Une critique de Virginie Troussier
La querelle des Anciens selon Marc Villemain
Marc Villemain pourrait bien ôter son nom de la couverture, l'écrivain serait vite reconnu. Il est de ces auteurs qui cisaillent le mot, le taillent au plus près de l'os. Il y ajoute une forte singularité, une langue travaillée, originale, délicieusement désuète, et puis un ton. Un ton lié au temps.
Ils marchent le regard fier semble exalter une impossible fixité des choses. Mais c'est avant tout le roman d'un écrivain pour qui la seule réalité qui vaille existe dans les mots, celle qui garde ce qui nous échappe. Ce temps fascine parce qu'il dure et s'en va tout à la fois. Comme un vieillard, qui raconte soudain, avec une émotion inattendue – le passage de la vie. Tout souvenir semble une obsession fructueuse. Les premières lignes forment déjà une bombe à retardement. Un suspense rôde. La scansion du temps est-elle obligatoirement rythmée par les creux de la vague, la roue qui tourne ? Sans doute, le temps d'une vie, les vies de ceux que nous avons connus, aimés ou simplement approchés, et auxquels nous survivons, compte, et ce temps se compte, en années, palpables.
Ce sont ces années qui sont relatées par le narrateur, ami de Donatien. Ami et témoin d'un drame auquel on se prépare « Je voudrais pouvoir raconter les choses telles qu'elles se sont vraiment passées. Il ne faut pas inventer, je ne vais dire que ce qui est dans mes souvenirs. »
En racontant, le narrateur affectionne le souvenir et la contemplation, la mélancolie des escapades et des rêves populaires. En nous parlant, le narrateur oublie parfois la fin, le dénouement, et il se met à flotter au-dessus du temps et des lieux qu'il traverse. Ces lieux, ces noms, ces anecdotes paysannes, Marc Villemain les fait rouler sous sa plume avec gourmandise. Le temps, dans ces moments précis, ne vaut qu'à l'échelle de l'individu qui passe à travers les décennies sans jamais se laisser atteindre par l'histoire collective, et ne cesse de courir mentalement derrière son vieux monde.
Dans ce récit, Marc Villemain nous projette dans une époque qui pourrait être la nôtre, prônant la jeunesse, oubliant, rejetant les plus âgés. Marie et Donatien ne supportent plus ces situations, ces humiliations, faites par les plus jeunes, et forment une révolte pour contrer ceux qui veulent leur mort. Deux camps s'opposent, les gens âgés et les jeunes, Marie et Donatien sont au cœur de cette révolution, et face à leur fils Julien, qui a choisi naturellement le camp adverse. Jusqu'où seront-ils prêts à aller pour qu'ils soient enfin reconnus ? Jusqu'où les souvenirs vont-ils nous mener ? Ils rappellent l'irrécupérable enchantement de leurs jeunes années, découvrant vite que le temps des hommes ne revient jamais sur ses pas.
Les vies que nous menons ne retourneront pas à leur point de départ. Elles sont faites d'arrachements successifs, par lesquels nous devons faire plusieurs fois le deuil de nos actes. La prose limpide de Marc Villemain jette une lumière crue sur les secrets, décortique les pulsions qui minent et les remords dont on ne se sépare jamais. Le temps passe, tout comme le drame, expliqué avec une telle sensibilité que la fragilité de l'homme nous claque au visage. Car le temps fuit, mais Marc Villemain ne nous donne finalement pas à le lire, ce temps-là. Beaucoup plus sensible au temps intime, celui qui au contraire ne fuit pas, mais stagne, il nous parle avec émotion du temps de la solitude, ce temps qui pèse autant sur les enfants et adolescents que sur les vieillards. Ce temps sans repères, qu'il faut parcourir de minute en minute et qui requiert de nous invention, projets, retours sur soi, capacité à se faire exister soi-même par le recours à la vie intérieure, à une force qui n'a plus de nom. Nous avons tous à faire face à ce temps-là.
Virginie Troussier pour ActuaLitté
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Une critique de Virginie Troussier (ActuaLitté)
On peut séduire en se faisant détester. Tout au moins en essayant. En littérature, rien n'est contraire à rien.
Léandre, 80 printemps, misanthrope mourant, se retrouve cloué sur son lit d’hospice. Nous sommes dans le temps qu’il reste, l’heure des comptes. Marc Villemain lui offre des pages vierges pour cracher son venin de « vieux con ». Alors Léandre s’y vautre, plein, vrai, c’est son territoire. La bienséance nous ferait dire qu’il y a des limites, des règles, certains voudront de la pudeur, du lisse et du beau, mais donner la parole à un misanthrope décomplexé permet des piques satiriques que l’on préfère, de loin, mêlées à l’exaspération brute, l’émancipation de toutes valeurs et culpabilités.
En le voyant de l’intérieur, on peut le croire fou, mais on comprend vite qu’il n’a rien à revendre. Il en sait bien plus que l’on croit. Il est insupportable, très vite, on pense qu’il y a des claques qui se perdent. Il ouvre sa gueule Léandre. Ce n’est pas toujours beau à voir, notamment avec les femmes, ou encore son fils, mais franchement, il n’est pas là pour être beau, ni pour dire de belles choses. C’est toujours bien moins vivant, bien moins organique ou époustouflant, la vie c’est toujours de la demi-mesure.
Et c’est peut-être ce devant quoi il s’insurge, le consensus, l’admiration béate, l’hypocrisie, le larmoyant. Nous sommes plongés dans la veine d’un homme qui tient un monologue abominable sur les femmes, les enfants, l’université. Il n’aura reconnu qu’un seul de ces cinq enfants : le pourceau. La putain est cette infirmière qu’il aime et déteste à la fois, et dont il dépendra jusqu’à la toute fin. Le diable ne peut être que lui-même, mais ce serait trop évident.
Et beaucoup moins drôle.
Car dans cette veine, n’y aurait-il pas le sang et l’encre mélangés de l’Homme ? «[...] le misanthropisme est, dans son principe et en ce qui le meut, la pensée la plus proche de l'essence et de l'existence humaines, à condition de poser le fait que l'humanisme dans son acception la plus littérale soit la préservation, par tous les moyens possibles, autorisés ou pas, de notre liberté ontologique ».
S’il est vrai que nous n’éprouvons aucune empathie envers ce cher Léandre, on aurait presque envie, parfois, d’adhérer à ses mauvaises pensées. Le paradoxe se situe peut-être ici, dans cette camaraderie d’idées, cette fraternité de papier.
« Il y a dans toute amitié quelque chose du soin palliatif : l'autre n'est jamais qu'un onguent de circonstance dont on se sert comme d'un baume sur notre âme affectée - ainsi qu'on le ferait d'une gelée corticoïde sur un eczéma. »
Ce n'est pas la moindre des leçons de ce roman surprenant, où finalement entre le rire très nietzschéen d'un narrateur un rien désabusé, mais jamais résigné, même à un âge avancé, on apprend vite à briser les idoles (« ce grand couillon de Brel par exemple, qui porte bien son nom au passage ») à consentir à son destin, à renverser les valeurs, oublier la morale.
C’est l’idéal pour qui veut, sans attendre, se jucher sur une singularité de bon aloi.
C’est drôle (le pince-sans-rire qui marque), acide, intelligent, servi par un style riche et une écriture joyeusement désuète. On imagine très bien Marc Villemain trempant dans l'encrier une plume poétique très chevaleresque comme la maniait autrefois les Hussards de la littérature française.
Il réussit à dévier le tir sans rater son cœur de cible. La mort ne doit pas forcément se raconter dans la douleur, au contraire. Elle peut servir à rire des interdits, à révéler paradoxalement l’essence de l’existence. En se divertissant, toujours, et au sens pascalien du terme.
« Que la tonalité mélancolique de cette chute ne vous abuse pas : de cela aussi, il faut savoir rire » nous dit Léandre. Alors, on rit, de tout, du début à la fin. L’auteur déploie ses ailes d'écrivain voyageur, qui considère combien les digressions sont importantes dans un roman, combien les flâneries sont le sel de toute vraie fiction dont on se souviendra.
Et que morts s'ensuivent : Nicolas Gary dans ActuaLitté
Découverte ce matin d'une critique un peu étonnante de mon recueil, publiée par Nicolas Gary sur le site ActuaLitté. Disons qu'il en fait une lecture un peu charcutière mais, pour le coup, assez originale...
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