Ceci est ma chair lu par Xavier Houssin (Le Monde)
De qui dîne-t-on ce soir ?
L’ogre vient de rentrer dans sa chaumière. Il s’agite. Il a faim. « Je sens la chair fraîche », dit-il à sa femme. Lorsqu’il met la main sur Poucet et ses frères, cachés sous le lit, c’est pour lui une aubaine : au dîner, il a invité plein d’amis ogres. On sait que ce sont ses propres filles qu’il va égorger dans la nuit. Des petites au « teint fort beau, parce qu’elles mangeaient de la chair fraîche comme leur père ». Famille de monstres ? Au regard des protagonistes de Ceci est ma chair, de Marc Villemain, ils font piètre figure.
Dans ce conte drolatique et cruel, c’est toute une société qui s’adonne aux mœurs anthropophages. Et il ne s’agit pas de sauvages perdus dans des îles exotiques. Dans le duché de Michao, un « des grands Etats du monde », le cannibalisme est devenu une prescription sociale, une règle, une norme et aussi un art de vivre. On bâfre ses semblables avec élégance, car on peut être viandard et gourmet. Le livre est un régal. Une farce fine de grand-guignol truffée aux jeux de mots, de franche rigolade et de pessimisme grinçant, de poésie. S’y retrouve toute la démesure gaillarde et insolente du Villemain du Pourceau, le diable et la putain (Quidam, 2011). Cette fois, c’est furieusement swiftien.
Xavier Houssin
Le Monde des Livres
Ceci est ma chair sur Addict-Culture
Par Christelle E.-T.
On peut bien sûr lire l'article directement sur Addict-Culture.
Plaisirs cannibales
La couverture et le titre de ce roman, Ceci est ma chair, de Marc Villemain, annoncent la couleur, l’on a bien affaire ici à une histoire cannibale, dans cette veine dystopique que l’on retrouve de plus en plus souvent en littérature ces dernières années.
Dans un monde qui pourrait ressembler au nôtre, dans un futur plus ou moins lointain, et afin de faire face à l’épuisement des ressources et aux pandémies (le projet du livre date de bien avant l’arrivée du Covid19), une communauté d’êtres humains fait sécession du reste du monde et décide de s’adonner au cannibalisme.
Pas n’importe lequel évidemment, tout cela a été pensé et planifié. Chaque mois, quelques personnes décident de se sacrifier ou sont tirées au sort par un dépariteur (chargé de faire respecter l’ordre).
Cette organisation millimétrée va se trouver mise à mal par une explosion de l’usine de transformation de la « viande » dans ce qui ressemble fort à un attentat. La lumière sera rapidement faite sur cette attaque et un sacrifice sera nécessaire pour rassembler cette communauté aux mœurs très spéciales.
L’originalité du roman ne se trouve pas que dans son histoire mais également, et surtout, dans sa langue. Entre fable et farce, l’auteur évolue avec humour et drôlerie parmi des références musicales populaires:
et la truculence d’un Rabelais :
Découpé en tableaux aux titres à rallonge: « Où Loïc d’Iphigénie s’apprête pour un five o’clock chez Gustave du Gonzague avant de tirer très apéritivement le portrait des convives et qu’en grande pompe n’arrive le Spirite à grands pieds » pour ne prendre qu’un exemple, avec une distribution des personnages au début du roman comme dans une pièce de théâtre, l’auteur alterne également passages dialogués et récit dans un format éclaté qui participe à l’originalité de l’ensemble.
Ceci est ma chair est une des lectures les plus extravagantes et inventives de cette rentrée littéraire qui ravira les adeptes de nouvelles expériences en littérature. Et comme le dit l’auteur lui-même de son roman: « Je ne suis moi-même pas bien sûr de le comprendre tout à fait, du moins ne suis-je pas complètement certain d’en cerner les mobiles profonds. » (Extrait de son blog)
Ceci est ma chair lu par Anaïs Lefaucheux
Un bel éloge signé Anaïs Lefaucheux -
que l'on peut aussi lire directement sur *Sens critique*
Autant en emporte la viande
Voilà un bien singulier roman, tant par le thème choisi (la vie d’une société cannibale) que par sa forme – un roman qui n’hésite pas à frayer du côté du théâtre, de la comédie, du conte philosophique, voire de la parabole. Le titre est également un clin d’œil à la formule du Nouveau Testament (« Ceci est mon sang ») que Marc Villemain va revisiter d’une manière originale et drolatique.
L’esprit théâtral souffle sur ce texte dès l’incipit. On présente au lecteur les différents (nombreux) personnages qui vont peupler cette histoire, en énonçant leur nom et leur fonction. Le ton est donné d’entrée : les personnages ont tous des identités à coucher dehors qui en feront glousser plus d’un(e). Ségolène de l’Abdel de la Jacquette, Jipé de l’Aline, Kylian du Brice, Liselotte de la Rihanna… Du côté des fonctions, on découvre un mystérieux « dépariteur », un « directeur de complexe carnologique » et des « concuphages » bien intrigants.
C’est que Marc Villemain a accouché d’un univers à nul autre pareil, celui des « Restaurés », une civilisation cannibale qui vit en autarcie et se méfie des « humanistes » qui combattent leurs us viandards. Cette communauté vit dans le duché de Michao (ce qui m’a immédiatement fait penser au Macondo de Cent ans de solitude) et plus exactement à Marlevache, ville « à la pointe de l’industrie carnologique ». Il faudra au lecteur se familiariser avec le parler de cette tribu pas comme les autres qui place des « dits » devant toute institution ou entité (« dit-famille », « dit-Dieu »), dont le régal sont les « orteils de nymphette » ou les « doigts caramélisés » et qui n’aime rien tant que ripailler et festoyer au cours d’agapes pantagruéliques bien arrosées. Agapes qui n’ont rien à envier au film La Grande Bouffe (auquel j’ai souvent pensé durant ma lecture) qui fit tant scandale à sa sortie. L’héritage rabelaisien est présent à chaque page (« Boustifaille sans conscience n’est que ruine de l’âme »), que ce soit par ces banquets gargantuesques que par l’esprit malicieux et politiquement incorrect qui flotte à chaque ligne de ce roman inattendu.
Nous suivons donc le quotidien de ces Restaurés, via de multiples saynètes (« tableaux ») plutôt marrantes (l’ensemble est résolument comique), entre intrigues amoureuses, profusion de bonne chère/chair, projets de « dit-don de soi » (soit le sacrifice volontaire de certains membres dûment dévorés au cours de banquets) et prophéties du « Spirite », une sorte de prêtre désabusé qui s’exprime régulièrement en latin. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à ce qu’un attentat à la bombe vienne frappe la principale usine de traitement de viande du secteur. Y aurait-il un traître au sein de la communauté ? « L’enquête » démarre et le procès du responsable se tiendra bel et bien, ce dernier avouant avoir « commencé à douter » depuis un moment du bien-fondé du cannibalisme. Le procédé utilisé par Marc Villemain est astucieux puisqu’il permet de renverser l’ordre habituel des tabous et des valeurs : le criminel est ici l’individu qui protège la vie, refuse le cannibalisme par humanisme, et les gens normaux sont la masse qui défend cette coutume barbare.
Mais l’auteur – qui est également critique et éditeur – a, il me semble, moins cherché à écrire un livre politique (quoique !) qu’à se livrer à un exercice de style fantaisiste et plein de drôlerie, dont les circonvolutions stylistiques (parfois un tantinet excessives), les calembours et les bons (jeux de) mots donneront le vertige à tout lecteur amateur d’ambiance farcesque et de traits d’esprit à la Pierre Dac ou Raymond Devos. Il y a aussi le talent ébouriffant de Marc Villemain à filer les champs lexicaux de la chair, de la viande, de l’engloutissement, variant les registres et les termes avec une dextérité qui m’a bluffée. Assurément, ce roman est une ode à la profusion lexicale de la langue française, à la variété de son dictionnaire, qui n’hésite pas à faire usage de termes obscurs et inusités (« poupard », « étoupille », « patène »).
Dans ce roman règnent l’abondance et la démesure, c’est une sorte d’opéra-comique, de feu d’artifice littéraire plein de rimes et de rythmes (« joviale comme un magnum d’ivresse, son intelligence, qu’elle a frétillante, n’ondoie pas moins que sa plastique, qu’elle a pétillante ») qui peut par moment sembler « too much » dans l’ostentation lexicale. Attention à l’indigestion verbale, à la crise de foie sémantique ! Le lecteur notera aussi la double lecture et les glissements qui s’opèrent très souvent entre chair dévorée et érotisme latent : les séquences où l’on parle de sexe sans le faire réellement sont assez nombreuses et d’une grande finesse (mais la scène sensuelle est également grandiose). Est-ce à dire que cette communauté (qui aime à se lancer des « testicules meringués » pour s’amuser durant les banquets) n’est mue par ses instincts primaires, rendue à une forme d’animalité décomplexée ? Rien n’est moins sûr, puisque les sympathiques Restaurés aiment autant « la manducation du cœur [que] des mots » et les joutes oratoires entre les personnages sont au moins aussi nombreuses que les scènes de festin carnassier.
J’ai aimé que Marc Villemain joue sur tous les registres du français. Certains passages m’ont fait penser à la version argotique du « laboureur et ses enfants » que mon grand-père aimait à me réciter (qui commençait par « Un glaiseux plein aux as sur le point de calencher fit venir ses marmots et leur jacta en loucedé »). Marc Villemain pratique avec brio ces décalages délicieux : « Pardonnez, j’arrive un peu à l’arrache, fit le Spirite qui ne détestait pas jacter comme un teenager. » J’ai également trouvé très original les passages inspirés du théâtre et ses irrésistibles didascalies (« Valère de l’Ondine, kouchnérien encarté »)
Ainsi donc le lecteur ne pourra qu’être épatée, que dis-je époustouflé ! par le « don [de l’auteur] pour les facéties langagières » dont il use et (parfois) abuse mais avec un humour si attachant qu’on lui pardonne volontiers ces menus écueils. Il demeure que l’on s’amuse beaucoup de cette comédie truffée de figures de style, des péripéties de ces rigolos Restaurés et que ces 286 pages se savourent, se dégustent ou se dévorent, selon les goûts, avec un appétit littéraire consommé.
Je compte personnellement me repaître ad nauseam de la latine sentence suivante : « Ubi abundat delictum, superabundat gratias » (Où abonde le péché, surabonde la grâce).
Anaïs Lefaucheux
Ceci est ma chair lu par Olivier Vojetta
Ces quelques mots de l'écrivain Olivier Vojetta qui me font grand plaisir.
Mangez-le ! Mangez-le !
Avec Ceci est ma chair, Marc Villemain creuse, invente, joue, varie les voix et les registres, il va où il veut et passe d’une page follement drôle à un récit d’une rare cruauté, de considérations sociologiques à des références bibliques, du banal au vital. Il ose tout, fait preuve de la plus grande liberté et inventivité possible à chaque page. Dictionnaire goûteux et langoureux des expressions culinaires toutes faites mais pas que, son dernier roman joue dans la cour des grands, celle de Pierre Louÿs, avec une langue vivante et foisonnante, soucieuse de pittoresque et d’humour épique. Ils ont en commun un côté vicelard pas désagréable, il n’y a qu’à penser à cette « gracieuse Lisbeth [qui] capitonnait son gracieux fessier en suçotant quelques pénis farcis », une de ces trouvailles du langage qui n’aurait pas démérité dans La Femme et le Pantin, ce modèle du genre, veritable leçon en 13 chapitres à point c’est tout. Traqueur d’incongruités, fasciné par les carnations laiteuses, Marc Villemain est un génie du genre, un innovateur qui chaque fois surgit là où on ne l’attend pas. En le lisant, on s’abîme dans la littérature comme jeu et comme brûlure, dans l’amour toujours mêlé de la chair et des mots.
Olivier Vojetta est écrivain.
Visiter le blog d'Olivier Vojetta
Ceci est ma chair sur *Quoi de neuf sur ma pile ?*
Duché de Michao, 150 ans après la Seconde Résurrection.
Las de vivre sans réagir dans un monde gros des désastres promis par l'épuisement de ressources que des humains plus nombreux et voraces qu'un terrifiant vol de locustes consommaient sans rime ni raison, les élites (on le suppose) de ce qui été appelé à devenir le duché de Michao firent une révolution qui fit de leur petit bout de Terre la seule entité politique au monde authentiquement (pas métaphoriquement ni anecdotiquement) cannibale.
Mis au ban des nations, le malthusien duché prospère néanmoins depuis, contrôlant strictement sa fécondité et s'alimentant de la chair de ses citoyens dans une autophagie régulée qui permet enfin d'offrir à la nature le repos que l’humanité lui doit.
Résolument patriarcale et inégalitaire, le duché voit son bonheur simple assombri par deux menaces constantes : à l'extérieur, le concert de nations sourdes à leurs responsabilités historiques, à l'intérieur, les agissements de minoritaires groupuscules déviants – anticannibales pour être précis.
Mais qu'importe, la vie coule harmonieusement, d'autant mieux d'ailleurs qu'on fait partie de l'élite aristocratique ou grand-bourgeoise du duché et qu'on profite donc du luxe et des privilèges afférents.
Quand, coup de tonnerre dans un ciel clair, se produit un ignoble attentat, le duché, ébranlé dans ses fondations, devra faire front pour réaffirmer la sainteté de son mode de vie et soigner la blessure de sa conscience collective.
Ceci est ma chair est une farce de Marc Villemain que son éditeur dit astérico-rabelaisienne. Allons un poil plus loin !
S'il y a un héros dans "Ceci est ma chair", c'est le dépariteur Loïc d'Iphigénie, qui ouvre et ferme le roman. Dépariteur, c'est à dire chargé d'assurer la paix civile et de garantir par ses actes une stricte parité entre les innombrables couples d'identités physiques ou psychologiques possibles. Dépariteur, Loïc est un notable, un mâle (à Michao il n'y a que des mâles et des femelles) qui a su s'élever jusqu'à ce rang. Autour de lui gravitent Gustave de Gonzague, le départiteur judiciaire, et sa chérie Lisbeth de l'Ismaël, Basile du Blaise, le Spirite, Valère de l'Ondine, le propriétaire et fondateur du complexe carnologique, sa concuphage Ségolène de l'Abdel de la Jaquette, et d'autres encore, tous mâles et femelles aux statuts comparables au sien mais aux ascendances souvent plus prestigieuses. Qu'importe ! Loïc est compétent, il est droit dans ses bottes, il fait ce qu'il a à faire, qui consiste souvent à pacifier une société pacifique. Il a donc tout le temps de partager des dîners somptueux et de bons moments avec ses amis de la bonne société.
Bien manger, bien boire, ne manque à Loïc qu'un peu de ce qu'Ugolin appelait de la « tendresse ». Il arrive néanmoins que parfois la chance lui sourie, dans une version inédite du Celui qui boit c'est celui qui ne conduit pas.
L'attentat perpétré, la paix fracassé, l'harmonie en miettes, il revient à Loïc de trouver le coupable et de l'amener devant la justice.
Suivre Loïc, avant et après le sacrilège, est l'occasion pour toi, lecteur, de visiter le duché de Michao, de frayer avec sa bonne société, de découvrir aussi les affres intimes de quelques-uns de ses membres les plus en vue, au fil d'une déambulation jamais sérieuse sur la forme qui l'est toujours sur le fond.
En effet, c'est de sacrifice fondateur qu'on parle ici, duquel découle un changement complet de paradigme, de religion d'Etat, de régulation sociale. On ne plaisante pas avec une société qui a fait du cannibalisme son pilier quand le christianisme n'avait pas osé aller plus loin que la théophagie. On ne se gausse pas d'une communauté dans laquelle le don définitif de son corps pour la consommation d'autrui est une pratique courante, volontaire dans certains cas, obligatoire dans d'autres. On respecte une entité politique autarcique soudée autour de la notion de sacrifice civique.
Mais on a envie de rire quand même ;) Même si, la fin le démontre, comme dans La grande bouffe il n'y a pas de quoi rire.
Car, en 28 tableaux et 2 leçons, Villemain nous décrit un monde fou, peuplé de personnages qui semblent l'être tout autant. Avancé techniquement mais socialement proche du XIXe, Michao est un duché d'opérette à la Bordurie dont chaque élément ne peut se comprendre que sous un angle expressionniste. Raconté dans une langue située quelque part entre Vian, Audiard, et le Baudelaire des poèmes belges, "Ceci est ma chair" est un roman cultivé, très référencé, plein d'easter eggs qui vont de Malraux à Trust en passant par Julien Coupat ou Asterix. C'est aussi un roman cruellement drôle, pour peu qu'on survive aux premières pages avec leur cadence de mitrailleuse et qu'on se laisse prendre à une langue hilare qui exploite le sens de chaque mot pour le projeter sur le suivant comme une rivière roule des galets les uns contre les autres pour, les polissant, les embellir. C'est enfin un roman truculent, où les plaisirs de la table côtoient ceux de la chair, tant il est évident que bonne chère n'est rien sans bonne chair.
Belle écriture et mauvais esprit, que demander de plus à la littérature ? Si on y ajoute qu'on s'y moque gentiment de tous les inclusivismes, et que le tout s'inscrit en plus dans une culture qu'on piquette dans le texte comme autant d'hommages à ceux qui écrivirent avant, l'ensemble devient délectable - et à conseiller aux lecteurs du Premier Souper.
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Ceci est ma chair sur Exigence Littérature
Ce roman, cette fable dit aussi Marc Villemain, vous le lirez comme on lit une bande dessinée où l’auteur s’affranchit des frontières entre les niveaux de langue et n’hésite pas à forger ses propres mots pour créer un univers. Marc Villemain s’adresse au plus grand nombre pour un grand repas de réconciliation, un retour à l’oralité perdu. Ainsi les références à la chanson, sont nombreuses, de Brel à Brassens en passant par Maxime le Forestier, Mireille et Johnny Halliday mais aussi à ce que la littérature a de plus populaire, Cyrano, la Fontaine, Baudelaire Songe à la douceur d’aller là-bas forniquer ensemble sans oublier le cinéma avec Les Tontons flingueurs, la politique avec Marchais Liliane, fais les valises on rentre à Malevache et bien évidemment Astérix jamais nommé mais bien présent à travers Basile du Blaise le barde qui veut absolument chanter et que tout le monde veut faire taire. Réunis les Malevachiens comme de bons Gaulois boivent une dernière cervoise.
S’il y a une histoire - que l’on pourrait raconter en quelques mots - le vrai plaisir procuré par ce dit-roman se déguste dans son inventivité linguistique tout aussi savoureuse que la viande humaine. Il y a dans ce texte quelque chose de la truculance d’un Frédéric Dard. Fable que ce texte eucharistique, mais plus encore formidable farce qui prend à rebours notre époque individualiste pour inviter à ce qui aurait pu être un moment de vraie convivialité.
On se posera la question de la présence centrale de Ségolène
Comment passer à côté de ce :
SÉGOLÈNE [...], loyale !!!
Simple jeu de mot parmi tant d’autres dont regorge ce « roman » ou ... mais qui serait alors Valère ?
Quoi qu’il en soit on assiste à un art subtil de la dérision qui rend à la littérature une légèreté dont elle a bien besoin. Assurément une grande réussite que ce cannibalisme joyeux. Comme quoi les écrivains gagnent à écouter des chansons et à lire des bandes dessinées.
Pierre-Vincent Guitard
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directement sur Exigence Littérature.
Ceci est ma chair lu par Jean-Pierre Longre
Paradis cannibale
Nous sommes à Marlevache, dans le duché de Michão, seul État à « avoir fait sa révolution cannibale ». C’est ainsi que ses habitants, les « Restaurés », se sont mis au ban du monde pour avoir voulu remédier au surpeuplement et au manque de nourriture – et aussi, il faut bien le dire, pour avoir pris goût à la saveur de la chair humaine : au fil des chapitres les scènes de banquets foisonnent, où se dégustent maints morceaux savoureux – steaks, saucisses, boudin, cervelle, andouillettes, brochettes etc. –, le tout accompagné des meilleures bouteilles de vin coupé d’un peu de sang, et dûment préparé dans le « complexe carnologique » (ou « vianderie ») fondé et dirigé par Valère de l’Ondine et employant « mille travailleuses travailleurs : deux cents chercheurs et ingénieurs y préparent l’avenir de la cryogénie, de la thérapophagie, de la prophylaxie de la viande et de ses modes de conditionnement, et pas moins de huit cents ouvriers et techniciens y travaillet d’arrache-pied, nuit et jour et sept jours sur sept. » Bref, tout est organisé pour que les habitants de Marlevache ne manquent pas de chair humaine, prélevée selon une règle précise : « Le deuxième enfant d’une fratrie est constitutionnellement sacrifié lorsqu’il accède à la majorité, soit le jour de ses quatorze ans, âge auquel la chair, en sus de ses qualités gustatives assez remarquables, procure les meilleurs avantages comparatifs. » Grand honneur pour le sacrifié et sa famille !
On l’aura compris, le duché assure le bonheur de ses habitants grâce à une organisation impeccable selon laquelle tout est prévu, même les cas particuliers (femmes stériles, jumeaux, tri des morceaux comestibles ou non, règles de sécurité publique, choix des « Bienheureux » candidats au « dit-don de soi » etc.). Ce qui n’empêche pas que les agapes fassent l’objet de beuveries, voire d’orgies, au cours desquelles le « Spirite » Basile de Blaise, maître religieux, tente vainement de faire entendre ses chants, tel le barde des albums d’Astérix.
Tout semble donc parfaitement huilé (comme la viande embrochée en public), lorsqu’un attentat détruit entièrement le « complexe carnologique », faisant de nombreuses victimes. Terrorisme « anticannibale » ? La population s’affole, et Loïc d’Iphigénie, le « dépariteur », est chargé de mener l’enquête sous la houlette de Gustave de Gonzague, « départiteur judiciaire », et rassurons-nous, l’enquête aboutira.
Ceci est ma chair serait donc un polar bien mené sur fond d’utopie ou de dystopie (question de point de vue) ? Oui, mais c’est bien plus que cela. Marc Villemain, dont la plume acérée, tour à tour gouailleuse et chantournée, joueuse (sur les mots) et méthodique, s’en donne à cœur joie dans différents registres : la satire socio-politique et religieuse, l’érotisme carné (voir la concupiscence ambiguë de certains mâles devant les corps féminins), la parodie (voir quelques paroles de chansons bien senties adaptées aux circonstances). Et ce faisant, il se livre, comme le firent jadis Rabelais, Diderot, Balzac et quelques autres, à une fine description des relations et des comportements humains.
Jean-Pierre Longre
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Ceci est ma chair dans Livres Hebdo (Véronique Rossignol)
Carnologie
À Marlevache dans le duché de Michão, tout commence et tout finit par un banquet. Mais ici, au menu des ripailles, les convives se délectent... de leurs concitoyens et concitoyennes, dûment assaisonnés. Les Restaurés - les habitants de ce pays séditieux et autarcique - ont en effet institué l'anthropophagie comme solution à l'épuisement des ressources et à la surpopulation, fondement de leur organisation politique. Ceci est ma chair, farce paillarde entre Rabelais et Astérix, est leur geste. Loin de son style habituel, Marc Villemain s'est visiblement bien amusé à imaginer cette société où, deux fois par mois, un « dépariteur » est chargé de désigner, en toute parité, ceux qui vont donner leur corps à la collectivité. Et où chaque deuxième enfant d'une fratrie (le maximum légal étant fixé à trois) doit être offert en sacrifice le jour de ses 14 ans.
Chez les Restaurés, on parle de « dit-don de soi ou d'oblation »... Quand un attentat meurtrier détruit le « complexe de production carnologique », fleuron de l'industrie locale, des groupuscules terroristes anti-cannibales semblent être des coupables désignés. Qui d'autre pourrait contester ce régime que ses pratiquants tiennent pour un modèle avancé de civilisation et de civisme ? Dans une langue enluminée et truculente, l'auteur de Mado renverse les perspectives, pousse la notion d'humanisme dans ses retranchements tabous. Vous reprendrez bien un peu de « dit-cervelle de sage » ou de « joues citronnées façon grand-mère » ? À table !
Véronique Rossignol
CECI EST MA CHAIR
C'est en 2009, après avoir écrit les nouvelles qui composent Et que morts s'ensuivent, recueil publié à l'époque par les Éditions du Seuil, que j'ai eu l'idée de ce roman qui paraît ces jours-ci aux Éditions Les Pérégrines : Ceci est ma chair.
Je n'en dirai rien ici de bien conséquent, non tant par flemmardise qu'en raison d'une persistante impression d'étrangeté : je ne suis moi-même pas bien sûr de le comprendre tout à fait, du moins ne suis-je pas complètement certain d'en cerner les mobiles profonds. Je sais seulement que ce travail d'écriture qui, peu ou prou, m'aura accompagné dix années durant, m'a procuré une sensation d'ivresse et de joie que je n'avais encore jamais éprouvée à ce point. Si bien que, le reparcourant sous sa forme définitive, je me surprends encore à y trouver des traits, des phrases, un type d'énergie et de liberté que j'espère pouvoir éprouver encore à l'avenir.
Je remercie chaleureusement la joyeuse troupe des Pérégrines : Aude Chevrillon bien sûr, parce que quand on dirige une maison d'édition il faut sans doute pas mal d'inconscience pour publier un tel roman ; Constance Roche, qui a un œil de lynx ; Jihane Derose, qui se démène auprès des critiques et des libraires ; enfin, ma reconnaissance éternelle va à Alice Peuvot, mon éditrice, dont l'enthousiasme n'a jamais faibli.
Je suis heureux que ce roman ait déjà emporté l'adhésion de Véronique Rossignol qui, dans Livres Hebdo, loue « une langue enluminée et truculente », et de l'écrivain Bernard Quiriny qui, dans Lire / Le Magazine littéraire, évoque « une fable rabelaisienne provocante ».
Quelques rencontres sont d'ores et déjà programmées :
- 17/19 septembre : « Livres dans la Boucle », Besançon (le 19, rencontre animée par Sonia Déchamps, avec Pierre Darkanian (Le rapport chinois, Anne Carrière) et Florent Forestier (Basculer, Belfond) sur le thème : « Drôle d’époque »
- 25/26 septembre : « Livres en Vignes », château du Clos de Vougeot, Fontaine-lès-Dijons.
- 8 octobre : librairie La Marge, à Haguenau.
- 9 octobre : librairie Gutenberg, à Strasbourg.
- 15/17 octobre : « Fête du Livre », Saint-Étienne.
Mais le temps est venu de m'en remettre au lecteur.
Lequel, de toute façon, a toujours le dernier mot (et c'est très bien ainsi).