Houellebecq national
Dans mes diverses notes, je tombe sur ce mot de Jacques Julliard, paru dans le Nouvel Observateur - nous sommes en février 2002, la campagne électorale présidentielle bat son plein : La rencontre de Michel Houellebecq et de Jean-Pierre Chevènement dans la salle des pas perdus du souverainisme vaut bien celle d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection. Il fallait la trouver, celle-là...
Du sexe des anges et de l'amour des animaux...
La technologie Canalblog est à ce point performante (mais ni plus ni moins sans doute que d'autres plateformes d'accueil) que chacun peut aisément savoir qui vient visiter son blog, ce qu'il y fait, et par quel intermédiaire il y a atterri. C'est en cliquant par curiosité sur l'option qui permet de savoir quels mots-clés les internautes ont entrés dans leur moteur de recherche pour arriver chez moi que je suis tombé sur cette entrée : " Les techniques pour pénétrer ma chienne". J'avoue avoir été stoppé net dans mon élan, ahuri (on le serait à moins) que l'on puisse : 1) compter sur Google pour trouver une réponse à cette délicate question ; 2) atterrir sur un blog aussi respectable que le mien avec de telles pensées.
Proverbe
Proverbe sénégalais : Tous les soirs les singes s'endorment en rêvant qu'ils sont des hommes. Tous les matins les singes pleurent. Il se trouve que, parfois, je ne serais pas en total désaccord avec la proposition inverse — m'endormir en rêvant que je suis singe, et me marrer au réveil.
Journal du 1er juillet 2001
Mes vieux journaux n'ont ni style, ni pensée véritable ; mais un intérêt, toutefois : celui de confirmer l'ancrage, la pérennité de nos marottes. Ce trait, par exemple : Traversée du corps - comme on parle d'une traversée du désert.
Si gênant gène...
Je ne l'ai pas inventé, ce panonceau rencontré sur mon chemin : Nous vous prions de nous excuser pour le gène occasionné. Problème d'éthique chez les entrepreneurs de travaux publics ?
Journal du 20 décembre 1997
Toujours à explorer ces vieux journaux que je destine au feu. Dans celui-ci je trouve cette note, qui me rappelle à quel point on change peu :
Je me sens déjà vieux, à vingt-neuf ans, et si peu différent, pourtant, de ce que je fus.
Ronchonnez, ronchonnez...
À ronchonner avec sans doute un peu trop d'assiduité, il était prévisible qu'un esprit très facétieux dégote à mon usage plus ronchon que moi, m'obligeant de facto à de fort déprimantes comparaisons. Ma femme ne s'y est pas trompée — elle qui sait se révéler progressiste là où je l'attends conservatrice, et inversement réciproque : est-ce par esprit de malice ou au contraire par clin d'oeil complice, je l'ignore, toujours est-il qu'elle me flanqua donc entre les mains le Journal atrabilaire de Jean Clair.
Je pourrais certes me réjouir de trouver en ce clerc plus neo-réac que moi - mais à ce jeu-là, on est toujours gagnant. La réjouissance en effet s'arrête là si l'on considère l'objet présent comme une sorte de miroir, fût-il un tout petit peu déformant. Car les mauvaises humeurs de Jean Clair font souvent mouche, et l'on peut bien dans sa bile retrouver un peu de la sienne. Ainsi de ses quelques formules féroces sur les lubies contemporaines, dès lors notamment qu'elles s'enorgueillissent de transformer en art toute pratique quotidienne finalement plus proches du penchant instinctuel de l'animal que du geste sacré de l'artiste, ou qu'elles mettent en pièce les boniments institutionnels en matière de « politique culturelle » ; ou encore, parce que cela englobe peut-être tout cela, lorsqu'il s'agit de regretter la mort du silence.
La très profonde mélancolie de Jean Clair n'est pourtant jamais aussi juste que lorsqu'elle s'attache à sa propre pierre, et, comme dirait l'autre, quand le coeur est mis à nu. L'humilité n'étant qu'une vertu relative du personnage, à tout le moins très subsidiaire, la justesse de son observation n'est jamais aussi grande que lorsqu'il en revient à lui-même. Alors parvient-il à ravaler un peu de son orgueil et de sa foncière misanthropie, pour finalement épurer un propos qui devient assez peu discutable. Ainsi de la misère (qu'il a connue) et dont il dit, dans un geste assez désarmant, qu'on ne peut au fond rien en dire : « Elle laisse sans voix. Il faut passer outre, se taire, faire comme si ça n'avait pas lieu. On revient de la misère comme on revient de la guerre, absent, mutique : ceux qui sont allés au front ou dans les camps ne parlent pas. Ou bien longtemps après, quand la douleur s'est dissipée, laisse-t-elle enfin passer, non ce qu'elle a été, mais le souvenir confus de ce qu'elle fut. C'est le moment où l'on ne se souvient même plus que l'on ne se souvient plus. Je n'ai jamais été tout à fait rassuré. » Sans doute pourra-t-on lui objecter que Primo Levi entreprend d'écrire Si c'est un homme au sortir de la guerre, en 1947, mais nous accepterons de considérer ici l'exception.
Le problème est que ce Jean Clair-là n'est à sa verve humorale et générale qu'une saillie ensoleillée. Le propos se parsème ici ou là d'une telle aigreur qu'il m'est, à moi, difficile de le suivre sur la longueur. Difficile par exemple de le suivre quand il décrit ces intermittents du spectacle, « mangeant beaucoup, buvant sec et parlant haut », qui plus est rejoints par « quelques gros bras de Marseille », dont le tort ultime est finalement d'interrompre une représentation que l'on veut bien croire divine du Pierrot Lunaire de Schoenberg. Ou quand, dans une suite qu'il aimerait logique, il assène : « Arrière-grand père paysan. Grand-père instituteur. Père professeur. Exemple bien connu d'ascension sociale. Mais le fils ? Il deviendra musicien Pop, Rock ou DeeJee ». Ou encore quand il s'en prend à ces « jeunes filles, soumises à l'emprise de l'interruption de grossesse et au déni de la maternité » qui « exhibent avec tant d'indifférence ou de passivité leur ventre lisse et leur nombril », et ainsi mettent « en avant, invisible mais d'autant plus présent, le lien ombilical qui les rattache, lors même que les notions de descendance et de transmission ont été effacées, à la mère dont elles sont nées ». Pitoyable et manifeste décadence qui l'autorise à cette conclusion : « Pendant ce temps, furtives et balancées, couvertes de voiles aux profonds coloris, glissent ces femmes qui témoignent contre nous de cette discrétion du corps, de cette élégance et de ce maintien qui furent les signes extérieurs de notre culture et les garants de sa pérennité ». Le lecteur est à tout le moins autorisé à douter que celles qui ont pu s'émanciper de leurs parents et/ou de leurs grands frères et/ou de quelques-uns des dogmes les plus discutables de leur religion, apprécieront comme il se doit et à leur juste valeur la touchante nostalgie de l'auteur et son si poignant lamento.
On ne peut donc impunément lire Jean Clair ; c'est d'ailleurs assez stimulant, drôle parfois, presque gai, tant il excelle au combat. Mais il faut le lire en jouant le jeu, c'est-à-dire avec un minimum d'empathie ; faute de quoi, de colère on refermera le livre — et ce serait dommage. Non, comme pourrait le penser tel militant un peu sot, car il faut toujours connaître l'ennemi afin de mieux le combattre, mais parce que ce qu'il écrit, et vit, est aussi une réponse disponible au monde tel qu'il va, et tel qu'il suscite cette réponse. Je sais gré à ma femme, donc, d'avoir fait de moi un progressiste bon teint par réaction — tout en lui suggérant, la prochaine fois et de préférence, de m'offrir un bon vieux Régis Debray, lequel sait laisser affleurer l'écrivain et le romancier en lui, au point de pouvoir m'embarquer dans sa colère sans me donner l'envie du pugilat — et même, parfois, en emportant ma conviction.
Jean Clair, Journal atrabilaire - Éditions Gallimard / Collection L'un et l'autre
Joyeux de pauvres !
Métro bondé. Air irrespirable. Altercations banales. Surgit un de nos modernes gueux, qui redonne le sourire au wagon entier. Energie de la désespérance - la société urbaine sauvée par ceux-là mêmes qui en souffrent.
Journal du 6 février 1996
Je fouille et farfouille toujours dans mes vieux journaux, non sans quelque malaise. J'en conserve certains états, certains mots - à fins d'archivage, c'est certain, mais aussi parce que, pour certains d'entre eux, et sans nécessairement le partager, comme c'est le cas ci-dessous, j'en comprends encore l'esprit.
On demande trop à la vie. Elle n'est qu'un processus. Nous nous agitons : en vain. Seule l'extase intérieure, seul le côtoiement passager de la folie, peuvent, à cette vie qui s'impose, ajouter quelque sens et beauté. Qu'importe de vivre s'il n'y a pas d'œuvre à la clé ? Vingt-sept ans, et pas l'ombre d'un commencement d'œuvre en vue.
Ecrire sous la clôture
Yves Bonnefoy évoque, dans un livre de souvenirs récemment paru chez Galilée (Dans un débris de miroir), quelques figures qu'il a connues et aimées. Ainsi de ses quelques rencontres avec Borges, dont il est facile en effet d'imaginer qu'elles purent être marquantes. Borges a cette réputation d'homme "que l'on a dit souvent sans capacité d'amour" alors que, comme l'écrit Yves Bonnefoy, il était "ravagé par la pensée que du simple fait d'être soi on pouvait causer un tort irréparable à bien d'autres". Et il a ce mot, qui semble vouloir résumer Borges mais qui pourrait bien toucher du doigt ce que peut parfois éprouver tout écrivain, même mineur : "Il considérait l'écriture comme une clôture de la personne sur soi, c'est-à-dire comme le meurtre d'autrui".