jeudi 21 août 2008

Mon quotidien

Exercice auquel je me livre assez peu, par prudence et scepticisme : le commentaire de l'actualité - du moins telle qu'elle est rapportée et perçue par les journaux, en l'espèce, le journal LIBÉRATION de ce jour.

AFGHANISTAN. Je n'ai pas d'avis particulier, ou particulièrement pertinent, sur la présence de la France dans ce pays. De manière assez instinctive, qui tient pour partie à mes années de formation intellectuelle et à une chimérique mais persistante "idée de la France", j'y suis plutôt favorable. Nous n'y sommes sans doute pas très opérationnels, mais notre présence est au moins symbolique de l'attention que nous portons aux plaques tournantes du monde. Une certaine folie terroriste étant ce qu'elle est, il n'est peut-être pas anodin, ni inutile, que nous nous affichions auprès de ceux qui visent à la contenir - étant entendu qu'être un allié n'induit pas d'être un allié inconditionnel. Restent bien sûr à examiner les modalités de cette présence en terres afghanes. Aussi Pierre Moscovici en appelle-t-il à une redéfinition de nos missions autour des impératifs de "reconstruction", de "développement économique et social de l'Afghanistan", "d'affirmation d'un État de droit" et de "lutte contre la corruption" : voilà qui ne mange pas de pain. Toutefois, il faudrait pour cela y consacrer un budget dont on voit mal quel socialiste, dans les circonstances que connaît actuellement ce parti, pourrait l'approuver et le voter.

Les réactions de certains responsables politiques me laissent toutefois un tantinet pantois, tant elles semblent assez indignes de leur statut et des responsabilités qui y sont attachées. Ainsi Jean-Pierre Brard, apparenté communiste, semble souffrir de ce que ce "bourbier" lui "rappelle celui que la France a connu dans l'Algérie coloniale", Olivier Besancenot, en conclusion d'une analyse géopolitique prophétique, ne voyant quant à lui dans cette implication militaire "qu'une guerre pour le pétrole", tandis que Jean-Marie Le Pen, comme de bien entendu, ne semble pas être prêt à "se faire tuer pour l'oncle Sam." On aimerait aussi savoir ce que recouvre exactement l'exhortation de Paul Quilès à "infléchir la stratégie vis-à-vis du terrorisme" ; même chose pour Pierre Lellouche, qui dit attendre "une remise à plat de la stratégie de l'Otan." Quant à Thierry Mariani, dont l'Assemblée est coutumière des coups de menton, sa naïveté et sa foi en la grandeur de la France sont finalement assez touchantes, et nous serions assez peu charitables de moquer sa conviction selon laquelle "le renforcement de la présence française" permettrait "que la menace terroriste soit éradiquée et que l'Afghanistan puisse un jour sortir de l'obscurantisme." Sur un autre registre, il nous avait d'ailleurs déjà convaincus, il y a quelques temps, que les test ADN pratiqués sur les candidats étrangers au regroupement familial amélioreraient nos politiques migratoires et du même coup l'image de la France.

CAUCASE. Tribune édifiante de Mikhaïl Gorbatchev, qui pleure "une crise dont la Russie ne voulait pas." N'étant ni dans le secret des dieux, ni dans ceux d'Alexandre Adler, je me demande s'il fait ici montre de naïveté, d'hypocrisie patriotique ou de sénescence. Contre toute évidence, il explique donc que la Russie est la première surprise de ce qui arrive, qu'elle ne s'y était préparée en rien, que toute la faute en revient au président géorgien Saakachvili, et que c'est le président russe Medvedev qui décida de "cesser les hostilités", faisant ici "ce que devait faire un dirigeant responsable." Militairement pourtant, et  quelle que soient les torts, avérés, de Saakachvili, il ne nous explique guère comment il fut possible aux troupes russes de réagir en quelques heures, alors qu'il leur aurait normalement fallu trois à quatre jours pour être en position ; gageons qu'elles ne devaient quand même pas être bien loin.

Si l'on s'attendait en effet à ce que l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud réclament leur indépendance, s'appuyant de plus ou moins bonne foi sur le précédent du Kosovo, il est intéressant aussi de noter que c'est précisément hier qu'a été signé entre la Pologne et les Etats-Unis l'accord sur le bouclier anti-missiles. Il faudrait être retors pour y voir une conséquence, même indirecte, de tout ce qui précède.

VERTS. Je m'amuse toujours de la place que consacre LIBÉRATION aux imbroglios d'appareil de nos amis écologistes. Il fallait bien une pleine page, en effet, pour évoquer ce parti qui a tout de même récolté 1,5 % des suffrages aux élections présidentielles et 3 % aux législatives, et pour se réjouir au passage que José Bové et Dany Cohn-Bendit se soient serrés la main.

ANGOT, ENFIN. De vous à moi, je ne crois guère au succès de son petit livre sur ses petites embrouilles avec Doc Gynéco, ce Marché des amants où le mot le plus important est sans doute le premier. Pas surpris, mais agacé, tout de même, de voir LIBÉRATION monter dans le wagon et se sécher les mirettes devant cette "tendresse" nouvelle qu'affecte la rude Christine, qui, "infailliblement douée pour faire évoluer des personnages", aura en effet réussi le tour de force de rendre le Gynéco "attachant." Et LIBÉ de moquer au passage "la rive gauche, la gauche caviar, le pré carré des intellectuels médiatiques, éditeurs, journalistes, écrivains" et autres "individualistes vigilants, convaincus de se tenir à distance des fratries illusoires", ce qui était tout de même assez osé ; surtout pour ne jamais citer le nom de celui que le rappeur et la moderne soutinrent avec quelque enthousiasme : Nicolas Sarkozy. Mais c'est une vieille histoire : la presse de gauche a toujours adoré se tromper d'adversaires.


mardi 12 août 2008

D'Europe en Ossétie


Ce qui se joue entre la Géorgie et la Russie a ceci de passionnant, en sus d'être inquiétant, que ce conflit a toutes les caractéristiques d'un revival, quelque chose d'une piqûre de rappel d'un siècle, le vingtième, que nous aurions grand tort de considérer comme fini. Si l'historiographie a besoin de repères, et qu'à cette aune le 11 septembre peut en effet passer pour le signal (mais ni plus ni moins que le signal) de l'entrée dans le vingtième-et-unième siècle, nombre de conflits, en cours, sommeillants ou 
« gelés », constituent autant d'indices d'une structure géopolitique, idéologique et économique dont nous pourrions faire remonter bien des traits au dix-neuvième siècle, ce temps des nations, donc, dont l'état persistant du monde tend à laisser penser qu'il a certainement encore de très beaux jours devant lui. 

Nous autres occidentaux, spécialement européens, ne pouvons être que fascinés, que cela soit pour nous en réjouir ou pour nous en alarmer, par la persistance de l'Histoire en dehors de notre très sage Union. L'Europe est le produit d'une double idéologie (qui n'est ni sans intelligence, si sans légitimité, cela va sans dire) : le pragmatisme comme mode de résolution des conflits, la paix comme destin unanime. Moyennant quoi, toute dimension tragique dans la pratique de l'Histoire nous apparaît comme un signe d'arriération, et toute entreprise armée ou militaire comme un indice de barbarie. Il ne s'agit pas ici de faire l'éloge de l'utopie et de la guerre, mais de constater que nous aspirons, consciemment ou pas, et cela depuis la fin de la seconde guerre mondiale, voire, pour les plus pacifistes d'entre nous, de la première, à devenir des peuples a-historiques - présupposant par là que, là où il n'y a pas d'histoire, il y a la paix.

Aussi pouvons-nous le constater avec une troublante régularité depuis la dilution de la Yougoslavie : durant les premières heures d'un conflit, l'Europe demeure sans réaction. Faute de mieux, soit parce qu'on la sollicite, soit parce qu'elle-même cherche à imprimer sa marque, son premier réflexe est de temporiser. Vladimir Poutine (dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pas en Medvedev un contradicteur très obstiné...) s'était déjà envolé de Pékin quand Nicolas Sarkozy, président de l'Europe, applaudissait encore aux efforts des sportifs français - l'image est là, d'une rude évidence. Aussi le premier plan Sarkozy pour la résolution du conflit entre la Géorgie et la Russie était-il, en dépit de son succès très immédiat, particulièrement creux, foncièrement et idéologiquement vide de toute analyse comme de toute histoire. On peut le résumer d'un mot : Paix ! Voilà ce que la présidence française de l'Europe se proposait de faire, ici et maintenant, sans autre considération. À cette aune, Nicolas Sarkozy, s'il ne passera guère pour un visionnaire, pourra au moins, une fois n'est pas coutume, se faire passer pour un pacifiste. L'Europe, en la personne du président français, n'a pas agi autrement  que comme un conseil de classe qui décide de mettre un avertissement à deux élèves un peu turbulents. Bien sûr, tout le monde se réjouira que les belligérants acceptent de tenir leurs ardeurs et retenir leurs gâchettes - même si le mal est déjà fait puisque, en dépit du spectacle indécis de la concurrence des souffrances, l'on peut d'ores et déjà, de manière certaine, estimer à plusieurs milliers le nombre de victimes, morts ou blessés, sans rien dire des destructions matérielles et du nombre de personnes qui ont dû fuir dans les pires conditions, sans savoir ce qu'elles trouveront là où elles iront ni ce qu'elles retrouveront lorsqu'elles pourront rentrer.

Obtenir un cessez-le-feu n'est pas une sinécure pour autant, et constitue assurément un bon moyen d'envisager l'avenir des discussions. Mais c'est là que le bât blesse. Car le devenir de la Géorgie, de l'Ossétie (du sud comme du nord) et de l'Abkhazie, ne constitue qu'une petite partie de l'avenir des relations entre l'ex-Ouest et l'ex-Est. Nous en sommes peut-être là : la seconde guerre mondiale, puis l'écroulement de l'Union soviétique, puis le 11 septembre, ne semblent pas avoir affaibli le tropisme des peuples à se sentir d'Orient ou d'Occident. Le fantasme de Poutine n'est pas l'URSS, mais l'Empire des tsars. De la même manière, l'angoisse, même informulée,  de l'Europe et des États-Unis, est d'échouer à contenir ce qu'il reste de soviétique et d'impérial dans ces pays de l'Est qui persistent à se nourrir d'Histoire. En fonction des circonstances, la Chine et la Russie joueront alternativement le rôle de celui qui fait peur à l'avenir ; mais fondamentalement, c'est leur  rapport comparable au temps et à leurs origines, c'est leur insistance à faire passer l'honneur avant la paix, l'identité avant la société, qui nous tétanisent. D'une certaine manière, c'est leur romantisme qui laisse l'Europe interdite. Au nom de la paix, ou pour l'obtenir, nous nous résignons souvent à ce qui est - fût-ce en entérinant telle ou telle injustice géopolitique ; cette résignation (non nécessairement « munichoise ») qui fonde la raison européenne, est sans doute étrangère à la vision du monde qui prévaut dans les empires russes et chinois, et qui les rend, sur tous les terrains, tellement offensifs - quitte, d'ailleurs, à s'affaiblir eux-mêmes à l'occasion.

L'avenir (très proche) identifiera des responsables, sans doute des coupables. Il est probable à cet égard que le peuple géorgien fasse payer très cher à au président Saakachvili l'inconséquence de son geste - mais il faudra alors expliquer ce geste, saisir combien il fut conditionné, encouragé par les bonnes paroles américaines autant que par les provocations très malignes des Russes. Imaginons un seul instant qu'un puissant mouvement indépendantiste, soutenu par telle grande puissance, et quelle que soit sa légitimité, sévisse aux frontières de la France, multipliant chaque jour les provocations, y compris armées : le pouvoir central resterait-il longtemps l'arme au pied ? Le geste de Saakachvili ressemble davantage à une faute qu'à une erreur ; cela ne le dispense pas de s'en expliquer, et justifie peut-être qu'il en paye politiquement le prix. Mais il serait en tout cas bien trop commode de faire peser sur lui les motifs et les mobiles du présent conflit. Car cette faute était inespérée pour la Russie : pas à proprement parler une divine surprise (on ne saurait être surpris par ce que l'on attend et/ou prépare), mais à tout le moins une parfaite opportunité de reprendre pied dans un Caucase auquel nul patriote russe ne peut sans doute se résigner.

Cette guerre-éclair porte en tout cas un éclairage saisissant sur l'Europe, dont les divisions sont ici plus que jamais marquées au sceau de l'histoire, comme en attestent les réactions, à mille égards bien compréhensibles, de la Pologne et des pays baltes. Voilà qui plaide, à nouveau, pour un approfondissement bien compris : sauf à imaginer que l'égalisation progressive des conditions sociales sur le continent suffise à son unité, la vérité est que l'on ne réagit pas également devant l'histoire selon qu'on est néerlandais ou espagnol, polonais ou français, et que nulle géopolitique européenne, que nul dessein européen, ne peuvent voir le jour sans qu'ait été préalablement fait le choix d'une histoire - donc d'une pratique.

dimanche 20 juillet 2008

Je suis marmando-jarrettien

 

Capture d’écran 2022-09-21 à 19

Billet de Francis Marmande dans Le Monde, comme toujours excellent, loin des poncifs sur les humeurs du musicien : Voir tous les ans Keith Jarrett pour savoir où en est la planète. Histoire de revenir à la musique - et d'oublier les ambiances.

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jeudi 17 juillet 2008

Nos amis les nuages


Par la fenêtre les nuages se poussent au cul comme de gros veaux marins, lourds lents et fastidieux. Ils avancent s'empilent et s'incorporent dans la plus grande indifférence pour la beauté de leurs formes, et finissent en un agrégat obèse et compact. Ce peuple étrange, moutonnier, qui se soucie d'être dans le vent et caresse les arbres dans le sens de leurs feuilles, a quelque chose qui nous ressemble
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jeudi 10 juillet 2008

Chimère


D'
où vient ce désir, soucieux, constant, de coller à son temps ? D'où vient que les humains éprouvent toujours le besoin de se distinguer de leur propre passé, non pour ressembler à ce que l'humanité pourrait être demain, mais pour se confondre avec ses manifestations du jour ? D'un côté, l'on se vante d'être moderne en oubliant machinalement ce qui fut et en lui lançant à l'occasion quelque œillade de commisération, de l'autre on se heurte à cette étroitesse d'esprit congénitale qui nous empêche de voir plus loin que le bout de nos jours. Aussi les vraies "avant-garde" ne le sont qu'à leur insu. Elles ne sont pas représentées par ceux qui scrutent l'avenir et tente de s'en approprier ce qui pourrait être les tics ou les oripeaux, mais par ceux qui embrassent les trois dimensions du temps au point même que le temps n'a plus prise sur eux. La modernité d'apparat semble avoir trouvé sa résolution dans la manifestation de ses formes - un langage, une vie sociale, un code, un accoutrement : c'est pourquoi toute mode est ringarde par essence, et pourquoi toute nouveauté tue ce qui pourrait être nouveau en elle dans l'instant même où elle s'annonce comme telle. C'est pourquoi aussi l'amour de la part sacrée de l'art ne fait plus guère recette que chez quelques fossiles et qu'il a cédé sa place à la revendication du plaisir de la reconnaissance et de l'identification : l'art, pour trouver son public, doit finalement lui ressembler, se confondre, ici et maintenant, avec ce que nous semblons ou croyons être. C'est pourquoi enfin nous pouvons faire preuve d'un optimisme suspicieux : ce que nous pensons être n'étant jamais ce que nous sommes, les œuvres et manifestations de l'art, autant que ses publics, demeurent imprévisibles.

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mercredi 9 juillet 2008

Libération ou divine surprise ?

La libération d'Ingrid Bétancourt n'est pas un sujet, c'est entendu. Tout au plus peut-on s'agacer du spectacle auquel elle donne lieu, qui voit communier dans un même élan caritatif tous ceux que, d'ordinaire, rien ne parvient jamais à mettre d'accord. Mais il est connu que les gaulois querelleurs raffolent des trêves patriotiques. Quant à celle ou celui qui tenterait d'exister à travers cet événement dans notre paysage politique un peu dérisoire, il ou elle ne fera que se ridiculiser davantage - mais il est vrai qu'on peut en prendre l'habitude.

Mon propos, très bref, sera digressif. Je m'étonne simplement que la foi religieuse d'Ingrid Bétancourt, foi à laquelle nul ne peut rien trouver à redire, qui ne me gêne d'aucune manière et que je respecte d'instinct, ait trouvé matière à s'exprimer dans les enceintes du Parlement. En effet, la croix qu'elle arbore sur sa poitrine constitue ce que, naguère, le législateur désigna comme "signe religieux ostentatoire", et qu'à ce titre il bannit des édifices publics. Ce n'est pas la croix en elle-même qui me gêne, mais son exposition, ce qu'elle signifie et charrie. S'il arrive que quelques urticaires laïcistes peuvent, à moi aussi, me donner l'envie de me gratter, tant ils sont épidermiques et machinaux, m'irritent tout autant les petites libertés que la République prend avec les lois qu'elle a votées - et, en l'espèce, avec quelle solennité. Autrement dit, le bonheur de la nation n'aurait pas été moins total et moins sincère si nous n'avions pas à le mettre sur le compte de l'intervention divine, et si ladite intervention n'avait pas fait l'objet d'une publicité un peu grossière dans les lieux mêmes qui sont censés l'interdire. Dieu soit loué, Ingrid Bétancourt n'est ni scientologue, ni musulmane, ni juive, ni témoin de Jéhovah.

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lundi 7 juillet 2008

THEATRE : Délivrez Proust - Philippe Honoré

D_livrez_Proust
Voilà donc qu'on nous invite à une DÉCLINAISON LOUFOQUE ET SENTIMENTALE AUTOUR DE PROUST. Après tout, pourquoi pas : soyons modernes. C'est un des grands dadas de notre époque que de vouloir trouver du rire et du loufoque en tout, quitte à en fabriquer ex nihilo si vraiment on rentre bredouille. En fait de loufoque, nous ne trouverons rien ici qu'un empilement de caricatures, un peu comme pouvaient l'être les pièces que les bouffons jouaient pour complaire au roi, naguère : juste ce qu'il faut d'humour gras (ah, les "matières de Marcel" !), de pochade sociale (la bouche en cul-de-poule de Madame Verdurin), et d'anachronisme car ça fait toujours rire - cf. Les Visiteurs. Bon, on rit sous cape, c'est sûr, mais pas toujours à bon escient, et rarement pour la bonne cause.

L'intention, cela dit, n'était pas déplaisante - mais il est vrai que l'enfer en est pavé : donner envie de Proust, dédramatiser l'épaisseur de La Recherche, rire, car cela est risible en effet, bien sûr, des us et coutume de la belle société d'époque, faire entendre ses résonances dans notre temps contemporain. Mais le didactisme ici devient vite très lourd, tant il est éculé, attendu, vaguement poujadiste. Les deux acteurs, Anne Priol et Pascal Thoreau ne sont pas mauvais, ils se donnent, essaient d'y croire, d'habiter autant que faire se peut un texte hilare, parfois même semblent y chercher autre chose, jusqu'à éprouver une émotion sincère ; aussi la chute est-elle un peu plus tenue, le texte prend enfin le dessus sur la grimace. Mais voilà : d'un texte un peu sot et mal mis en scène, il est difficile de tirer autre chose que des soupirs. Jusqu'à l'exaspération pour ceux qui ne supportent pas que Proust fasse l'objet d'un tel simulacre ludique ; avec un peu plus d'indulgence si l'on accepte que Proust a aussi le droit d'être mal interprété.

DÉLIVREZ PROUST, d'après Marcel Proust, de Philppe Honoré - Mise en scène de Philippe Person, avec Anne Priol et Pascal Thoreau.
Théâtre du Lucernaire, Paris.

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mercredi 18 juin 2008

Amour foot & culture

Je ne m'intéresse plus au football, et au sport en général, depuis des années, et cela en dépit de plusieurs années de pratique assidue et du plaisir que son spectacle peut me procurer à l'occasion. Moyennant quoi, la dernière compétition sportive que j'ai regardée à la télévision doit remonter à 1998, soit la coupe du monde de football ; qui plus est, je n'ai plus aujourd'hui de téléviseur. Bref, il paraît qu'il y avait un match hier soir, entre l'Italie et la France, et que la France a perdu. Aucun intérêt. Or les médias ce matin font état de deux petits événements internes suffisamment croustillants.

À l'issue du match perdu, le sélectionneur, Raymond Domenech, aurait demandé au micro sa main à une certaine Estelle Denis. Pour les footeux, après la défaite, c'était bien plus qu'ils ne pouvaient en supporter, un peu comme la goutte qui fait déborder la canette. J'avoue qu'il ne me serait pas venu à l'idée de suggérer en public à Marie qu'elle acceptât de convoler avec moi. Or, si la manière est ce qu'elle est, je veux tout de même prendre ici la défense du sélectionneur malheureux et, par le dicton conséquent, heureux en amour. Car il ne fait, fût-ce en exhibant sa maladresse, que nous rappeler cette évidence telle qu'il peut sembler saugrenu d'avoir à la rappeler : le football n'est qu'un jeu. On perd, on gagne, c'est comme à la bataille ou aux petits chevaux. Ce n'est qu'une distraction, une occasion de détente et de bonne humeur dans un monde hostile et incompréhensible. Que l'homme dont on réclame la tête ce matin en couverture des canards et autres torchons scabreux qui ornent les kiosques (France-Soir), et alors qu'il savait pouvoir s'attendre à recevoir un torrent de boue sur le crâne, ait donné la priorité à son destin amoureux, aux grandes infrastructures des temps humains et à cette superstructure sublime qu'est le mariage, qu'il ait remis à sa place de jeu du cirque le grand spectacle du sport populaire et sponsorisé, voilà qui, peu ou prou, oui, me rassurerait plutôt. 

Le deuxième petit événement interne à cette Bérézina footballistique est moins croustillant, et m'amuse en vérité beaucoup moins. Il tient en une phrase, prononcé ce matin à l'issue du conseil des ministres : cette défaite est "un deuil collectif". Idiot, bien entendu ; mais plus idiot encore, et surtout déprimant, lorsque son auteur n'est pas un supporteur lambda et un tantinet échauffé par l'adrénaline ou le reste, mais bien Christine Albanel, notre ministre de la Culture. 

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lundi 16 juin 2008

Mort d'Esbjorn Svensson

Esbj_rn_Svensson


J'
apprends que Esbjörn Svensson, le pianiste de e.s.t. (Esbjorn Svensson Trio), vient de périr, à quarante-quatre ans, dans un accident de plongée. Son groupe était un des rares de ce niveau à attirer vers le jazz des oreilles qui y étaient étrangères ou peu familières, sans jamais sacrifier aucune exigence ni sans jamais se lasser d'aucune exploration. On se souviendra d'un jeu très élégant, post-jarrettien dans sa mélancolie aqueuse et son mouvement vers la transe, et bien sûr des brèches qui se seront ouvertes dans le jazz, e.s.t. ayant incorporé l'électronique d'une manière qui ne fût pas d'agrément (tentation à laquelle succomba parfois Miles Davis), mais au contraire constitutive, au même titre que le choix de tel ou tel instrument, d'une esthétique finalement très pure. C'est une perte assez lourde pour le jazz.

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vendredi 13 juin 2008

Manchette

Je garde de Vialatte le souvenir de son aspect à la télévision, voici quelques dimanches, un petit vieillard crapaud, chauve aux paupières plissées, fait  pour la nudité ou le pardessus, habile, neutre et rigolo, avec de la réserve et un regard. Quelque peu satanique. Plaisant à observer et à écouter comme devraient l'être les auteurs de Fantômas.

Jean-Patrick Manchette, Journal du vendredi 14 mars 1969

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