive dissimulant l’introuvable vérité de l’être. Et c’est peut-être bien notre lot commun, en effet, que de ne jamais nous sentir en parfaite adéquation avec ce qui nous entoure, avec l’image que le monde nous renvoie de lui, pas plus d’ailleurs qu’avec l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes.

Comme beaucoup de bonnes histoires, celle-ci tient en peu de mots. Au fond d’une vallée vosgienne que régente et tyrannise un trio de brutes épaisses, un homme (Nicolas), étranger au pays, tombe éperdument amoureux d’une femme (Hélène). Révulsé par les magouilles des trois hommes, par leur brutalité et leur sentiment d’impunité, tout ce qui porte Nicolas à la douceur et à la contemplation, tout ce qui en lui reste, bon gré, mal gré, disposé à vivre en bonne intelligence avec ses semblables, va se muer en une férocité que le meurtre seul apaisera. Je ne dévoile rien : la chose est dite d’emblée. Et comme elle est dite d’emblée, on se doute bien que là n’est pas l’essentiel du roman.

L’essentiel, donc, quel est-il ? Il serait présomptueux d’espérer cerner en quelques lignes les mobiles d’écriture d’un auteur. Toutefois, ce texte-ci, s’ajoutant aux précédents, conforte le lecteur dans une impression déjà assez forte : celle d’une rage souterraine, plus ou moins domestiquée, contre quelque chose qui pourrait s’apparenter à une dépoétisation générale, ou disons une dégénérescence de ce qui fonde la valeur de l’humain. Ce qui peut prendre chez chacun d’entre nous des atours assez triviaux : cupidité, hypocrisie, vénalité, corruption, mépris social, intimidation, abus de pouvoir, j’en passe et de plus vils. Nicolas, par exemple, est un être plutôt porté à la solitude, observateur, volontiers curieux, délicat, exigeant avec lui-même, bref, soucieux de persévérer dans son être. Autant de dispositions – est-ce utile de le souligner – rarement suffisantes pour faire ou simplement trouver sa place dans une société soumise aux lois du plus fort, c’est-à-dire de l’argent. De tout cela, le personnage semble avoir une conscience très précise. L’acuité de cette conscience étant déjà, en soi, une sorte d’empêchement au bonheur… Quand un jour advient l’amour. Le vrai, le grand, l’indicible : une merveilleuse catastrophe. Ce n’est pas seulement notre vie, mais le monde entier qui s’en trouve reconfiguré. L’auteur déploie alors une frénésie amoureuse, un romantisme quasi mystique, un luxe de motifs lyriques que l’on n’attendait pas. Mais lorsque apparaîtront les trois brutes précitées, fera contraste le surgissement de la colère, puis son altération en une haine insatiable, éternelle et non négociable. Deux passions, tout compte fait, qui se feront pendant : l’une amoureuse, l’autre destructrice – mais toutes deux dévastatrices.

Massif a bien quelque chose d’un polar, du moins s’en donne-t-il une certaine allure et certaines manières. Il s’agirait alors d’une sorte de polar ontologique – comme on a pu parler de polar métaphysique. Mais Giorgetti raisonne bien moins qu’il ne montre : en quoi il s’affirme comme romancier. Le romancier de ceux qui, parce qu’ils ne peuvent concevoir d’être en marge d’eux-mêmes, se retrouvent en marge du monde.

Alain Giorgetti, Massif - Alma Éditeur

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mardi 10 janvier 2023

Christel Périssé-Nasr - L'art du dressage

Christel Périssé-Nasr - L'art du dressage


« Qui désormais nous comprendra, fils ? »

Une tigresse arrachant des lambeaux de gazelle : avec rage mais sans haine. Voilà l’impression spontanée, irraisonnée que m’inspira ce texte lorsque j’en découvris le manuscrit. Pas tant du fait de son intention, qu’attise une critique sociale et un féminisme moins radical que viscéral, qu’en raison de la netteté, du tranchant singulier et redoutablement intelligent de la voix qui le porte. Car d’un roman, de tout roman doit d’abord sourdre une voix : c’est un de mes leitmotivs, que l’on me pardonne mais je ne me lasserai jamais de le seriner…

Longtemps, j’ai consenti à la thèse – mais mollement, peut-être même paresseusement, sans jamais en faire une question de principe, une certitude idéologique et moins encore un prétexte sottement polémique – que quelque chose distinguait obstinément l’écriture féminine et l’écriture masculine. Or, si un démenti conséquent venait à m’affranchir de cette impression un peu rapide, alors ce serait peut-être bien à Christel Périssé-Nasr que je le devrais – même si Marguerite Yourcenar y avait déjà amplement contribué. Non que je me sente proche de l’autre thèse, toute aussi bornée, d’une écriture qui pût être strictement et absolument asexuée (ce serait dommage, et dommageable à la littérature), mais il est certain que tout auteur (toute autrice) a suffisamment de bonnes raisons de s’extraire de sa condition pour picorer à loisir dans les présupposés du genre et y glaner de quoi hybrider son écriture – et avec elle, plus encore, la voix dont elle est le viatique. Fin de digression.

« Quand d’autres ont lu tous les livres, moi j’ai loupé toutes les guerres », se désole Marceau, père de deux fils qu’il compte bien arracher aux complaisances de la sentimentalité contemporaine et aux extravagances des lubies égalitaires. L’homme est un animal comme les autres, et c’est aux vertus de cette animalité fondatrice qu’il s’en remet pour éduquer ses héritiers, pour ainsi dire en sustentant et en exhaussant leur cerveau reptilien. « On instruit les esprits, on éduque les âmes », aime à dire Régis Debray, l’instruction formant des individus, l’éducation une collectivité (L’État séducteur, Gallimard, 1993). Assurément, ledit Marceau ferait remarquer qu’il manque à cette définition un tiers terme : le dressage. Car telle une bête de somme – un cheval, par exemple – que l’on fait travailler à la longe afin de la diriger, la liberté d’un jeune homme n’est pensable dans l’esprit de Marceau que si elle est commandée, guidée, entravée. Dès lors, le dressage devient un art. Hélas, comme dit la chanson, The Times They Are Changin’… Si bien que le pathétique de cet appel à une virilité empêchée, bridée par un Occident aux mœurs efféminées, charrie entre les lignes une étrange sensation de désolation, d’accablement, de déréliction. Marceau en devient un homme comme les autres, dont on se dit que c’est surtout à la vie qu’il en veut, son aigreur et son ressentiment trouvant seulement un dérivatif commode en agonisant la femme, être fourbe, manipulateur et tyrannique qui porte en lui l’interdit de la masculinité.

Que l’on ne se méprenne pas : je ne crois pas que Christel Périssé-Nasr ait pour ambition d’édifier les masses (masculines). Elle est une femme de lettres, pas une doctrinaire. Le soin qu’elle met à taillader le tissu social et son attention particulière à ce qui constitue une société sont assurément décisifs (son prochain roman, qui lui aussi paraîtra aux Éditions du Sonneur, en attestera), mais l’intention, me semble-t-il, est plus large, plus profonde, j’allais dire plus métaphysique que cela. Ce pourquoi elle n’oublie jamais d’aimer ses personnages, fussent-ils les moins aimables. Et pourquoi ce roman, si, comme on dit, il donne à penser, est surtout l’occasion d’un très beau moment de littérature. Inutile de dire que je suis fier de pouvoir en être l'éditeur et l’ambassadeur.

Christel Périssé-Nasr, L'art du dressage - Éditions du Sonneur
Présentation sur le site de l'éditeur


samedi 24 décembre 2022

Jean-Claude Lalumière - L'invention de l'histoire

Jean-Claude Lalumière - L'invention de l'histoire
Sourire dans l’ombre de Lalumière

Retour en librairie de l’ami Jean-Claude Lalumière qui, en changeant d’éditeur, d’Arthaud au Rocher, semble également avoir entrepris d’imperceptiblement déplacer le fusil qu’il a sur l’épaule. Certes, les lecteurs de cet observateur coutumier d’une modernité déjà ancienne n’y perdront pas leurs repères. De même, ceux qui chez lui aiment l’humour gracieusement nostalgique, à mi-chemin entre le bon mot d’un Alphonse Allais, le burlesque d’un Jacques Tati et la fausse candeur d’un Christian Gailly, voire la mélancolie facétieuse d’un Delerm (fils), ne seront pas dépaysés. L’histoire qu’il déterre dans ce nouveau (et neuvième, si je compte bien) roman, ou plutôt l’histoire qui lui sert de prétexte, celle de cet escroc de Victor Lustig qui se mit en tête, au beau milieu des bien nommées Années Folles, de vendre la Tour Eiffel à des ferrailleurs, accrédite sa manière chaque fois renouvelée de délaisser les voies de l’époque, civiquement asphaltées, pour leur préférer les pistes cyclables. Car l’Histoire, chez Lalumière, est toujours regardée par le petit bout de la lorgnette – et c’est là, en matière de littérature, plutôt un compliment. Point d’épopée, donc, pas plus que de lyrisme ou d’emphase : juste l’observation au microscope de comportements et de réflexes d’apparence parfaitement communs. C’est dans les interstices du bon gros réel, pour parler à la manière de Baudrillard, que Jean-Claude Lalumière aime à glisser son encre. Plutôt que d’édifier le citoyen triomphant, il glorifie l’individu bredouillant.

Si quelque chose dans le ton a un peu changé, c’est que la légèreté ordinaire du propos s’est lestée ici, mais avec retenue, d’une gravité nouvelle. Si les thèmes interstitiels qu’il développe sont bien connus de ses lecteurs, ils prennent chez ce quinqua badin un tour sensiblement plus mélancolique : la place du père – qui végète dans un Ehpad –, la transmission intrafamiliale – l’enfant paraît plus alerte que son géniteur –, la difficulté à communiquer sans détour avec les siens – ici, l’épouse du narrateur –, tout cela prend dans ce roman des contours sensiblement plus vifs, voire épidermiques. À quoi l’on peut ajouter, incidemment, chose peut-être un peu plus surprenante, quelques menus dégagements – tempérés – sur l’esprit gilet jaune.

Moins immédiatement drolatique que la plupart de ses précédents romans, L’invention de l’histoire n’en oublie toutefois jamais de nous faire sourire ; c’est à ce petit jeu d’ailleurs que Lalumière est, selon moi, le plus à son aise. Généralement, cela ne tient à pas grand-chose : une situation anodine rapidement brossée, une repartie qui tombe à plat, un pas de côté dans la narration. Et si l’écriture m’a quelques fois semblé un peu désinvolte, je n’oublie pas que je suis coupablement sensible à l’épique, au lyrique et à l’emphatique gentiment dénigrés un peu plus haut. Car pour ce qui est de mener une histoire – et même de l’inventer – je dois dire que Jean-Claude Lalumière se révèle, une nouvelle fois, largement apte au service littéraire.

Jean-Claude Lalumière, L'invention de l'histoire - Éditions du Rocher
Présentation sur le site de l'éditeur

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mardi 29 novembre 2022

Shakespeare revu (et surtout corrigé) par Ostermeier : Vanitas vanitatum.

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La lande n'est pas seule à être désolée

Très vite, j’ai décidé de prendre le parti d’en rire : je n’avais pas envie de m’entendre grincer des dents trois heures durant. Que Shakespeare, quatre siècles plus tard, n’eût pas reconnu son texte, soit : j’admets et comprends très bien qu’un metteur en scène désireux de laisser sa trace travaille à renouveler et à exhausser l’universalité, donc la possible modernité des grands textes du répertoire. Mais là, franchement, c’est abusé : Shakespeare ne reconnaîtrait pas même son intention. Entre Shakespeare et « d’après Shakespeare » il y a un monde, l’hérésie conduisant ici à lui faire dire n’importe quoi – en l’espèce, ramer sur la vague de fond d’un féminisme de bon aloi et du dégagisme d’ambiance. L’on peut d’ailleurs s’interroger sur la décision d’avoir fait entrer le roi Lear au Français avec ce qui n’en est qu’une relecture.

Cela se voudrait probablement d’avant-garde, au moins à la pointe de la modernité : c’est souvent niais, cacophonique, et finalement assez prétentieux. Et déjà plutôt ringard. Je me souviens de mes premiers concerts de hard rock, au milan des années quatre-vingt dans des petites salles de province, quand des groupes semi-professionnels usaient déjà des mêmes trucages et des mêmes effets criards – à la décharge de ces petits groupes, ils n’étaient pas subventionnés. On a même droit à quelques moments de stand-up, blagues pour émissions de variété dominicales incluses. Mais ce n’est pas en ajoutant des « Merde » et des « Putain » au texte de Shakespeare (huhuhu, on se gausse) qu’on fera la révolution : cela ne donne, au mieux, qu’un attentat raté.

Prendre le parti d’en rire, donc, mais jaune. Car c’est finalement assez triste d’entendre un texte qui vit si peu et vibre si mal, qui délaisse autant la profondeur tragique et métaphysique de ce vieux roi qui, renonçant au pouvoir au profit de ses filles, n’aura pas même à pleurer la mort d’une Cordelia pour ainsi dire inexistante. Comme toujours, Denis Podalydès tire son épingle du jeu car il sait tout faire et, surtout, il pense son texte ; pourtant, lui-même semble parfois se demander ce qu’il fait dans cette galère. Je n’ai pas souvenir, en vingt ans, d’avoir vu une troupe du Français aussi mal fagotée et aussi peu à l’aise avec son corps et sa voix. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas de bons moments – en près de trois heures, ce serait un comble –, cette lande désolée qui sert de décor est très belle, certaines audaces sont bienvenues, cela « prend » parfois, c’est seulement qu’on ne peut s’empêcher de trouver tout cela long, vain, et finalement assez suffisant. Encore une fois, la chose se vérifie : dès qu’un artiste croit pouvoir édifier ses contemporains, il ne fait en général qu’alourdir l’air (du temps).

Le roi Lear, Thomas Ostermeier d'après William Shakespeare
À la Comédie française jusqu'au 26 février 2023
Traduction : Olivier Cadiot
Adaptation : Thomas Ostermeier et Elisa Leroy
Mise en scène : Thomas Ostermeier

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dimanche 9 octobre 2022

Laurine Roux - Sur l'épaule des géants

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Une certaine idée du futur antérieur

Lorsque, courant 2017, je reçus le premier manuscrit de Laurine Roux, Une immense sensation de calmepuis que je suggérai à Valérie Millet, aux Éditions du Sonneur, de le publier, j'étais bien loin de penser ou même d'espérer que ce texte rencontrât facilement son lectorat : si je l'avais proposé, c'est simplement que j'en aimais le tropisme fabuleux, noir sans complaisance, soucieux, même, de ménager certains traits de lumière, et le ton, une manière de fragilité derrière la relative sécheresse du récit. Mais je ne voyais rien là qui pût conduire au succès, en un temps où le caractère social ou sociologique confine parfois au critère premier du jugement littéraire. Pourtant, le succès fut au rendez-vous, aussi immédiat qu'inattendu ; depuis, il ne fait que croître. 

Nul n'aurait donc tenu rigueur à Laurine Roux qu'elle continuât d'approfondir le sillon apocalyptique, voire eschatologique qui lui réussissait si bien. À cette aune d'ailleurs, il est possible de considérer Le Sanctuaire comme une variation, peut-être davantage aboutie, de cette intention. Avec L'autre moitié du monde, paru en début d'année, le sentiment de la gravité de la condition humaine s'est retourné sur le passé : il ne s'agissait plus seulement d'explorer le devenir de l'Homme, ou disons une possibilité de son devenir, mais d'en retracer la généalogie intime dans l'histoire politique. Où l'on s'aperçut que la temporalité n'était pas tant pour Laurine une condition déterminante de son écriture qu'une façon de se promener dans ce qui constitue l'humanité commune — l'espérance et ses déconvenues, la révolte et ses désenchantements, la passion et ses furies, la chaleur ambiguë des liens communautaires, etc.

Et puis, un beau jour, est arrivé sur nos bureaux un texte dont le moins que l'on puisse dire est que nous ne l'attendions pas : Sur l'épaule des géants. On y reconnut aussitôt Laurine Roux, mais une Laurine Roux qui aurait comme qui dirait changé de bord. Exit le pessimisme historique, exit la mélancolie intime ou collective, exit les clairs-obscurs de la psyché humaine : place à la conquête, à la volonté, à l'énergie de l'Histoire et aux enthousiasmes du Progrès (où — que l'on se rassure — s'immisce toutefois un sens très affûté d'un tragique qui pourrait suffire à définir l'épopée humaine). Revisitant à pas de géant un siècle d'histoire, du ravage des vignobles dans le dernier quart du XIXème aux attentats du World Trade Center en passant par les découvertes de Pasteur, l’Affaire Dreyfus, la Grande Guerre, les Années folles ou la Nuit de Cristal, Laurine Roux réinvente de manière tantôt potache, tantôt audacieuse, tantôt sensible, une période de notre histoire que, somme toute, nous pensions familière. Et tout en racontant les espoirs, les frasques et les drames de la famille Aghulon, esquisse à grands traits, non une histoire de France, mais une certaine façon, attendrie, d'envisager ce que nous avons été et qu'assurément nous ne sommes plus.

Souvenirs, mythes, fantasmes : tout récit familial a toujours des allures de fable. Surtout quand des chats philosophes viennent bousculer la crédibilité du genre historique, au point parfois de le pousser sur les rives du fantastique. Tout à la fois épopée d’un siècle et chronique familiale, le roman, merveilleusement illustré par les gravures d'Hélène Bautista, et tout en déployant une atmosphère digne des feuilletons littéraires d'antan, s'avère être surtout une déclaration enjouée d’amour à la littérature, entendue comme une ingénieuse déclinaison du mot d’Isaac Newton : « Si j'ai pu voir aussi loin, c'est parce que j'étais juché sur les épaules de géants. »

Laurine Roux - Sur l'épaule des géants
Gravures d'Hélène Bautista
Lien : Éditions du Sonneur, 13 octobre 2022

samedi 1 octobre 2022

À Daniel Soulez-Larivière

À Daniel, à Mathilde

Marie qui m’appelle en larmes, elle vient de raccrocher au téléphone avec Mathilde : Daniel est mort. Daniel Soulez-Larivière. Bêtement. Accidentellement.

Comment est-ce possible, nous venons de passer quelques jours chez lui, dans sa belle demeure du Maine-et-Loire. Avec Marie, ils approchaient de la conclusion du livre qu’ils écrivaient ensemble, je sais que ça comptait beaucoup pour lui, pour elle. Ils se retrouvaient chaque matin sous la véranda pour travailler, on les voyait réapparaître des heures plus tard pour déjeuner sous l’auvent où, l’air de rien, ils poursuivaient leur conversation. Il faisait beau, doux, Daniel était continument facétieux, visiblement heureux d’être là, entouré ; il prenait un malin plaisir à sortir les meilleures bouteilles de sa cave et me promettait monts et merveilles pour notre séjour suivant. Je le questionnais sur son parcours, son passage au cabinet d’Edgar Pisani qu’il admirait, et il me racontait tout ça avec gourmandise, sa mémoire était si nette, si vive. 

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Sa vue baissait mais il était à l’affût de tout, ­lisait tout, toujours muni d'une petite ampoule ad hoc ; il avait toujours, spontanée, la bonne formule conclusive. 

Son livre sur le drame d'AZF vient tout juste de paraître, il y a consacré tant de temps ; il ne pourra même pas en connaître l’écho.

Il n’y a pas grand-chose à dire de plus que le chagrin et la sidération dans lesquels cette nouvelle nous plonge.

 

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Daniel Soulez-Larivière est mort le vendredi 30 septembre 2022

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vendredi 23 septembre 2022

Oyez, oyez, Como va !

Jean-Pierre Como


Jean-Pierre Como, My Days in Copenhagen
Bonsaï Music 

Ah, qu’elles étaient belles, nos années 80-90 ! Tout, certes, n’était pas rose (rien en ce monde, cela dit, n’a jamais été rose), mais enfin l’on faisait tomber le Mur, on abolissait l’Apartheid, la Chine s’ouvrait – quoique sans s’éveiller –, l’Europe rosissait à plaisir, Éric Zemmour n’était encore qu’un ténébreux pigiste au sein de rédactions désireuses de coller au « pays réel », Vladimir Poutine qu’un obscur officier du KGB, Yannick Noah avait remporté Roland-Garros et les stars du monde entier se dressait contre la famine en Éthiopie. Enfin et surtout, nous avions... Sixun. Formation mythique, joueuse et virtuose de la scène française, son jazz fusion transpirait par tous ses pores l’avènement d’un monde dont on rêvait alors de pouvoir ouvrir grand les portes – des années plus tard, dans Libé, Didier Pourquery parlera d’eux comme « la face positive de la mondialisation ». Je me souviens encore de moi, m’enfiévrant dans ma chambre en écoutant Joladore et Sakini (L’Eau de Là, 1990). Et puis, comme tout groupe mythique qui se respecte, Sixun finit par se séparer, semble-t-il aussi positivement que leur musique pouvait l’être, chacun de ses membres (comment ne pas citer au moins Louis Winsberg et Paco Séry), s’en allant vaquer sur ses propres chemins. Récemment reformé, leur prochain album, très attendu, est annoncé à l’automne.

Mais c’est sur Jean-Pierre Como, pianiste, compositeur et co-fondateur du groupe, que l’attention se focalise depuis plusieurs années. Sans jamais déserter les territoires méditerranéens qui lui semblent naturels, il n’a fait depuis que conforter une incessante envie d’ailleurs. À l’exotisme sucré de Sixun il a seulement substitué une version moins antillaise, moins directement dépaysante ou ensoleillée, plus soucieuse aussi de tendresse que d’énergie, de profondeur que d’exutoire, comme en témoignent ces très beaux albums que sont BoléroMy Little Italy, ou encore le brillant Express Paris-Roma (et ses réminiscences sixuniennes). Avec My Days in Copenhagen, Como pousse un peu plus loin encore cet ailleurs auquel on ne l’aurait pas spontanément présumé sensible : celui du Nord. De la Scandinavie pour être précis, où le voilà s’acoquinant avec un contrebassiste danois, Thomas Fonnesbæk, et un percussionniste suédois, Niclas Campagnol. Encore un peu et l’on se croirait chez ECM (méticulosité acoustique, beauté souveraine de l’espace, sensations de lumière) découvrant le nouveau Garbarek ou le nouveau Gustavsen (le jarrettien en moi se délecte) mais non : on est bien chez Bonsaï Music.

Jean-Pierre Como y aborde des rivages où l’on avait fini par désespérer de l’entendre : le standard. Plus vigoureux, moins immédiatement introspectif que ce que recouvre habituellement l’étiquette un peu rapide de « jazz scandinave », il trouve là une nouvelle occasion de renouveler son très beau lyrisme, ici légèrement feutré, son goût pour les climats, enfin d’y exprimer un très joli toucher, tout à la fois tendre et percussif. L’album s’ouvre en fanfare et dans la plus pure tradition avec You and the Night and the Music, sans grande surprise mais pétri d’une envie de jouer qui fait plaisir à entendre, immédiatement suivi par l’atmosphérique et presque pop You Don’t Know What Love Is. Suivront de belles harmonisations sur Stella by Starlight et une version volontiers guillerette du Triste de Tom Jobim. Como redevient ensuite très chaste, presque habité sur My One and Only Love, avant de proposer une version spécialement enlevée de Bye Bye Blackbird. Et de clôturer l’album de fort belle manière, seul au piano sur le plus sombre Starry Sea, l’une de ses deux très belles compositions.

Les amateurs historiques de Sixun seront sans doute un peu déconcertés par cette facette d’un Jean-Pierre Como plus soucieux de la tradition du jazz, mais ils s’y rallieront assurément, conquis par tant de densité et de plaisir au jeu. Ici ou là, on parle de My Days in Copenhagen comme l’album de la rentrée : le statut ne me paraît pas usurpé.

 

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