dimanche 15 octobre 2006

Terre des ombres

Il me faudrait être une ombre pour que se défasse en moi ce qu'il y a d'inextricablement terrestre.

 

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samedi 14 octobre 2006

Regarde-moi !

Jardins du Luxembourg. Les enfants ne cessent d'interpeller leurs parents pour leur montrer se dont ils se sentent fiers : Papa, regarde ! Maman, regarde ! (tout juste sont-ils parvenus à se suspendre à une corde ou à glisser sur un toboggan sans se ramasser). Et nous ? Nous devenus des grands, en aurons-nous jamais fini de vouloir prouver à nos parents ce dont nous sommes fiers - ou simplement pas trop honteux ? Qu'il ne soit plus là n'y change rien : je m'entends parfois, comme dans un murmure, lui lancer, à mon tour : Papa, regarde !


 

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vendredi 13 octobre 2006

Les athées

La grande frustration des athées, c'est de devoir renoncer à renoncer au monde.

 

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mercredi 11 octobre 2006

Dernière cigarette avant...

Skull_cigarette_Enfin, on respire ! Nous avons, chers amis fumeurs, encore une bonne année devant nous. Youpi youplaboum. Nous devrons certes continuer d'essuyer les œillades souffreteuses, les soupirs horripilés et autre jérémiades scandalisées des honnêtes citoyens que nous cancérisons à longueur de temps, mais au moins disposons-nous d'une année supplémentaire de préparation psychologique à la Grande Interdiction.

J'ai perdu pour ma part le goût du donquichottisme : je ne me battrai pas (et d'ailleurs, comment le ferais-je ?) contre les moulins législateurs à purifier le vent qui ont trouvé à s'unir et, une fois n'est pas coutume, en s'appuyant sur un vaste mouvement populaire. Je serai docile, obéissant, légaliste ; mieux : je m'engage à continuer d'user de mon droit de vote sans aucunement me soucier de pénaliser ceux qui n'auront fait qu'incarner l'intérêt général en transformant un agacement majoritaire en loi.

Reste que la société ne doit pas rêver : une fois la cigarette et ses avatars éliminés du grand tout social, d'autres fléaux prendront le relais de l'unanime condamnation - et eux-mêmes soulèveront leurs vagues de protestations rageuses et de législations purificatrices. Les Italiens, fiers d'avoir réduit leur fumeurs à l'état d'irresponsables clandestins pathologiques, doivent maintenant prendre la mesure des ravages provoqués par l'alcoolémie, principale compensation que nos amis transalpins aient trouvé pour compenser leurs carences en nicotine. J'ai hâte de voir ce combat-là arriver en France, pays dont la sobriété en matière de consommation d'alcool est on ne peut plus légendaire.

Il m'est permis toutefois d'interroger certaines limites de ce dispositif répressif. Aussi n'est-ce pas à moi que je pense en cet instant, mais à ces pauvres vieillards, déjà abandonnés par les leurs (lorsqu'ils en ont) dans des maisons de retraite, et à qui monsieur le ministre Xavier Bertrand vient d'interdire de fumer dans leurs chambres, "même si, juridiquement, il s'agit d'un substitut du domicile". Voilà qui a le mérite de la clarté : l'Etat vient donc légiférer jusque dans nos chambres - fussent-elles des "substituts". Pauvres vieux, qui regardent seuls venir la mort, et qui n'ont plus même droit à ce minuscule plaisir qui tient les hommes depuis qu'ils font société : se droguer doucement, paisiblement, sereinement, afin que la vie, quand l'état du corps le leur permet, soit un peu moins  insupportable.

 

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mardi 10 octobre 2006

Nathalie Ménigon, coupable à vie éternelle

Nathalie_M_nigon


À ceux qui estiment (ils sont nombreux, à en croire les enquêtes complaisamment diligentées) que la justice de ce pays est excessivement clémente, qu'elle fait la part trop belle aux escrocs, aux violeurs de petites filles et aux massacreurs de vielles dames, bref les salauds génériques dont ont besoin l'ordre civilisationnel pour se maintenir et une partie de la classe politique pour fidéliser ses ouailles terrorisées, il faut parfois tirer un peu les oreilles (afin de pouvoir y gueuler plus à notre aise et y faire entendre quelques bruits d'eau un peu différents).

Dans un très remarquable mouvement d'indépendance idéologique qui ne troublera que les benêts et les sceptiques, le Parquet de Paris s'est donc prononcé contre la demande de suspension de peine pour raisons de santé de Nathalie Ménigon, ancienne membre d'Action Directe (précisons toutefois, à la décharge du Parquet, que la loi lie celui-ci aux conclusions de deux expertises contradictoires qui, lorsqu'elles aboutissent à de semblables conclusions, s'imposent à lui ; ainsi ai-je en tête ce cas, que l'on m'a rapporté, d'un détenu atteint concurremment d'hépatite C, du sida, de neuropathie aggravée et de tuberculose, et dont les experts ont considéré que l'état n'était pas incompatible avec l'incarcération : tout juste ont-ils regretté que les escaliers de la prison l'empêchaient d'accéder au parloir avocat...). Bref. Les moins informés seront sans doute heureux d'apprendre que Nathalie Ménigon, quarante-neuf ans, condamnée à deux reprises à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de dix-huit ans, est partiellement hémiplégique. Le précédent de Joëlle Aubron (comparse de Nathalie Ménigon, pour utiliser le vocabulaire vicieux de la grande presse), qui était atteinte d'un cancer et avait pu bénéficier in extremis d'une suspension de peine pour décéder moins de deux ans plus tard à l'âge canonique de quarante-six ans, n'aura donc pas fait d'émules.

Si je comprends bien, il semble que ledit Parquet et/ou les experts qui y sont attachés considèrent donc, de deux choses l'une :
- soit que l'hémiplégie dont est atteinte Nathalie Ménigon n'est pas grave, en tout cas bien moins grave que le cancer de Joëlle Aubron, et que les soins prodigués en prison sont d'une qualité telle (c'est bien connu) qu'on puisse en conscience l'y laisser (mourir) ;
- soit que Nathalie Ménigon constitue, nonobstant son hémiplégie, un tel danger pour la cohésion du pays très républicain qu'il ne saurait être question de la libérer et, ce faisant, faire courir à la France le risque d'une guerre civile.

L'argument est partout entendu, mais au moins a-t-il le mérite de l'évidence : une partie de la justice considère donc que Nathalie Ménigon demeure un danger public (au moins) plus important que Maurice Papon en son temps, condamné comme chacun sait pour complicité de crime contre l'humanité et libéré pour raisons de santé. Étonnamment, la fameuse "jurisprudence Papon" semble trouver en France bien peu d'occasions à s'appliquer, alors même que des centaines de détenus souffrent de maladies dont tout un chacun sait bien qu'ils en mourront - qu'ils en crèveront serait plus juste.

Il est heureux que le Parquet n'ait pas tous les pouvoirs - quoiqu'il y aspire. Reste donc au juge d'application des peines à rendre sa décision : rendez-vous le 24 octobre. Jusque là, la France terrorisée peut dormir sur ses deux oreilles. Après...


lundi 9 octobre 2006

Sa mort sera la mienne

Il y a la mort concrète, tangible et intangible - celle du corps enraidi sur son lit ou emmarbré sous sa terre : tristesse et solitude accompagnent ceux qui restent.

Mais il y a la mort de l'aimée, qu'on anticipe, plus que tout redoutée parce qu'on ne sait pas ce qu'elle cache, ce qui se dissimule derrière elle et s'apprête à nous sauter à la gorge, ni ce qu'on en fera, ni surtout ce qu'elle fera de nous : une mort autrement plus angoissante que l'autre réelle - et autrement plus angoissante que la nôtre propre puisque, morts à notre tour, nous n'éprouverons plus ni la souffrance ni la désolation. Il faut aimer l'autre comme personne, et comme jamais, pour éprouver un tel sentiment de panique. Pour peu que sa disparition devienne sujet de la conversation, ou, pire, pour peu qu'elle s'attache par indices sur le visage ou la chair de l'aimée, alors c'est le bloc de notre vie qui se retrouve pris au piège, condamné à un guêt de tous les instants. Alors l'idée se joue de nos états et fait alterner sans règle ni méthode l'espoir, fou, d'un ajournement infini du sort, et la crainte de le voir nous tomber dessus, imprévisible, toujours imprévisible - on a beau s'y préparer rien n'y fait, rien ne change rien à la brutalité de ce qui arrivera, à l'hébétude qui sera notre état. Il faut avoir résolu son existence en un seul être pour éprouver la profonde acuité de cette panique, pour accepter que notre vie, notre vie à nous, et quelle que soit la manière, s'arrêtera là parce que l'autre est parti ; pour accepter que fonde sur nous le poids du malheur, ce malheur qu'on apprend à reconnaître à force de s'y préparer, à force, finalement, d'y consentir - non dans un mouvement de consentement, mais dans ce geste de recul où la fatalité s'est nichée et qu'on appelle le renoncement. Nous habitons ce malheur alors même qu'il n'existe pas encore, qu'il n'est qu'une certitude ajournée, à chaque instant ajournée, et pour cette raison malgré tout présente, pleine à nous-mêmes dans la plénitude de son être-là.

Cette aimée n'existe pas pour tout le monde, il ne faut pas se raconter d'histoires : tout le monde n'y a pas accès. Peut-être parce que nous ne pouvons pas tous avoir notre double, notre commun génome, que nous ne pouvons pas tous avoir sur terre celle qui est à la fois notre origine et notre destination. C'est source de tristesse pour l'idée que nous nous faisons de la vie humaine. Et source de joie unique, exclusive, pour nous autres qui l'avons rencontrée. Mon dieu, que ferai-je ? Que serai-je ?

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samedi 7 octobre 2006

Les femmes de Richard Millet

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ans une librairie, deux femmes conversent. Elles semblent avoir autour de la quarantaine, mais une quarantaine qui tire vers le haut, qui aspire à mieux - qui aspire, déjà, et maintenant que l'héritage du petit est assuré, aux joies de la grand-maternité. Tandis que l'une, de sa main droite, remet en place un chignon très seizième (arrondissement), l'autre, de la gauche, désigne le dernier livre de Richard Millet. Elle le fait un peu à la manière d'un Nicolas Sarkozy évoquant ces jours-ci les “malheureux” cantonnés dans un gymnase à Cachan, c'est-à-dire en un égal mélange de commisération chrétienne et de mépris dégoûté. Mais voyez plutôt.

- Ma chère, vous ai-je parlé de cette horreur ?!
- Pensez-vous... Figurez-vous que je l'ai lu, du moins ai-je essayé.
- Ah, nous sommes donc bien d'accord ! Quel tissu de...
- Ah oui, comme vous dites...
- D'insanités. Quel mépris pour les femmes ! Non mais pour qui il se prend ? Et puis c'est qui, d'abord, ce Millet ? Jamais entendu parler. Passez-moi l'expression, mais y'en a vraiment qui pètent plus haut que leur cul...
- Christelle ! On pourrait vous entendre...
- Écoutez, Mylène, c'est vrai, quoi, qu'est-ce qu'il connaît au plaisir des femmes celui-là ? Je trouve ça dégoûtant, tout ce qu'il raconte, et cette manière de séduire cette pauvre enfant, vraiment c'est pas joli joli...
- Vous savez ce que je crois... Je crois que c'est un pervers, ce Millet. Un satyre.
- Vous ne croyez pas si bien dire... Je dirai même que c'est une espèce de vieux pédophile refoulé. Et comme par hasard, bien sûr, on ne connaît pas l'âge de la petite... Une adolescente, tout juste une adolescente, voilà ce qu'il avait en tête, en fait. Tous pareils.
- De toute façon, vous voulez que je vous dise ? Moi, je n'y ai rien compris à ce livre. Non mais c'est vrai, il pourrait faire des phrases plus courtes, ma chérie, vous n'êtes pas d'accord ?
- Oh, mais vous ne comprenez pas ? C'est très chic de faire des phrases longues, très chic. Non seulement il manipule notre sexe mais, en plus, il nous embrouille avec ses phrases qui n'ont ni queue, ni tête.
- Quand je pense, mais quand je pense, Christelle, qu'on a parlé de lui pour le Goncourt... Non mais où va-t-on, je vous le demande !
- Oui, c'est bien triste... Au moins, Christine Angot, elle, c'est du vécu.

Ici, la belle Mylène saisit la belle Christelle par le bras et s'approche de son oreille en jetant de troubles regards autour d'elle.

- Vous voulez que je vous dise ? J'en fais sa pub, à l'Angot. J'ai même écrit à quelques amis bien placés... pour le Goncourt, voyez...
- Quelle bonne initiative vous avez eu là ! Et puis zut à la fin, elle le mérite, depuis le temps qu'on entend parler d'elle.
- Quand même, qu'est-ce que ça vieillit mal, un homme...

Le reste se perd en considérations sur les hommes et les femmes :  je n'ai pas ici le coeur à les rapporter.

Le livre de Richard Millet, Dévorations, est paru aux éditions Gallimard. Il est peut-être le roman français contemporain le plus beau, le plus  juste et le plus magnifiquement écrit que j'aie lu depuis longtemps. À lui, le Goncourt irait très bien.

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mercredi 4 octobre 2006

Fumer, c'est vivre

lucky_luke
J
e vous l'accorde : un tel titre ne s'imposait pas d'évidence. Toutefois, la provocation étant moins nocive pour la santé (biologique) que quelque émanation dont la loi s'apprête à se saisir, j'ai l'illusion de penser que l'offuscation sera tempérée...

À entendre certains commentateurs et/ou militants de l'indiscutable bonne cause (ou simplement à croiser le regard de mes voisins de table au restaurant), entonner, de poignants trémoli dans la voix, leur chant de l'horreur humaine sur terre, j'ai parfois l'impression qu'on s'apprête à évoquer un génocide oublié, une entreprise inédite de terrorisme planétaire ou un acte de torture et de barbarie sur un nouveau-né particulièrement abject (l'acte de torture, pas le nouveau-né), enfin bref, quelque chose dans le genre. Au train où vont les choses, il n'est donc pas absolument déraisonnable de penser que, au-delà de la fiscalité éthique et autres formulaires d'amendes qui se concoctent goulûment au différents étages de Bercy, il s'avérera bientôt nécessaire d'envisager une sanction pénale (avec peine de sûreté, cela va de soi) pour fumeurs récalcitrants. On continuera certes de fumer dans les prisons (on voit mal les matons empêcher un trafic qui, appréciez la litote, ne les dérange pas), mais au moins le Mal sera-t-il circonscrit aux seuls indésirables, qui pourront donc s'en donner à coeur joie et crever entre eux tout en esquissant dans l'air de voluptueuses volutes.

Pour ma part, il y a bien longtemps que quiconque ne m'a plus demandé, comme on le faisait naguère, gentiment, poliment, élégamment : 
« Monsieur, excusez-moi, pourriez-vous veiller à ce que la fumée de votre cigarette n'affectât pas mon plaisir à dîner ? » (délicieuse injonction à laquelle je me soumettrais avec la meilleure grâce et, je vous prie de me croire, avec le sourire). Non, désormais, c'est regard de guingois, insultes, scandale, présentation des papiers et intervention de la puissance publique. L'idée même que fumeurs et non-fumeurs puissent converser s'est s'évanouie aussi vite que de la fumée. N'en déplaise à l'hygiénisme apolitique et post-moderne, nul ne répond à ce fait incontestable : il y a dix ans encore, la tolérance semblait aller de soi.

Par ailleurs, et parce que j'ai (moi aussi) grandi dans le culte de l'intérêt général et de la laïcité, je confesse avoir du mal à supporter que l'espace public cesserait de l'être (public) sous le seul effet d'un mouvement excommunicateur, fût-il populaire et hypocritement arc-bouté sur l'intérêt général ; et on n'ôtera pas de mon esprit, certes aussi encrassé que mes poumons, que l'exclusion de l'engeance fumeuse des lieux publics constitue une négation de la notion même d'espace public. Je n'en suis d'ailleurs pas plus surpris que cela, quand les fantasmes sécuritaires et autres obsessions purificatrices semblent devoir recueillir les suffrages de nos concitoyens unanimes. C'est tout un modèle social, culturel et philosophique qui, tout doucement, très tranquillement, très silencieusement, s'effrite.

L'allergie à la fumette, n'est pas discutable : on a le droit de ne pas supporter telle ou telle chose de la vie en société (moi-même, je ne supporte plus grand-chose) ; ce n'est d'ailleurs pas un droit, mais un fait. Mieux : nul ne conteste le mal qui s'ingère en nous par l'entremise des tiges à cancer. Je constate simplement que nombre de non-fumeurs se comportent de plus en plus comme des anti-fumeurs, ce qui, vous l'admettrez, ne correspond guère à l'esprit bon enfant, responsable, généreux, civique et, oui, osons le mot, humaniste, qui accompagne les campagnes anti-tabac (l'inénarrable fumer tue).

Que voulez-vous, il se trouve que les plaisirs terrestres ne sont finalement pas si nombreux - et ce n'est certainement pas la société du loisir obligatoire qui va arranger les choses. Un bon bouquin (ça n'emmerde personne, ça surprend juste les braves gens qui nous voient lire seuls au restaurant), un bon verre de vin rouge (d'accord, ça esquinte rudement le foie, mais au moins nul autre que soi ne sent son intégrité physique mise en danger), un bon clope (hic) : divine trilogie. La société, soudainement lucide devant un mal dont nous n'ignorons plus rien depuis cinquante ans, a décidé de jeter son dévolu (et son opprobre) sur les fumeurs. Bah, pourquoi pas... Un jour viendra le tour d'autres engeances malfaisantes : les bovins ? (ne riez pas, il semblerait que, via leurs incessantes flatuosités, leur responsabilité  soit rudement engagée dans le déjà triste état de notre pauvre couche d'ozone) ; les paysans ? (qui élèvent les bovins dont les incessantes flatuosités etc...) ; les vieillards ? (pensez un peu à la Sécu) ; les femmes sans enfants ? (une insulte à la civilisation) ; peut-être les intellectuels ? (une insulte au peuple) ;  trisomiques ? (une insulte au bon goût) ; musiciens ? (trop bruyants) ; les ouvriers ? (trop de sueur) ; les clochards ? (ils font peur aux enfants) ; les Juifs les Noirs et les Arabes (ça, c'est déjà fait) ; les chiens ? (ah non, ça, jamais !) ; peut-être les blogueurs ?

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mardi 3 octobre 2006

Texte et paroles

blabla
L
a vérité est que je ne crois plus guère aux vertus de la communication orale - sauf entre amoureux, ou entre amis véritables, c'est-à-dire auprès de cette race d'humains qui ne s'offusque jamais, qui ne peut pas s'offusquer, de ce que vous êtes. C'est là une pensée bien triste, direz-vous. C'est une pensée du réel ; disons empirique. Avec qui conversons-nous ? Principalement, avec notre univers social quotidien (qui n'est pas nécessairement professionnel). Sauf à les organiser avec méthode, sauf à les introniser en arts de vivre ou veiller à ce qu'elles soient arbitrées par une autorité admise et reconnue, la plupart (je dis bien : la plupart) de nos conversations ne mériteraient en tant que telles que très rarement la qualification de conversation. Il est permis de regretter, gentiment, le temps où elles se déployaient dans des salons prévus à cet effet.

L'art de la conversation induit une qualité d'écoute à tout le moins égale à celle de la parole émise : or, qu'on le veuille ou non, ces deux vertus cardinales ne trouvent plus guère écho dans des sociétés que dominent, d'une part la volonté de puissance, d'omniprésence et de transparence, d'autre part la tentation de l'objurgation, de la condamnation et de l'excommunication. L'alliance des fanatismes (qui ne sont pas seulement religieux, loin s'en faut), de la communication (sic) de masse et de la correction politique se charge parfaitement de ce programme : la conversation devient une modalité formelle, tout au plus un travestissement d'allure démocratique qui aide à faire passer les grands paradigmes de l'ordre ou du conformisme auxquels nous sommes soumis - ou auxquels nous nous soumettons. Au bout du compte, la qualité d'écoute exige trop de patience et d'attention eu égard au temps dont nous disposons dans la vie, et la qualité de la parole émise requiert trop de précision et d'amour de la nuance pour les slogans existentialo-utilitaires dont, finalement, nous nous satisfaisons fort bien (la vie est courte).

La seconde raison tient à ce que nous sommes - ou à ce que nous sommes devenus. Car il ne faudrait pas non plus se laisser aller à penser que la société est responsable de tout...  Ce que nous sommes ? Des êtres fondamentalement, profondément, incurablement blessés, esseulés, tétanisés, frustrés, incomplets, et, surtout : conscients de l'être. Cette solitude en nous, ontologique, semble pourtant contredire nos besoins sociaux les plus anciens et les plus compulsifs. Nous ne sommes certes pas des animaux, mais nous avons conservé de leur très intime fréquentation l'enthousiasme grégaire - l'on peut dire aujourd'hui communautaire, c'est admis. Moyennant quoi, l'autre, activement recherché pour le réceptacle inespéré qu'il nous offre, permet de dévider ce qui brûle en nous tout en lui faisant croire qu'on le lui dit à lui parce que c'est lui, et tout en entretenant la nécessaire illusion de penser que nous sommes entendus, voire compris. Ce n'est pas un jeu à sommes nulles, c'est un deal - tacite, admis, intégré. Ecoute-moi quand je te parle, je t'écouterai en retour - soit : fais au moins mine de m'écouter (j'en ai besoin), je ferai mine de t'écouter (c'est bien naturel). Socialement parlant, cela marche plutôt pas mal ; psychologiquement, et, pour employer un grand mais joli mot, métaphysiquement, c'est une autre affaire.

Combien de fois n'avons-nous pas été exposés à d'extraordinaires débits, à d'infernales déferlantes, à d'irrépressibles débordements, à de fous monologues émanant d'êtres qu'il suffit de regarder pour comprendre que ce n'est pas à nous qu'ils s'adressent mais à un récepteur dont la qualité singulière, particulière, compte finalement assez peu ? Combien de ces échanges dont ne saurions précisément dire comment et quand ils ont commencé ? quel était, même, le sujet ? le prétexte initial ? combien de digressions devons-nous en permanence endurer ? de paroles qui se vident à force de présence ?

Et donc, pour en revenir à mon propos (voyez, je m'y perds moi aussi plus souvent qu'à mon tour), je ne crois plus guère à la communication orale - hormis, donc, dans les cas précités. L'écriture a ceci de fondamentalement supérieur aux bruits de gorge qu'elle peut revenir en arrière : la rature est invisible, le bégaiement est inaudible. Évidemment, elle a son coût : la responsabilité. On excuse d'autant mieux une parole lancée en l'air qu'on peut condamner sans rémission possible un mot de travers qui aura été écrit. Enfin, l'écriture ne permet pas moins l'échange que l'oralité. Et c'est bien pourquoi nous écrivons : pour combler à la fois notre désir de l'autre en tant qu'il peut apaiser notre sentiment de solitude (plus ou moins supportable en fonction des humeurs ou des moments de la vie) et notre insatiable besoin de dire - de dire ce que nous sommes, de dire la souffrance inhérente au seul fait d'être, et de dire le monde, seul moyen pour nous d'essayer de nous y faire à défaut de pouvoir le comprendre.

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Soyons lucides :...

... ce n'est pas parce que mes livres n'ont pas de succès qu'ils sont bons.

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