mercredi 31 mai 2017

Fabrice Lardreau - Un certain Petrovitch

lardreau


Spiderman, ou le malaise du quadra

Oubliés, les grands froids climatiques et métapolitiques de Nord absolu, son précédent roman paru chez Belfond : c’est au pesant engourdissement des mœurs contemporaines que Fabrice Lardreau s’attaque avec Un certain Pétrovitch, roman qui, sous des allures autrement légères, n’en cultive pas moins un égal scepticisme quant à l’état de ce pauvre monde où nous errons, vaille que vaille.

Intégrité oblige, il importe de signaler que j’avais connaissance de longue date de cette intention, Fabrice Lardreau ayant été l’un de mes complices sur le blog des « 7 Mains » (clos depuis longtemps, mais intégralement en ligne), où il expérimenta ce projet littéraire au prétexte assez original. Car si le propos fait depuis longtemps le suc de la littérature mondiale (en gros : les affres d’un individu moyen dans une société moyenne), son traitement ne manque, lui, pas de sel.
Patrick Platon Pétrovitch (c’est son nom) est un rond-de-cuir des plus ordinaires : effacé, docile, méthodique et routinier. Employé comme comptable au sein d’une Fédération sportive, il ne montre dans son emploi pas plus de talents qu’il ne brille dans sa vie par sa personnalité. Reste que la banalité de ce que nous sommes en plein jour ne peut pas ne pas nous tarauder au beau milieu de la nuit – pour peu, bien sûr, que nous ne soyons pas absolument dépourvus de cervelle ni de conscience : c’est un bienfait du fantasme que de nous aider à lutter contre ce qui ne peut pas, à un certain moment de notre propre existence, ne pas nous apparaître comme de la médiocrité. La quarantaine semble un âge idéal pour fomenter ce genre de sentiment dubitatif, mais nous y reviendrons. Depuis que Pétrovitch, au cours d’une adolescence entièrement vouée au rock (presque) dur et après avoir échoué à rejoindre John Bonham (Led Zeppelin) au panthéon des batteurs de légende, a lu Le Manteau, la nouvelle de Gogol, il faut dire que son existence s’est comme soudainement éclairée. Et, à l’instar du personnage de l’écrivain russe, il va lui-même passer sa vie à chercher son propre Manteau, comprenez son graal, son talent ultime, le sens de la vie, bref les obscures mais transcendantes raisons à même de justifier son passage sur terre. Qu’on se le dise : Athènes avait Thésée, le monde contemporain aura Pétrovitch, alias Spiderman. À chacun sa Révélation. Ce qui n’ira pas sans mal, vous imaginez bien, l’utilitarisme et le consumérisme du temps se mariant assez mal avec un aussi romantique projet.

Je vous laisse découvrir les innombrables gags, facéties et autres clins d’œil appuyés dont regorge cette histoire menée tambour battant – notre homme faisant davantage penser à Gaston Lagaffe qu’à l’athlétique et surpuissant Spiderman. Mais Lardreau rit-il aussi franchement que cela ? Et de quoi rit-il, d’abord ? De nous, de lui. De la misère spirituelle du temps, de nos servitudes volontaires, de la lourdeur des héritages sociaux et de la frénétique vacuité des emplois humains – Montaigne parlait de « vacations farcesques. » Le lisant, j’ai souvent pensé au Front russe, de Jean-Claude Lalumière (autre cheville ouvrière des « 7 mains »…), paru il y a un peu plus d’un an : là aussi, il était question d’un quadragénaire un peu perdu dans son temps, porté à la dépréciation de soi, nostalgique d’une certaine grandeur comme le personnage de Lardreau peut se montrer désireux de sublimer sa condition sociale. Le loser de Lalumière nous faisait rire par l’application qu’il mettait à s’intégrer et par sa manière concomitante de démissionner du conflit social : chez Lardreau, l’anti-héros qui se rêve en super-héros nous fait rire par son inadaptation, sa maladresse, son esprit de sérieux, l’hénaurmité de ses ambitions en regard de ses moyens réels. Serions-nous donc face à une sorte de syndrome générationnel ? Je ne suis pas loin de le penser. Je ne suis pas loin de penser, en effet, que quelque chose a pu se développer dans les traces ou les parages d’un Houellebecq, quelque chose qui aurait trouvé dans l’arme de l’autodérision, du sarcasme doux-amer et du détachement sceptique, une façon de répondre aux quolibets du monde et de mettre en forme son relatif désarroi. La masculinité, l’autorité, le renouveau du féminisme, la paternité, le couple, le sexe, la réussite sociale et ses conformismes, l’empire des diktats sociaux et culturels : autant de sujets auxquels se confrontent aujourd’hui les hommes de la quarantaine, enfants de 68 et de son retour de bâton, du matérialisme triomphant et de la défection idéaliste, héritiers malgré eux d’un modèle patriarcal qui a du plomb dans l’aile (ce dont ils ne peuvent pas ne pas se féliciter, mais qui les accule à inventer d’autres espaces, une autre temporalité où poser leur individualité – j’allais dire à repenser la carte de leur nouveau territoire.)

Ces conditions socio-historiques ont entraîné une sorte de dépoétisation générale du monde, dépoétisation à laquelle l’individu conscient (et artiste) ne peut pas ne pas réagir. Fabrice Lardreau le fait, donc, à sa manière, sans prétention ni affèterie, au détriment peut-être d’un style dont l’imparable efficacité se paye parfois d’un défaut de patte ou de texture, et que j’aurais aimé, pour le coup, peut-être un peu moins contemporain, mais arc-bouté sur une composition très astucieuse, pleine d’esprit, d’acuité, de drôlerie, dont on retiendra d’abord l’indiscutable talent narratif. On lira donc ce Pétrovitch d’une traite ou quasi, en pouffant et en s’esclaffant, mais en sachant bien que ce rire-là n’a rien d’innocent – qu’il est, aussi, la politesse d’une certaine désespérance.

Fabrice Lardreau, Un certain Petrovitch - Editions Léo Scheer
Article paru dans Le Magazine des Livres, n° 34 


lundi 29 mai 2017

Fabrice Lardreau - Nord absolu

Fabrice Lardreau - Nord absolu


Le refroidissement de la planète

Certains livres nous saisissent par leurs sujets, leurs personnages, la profondeur de leur champ, l’étrangeté de leur inspiration, de leur construction ou de leur style, que sais-je encore. De Nord absolu, sixième roman de Fabrice Lardreau, on sort en emportant autre chose, quelque chose d’incertain, cru et impressionniste, qui tient sans doute à cette manière singulière qu’il a de mener le récit en le maintenant sur les marges du réalisme, juste avant qu’il ne verse dans l’onirisme. Un climat, donc, et pas seulement celui de cette « République du Nord » dont on ne se défait jamais tout à fait des émanations lacustres, crayeuses, toujours un peu réfrigérantes. Là d’ailleurs est peut-être le propre du talent de Fabrice Lardreau, cette minutie mêlée de concision qui lui permet d’installer quelque chose d'englobant et d’exciter la sensation avant même de requérir un travail de lecture.

Travail pourtant nécessaire, car les choses sont (toujours) plus complexes qu’il y paraît, l’auteur prenant un (malin) plaisir à laisser voguer les incertitudes, à déjouer et entremêler les identités, au gré d’une construction romanesque qui ne manque pas d’ambition. Pour ce qui est des faits, l’on sait finalement assez peu de choses, à moins que nous n’ayons d’autre choix que de les laisser nous perdre. On sait qu’il fait froid, d’abord, sensation étrangement enveloppante qui ne nous quittera pour ainsi dire jamais. Que la tentation démagogique fait son oeuvre et qu’un de nos personnages (peut-être un peu trop explicitement dénommé Paul Janüs), n’y est pas complètement insensible. Qu’un autre, héros de la nation depuis qu’un attentat l’a assis dans un fauteuil roulant, semble recouvrer un peu le sens de l’existence en partant à la recherche de son voisin disparu. Qu’il est quelque part, au nord, un peuple proche et lointain que le pouvoir central est bien décidé à traquer. Et qu’enfin une peur sourde, ouatée, ceinture et alanguit les esprits. Ici Lardreau est excellent, qui sait nous faire sentir une peur sans objet précis identifié ni dicible, ce genre de peur qui ne trouve aucune libération dans son énonciation parce qu’elle émane aussi des individus eux-mêmes, de leurs attitudes, de leurs mouvements comme de leurs silences. 

Les pérégrinations des uns et des autres fournissent donc le prétexte à une traversée du pays et de ce « monde inconnu » peuplé de      « nordas » que le pouvoir central accule à la misère. Laquelle, comme l’écrivait Hugo, et pour peu qu’elle soit « chargée d’une idée, est le plus redoutable des engins révolutionnaires. » Explosive, donc, comme elle le sera ici, et littéralement, au terme d’une projection politique qui apparaîtra parfois comme le talon d’Achille du roman. L’esquisse d’une dictature à obsession ethnico-écologique n’est pas une mauvaise idée en soi, cela va sans dire. « Dans l’Age d’Or », est-il écrit, « on devait vivre en harmonie avec le monde et les    saisons : l’heure solaire avait été restaurée, les colorants bannis et l’usage des plantes imposé » : voilà qui jette une lumière à tout le moins sceptique sur quelques uns des tropismes de notre temps. Mais cette projection un peu imprécise dans un futur indéterminé s’aligne sur trop de traits caractérisant notre présent, ce qui incommode parfois notre voyage dans le futur. C’est d’ailleurs dans ces moments que le style de Fabrice Lardreau perd un peu de sa suggestivité pour se teinter d’accents trop actuels dont on peut regretter, même si l’on en comprend bien la fonction documentaire, qu’ils affadissent ou normalisent un récit à bien des égards original. Prévention qui disparaît totalement dans les dernières dizaines de pages du roman, dont on sort en se disant que l’auteur aura réussi à nous manipuler jusqu’au bout, habitant ses personnages, parvenant à les relier à une histoire pleine de replis, de chausse-trapes et de complots, résolvant enfin et sans bavure cet étrange périple dans le froid programmé de l’avenir. t

Fabrice Lardreau, Nord absolu - Editions Belfond
Critique parue dans Le Magazine des Livres, n°20, novembre/décembre 2009

Posté par Villemain à 23:13 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
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mardi 24 janvier 2012

Le Magazine des Livres, n° 34 - Janvier/février 2012

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Autant vous le dire, je suis tout spécialement attaché au trente-quatrième numéro du Magazine des Livres, qui paraît aujourd'hui.

- Tout d'abord, je m'y entretiens longuement avec Lionel-Edouard Martin, alors que son nouveau roman, Anaïs ou les Gravières, dont j'ai donc l'honneur d'être l'éditeur, paraît le 14 avril prochain aux éditions du Sonneur. Ceux qui me lisent savent l'admiration que je porte à son oeuvre, et, ce faisant, peuvent imaginer la joie que j'ai de pouvoir contribuer à faire connaître cet écrivain encore si méconnu. Si Lionel-Edouard Martin parle avec la pudeur et l'humour qu'on lui connaît, la conversation très libre que lui et moi avons eue donne une idée assez complète, et en vérité assez inédite, de son rapport au monde et à l'écriture.

- Ensuite, je suis très heureux que Carte blanche ait été donnée à Valérie Millet, fondatrice et directrice des éditions du Sonneur - où j'officie donc depuis quelques mois. Revenant sur la création de cette maison il y a un peu plus de six ans, elle revient, dans un article intitulé Ceux qui passent, ce qui passe, sur un certain nombre d'idées reçues, et interroge utilement quelques-uns des poncifs de la modernité éditoriale. Du Sonneur, j'aurai naturellement bien des occasions de reparler sur ce blog.

Les lecteurs trouveront enfin mes recensions des ouvrages de Tibor Déry (Derrière le mur de briques, éditions de La Dernière Goutte), de Joseph Vebret (Menteries, éditions Jean Picollec), et de Fabrice Lardreau (Un certain Pétrovitch, éditions Léo Scheer).

Je vous laisse découvrir ici le reste du sommaire, particulièrement riche.

lundi 29 juin 2009

Les 7 Mains : c'est la fin

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C'
était hier la fin du blog Les 7 mains, lancé le 16 février dernier avec quelques compères : Claire Le Cam, Emmanuelle Urien, Jean-Claude Lalumière, Fabrice Lardreau, Stéphane Beau et Bertrand Redonnet.


Le blog reste toutefois en ligne - accès direct ici, pour celles et ceux qui le découvriraient avec quelque retard...

Surtout, Emmanuelle Urien, Stéphane Beau et Bertrand Redonnet lui donneront prochainement une suite, ailleurs, et à leur manière. A suivre, donc. En leur souhaitant le meilleur.

dimanche 15 février 2009

Un nouveau blog littéraire : Les 7 mains

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Sept auteurs pour un même blog - disons plutôt un même cahier d'exercices : voilà qui tenait de la gageure !

Pourtant, chaque jour à neuf heures tapantes, Stéphane Beau, Jean-Claude Lalumière, Fabrice Lardreau, Claire Le Cam, Bertrand Redonnet, Emmanuelle Urien et Marc Villemain se relaient sur la toile, tous libres de noircir à leur guise un espace sans contrainte ni ligne éditoriale, uniquement dédié à l'écriture.

Le blog prend son envol le lundi 16 février 2009 ; il vous attend ici