lundi 20 octobre 2008

A propos de la "refondation" de la gauche...

Ségolène Royal se réjouit donc de la révocation du régime de semi-liberté accordé à Jean-Marc Rouillan. Elle s'étonnera ensuite qu'une majorité d'électeurs ait préféré voter pour Nicolas Sarkozy, selon l'adage fameux qui veut que l'on préfère toujours l'original à la copie. CQFD.


mardi 12 août 2008

D'Europe en Ossétie


Ce qui se joue entre la Géorgie et la Russie a ceci de passionnant, en sus d'être inquiétant, que ce conflit a toutes les caractéristiques d'un revival, quelque chose d'une piqûre de rappel d'un siècle, le vingtième, que nous aurions grand tort de considérer comme fini. Si l'historiographie a besoin de repères, et qu'à cette aune le 11 septembre peut en effet passer pour le signal (mais ni plus ni moins que le signal) de l'entrée dans le vingtième-et-unième siècle, nombre de conflits, en cours, sommeillants ou 
« gelés », constituent autant d'indices d'une structure géopolitique, idéologique et économique dont nous pourrions faire remonter bien des traits au dix-neuvième siècle, ce temps des nations, donc, dont l'état persistant du monde tend à laisser penser qu'il a certainement encore de très beaux jours devant lui. 

Nous autres occidentaux, spécialement européens, ne pouvons être que fascinés, que cela soit pour nous en réjouir ou pour nous en alarmer, par la persistance de l'Histoire en dehors de notre très sage Union. L'Europe est le produit d'une double idéologie (qui n'est ni sans intelligence, si sans légitimité, cela va sans dire) : le pragmatisme comme mode de résolution des conflits, la paix comme destin unanime. Moyennant quoi, toute dimension tragique dans la pratique de l'Histoire nous apparaît comme un signe d'arriération, et toute entreprise armée ou militaire comme un indice de barbarie. Il ne s'agit pas ici de faire l'éloge de l'utopie et de la guerre, mais de constater que nous aspirons, consciemment ou pas, et cela depuis la fin de la seconde guerre mondiale, voire, pour les plus pacifistes d'entre nous, de la première, à devenir des peuples a-historiques - présupposant par là que, là où il n'y a pas d'histoire, il y a la paix.

Aussi pouvons-nous le constater avec une troublante régularité depuis la dilution de la Yougoslavie : durant les premières heures d'un conflit, l'Europe demeure sans réaction. Faute de mieux, soit parce qu'on la sollicite, soit parce qu'elle-même cherche à imprimer sa marque, son premier réflexe est de temporiser. Vladimir Poutine (dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pas en Medvedev un contradicteur très obstiné...) s'était déjà envolé de Pékin quand Nicolas Sarkozy, président de l'Europe, applaudissait encore aux efforts des sportifs français - l'image est là, d'une rude évidence. Aussi le premier plan Sarkozy pour la résolution du conflit entre la Géorgie et la Russie était-il, en dépit de son succès très immédiat, particulièrement creux, foncièrement et idéologiquement vide de toute analyse comme de toute histoire. On peut le résumer d'un mot : Paix ! Voilà ce que la présidence française de l'Europe se proposait de faire, ici et maintenant, sans autre considération. À cette aune, Nicolas Sarkozy, s'il ne passera guère pour un visionnaire, pourra au moins, une fois n'est pas coutume, se faire passer pour un pacifiste. L'Europe, en la personne du président français, n'a pas agi autrement  que comme un conseil de classe qui décide de mettre un avertissement à deux élèves un peu turbulents. Bien sûr, tout le monde se réjouira que les belligérants acceptent de tenir leurs ardeurs et retenir leurs gâchettes - même si le mal est déjà fait puisque, en dépit du spectacle indécis de la concurrence des souffrances, l'on peut d'ores et déjà, de manière certaine, estimer à plusieurs milliers le nombre de victimes, morts ou blessés, sans rien dire des destructions matérielles et du nombre de personnes qui ont dû fuir dans les pires conditions, sans savoir ce qu'elles trouveront là où elles iront ni ce qu'elles retrouveront lorsqu'elles pourront rentrer.

Obtenir un cessez-le-feu n'est pas une sinécure pour autant, et constitue assurément un bon moyen d'envisager l'avenir des discussions. Mais c'est là que le bât blesse. Car le devenir de la Géorgie, de l'Ossétie (du sud comme du nord) et de l'Abkhazie, ne constitue qu'une petite partie de l'avenir des relations entre l'ex-Ouest et l'ex-Est. Nous en sommes peut-être là : la seconde guerre mondiale, puis l'écroulement de l'Union soviétique, puis le 11 septembre, ne semblent pas avoir affaibli le tropisme des peuples à se sentir d'Orient ou d'Occident. Le fantasme de Poutine n'est pas l'URSS, mais l'Empire des tsars. De la même manière, l'angoisse, même informulée,  de l'Europe et des États-Unis, est d'échouer à contenir ce qu'il reste de soviétique et d'impérial dans ces pays de l'Est qui persistent à se nourrir d'Histoire. En fonction des circonstances, la Chine et la Russie joueront alternativement le rôle de celui qui fait peur à l'avenir ; mais fondamentalement, c'est leur  rapport comparable au temps et à leurs origines, c'est leur insistance à faire passer l'honneur avant la paix, l'identité avant la société, qui nous tétanisent. D'une certaine manière, c'est leur romantisme qui laisse l'Europe interdite. Au nom de la paix, ou pour l'obtenir, nous nous résignons souvent à ce qui est - fût-ce en entérinant telle ou telle injustice géopolitique ; cette résignation (non nécessairement « munichoise ») qui fonde la raison européenne, est sans doute étrangère à la vision du monde qui prévaut dans les empires russes et chinois, et qui les rend, sur tous les terrains, tellement offensifs - quitte, d'ailleurs, à s'affaiblir eux-mêmes à l'occasion.

L'avenir (très proche) identifiera des responsables, sans doute des coupables. Il est probable à cet égard que le peuple géorgien fasse payer très cher à au président Saakachvili l'inconséquence de son geste - mais il faudra alors expliquer ce geste, saisir combien il fut conditionné, encouragé par les bonnes paroles américaines autant que par les provocations très malignes des Russes. Imaginons un seul instant qu'un puissant mouvement indépendantiste, soutenu par telle grande puissance, et quelle que soit sa légitimité, sévisse aux frontières de la France, multipliant chaque jour les provocations, y compris armées : le pouvoir central resterait-il longtemps l'arme au pied ? Le geste de Saakachvili ressemble davantage à une faute qu'à une erreur ; cela ne le dispense pas de s'en expliquer, et justifie peut-être qu'il en paye politiquement le prix. Mais il serait en tout cas bien trop commode de faire peser sur lui les motifs et les mobiles du présent conflit. Car cette faute était inespérée pour la Russie : pas à proprement parler une divine surprise (on ne saurait être surpris par ce que l'on attend et/ou prépare), mais à tout le moins une parfaite opportunité de reprendre pied dans un Caucase auquel nul patriote russe ne peut sans doute se résigner.

Cette guerre-éclair porte en tout cas un éclairage saisissant sur l'Europe, dont les divisions sont ici plus que jamais marquées au sceau de l'histoire, comme en attestent les réactions, à mille égards bien compréhensibles, de la Pologne et des pays baltes. Voilà qui plaide, à nouveau, pour un approfondissement bien compris : sauf à imaginer que l'égalisation progressive des conditions sociales sur le continent suffise à son unité, la vérité est que l'on ne réagit pas également devant l'histoire selon qu'on est néerlandais ou espagnol, polonais ou français, et que nulle géopolitique européenne, que nul dessein européen, ne peuvent voir le jour sans qu'ait été préalablement fait le choix d'une histoire - donc d'une pratique.

vendredi 26 octobre 2007

Nobel de quoi ?

Doris_LessingIl n'est pas inintéressant d'apprendre que, quelques heures seulement après avoir été auréolée du prix Nobel de littérature, Doris Lessing ait lancé, dans le journal espagnol El Pais : "Le 11 Septembre a été terrible, mais si on se repasse l'histoire de l'IRA (l'organisation nord-irlandaise), ce qui s'est passé aux États-Unis n'a pas été aussi terrible que cela. Certains Américains penseront que je suis folle. Beaucoup de personnes sont mortes, deux édifices prestigieux sont tombés, mais ce ne fut pas si terrible ni si extraordinaire, comme ils le pensent". Les petits révisionnistes que porte le temps n'en demandaient pas tant, et commencent déjà à reprendre la parole pleine de sagesse de l'auguste lauréate, laquelle a bien compris qu'en littérature, ce qui fait sensation, ce n'est pas la littérature.

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lundi 1 octobre 2007

Qui veut la peau d'Eric Rohmer ?

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P
our avoir fait précéder son film d'un avertissement désolé expliquant au spectateur pourquoi il n'avait pu retenir la plaine du Forez, "défigurée par l'urbanisation, l'élargissement des routes, le rétrécissement des rivières, la plantation des résineux", et filmer sur les lieux où se déroule l'action des Amours d'Astrée et de Céladon, le roman d'Honoré Urfé, Eric Rohmer, quatre-vingt sept ans, s'est vu assigné en référé par Pascal Clément, ancien Garde des Sceaux (excusez du peu) et président du Conseil général de la Loire. Motif : "dénigrement". Voilà bien les ravages de ce populisme de proximité auquel le désenchantement du monde a donné naissance, et qui n'est autre que la manière la plus étroite et la plus petite-bourgeoise de considérer l'univers. Le patriotisme d'antan a été supplanté par un patriotisme de terroir, dit aussi territorial, qui autorise n'importe quel micro-suzerain à se sentir investi d'une mission de salubrité publique. Que Pascal Clément, dont le bilan place Vendôme aura été aussi fécond que le babillage littéraire et désormais légendaire entre Nicolas Sarkozy et Marc Lévy, prenne pour cible un artiste qui n'est pas étranger au rayonnement de la France ou de ce qu'il en reste et des arts universels en général, qui plus est au nom des fiertés locales, voilà qui en dit long sur la haine de la culture qui a gangréné jusqu'à nos plus hautes édiles. J'imagine la scène d'ici : la réunion au sommet (fût-ce celui du conseil général), au soir tombé, dans les bureaux lambrissés de monsieur le président, entre son conseiller aux affaires culturelles, son directeur de cabinet, le représentant de la préfecture, le magistrat du coin trop heureux de l'aubaine, le digne représentant de l'opposition de gauche, le directeur des services, le chargé de mission aux affaires juridiques et le représentant de la DRAC, tous militants du développement durable de leur territoire, tous citant à qui mieux-mieux les expressions consacrées dans le schéma directeur, le rapport cadre sur le développement du tourisme ou la charte environnementale, leurs palabres oiseuses pour évaluer le taux de nocivité de l'insolence rohmérienne et le mal que l'obscure cinéaste fait à l'attractivité des pays de la Loire et au vivre-ensemble des administrés de la plaine du Forez : le Zola qui sonda les comices agricoles, le Balzac qui décortiqua l'ambition dirigeante ou le Cohen qui éprouva les mœurs administratives auraient fait leur miel d'un tel concentré d'élégances visionnaires. Au moins aurions-nous pu espérer, face à un tel déferlement de bêtise, que la rude parole d'une opposition socialiste encore un peu consciente de ce qui se joue à travers le langage de l'art secoue la sclérose gestionnaire : mais non, les voilà qui, eux aussi, entonnent ce même couplet du développement local et glissent leurs bottes dans le terreux sillon du petit chef départemental.

Quant au résultat, au fond, quelle importance ? - gageons que l'affaire aura tout autant nuit à la réputation de ce pauvre monsieur Clément que contribué à la publicité du film d'Eric Rohmer. De toute façon, nous sommes entrés dans un jeu de procédures, le conseil général ayant été débouté, non sur le fond, mais en raison d'une mauvaise saisine : le tribunal de Montbrisson a en effet considéré que "les passages dont le caractère erroné et péjoratif est allégué relèvent des seules dispositions de la loi du 29 juillet 1881", relative à la diffamation par voie de presse, "qui obéit à un régime procédural spécifique et impératif", lequel n'a en l'espèce pas été respecté. Une nouvelle procédure sera donc engagée, dont il faut seulement espérer qu'elle achève de ridiculiser ceux qui, lorsqu'on parle de culture, se demandent d'abord à quelle juridiction elle doit obtempérer.

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mercredi 9 mai 2007

(Petite) ville Lumière

J'ai passé bien du temps (trop, sans doute) à faire état de mes agacements politiques récents. La France a ce qu'elle mérite autant que ce qu'elle a voulu ; nous verrons bien, avec le temps, ce qu'il faudra penser de tout cela. Pour l'heure, notre nouveau président, non encore nommé, est en vacances luxueuses pour une soixantaine d'heures. Sans doute y avait-il plus adroit, et de meilleur goût, mais je ne vois pas là motif à une quelconque "montée au créneau". Les Français, d'ailleurs, s'en foutent - et même, à mon avis, lui donnent peu ou prou raison. Que le premier réflexe de la gauche (qui, en matière de faste et de somptuosité, n'est pas spécialement innocente) soit de retrouver ses traditionnels accents d'indignation morale nous donne une idée du chemin à parcourir. L'heure est donc à l'objurgation : l'analyse et le questionnement, préalables à toute refondation digne de ce nom, peuvent bien attendre encore un peu.

Tous, nous retrouvons un peu notre chez-nous. Le tumulte et la frénésie militante, avec ou sans carte politique, s'apaisent peu à peu. Les conversations en famille, les polémiques enflammées, les diatribes au zinc et les ferveurs spontanées s'espacent. L'exagération de soi, l'ampleur des certitudes, la boursouflure des opinions, les dispositions belliqueuses, parfois excommunicatrices, laissent place à une forme de distanciation quotidienne qui est aussi, disons-le, une manière de se situer dans le champ démocratique, voire de l'accepter. La France, son hymne, ses drapeaux, son imaginaire et ses slogans, rentrent au bercail des intimités - pour y sommeiller, et sans doute mûrir jusqu'aux prochaines échéances.

En écho, même très lointain, à cette séquence politique, je me suis fait l'autre jour cette réflexion que les grandes cités urbaines, que l'idée de la ville même, depuis toujours vecteurs, et vecteurs presque uniques, de la civilisation, sont devenues, au temps mondial du capitalisme, de dangereuses machines à destructurer les ontologies, à assécher les coeurs et à désorienter les projections de soi. Peut-être m'objectera-t-on que je me fais cette réflexion au moment où moi-même je me prépare à la perspective de quitter la ville : à cette aune, ma  réflexion n'aurait donc rien de conceptuel ou d'universel, et ne serait que le fruit de ma propre trajectoire. Possible. N'empêche : la ville a changé. Celle qui permettait hier que se nouent des solidarités de voisinage fomente aujourd'hui d'innombrables querelles dans nos tribunaux surchargés ; celle qui obligeait, par gestion bien comprise de l'espace, aux politesses et à la courtoisie que créent les cultures, échauffent désormais les esprits et les mots jusqu'à susciter des haines instinctives ; celle dont on pouvait vanter les promesses du brassage compartimente aujourd'hui comme jamais ; celle qui excitait les arts et les artistes charrie désormais la plus grande vulgarité consumériste ; celle qui offrait à l'individu l'incroyable luxe de se sentir seul dans la foule tout en demeurant solidaire de sa marche l'accule maintenant à regarder ses pieds dans la rue et à se terrer pour échapper aux regards - qui, tous, jaugent, jugent, et souvent condamnent.

Face à ce mouvement, que je crois régressif et par ailleurs bien loin d'être accompli, la France des villages et des petites villes, si elle accepte de considérer que la frontière du monde ne s'arrête pas à la clôture de son champ ou de son usine locale, pourrait bien incarner le lieu où non seulement l'individu peut se retrouver, mais où la collectivité peut apprendre à réapprendre les règles du savoir-vivre - et donc du savoir-vivre ensemble. Car je ne perçois rien du mouvement qui saura endiguer l'incroyable, l'indescriptible mouvement autodestructeur de la grande ville. Vient un temps où le retrait sur soi, qui n'est pas à confondre avec le repli, constitue une excellente manière de retrouver ce qu'il est d'usage d'appeler nos "fondamentaux". La mode, qu'attisent des bobos encore tout étonnés que la rude vaillance de la blogosphère n'ait pas suffi à couronner leur championne, est encore à la croyance en une ville riche de sa diversité, de ses chics friches industrielles, de son allure vive, jeune, puérilement provocatrice, de son frémissement permanent - comme on le dirait d'un coup d'état. Cet idéal, car c'en fut un, et des plus nobles, je crains qu'il ne soit devenu illusion, et, pour certains, simple idéologie. La réalité est peut-être que la ville a échoué, ou est en train d'échouer, non parce qu'elle porterait l'échec en elle-même comme le ciel les ténèbres, mais qu'elle est aujourd'hui l'accélérateur de tous les processus de destruction de ce qui, jusqu'à présent, faisait tenir les hommes ensemble. Ce qui était moderne hier, et qui, légitimement, jouissait de l'aura de ce statut, tend à se dégrader en processus crépusculaire. Autant dire en extincteur de Lumières.

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mercredi 11 avril 2007

Quand le coq déchante

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Que dira l'histoire de ce temps électoral ? Que diront les livres d'histoire, les manuels scolaires ? Impossible de ne pas se poser la question avant de voter : l'épiderme national est à vif, la société hystérisée, et de ce chaos permanent rien de bon ne peut sortir. Je suppose qu'on nous regarde,
d'Europe ou d'ailleurs, avec des yeux un peu éberlués (si tant est qu'on nous regarde.) Nous faisons comme si le monde et l'Europe n'existaient pas, comme si le Mur de Berlin n'était pas tombé, comme si la Chine dormait encore, comme si la Russie avait fait sa mue démocratique, comme si le progrès technique pouvait suffire à résoudre ou même à apaiser les angoisses de l'humanité, comme si nos arts et notre culture évoquaient encore quelque chose à qui que ce soit, comme si la France était encore un phare. La vérité est que nous menons une campagne provinciale dans un monde auquel nous opposons chaque jour une protestation de déni. Nous nous offrons à bien des désenchantements, mais nous le faisons avec notre gouaille légendaire, fiers de notre mauvaise humeur et de nos ergots arcboutés. Nous mettons le monde en slogans et daignons à peine porter un regard sur notre continent. La réconciliation avec nous-mêmes ne nous intéresse pas : seuls nous fascinent le goût du sang et l'odeur de la poudre - celle qui explose sur les plateaux d'une télévision acquise aux ordres du marché et dans les colonnes de journaux que passionne la philosophie politique de tel ou tel chansonnier. Nous voudrions pouvoir sauter en marche du train de l'histoire, mais nul ne le peut. Alors nous continuons à aller de l'avant, sans rien entrevoir de notre destination.

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lundi 2 avril 2007

La perle du jour


Elle revient à Nicolas Sarkozy, déclarant ce matin : "En ce qui me concerne, je ne suis ni énarque ni agrégé, ça me permet de ne pas être démagogique". Je traduis : "Je n'ai ni formation, ni culture, donc je suis proche des réalités." Ou encore :" Plus vous en savez, moins vous en savez."
Le bon peuple appréciera ce bel élan lyrique qui, en effet, n'a rigoureusement rien de démagogique.
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mercredi 14 février 2007

Pornographique, cacophonique, hystérique : l'écoeurement nous gagne

On voudrait écœurer les Français qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Temps fort et depuis peu quinquennal de la société française, les élections présidentielles se donnent en spectacle, partout, en tous lieux et sur tous supports. Tout est bon, de tout bois on fait toujours un bon feu. L'hystérie militante a vécu : elle a désormais gagné la société tout entière. Les couvertures de journaux annoncent la couleur chaque matin, les radios et les télévisions réforment leurs grilles des programmes, des dizaines de sondages quotidiens tâtent le pouls du troupeau, des millions de blogs ad hoc fleurissent jusque dans les coins les plus reculés, les forums virtuels, tous plus véhéments les uns que les autres, sont pris d'assaut, et la plus pittoresque des associations trouve son mot à dire sur la bonne marche du monde. Nombreux s'en réjouissent, observateurs patentés ou acteurs auto-proclamés, assurant que cette effervescence collective est la preuve de l'excellente santé civique de notre nation, l'indice d'une patrie enfin résolue à remonter ses manches et à mettre la main dans le cambouis du monde. Les choses me semblent, à moi, un peu moins idylliques : sous couvert de participation, la société est devenue son propre média. Il était facile, hier encore, de stigmatiser la spectacularisation de la politique : elle était de la responsabilité des médias et des acteurs politiques qui, volens nolens, éprouvaient quelques difficultés à ne pas se prêter au jeu. Nous n'avons plus d'autres coupables aujourd'hui à désigner que nous-mêmes.

Moyennant quoi, Libération me tombe des mains chaque matin. Et s'il  me faut malgré tout admirer quelque chose, alors disons que j'admire l'imagination et l'inventivité dont doivent faire preuve, chaque jour, depuis et pour des semaines encore, les journalistes, commentateurs, experts ès opinions et autres filous de la comm' pour trouver une nouvelle manière d'aborder le sujet. N'imaginons pas une seconde que cette agitation permanente contribuât en quoi que ce soit à façonner notre compréhension du monde ou à stimuler notre intelligence collective, si elle existe : le chaos permanent des avis, des opinions, des diatribes, des revendications, des objurgations, des exclusions, cet incontrôlable pugilat exponentiel qui se targue de vertu démocratique, donne le ton de l'amertume qui se prépare. Les Français sont doués pour s'échauffer les sangs. Ils ont adoré se faire peur le 21 avril 2002 - avant de reculer devant l'énormité de la chose ; je suis à peu près certain, aujourd'hui, que si le souvenir de cette peur les tétanise encore un peu, ils sont, à tout le moins, mûrs pour le grand frisson.

Un jour viendra où l'on comprendra qu'une société de transparence est avant tout une société de surveillance. La seule chose que je ne suis pas en mesure d'évaluer, c'est s'il sera trop tard ou pas.

Et Dieu merci, je n'ai pas la télévision.

mercredi 31 janvier 2007

Nihilisme de Gianni Vattimo

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J
e lis avec quelque retard le passionnant hors-série sur le nihilisme que fit paraître Le Magazine Littéraire en octobre dernier. Outre une critique, au bas mot mi-figue mi-raisin, de François Bégaudeau sur Michel Houellebecq et sur cette "rage contre la vie (qui) est d'abord une rage contre la malformation qu'on est soi-même", j'ai été saisi surtout par le propos très serein du philosophe italien Gianni Vattimo, l'un des rares penseurs à continuer de se revendiquer d'un « nihilisme actif », lequel « serait la force de vivre dans un monde où il n'y a plus de fondements, ni sur le plan métaphysique, ni sur le plan des autorités politiques. »

Cet entretien date en réalité de 1990, mais son propos demeure très actuel en regard de l'évolution des sociétés occidentales, entièrement tournées,  non sans frénésie, vers la quête éperdue de fondations, de structures primordiales et originelles, recherche qui « exprime la  nostalgie d'une fondation du pouvoir sur une vraie structure ». Et il poursuit : « Le problème du nihilisme est d'instaurer une attitude philosophique capable de développer une forme de rationalité non fondationnelle. Cela conduit à replacer le nihilisme dans l'histoire de l'être, parce qu'il n'y a d'autre rationalité non fondationnelle que remémorative ». Sans aucunement nier les dangers inhérents à une telle démarche, il pose très clairement une ambition et des enjeux que je partage : « Ou bien nous cherchons à reconstruire une civilisation fondationnelle ; ou bien nous acceptons de vivre la dissolution des fondements comme la seule forme d'émancipation possible ». Il s'agit bien d'un mouvement qui tend à une « démythologisation généralisée », dont on peut en effet penser qu'il serait assez salvateur, quand les grands absolus dont s'empiffrent les discours politiques, culturels et civilisationnels paraissent à tout le moins décevants.

De Gianni Vattimo, on peut lire par exemple :
La Fin de la modernité (nihilisme et herméneutique dans la culture post-moderne), paru au Seuil en 1987 ;
- L'avenir de la religion (solidarité, charité, ironie), co-écrit avec cet autre penseur de la pensée faible qu'est Richard Rorty (chez Bayard).

Difficile, enfin, de ne pas évoquer ce « vieux grincheux » réjouissant qu'est Roland Jaccard, dont la prose et la liberté procurent toujours autant de plaisir et d'intérêt. À lui le mot de la fin : « Comme tous les nihilistes, il attend un miracle : celui de sa propre mort. Mais même ce miracle ne se produira pas. Homme de paille, de paillettes et de poudres aux yeux, il est là pour l'éternité, dans l'absence, dans le vide, dans le vent, dans l'arène désertée de ses plaisirs, dans le manège lugubre de ses désirs, avec l'espoir fragile d'appartenir encore à la race des hommes, alors qu'il n'en est plus que le déchet. »

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mercredi 3 janvier 2007

Les acteurs


Disons les choses simplement. L'éclosion et le lent enracinement de l'aspiration démocratique, densifiée à l'extrême lorsque les idéologies prométhéennes prirent le relais, ont donné à l'individu le sentiment de sa puissance en tant qu'acteur de l'histoire. De ce sentiment, nous ne nousdéferons pas facilement - suivant le principe de l'avantage acquis. De grands acteurs existent pourtant ; ils sont pour la plupart connus, quelles qu'aient été par ailleurs les conséquences de leurs actions. Mais ils sont peu nombreux, galvaudés parfois, récupérés toujours, méconnus le plus souvent. Le gros des troupes humaines, ceux-là mêmes qui forment les bataillons de la démocratie, est exclu de cette geste de l'action : nous ne sommes en réalité que des spectateurs, dans le meilleur des cas des témoins - mais des témoins voués au mutisme.

Le franchissement arithmétique des années, chaque 1er janvier, est un artifice calendaire, ludique et symbolique qui ne saurait détourner de cette lucidité : nos vœux, pour la plus grande part d'entre eux, demeureront pieux. Et le plus vraisemblable est que notre avidité à nous sentir acteurs de l'histoire ne conduise guère qu'à aggraver les choses. Je comprends qu'on puisse s'en attrister.

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