François Blistène - Le passé imposé
Quelques nouvelles de François Blistène, dont paraît, ce jeudi 20 mars aux Editions du Sonneur, le deuxième roman : Le passé imposé - j'ai donc à nouveau la chance, comme cela fut le cas avec Moi, ma vie, son oeuvre, d'en être l'éditeur.
Ceux qui avaient lu ce premier texte retrouveront dans Le passé imposé ce que probablement ils avaient aimé : la verve, la causticité, cette manière un peu potache de mettre les pieds dans le plat et, bien sûr, ce talent qu'a François Blistène, en apparence fort simple mais qui n'est pas donné à tout le monde, de raconter une histoire.
Pour le reste, nous sommes assez loin des univers de Moi, ma vie, son oeuvre, qui faisait la part belle au petit monde de la peinture et à ses affres - et à certaines idées assez peu recommandables que cela faisait germer dans la tête de son protagoniste. La tonalité, quoique toujours parsemée de saillies facétieuses, voire fantasques, est ici un tantinet plus grave, puisqu'il est question d'éducation, de transmission, de paternité, de liberté individuelle, autrement dit, de valeurs. Que l'on ne se méprenne pas : François Blistène n'a pas viré sa cuti, il n'a pas plus retourné sa veste que changé de casquette : tout n'est jamais que prétexte à ausculter l'humaine engeance. Aussi bien, si l'on riait assez franchement en lisant son premier roman, l'on rit toujours, certes, mais un peu plus jaune tout de même. En montrant l'ineptie qui consiste à vouloir protéger à tout prix la jeunesse contre ce que le monde a de plus sot, François Blistène, s'il encourage l'individu à se libérer des innombrables carcans qui mettent la liberté à l'épreuve, n'en témoigne pas moins des limites d'une société acquise à toutes les futilités consuméristes possibles et imaginables, et très peu à ce qui pourrait l'embellir et la rendre un peu moins frivole. Moraliste, François Blistène ? N'exagérons pas. Car ce qu'il raconte ici (la découverte de la vie - et de Paris - par trois jeunes gens fuyant la geôle paternelle) n'induit aucune espèce de jugement de valeur : il se passe simplement ce qui doit se passer. De son écriture vive et accidentée, pleine de rebonds, d'images et de formules, d'excentricité aussi, Blistène jubile surtout à nous montrer de quoi nous sommes faits : de préjugés autant que d'inconscience, de peurs farouches autant que d'aspirations à la joie.
QUATRIEME DE COUVERTURE - Solitaire abhorrant le monde moderne, Philippe Pontagnier s’acharne à isoler ses enfants dans une maison où leur seul contact avec les humains est un certain Kuntz, homme étrange censé parfaire leur éducation. Lorsque les trois adolescents parviennent à s’échapper, ils ne connaissent guère du monde que ce que leur père et leur précepteur, ainsi que quelques livres bien choisis, leur en ont appris. Déambulant dans Paris, ils vont donc, chacun à leur manière, tâcher d’en déchiffrer les mœurs et de s’y faire une place. Une rencontre sera décisive : celle d’un certain Monsieur Mystère, magicien de son état, auprès duquel ils vont se prendre au jeu de la vie. Mais c’est sans compter sur la soif de vengeance du Père : l’ogre rôde, et le destin est tenace.
François Blistène - Le passé imposé
Editions du Sonneur - 20 mars 2013
ISBN : 978-2-916136-71-4
Infos et commande sur le site des
Editions du Sonneur
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Frédéric Berthet - Felicidad & Paris-Berry
Les éditions de La Table Ronde poursuivent donc leur inlassable travail de réédition des oeuvres de Frédéric Berthet, avec, ce mois-ci, la sortie de deux petits ouvrages parus chez Gallimard en 1993, Felicidad, qui s'apparente à un recueil de nouvelles, et Paris-Berry, plus imparfait, mais dans un genre un peu moins identifiable.
Dans les deux cas : cette même manière de tourner sans fin autour de soi, de replacer la solitude de l'écrivain au coeur d'une sensation mêlée d'orgueil et de résignation lucide, de souffrir en souriant devant l'épreuve de l'écriture ; de ne pas vraiment savoir, finalement, quoi faire de la vie. Un père, la nouvelle qui ouvre le recueil Felicidad, montre bien ce qu'il y a d'irrésistiblement fuyant et incommunicable dans une vie qui ne nous laisse jamais seul mais qui, lorsqu'enfin on l'est, nous rend insupportables à nous-mêmes. D'ailleurs, connaît-il vraiment son père, ce personnage qui croit le voir passer à l'arrière d'un taxi et se met en tête de le suivre - pour mieux le perdre, bien sûr. Comme toujours, Frédéric Berthet ne donne pas tant l'impression de vivre que d'être vécu ; il ressemble par bien des traits à cette feuille que le vent emporte au gré de ses caprices, l'emmenant ici ou là, l'endroit où elle tombe, parc somptueux ou caniveau de basse maison, n'ayant au fond guère d'importance. Car chez Berthet, les choses échappent. A tout. La volonté est une chimère, au mieux, au pire le fantasme moral d'une société qui se considère elle-même comme un corps en souffrance. Berthet ne s'alarme de rien, tout lui semble plausible : être là, déjà, voilà qui suffit bien à notre étonnement. Alors autant s'en amuser. C'est son côté fitzgeraldien, cette espèce de regard qui passe par-dessus les choses sans s'y arrêter vraiment, ou plutôt en ne s'arrêtant qu'à ses plus infimes, ses plus imprévisibles détails. C'est ce mélange d'indifférence et de curiosité générale, d'insouciance et de névrose, de légèreté d'apparat et de gravité intérieure, qui renvoie de Berthet, comme de Fitzgerald d'ailleurs, cette impression très étrange qu'ils sont à la fois des produits de leur temps et des êtres à ce point inactuels qu'ils en deviennent atemporels. On retrouve cela aussi, avec le même instinct drolatique du dépressif, chez Jack-Alain Léger, par exemple, qui n'est pas le moins bon pour tirer la langue au néant et glisser des peaux de bananes sous le rouleau-compresseur de la vie. Ou, pour évoquer un écrivain dont j'ai eu récemment la chance de pouvoir éditer le premier roman, François Blistène, qui d'ailleurs a l'âge qu'aurait eu aujourd'hui Frédéric Berthet, et dont la causticité badine et l'apparente légèreté devant les lubies du temps désignent comme un de ses dignes héritiers.
Je ne suis pas sûr, comme Philippe Sollers l'avançait en son temps, que Berthet fut le plus doué de sa génération. Mais je crois qu'en effet il eût pu en être une incarnation fidèle et originale, typique et décalée ; car talentueux, bien sûr (trop peut-être, car sans cela, allez savoir s'il n'eût pas trouvé l'énergie, la constance d'écrire ce gros roman qui ne verra jamais le jour) ; car attentif aux sensations premières, aux images du monde et aux forces intestines qui traversent l'individu ; car ne vivant, au fond, que dans le plaisir anticipé de transformer l'existence en mots ; et puis, tellement apte au plaisir, mais si sourdement habité par ce que, faut d'expression plus appropriée, je décrirai comme un instinct tragique. D'où cet humour permanent sur lui-même, ces mécanismes d'autodérision autour desquels chaque phrase ou presque est bâtie, et ce sourire un peu jaune que l'on ne peut s'empêcher d'afficher en le lisant.
Ceux qui se piquent d'écriture apprécieront cette autre nouvelle, L'écrivain, assez essentielle je crois tant elle lui ressemble, et dans laquelle on vérifie que tout ce qui donne de l'énergie à l'écrivain est aussi, précisément, ce qui le détourne d'écrire : c'est, je crois, une assez juste définition du caractère contemplatif. On s'invente des raisons, des châteaux en Espagne, des motifs de s'exiler, à la campagne ou ailleurs, n'importe où tant que ce n'est pas ici, et on s'aperçoit que là-bas est un autre chez-soi, et, donc, que cela ne convient toujours pas. Il n'arrive jamais rien, dans la vie de l'écrivain, voilà ce que semble regretter le narrateur, pourtant plus désireux que jamais, et ce désir est impérieux, d'enfin trouver le luxe et le calme qui lui permettront d'écrire. Mais c'est aussi à ces paradoxes-là que s'adosse le quotidien de l'écrivain, sur eux qu'il érige les remparts de son univers.
NB 1. A noter aussi, la publication d'une nouvelle inédite de Frédéric Berthet, Ce qu'ils appelaient désespoir, dans le numéro 121 de la revue L'Infini.
NB 2. Pour ceux que cela intéresserait, je m'étais déjà penché sur deux de ses ouvrages. Ainsi peut-on lire, sur L'Anagnoste, ce que je disais de sa Correspondance et sur Simple journée d'été.
NB 3. On trouvera enfin ici même, sur ce blog, le bref souvenir d'une soirée organisée le 21 janvier 2011 en hommage à Frédéric Berthet.
Soirée d'hommage à Frédéric Berthet, galerie Zürcher, Paris, 21 janvier 2011
L'écrivain, la peintre et le comédien : un soir au Sonneur
Les Editions du Sonneur affichaient complet, jeudi dernier, lors de la soirée organisée autour du premier roman de François Blistène, Moi, ma vie son oeuvre.
Tandis que Michelle Auboiron donnait en peinture son écho personnel au livre (avant de mettre la toile en jeu lors d'une tombola), Claude Aufaure, avec la verve qu'on lui connaît, en lisait quelques extraits.
Vous pouvez ci-dessous visionner le bref mais ingénieux montage réalisé par Charles Guy en souvenir de cette soirée.
Liens :
- François Blistène aux Editions du Sonneur ;
- Le site de Michelle Auboiron et Charles Guy.