lundi 21 novembre 2011

Sur Mettray (... et sur Joël Roussiez dans la revue Mettray)

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ne fois n'est pas coutume, je voudrais attirer l'attention sur une revue : METTRAY - du nom de cette petite commune d'Indre-et-Loir située à proximité de Tours. Créée en 2001 par Didier Morin, lequel rend ici hommage, avec une extrême sobriété qui en dit long sur son chagrin, au peintre Roman Opalka décédé il y a quelques semaines, et qui livre par ailleurs un entretien très dense et très personnel avec ce grand nom du théâtre qu'est Antoine Bourseiller, METTRAY n'a d'autre prétention que de dire ses attaches et ses enthousiasmes, sans souci de clinquer ni désir d'ameuter la foule. Elle ravira tous ceux qui n'aiment rien tant que renifler l'air où le temps s'absente et fourrager hors des chemins balisés. METTRAY n'a pas d'ailleurs pas l'heur de rouler sur l'or, nulle couleur ne rehausse son antique papier ; tant mieux : rien ne vient y distraire notre lecture.

Je m'y suis en fait et spécialement intéressé en raison de la présence de Joël Roussiez, qui signe en fin de volume deux nouvelles saisissantes (notamment Aux malheurs éternels, prodigieuse, et qui décidément ne ressemble à rien de ce que j'aie jamais pu lire.) Ce Joël Roussiez, je ne l'ai découvert qu'assez récemment, avec le très beau Un paquebot magnifique, paru à La rumeur libre. Fort méconnu encore, qui plus est éminemment discret, il me semble être pourtant un écrivain tout à fait unique, naviguant entre prose et poésie, contes et romans, déployant un univers très personnel, dense, insolite, imprévisible, inquiétant et burlesque, sur le fil d'une écriture dont l'étrangeté n'affecte pas le relatif sentiment d'évidence qu'elle procure. J'avais dit sur Un paquebot magnifique quelques mots (trop) brefs ici : on en lira mieux et davantage sur le blog de l'écrivain Romain Verger, ou en réécoutant l'entretien qu'il donna à Alain Veinstein sur France Culture.

Jack Kerouac - Photo - John CohenIl serait toutefois inéquitable de n'évoquer que les deux nouvelles de Joël Roussiez, ce nouveau numéro de METTRAY accueillant aussi l'ultime texte, limpide, du philosophe Kostal Axelos, disparu en 2010 (Onze remarques critiques sur le Marquis de Sade), ainsi que de nombreuses photographies, très belles, très incarnées, de John Cohen (Jack Kerouac, Bob Dylan, Robert Franck, Delphine Seyrig, Allen Ginsberg etc.)

En couverture : Roman Opalka

Ci-contre : Jack Kerouac / Crédit : John Cohen


Pour se procurer (et soutenir) METTRAY : adresser un chèque de 16 euros pour deux numéros (port compris) à l'ordre de METTRAY - 40, rue du Panier - 13 002 Marseille.

 


vendredi 20 mai 2011

Joël Roussiez - Un paquebot magnifique

Il suffit de passer sur le site des éditions La rumeur libre pour entrevoir combien est grande leur ambition. Ambition littéraire, c'est entendu, mais pas seulement : s'y lit aussi une exigence, une volonté de prendre place dans tout ce qui pourrait contribuer à éclairer (pardonnez l'emphase) le destin de l'humanité, à tout le moins la situation des humains dans ce qu'elle a, au fond, de plus immémorial, peut-être de moins évolutif, en dépit de ce que la profusion d'images, d'informations et de jugements de valeur peut parfois laisser penser.

Joe_l_Roussiez___Un_paquebot_magnifiqueLire Joël Roussiez constitue peut-être la plus belle illustration qui soit d'une telle ambition. Le paquebot magnifique, son dernier livre, que l'on ne saurait ranger de manière trop hâtive dans tel registre trop précis, sauf à en escamoter l'amplitude, témoigne de façon grâcieuse et singulière d'une vertu dont on peut se dire qu'elle se raréfie, cette vertu qui permet d'observer les choses de près tout en les mettant à une distance qui en exhausse la poésie interne. Mise à distance d'autant plus lyrique, et touchante, que s'y conjuguent ce que l'on pourrait décrire comme une science de l'observation, en tout cas un goût et un talent assez peu communs pour la minutie, le détail, la fragilité. Celle des êtres, de leurs corps, de leurs pensées, de leurs enracinements physiologiques, intimes, de ce qui les cloisonne ou au contraire les pousse à sortir d'eux-mêmes, et cette fragilité dense, massive des choses, de cette matière même qui les constitue - humains, fleurs, oiseaux, poissons. L'écriture de Joël Roussiez, forme et style, est à la fois délicate, pudique, légère, nourrie sans doute à ce que l'on perçoit comme une sensibilité très profonde à l'extériorité, mais dotée d'un caractère parfois presque enjoué, malicieux aussi, où l'on pourra entendre, derrière la petite mélancolie qu'induit la mise à distance, un chant qui n'est pas dénué de vitalisme ; une écriture qui s'approche des choses sans jamais les briser.

Je ne peux qu'inviter à monter à bord de ce paquebot, moderne arche de Noé où vont vivre et dériver quelques humains comme nous autres, fascinés par le chant des sirènes, le mystère maritime et l'étendue du monde. Un très beau livre.

Posté par Villemain à 12:05 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
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