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Marc Villemain

26 janvier 2007

Ne rien laisser


Viennent un moment, un âge, une condition, où l'on accueille naturellement ses contradictions, ses failles et sa banalité. On le fait sans honte de soi : le héros en nous est mort et enterré. On ne sauvera pas le monde. On ne laissera rien derrière nous. On aura tergiversé entre ambitions et lassitudes, slalomé entre lâchetés et velléités, sombré d'éclats en démissions : cela s'appelle faire de son mieux. Le monde nous montrera du doigt : c'est qu'il est mal de se résigner, c'est l'indice d'une faiblesse, d'un égoïsme
peut-être. Autour de nous des êtres souffrent, des peuples meurent et des civilisations s'éteignent : nous y répondons par la magie. Les sociétés croient s'organiser en rendant coup pour coup aux désordres - mais sont-elles vraiment dupes ? Elles promeuvent comme jamais l'impératif de communicabilité, y consacrent, même, beaucoup d'argent (public), mais nous avons égaré jusqu'aux règles de la conversation. Ce moment que j'évoque, ce moment où l'individu se sent comme libéré du monde sans être sourd à sa tragédie, et en en portant, même, sa part propre, déroute la communauté. Aussi a-t-on rarement assisté à autant de stigmatisations, d'anathèmes, d'exclusions, dans un pays où chaque citoyen est devenu le procureur de l'autre. C'est un sacré sentiment de plénitude luxueuse que de pouvoir tourner le dos au monde sans que rien ni personne ne nous convainquent d'y faire face - puisque quand nous y faisons face, seul l'échec nous fait écho. Et il est réconfortant de songer que nous n'aurons rien laissé qui justifiât que l'on soit regretté.

25 janvier 2007

Ma femme est malicieuse...

DSC02079... mais je confesse ma responsabilité : depuis quelques temps, allez comprendre, je retrouvais quelque intérêt pour un genre qui a nourri ma jeunesse : le heavy metal. De fil en aiguille, et nolens volens, mon épouse (spécialiste de Brahms mais assez peu de Iron Maiden) se fit donc à l'idée que ma rééducation prendrait certainement plus de temps que prévu... Toujours est-il qu'un lecteur m'envoie sur ce blog un sympathique message m'informant de la prochaine tournée de Pain Of Salvation - groupe en effet particulièrement intéressant : imaginez Marillion en surdose d'amphétamines, ou quelque chose d'approchant. Qu'à cela ne tienne : croyant bien faire, ma douce s'enquit de me procurer une place. Las ! Dans la confusion de son esprit a-metalleux, mais surtout en raison de la quantité de groupes disponibles sur le marché clouté, la voilà qui s'égare et m'offre un billet pour le triptyque Sabaton / Grave Digger / Therion. C'était avant-hier soir, à l'Elysée-Montmartre.

DSC02076La dernière fois que je mis les pieds dans une telle salle, et surtout que j'assistai à un tel spectacle, ce devait être il y a vingt ans (vingt-cinq, me souffle un ami dépourvu de toute compassion). Cela dit, que cela fasse dix, vingt, ou vingt-cinq ans, la vérité est que j'avais oublié que cela fût aussi bruyant. J'entre donc dans ladite salle, flanqué d'un acolyte bienveillant que j'avais dûment contraint, et entouré d'une horde d'humains à l'apparence plus raisonnable que ceux qui accompagnaient mes errements adolescents ; je me suis même fait la réflexion que d'aucuns avaient de franches têtes d'intellos - cheveux mi-longs, petites lunettes rondes et costumes de monsieur-tout-le-monde. Il y a bien quelques clous et quelques corps musclés munis de canettes de houblon, sans oublier quelques jeunes adolescentes romantiques et tourmentées aux lèvres noires et résilles funèbres, mais, globalement, l'ensemble est plutôt sobre, anodin et bon enfant.

Les choses se compliquent toutefois, d'autant que nous occupons tout de même le premier tiers de la salle, au moment où le jeune groupe suédois Sabaton ouvre les hostilités. De sa musique je n'en dirai rien, puisqu'il me fallut une bonne demi-heure (à peu près la durée de leur set) pour interdire à mon muscle cardiaque de battre aussi fort que la grosse caisse, et pour m'habituer au bruit, dont je penserai tout au long de la soirée qu'il n'est peut-être pas utile de le pousser à de telles extrémités - sauf à vouloir absolument rendre inaudibles le chant ou les solos de guitare. Sabaton s'en va, ils ont chauffé la salle comme il convient : le public commence à se masser, d'aucuns n'étant manifestement venus que pour Grave Digger, solides gaillards teutons qui ont suffisamment roulé leur bosse pour prendre la scène avec un certain sens de la routine - des pros, quoi. Le chanteur a une bonne bouille, il est même plutôt souriant, mais son chant de rocaille a tendance à filtrer les mélodies - à moins, encore une fois, que la faute n'en revienne à la surpuissance sonore déjà incriminée. Un tantinet égaré, j'ai toutefois la chance d'être bien entouré : devant moi, un solide gaillard, armé d'un perfecto et d'une mine patibulaire surplombée d'un chevaux blond et ras, se laisse aller à quelques mouvement intempestifs du corps sans souci aucun de m'épargner les pieds ; à ma droite, un autre gaillard, à la tignasse noire plus épaisse et exhibant un tee-shirt rageur à l'effigie de Grave Digger, lève le point en trépignant et en scandant des Hey ! Hey ! Hey ! ou des Digger ! Digger ! Digger ! Juste derrière moi, mais à une fréquence fort heureusement moins régulière, un garçon dont je n'ose regarder le visage balance son corps en avant (vers moi, donc) et je sens sa longue crinière effleurer ma nuque - frisson garanti. Je m'avance donc d'un pas afin de m'épargner le coup de tête accidentel, plus franc et plus direct. Les bons bougres de Grave Digger ont l'air content. Musicalement, je me suis aperçu qu'il y avait un clavier au moment où ils quittaient la scène ; pour le reste, ils ne sont guère portés aux chichis : c'est carré, physique et sans surprise.

DSC02083_2Mais l'immense majorité des headbanggers était venue pour Therion, autre groupe suédois, dont on comprend au passage en les voyant pourquoi ils aiment tant citer Wagner - qui n'en méritait pas tant... Depuis quelques années, la vague ésotérico-lyrique fait des ravages (pas seulement dans le metal) et Therion, à tout seigneur tout honneur, fit partie du premier wagon. Bien sûr, difficile de ne pas sombrer dans le kitsh, inscrit jusqu'aux moindres détails d'une scène transformée en laboratoire de magie noire. Une fois évaporé le picotement oculaire consécutif à quelque gaz assez peu hilarant, la fumée s'estompe peu à peu pour laisser place à une bande de joyeux drilles, tous cousins de la famille Adams et au demeurant musiciens accomplis. Il faut reconnaître à Therion le souci de sortir des sentiers battus du heavy metal ; seulement voilà : à trop vouloir bien faire, les compositions, de précieuses, en deviennent alambiquées. Et pour sortir de l'alambic, ils ne trouvent pas mieux que d'entonner de grands hymnes qui ne sont pas sans rappeler (nous nous en faisons la remarque en même temps, mon ange gardien et moi-même) la fameuse fabuleuse prestigieuse et audacieuse comédie musicale Notre-Dame de Paris - version cataclysmique, comme de bien entendu. Un peu grand-guignolesque, mais distrayant. Le public, très sollicité, joue le jeu avec enthousiasme : me vient alors l'idée que Ségolène Royal, mue par un nouvel élan de bravitude, pourrait fort bien s'inspirer de tels moments de communion pour crédibiliser les désormais fameux débats participatifs. Mais je ne voudrais ici avoir l'air de me moquer : si l'on met de côté un visuel parfois un peu poussif et aux réminiscences douteuses (posture martiale, drapeaux noirs tenus à bout de bras), le spectacle est bien rôdé, porté par des musiciens qui ont de l'oreille, et pour certains assez virtuoses (cf. Kristian Niemann, lead guitar).

DSC02092Je ne fus toutefois pas vraiment fâché que tout cela prenne fin : de bout en bout, le show dura tout de même quatre heures trente, ce qui, après tant d'années à rechercher le silence, prend pour moi des allures de performance - suffisamment en tout cas pour justifier l'absorption de deux cachets d'antalgique antipyrétique à mon retour. Enfin je retrouve ma malicieuse qui, elle, rentre du théâtre, où Niels Arestrup lui a sans doute présenté d'autres facettes, disons plus profondes, ou moins spectaculaires, de la sensibilité humaine. M'en fous : j'irai quand même écouter Pain Of Salvation... t

(Photos personnelles - 1 & 2 : Grave Digger ; 3 & 4 : Therion)

17 janvier 2007

Le vide - sa sérénitude (ou -nité, je ne sais plus)


Est-il vraiment possible de n'avoir
aucune pensée ? Je veux dire, de n'avoir à ce point rien à fixer que nulle pensée n'en pourrait naître ? N'être qu'un oeil enregistreur, une éponge à couleurs, un buvard à sensations ? Laisser venir ce qui vient, ne rien chercher, ne rien vouloir, avancer en mode automatique ? Laisser l'intellect, la culture, le transmis, l'acquis, prendre le contrôle ? Être objectivement sans jugement ? Cela m'arrive souvent. Regarder les choses, mais ne rien voir. Lire la presse, s'arrêter sur des choses lues mais sans qu'aucune pensée n'advienne. Pourtant tout est bon à prendre : l'exécution précipitée de Saddam Hussein et celle, techniquement ratée, de  ses affidées ; la spiritualité sarkozienne recouvrée là-haut, tout là-haut, sur les cimes mystico-telluriques du Mont Saint-Michel ; l'exil helvétique des porte-monnaie et le soupçon de trahison nationale afférent ; la fertilité française (signe d'optimisme ou indice de désespoir ? amour de l'enfance ou peur du vieillissement ? patriotisme matrimonial ou repli familial ?) ; la remise par monsieur le Ministre des insignes de Chevalier dans l'ordre national des Arts et des Lettres à cette exceptionnelle femme de lettres qu'est Amanda Lear ; les saisons qui n'en sont plus ; la bravitude.

Dire, parler, écrire : il faut que la pensée précède - je connais les charmes de l'écriture automatique : avec moi cela fonctionne mal. Mais écrire cela, écrire sans penser, donc écrire qu'il est impossible d'écrire, n'est-ce pas déjà penser - puisqu'on pense qu'on ne pense pas ? Ou est-ce formaliser par le vide l'expression d'un atterrement devant le monde - devant les objets, les simples choses du monde ? Ou est-ce se payer de mots ? Ou est-ce tenter de ré-attribuer à son être une direction - pas même une pensée, une simple direction ? De retrouver ce qui, ordinairement, nous met au diapason ? Tout est vrai, et tout est vrai en même temps, mais à des degrés divers. Selon l'humeur ou l'énergie du moment, selon le désir ou pas que nous aurons de nous sentir participants, la chose sera agréable ou ne le sera pas : on pourra se sentir, non seulement vide, mais creux ; non seulement inutile, mais voué à le demeurer ; on enviera ce héros que devient à nos yeux tout humain agissant ; on détestera se regarder comme une molécule ; on s'allongera comme pour un dernier sommeil ; on attendra la fin du jour. Et puis, parce que le retrait requiert sa petite exigence, parce qu'il est plus fatiguant qu'il y paraît d'être fatigué, parce qu'aucune agitation ne parviendra à nous donner totalement tort ou à nous convaincre tout à fait, parce que l'énergie négative n'est pas moins noble que la positive ou parce que le vitalisme n'est pas un progressisme, on pourra aussi savourer ce qui, entre deux ombres, pourrait bien ressembler à de la sérénité. Il faudra juste savoir ne pas trop en attendre ; ne pas la confondre avec quelque absolu - le bonheur, ce genre de chose. Accepter que ce qui se pose en soi constitue une pause nécessaire dans le devoir-être. Accepter que cette pause s'impose. Et se préparer à penser de nouveau.

9 janvier 2007

Coma - Billet bref sur Pierre Guyotat

Pierre_Guyotat___Coma
S
ans doute en raison d'une certaine forme de paresse autant que par désir de ne pas me laisser influencer, j'ai souvent tendance à lire les livres avec un peu de décalage dans le temps. Ainsi de Coma, de Pierre Guyotat, auteur dont on sait qu'il occupe une place singulière dans le paysage littéraire, et qui jouit conséquemment d'autant de lecteurs inconditionnels que de détracteurs farouches.

Or je suis sans doute en train de passer à côté de ce texte. Je sens bien que cette écriture, dont Jacques Henric a raison de dire qu'elle "bouleverse la logique linéaire du temps", impose sa nécessité et incarne une vision toujours plus poétique du réel. Et j'envie parfois la qualité, crue mais toujours sensible, de ses visions. Reste que je passe à côté, que je trouve bancale
la narration de son moi, qu'elle m'apparaît parfois alambiquée, ou maladroite, parfois enflée ou surdimensionnée - mais peut-être m'est-elle simplement inaccessible. Surtout, surtout, je m'ennuie. Et je le dis avec d'autant plus de réticence que Coma est le récit écorché d'une existence à propos de laquelle on ne se sent guère autorisé à pérorer ou à émettre quelque jugement esthétique. Mais vous connaissez l'ennui, terrible, tyrannique, unilatéral, s'imposant sans l'ombre d'une nuance et vous étreignant malgré toutes vos préventions. Si bien que je rate ce livre car je le lis comme mû par le sens du devoir, et plus encore du respect dû à un texte qui s'acharne sur l'effarement et le traumatisme d'un être devant le monde : on ne peut lire avec quelque profondeur dans de telles dispositions.

Alors je note, ici ou là, certains effarements, certaines lucidités, certaines fulgurances, tous traits dont j'aurais aimé qu'ils fussent miens : "Voir le monde comme le voient en même temps la taupe - qui voit si peu -, l'araignée d'eau, l'aigle ; ressentir le monde comme le ressentent l'acarien du tapis, le crabe ou la baleine ; comme la mouette en plein froid posée sur la couronne de la statue du roi, qui s'y réchauffe en déféquant".

3 janvier 2007

Les acteurs


Disons les choses simplement. L'éclosion et le lent enracinement de l'aspiration démocratique, densifiée à l'extrême lorsque les idéologies prométhéennes prirent le relais, ont donné à l'individu le sentiment de sa puissance en tant qu'acteur de l'histoire. De ce sentiment, nous ne nousdéferons pas facilement - suivant le principe de l'avantage acquis. De grands acteurs existent pourtant ; ils sont pour la plupart connus, quelles qu'aient été par ailleurs les conséquences de leurs actions. Mais ils sont peu nombreux, galvaudés parfois, récupérés toujours, méconnus le plus souvent. Le gros des troupes humaines, ceux-là mêmes qui forment les bataillons de la démocratie, est exclu de cette geste de l'action : nous ne sommes en réalité que des spectateurs, dans le meilleur des cas des témoins - mais des témoins voués au mutisme.

Le franchissement arithmétique des années, chaque 1er janvier, est un artifice calendaire, ludique et symbolique qui ne saurait détourner de cette lucidité : nos vœux, pour la plus grande part d'entre eux, demeureront pieux. Et le plus vraisemblable est que notre avidité à nous sentir acteurs de l'histoire ne conduise guère qu'à aggraver les choses. Je comprends qu'on puisse s'en attrister.

22 décembre 2006

Sur mon père


Je me souviens que je n'avais pas eu la présence d'esprit de le penser en lisant Tolstoï, et qu'il me fallut lire le petit livre que lui consacra sa fille aînée Tatiana (Sur mon père, réédité par Allia en 2003), pour réaliser que mon père était tolstoïen.

21 décembre 2006

Esquisse de Berthet

Frédéric Berthet - Simple journée d'été


O
n parle beaucoup du Journal de Trêve de Frédéric Berthet (Gallimard), et il semble qu'il y ait de fort bonnes raisons à cela - je ne l'ai pas encore lu mais compte bien le faire. Il ne faudrait juste pas que cela dissuade de lire Simple journée d'été, nouvelles que réédite parallèlement Denoël, et qui sont autant de petites perles libres, sensibles et impertinentes.

Ces extraits de Traité d'illégitime défense, autour de laquelle pourrait s'organiser et se nourrir le recueil : 

- Si, à votre naissance, une femme se mêle de vouloir vous susprendre la tête en bas, en vous tenant par les pieds, poussez un cri de protestation. Vous avez alors la peau de couleur grise : c'est de colère. Vingt ans après, retrouvez cette femme et faites-lui subir le même sort.

- Désormais, lorsque vos parents vous trouvent l'air "présentable", demandez  : à qui ? Ne vous laissez plus avoir. Exigez des noms.

- Soyez supérieur aux études supérieures. Restez spécialiste en matins d'automne, en odeurs de feuilles brûlées. Sachez reconnaître les feuilles qu'on brûle. Soyez docteur ès crépuscules, master of équipées nocturnes, professionnel du point de vue des galops du printemps.

J'y reviendrai, plus longuement.

20 décembre 2006

Du succès


On n'écrit plus pour se sauver (de) soi-même, mais pour accabler l'autre et contempler son désastre : c'est la recette des succès du temps.

15 décembre 2006

Du courage

David_and_Goliath
P
ourquoi nous souhaitons-nous si souvent, à la moindre occasion, comme ça, au détour d'un bonjour ou d'un au revoir, pourquoi nous souhaitons-nous si souvent "bon courage" ? D'aucuns méritent cet encouragement : ils souffrent en leur âme ou dans leurs chairs, leur vie est un désastre, ou, plus simplement, requiert une obstination, une pugnacité, un courage particulier, justifié, parfois exemplaire. Mais cette sollicitude a atteint de tels degrés, s'est répandue à un point tel, qu'elle ne peut décemment recouvrir une quelconque réalité. Faire la queue dans une grande surface, respecter une obligation professionnelle, prendre sa voiture pour une durée supérieure à une heure, sortir acheter des croissants alors que le soleil n'est pas encore levé, ou même sans raison, parce qu'il faut bien que la journée se passe : tout est prétexte à cette sollicitude. J'ai chaque jour l'occasion de souhaiter bon courage à mon épouse ; mais je sais pourquoi : son activité dépasse de très loin mes capacités, physiques, psychologiques et morales, je sais que je m'écroulerais dans un lit d'hôpital au bout de dix jours de son régime, et ne conçois donc la possibilité même de son activité qu'à la condition de faire montre d'un courage que je n'ai pas, moi, à éprouver. Peut-être cela signifie-t-il, donc, que tous ceux qui nous souhaitent "bon courage" sont ceux-là mêmes qui, en leur for intérieur, savent qu'ils en manquent ? Peut-être. Mais cela va sans doute au-delà de cela. Car si l'on met de côté les cas les plus évidents (souffrance, abandon, solitude, misère, deuil, dépression, maladie, terreurs diverses), les occasions pour les contemporains occidentaux de faire preuve de courage sont somme toute assez rares. Tout au plus avons-nous besoin, pour vivre au jour le jour, d'un peu de volonté, de fermeté morale et d'énergie. Alors ? Alors il se pourrait bien que notre société, qui promeut comme aucune autre la promesse du bien-être, du confort, de l'esthétique corporelle, de l'enfance éternelle et de la mort sans douleur, qui valorise comme jamais l'organisation, la planification, l'anticipation, le contrôle social et le bien-nommé principe de précaution, qui prête une attention exorbitante aux moindres caprices, aux moindres plaintes, aux moindres frustrations, ne soit plus en mesure d'appréhender le dépassement de soi, de comprendre l'effort résigné, silencieux, assumé, d'accepter, même, l'idée que la vie ne soit pas jouissance perpétuelle. Tant et si bien que nous faisons de nos petits tracas motif de grandes doléances, et que nous nous sentons sincèrement satisfaits de nous-mêmes lorsque nous avons pu les surpasser. Laissant le vrai courage à d'autres - ceux qui n'ont pas même le loisir de s'en prévaloir.

12 décembre 2006

Porte close

Merci à lignes de fuite d'avoir déniché le texte, magnifique, de la conférence prononcée par Orhan Pamuk le 7 décembre dernier, lors de la remise de son prix Nobel. Non sans quelque bonne raison, j'en retiens le même extrait, tout en vous invitant instamment à lire le texte intégral sur le site de la Fondation Nobel.

"Pour devenir écrivain, il faut avoir, avant la patience et le goût des privations, un instinct de fuir la foule, la société, la vie ordinaire, les choses quotidiennes partagées par tout le monde, et de s'enfermer dans une chambre. Nous, écrivains, avons besoin de la patience et de l'espérance pour rechercher les fondements, en nous-mêmes, du monde que nous créons, mais le besoin de nous enfermer dans une chambre, une chambre pleine de livres, est la première chose qui nous motive. Celui qui marque le début de la littérature moderne, le premier grand exemple d'écrivain libre et de lecteur affranchi des contraintes et des préjugés, qui a le premier discuté les mots des autres sans rien écouter que sa propre conscience, qui a fondé son monde sur son dialogue avec les autres livres, est évidemment Montaigne. Montaigne est un des écrivains à la lecture desquels mon père revenait sans cesse et m'incitait toujours. Je veux me considérer comme appartenant à cette tradition d'écrivains qui, que ce soit en Orient ou en Occident, se démarquent de la société, quelle qu'elle soit, où ils vivent, pour s'enfermer dans une chambre pleine de livres. Pour moi, l'homme dans sa bibliothèque est le lieu où se fonde la vraie littérature."

11 décembre 2006

L'hiver biologique

Zoran_Music___Poltrona_grigia
Les lassitudes hivernales, cette espèce de sas dans lequel nous nous laissons envelopper et où les couleurs de la nature semblent vouloir coïncider avec le temps de nos existences, pourraient être vécues comme une manière de régénération, comme l'occasion, rituelle, saisonnière, d'un changement de peau - un check up qui passerait au crible nos humeurs défaillantes : ainsi pourrions-nous en retirer quelques bienfaits pour l'avenir et pour le prochain hiver. Mais il faudrait à cette fin pouvoir embrasser la vie avec une ardeur hélas programmée pour s'émousser au fil de l'avancement dans l'âge - et nous n'attendons plus de l'hiver que sa promesse grise, que le châle blanc de sa réclusion. Nous courions jadis à travers les champs de poudre et nous escaladions les collines immaculées ; nous rentrions sur le tard, glissant et pirouettant sur le macadam engourdi, les joues écarlates, les extrémités gelées et le corps détrempé, avides déjà du lendemain ; nous contemplons dorénavant, de derrière les carreaux, non l'éclaircie qui viendra, mais les signes et les indices de ce qui se prépare et nous attend.

(En icône : Zoran Music, Poltrona grigia)

6 décembre 2006

Question sans réponse

Que faire dans un pays, et pour ce pays, quand plus de 40 % des sondés, selon les premières enquêtes, estiment que la nouvelle loi sur la délinquance promue par Nicolas Sarkozy (la loi, pas la délinquance...) ne va pas assez loin ? cela signifie-t-il que ce pays est mûr pour passer à un autre système - reléguant aux âges d'or ce qui fit son ferment démocratique et civilisationnel ?

4 décembre 2006

Le petit meccano

Meccano
Je  devais avoir une petite dizaine d'années lorsque je me fis mes premières réflexions politiques. Je m'en souviens car j'aimais consulter le grand Atlas du monde, ce grand Atlas où je découvris, un peu stupéfait et un tantinet défait, la petitesse physique de la France - dont je pensais évidemment que c'était elle qui menait la danse planétaire. Je ne sais plus en revanche à quelle exacte occasion je me suis formulé cette réflexion d'ordre plus concret, à savoir : comment faire pour que la société fonctionne ? Mon premier mouvement, quasi instinctif, fut, non seulement légaliste, mais systémiste. Je me disais, en gros, que si chaque individu adoptait un comportement qui fût à la fois responsable et moralement inattaquable, que si chacun y mettait un peu du sien (ne pas gaspiller de nourriture, aider les vieux à traverser sur les clous, respecter la loi, tendre la main aux pauvres et prêter ses jouets au voisin, donner à tous un frigidaire - garni - et un radiateur, bien travailler à l'école et bien se tenir à la messe), alors la société pourrait adopter son régime de croisière et entrer dans un mouvement de félicité continue. En fait, je regardais la société comme un jeu de meccano. Si j'avais vent, par la télévision, la radio, ou les discussions familiales, d'un problème quelconque, je me disais que toute solution résidait dans la mise à plat dudit problème : il fallait repartir de zéro, reconstruire brique après brique, pierre après pierre, pièce après pièce. Et j'éprouvais un plaisir assez exaltant à me savoir moi-même rouage parmi les rouages, petite main qui, par son comportement responsable et exemplaire, contribuait à ce que la grande roue continuât de tourner sans à-coups : si, à mon niveau, je mettais un peu de ma propre huile dans mon propre rouage, que je serrais convenablement les boulons (pas trop fort dans le cas où je sois conduit à les desserrer mais suffisamment tout de même pour que l'ensemble tienne), alors je ne voyais pas ce qui pourrait faire obstruction à la bonne marche du monde.

Naturellement, je découvrirai plus tard que ce systémisme-là était une charmante utopie - qui plus est aux fondements relativement bourgeois. Le systémisme est bien, pourtant, ce qui semble présider aux réflexions de nos dirigeants, actuels et futurs. Il part du principe que tout se tient, que le battement d'aile du papillon peut en effet faire éternuer un nourrisson allergique à l'autre bout du monde, que tout problème génère sa solution : que tout, finalement, est une question d'ordre. De la même manière qu'il faut ranger sa chambre et la nettoyer afin d'en éliminer les acariens, la société doit lutter contre ses propres scories, microbes et virus. L'hyper-hygiénisme contemporain, qui procède de cette vision du monde, ne postule pas autre chose : en éliminant la misère, nous éradiquons la violence ; en éliminant les différences, nous éradiquons les sources de conflit ; en remplissant les prisons, nous éradiquons les incivilités ; en éliminant les fumeurs, nous éradiquons le cancer ; en éradiquant le cancer, nous résolvons les problèmes de santé publique ; en résolvant les problèmes de santé publiqué, nous rebouchons le trou de la Sécu ; en rebouchant le trou de la Sécu, nous stimulons la machine économique ; en stimulant la machine économique, nous faisons le bonheur de tous ; etc... Ces vieilles croyances, nourries au biberon d'un scientisme mâtiné d'essentialisme et de progressisme, n'en finissent pas de conduire à l'échec : sans aller jusqu'à écrire (confesser ?) que c'était mieux hier, on ne peut décemment écrire que c'est mieux aujourd'hui. Finalement, il semble impossible que nous nous défassions de cette vision du monde : ce serait reconnaître que l'action des hommes est nulle et non avenue - parfois même contre-productive ou désastreuse. Et en effet, ce serait insupportable.

1 décembre 2006

Balthus underground

Les regards dans le matin du métro comme un tableau de Balthus, quand aucun visage ne se croise et qu'aucun oeil ne se toise. Nous tous, absorbés dans la mécanique vitale ; autant d'énergie employée à la conservation d'un job qui, pour la plupart, rétrécit le monde et ne sert qu'à remplir l'auge - mais qui pourrait se plaindre ?

30 novembre 2006

Le pire d'entre nous

Solitude
Il 'y a rien à faire d'autre que de retomber sur l'intarissable poncif - que son mauvais air de certitude ne fait pas moins juste : l'écrivain est un être seul. Le pire d'entre nous, celui, cynique, qui ne regarde plus le monde et les hommes que comme une seule et même occasion d'en tirer une bonne histoire, celui qui s'assure de sa cote dans les pince-fesses où il s'incruste parfois avec l'allure de celui qui maugrée, celui qui ne disserte plus sur la vertu que pour mieux s'en émanciper lorsqu'il s'agit de faire les comptes, celui qui vise le sujet qui vendra le plus quand c'est celui qui lui ressemblera le moins, celui qui traque, fouille, pille les autres, en arguant de sa bonne foi et en s'offusquant de la suspiscion générale, celui dont le moteur intime ne s'allume et ne s'attise plus qu'au contact de l'épée, de la hargne jalouse ou de l'échec rédempteur, celui qui ne lit plus les siens que pour s'assurer qu'il est bien le meilleur d'entre eux, ou pour vérifier que l'autre est toujours décevant, celui-là, cet écrivain-là, aussi mort sera-t-il au miroir de l'humanité, n'en sera pas moins seul devant son écriture. Cette solitude, davantage que son dernier repère, est, sera, son dernier territoire, rabougri peut-être, pathétique si vous voulez, misérable et vain sans doute, mais son dernier territoire tout de même, là où il habitera en conscience les ultimes parcelles son humanité. Dans ce moment, ce monde qu'il voue aux gémonies et auquel il aspire pourtant avec la même et enthousiaste verdeur que le puceau devant l'objet le plus indécent et le plus incandescent de son désir, ce monde ne sera plus rien : il se résumera au micro-périmètre du bureau, du stylo et du cerveau. Et rien ne pourra l'en faire partir. Fors l'amour.

28 novembre 2006

Orgueil et prétention : nuance

André Gorz - Lettre à D


I
l est difficile de critiquer le petit livre d'André Gorz, Lettre à D. - Histoire d'un amour : c'est authentique, touchant, nécessaire. Et que peut rêver de mieux celle qui, à quatre-vingt deux ans, en est la destinataire ? Combien l'auteur a-t-il dû mettre de lui-même dans ce livre ? dans chaque mot de ce livre ? combien d'images, de visions, d'émois, a-t-il dû faire revenir à lui pour l'écrire sans avoir le sentiment de se trahir ou de trahir une histoire ? Décemment, non, on ne peut critiquer le récit d'une existence tout entière tournée vers l'être aimée. Pourtant, je peux, ou veux, le dire : je ferai(s) mieux - ce n'est pas prétention d'écrivain, simple orgueil d'amoureux.

27 novembre 2006

Swiftien

PersilQu'en est-il de la "guerre du Persil", dont on parla un peu dans le courant de l'été 2002, et qui voyait s'opposer, sur fond de diplomatie internationale, de vigilance européenne et de médiation américaine, le Maroc et l'Espagne ? Le Maroc a t-il finalement pu recouvrir la jouissance du petit rocher inoccupé ? l'Espagne a-t-elle accédé aux revendication des quelques chèvres qui y luttaient pour la liberté de paître ? Ou au contraire a-t-elle persisté à voir en ce rocher une zone dangereuse qui pourrait bien, un jour, devenir une plaque tournante pour la drogue et pour la très vilaine immigration clandestine ? Bref, quelqu'un pourra t-il me répondre : qui, des Gros-Boutiens ou des Petits-Boutiens, l'a finalement emporté ? La guerre du Persil a-t-elle eu lieu ?

24 novembre 2006

Patrice Alègre, la plante tordue

Patrice_Al_gre
O
n se souvient du procès de Patrice Alègre, en 2002, accusé (et reconnu coupable) de cinq meurtres et six viols. Je ne sais pourquoi je notais alors, et assez régulièrement, les minutes de ce procès - peut-être parce que mon imagination de romancier se heurtant à quelque panne, je cherchais là une source nouvelle et probante. Toujours est-il que je m'y intéressais, pour des raisons qui ne tenaient pas tant aux faits eux-mêmes (finalement assez banals dans l'histoire criminelle) qu'aux réactions qu'ils suscitaient dans l'opinion et les médias : nous étions déjà de plain-pied dans l'ère du fait divers que l'on monte en épingle métaphysique. Cinq ans plus tard, un peu de sarkozysme aidant, les faits divers sont officiellement devenus le gros grain à moudre de nos médias et l'une des principales sources d'inspiration où s'abreuve le discours politique dominant.

Nous apprenons donc, ce mois de février 2002, que Patrice Alègre est condamné à l'emprisonnement à perpétuité, peine assortie de vingt-deux années de sûreté. Au passage, rappellons que le père de Patrice Alègre (dont ce dernier disait qu'il ne l'avait "pas éduqué, mais dressé") était CRS - information on ne peut plus rassurante quant à l'éducation qu'est susceptible de prodiguer un père de famille formé par la République au sang-froid, à la maîtrise de ses pulsions et au respect inconditionnel de la loi. À l'issue du procès, je recopiai sur un carnet la lettre qu'adressa Patrice Alègre à sa fille Anaïs, douze ans, et que voici : « Bonjour, étoile de mon coeur, tu sais, je ne suis pas né comme ça et je n'ai pas voulu tout ça. Toute ma jeunesse fut très dure, et ce n'est pas une excuse. Au fond de mon coeur, j'aurais préféré que tout cela n'arrive pas et que nous soyons ensemble. La seule chose que j'ai faite dans ma vie et dont je suis fier, c'est toi ma fille. Je n'ai eu personne pour me guider, m'expliquer. Comme une plante, avec du soleil et de l'eau, elle va pousser droit. Si la plante prend la grêle et les coups, elle va pousser tordue. Je t'aime »

Aujourd'hui, c'est de la société elle-même et de certains de ses représentants les plus autorisés que les plantes reçoivent la grêle et les coups. La volonté de Nicolas Sarkozy, farouche, obsessionnelle, de revenir sur les principes cardinaux de la justice des mineurs, principes qui prévalent depuis 1945 et qui fondent une éthique du droit somme toute assez raisonnable, en est une des manifestations. Mais ce qui procure la plus grande tristesse, c'est que Nicolas Sarkozy n'est ici qu'un syndrôme : il n'est effectivement, j'en suis persuadé, qu'un amplificateur de la vox populit

23 novembre 2006

Houellebecq national

Dans mes diverses notes, je tombe sur ce mot de Jacques Julliard, paru dans le Nouvel Observateur - nous sommes en février 2002, la campagne électorale présidentielle bat son plein : La rencontre de Michel Houellebecq et de Jean-Pierre Chevènement dans la salle des pas perdus du souverainisme vaut bien celle d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection. Il fallait la trouver, celle-là...

23 novembre 2006

Du sexe des anges et de l'amour des animaux...

La technologie Canalblog est à ce point performante (mais ni plus ni moins sans doute que d'autres plateformes d'accueil) que chacun peut aisément savoir qui vient visiter son blog, ce qu'il y fait, et par quel intermédiaire il y a atterri. C'est en cliquant par curiosité sur l'option qui permet de savoir quels mots-clés les internautes ont entrés dans leur moteur de recherche pour arriver chez moi que je suis tombé sur cette entrée : " Les techniques pour pénétrer ma chienne". J'avoue avoir été stoppé net dans mon élan, ahuri (on le serait à moins) que l'on puisse : 1) compter sur Google pour trouver une réponse à cette délicate question ; 2) atterrir sur un blog aussi respectable que le mien avec de telles pensées.

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