Amour foot & culture
Je ne m'intéresse plus au football, et au sport en général, depuis des années, et cela en dépit de plusieurs années de pratique assidue et du plaisir que son spectacle peut me procurer à l'occasion. Moyennant quoi, la dernière compétition sportive que j'ai regardée à la télévision doit remonter à 1998, soit la coupe du monde de football ; qui plus est, je n'ai plus aujourd'hui de téléviseur. Bref, il paraît qu'il y avait un match hier soir, entre l'Italie et la France, et que la France a perdu. Aucun intérêt. Or les médias ce matin font état de deux petits événements internes suffisamment croustillants.
À l'issue du match perdu, le sélectionneur, Raymond Domenech, aurait demandé au micro sa main à une certaine Estelle Denis. Pour les footeux, après la défaite, c'était bien plus qu'ils ne pouvaient en supporter, un peu comme la goutte qui fait déborder la canette. J'avoue qu'il ne me serait pas venu à l'idée de suggérer en public à Marie qu'elle acceptât de convoler avec moi. Or, si la manière est ce qu'elle est, je veux tout de même prendre ici la défense du sélectionneur malheureux et, par le dicton conséquent, heureux en amour. Car il ne fait, fût-ce en exhibant sa maladresse, que nous rappeler cette évidence telle qu'il peut sembler saugrenu d'avoir à la rappeler : le football n'est qu'un jeu. On perd, on gagne, c'est comme à la bataille ou aux petits chevaux. Ce n'est qu'une distraction, une occasion de détente et de bonne humeur dans un monde hostile et incompréhensible. Que l'homme dont on réclame la tête ce matin en couverture des canards et autres torchons scabreux qui ornent les kiosques (France-Soir), et alors qu'il savait pouvoir s'attendre à recevoir un torrent de boue sur le crâne, ait donné la priorité à son destin amoureux, aux grandes infrastructures des temps humains et à cette superstructure sublime qu'est le mariage, qu'il ait remis à sa place de jeu du cirque le grand spectacle du sport populaire et sponsorisé, voilà qui, peu ou prou, oui, me rassurerait plutôt.
Le deuxième petit événement interne à cette Bérézina footballistique est moins croustillant, et m'amuse en vérité beaucoup moins. Il tient en une phrase, prononcé ce matin à l'issue du conseil des ministres : cette défaite est "un deuil collectif". Idiot, bien entendu ; mais plus idiot encore, et surtout déprimant, lorsque son auteur n'est pas un supporteur lambda et un tantinet échauffé par l'adrénaline ou le reste, mais bien Christine Albanel, notre ministre de la Culture.
Syllogismes de l'hébétude
- Quel animal aimeriez-vous être ?
- Sans doute quelque chose entre le chimpanzé et le bonobo. Malheureusement, ça s'appelle un homme.
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- (Bis) Quel animal aimeriez-vous être ?
- Peut-être un bigorneau. Arrimé à mon rocher et pelotonné en spirale dans ma coquille, je jetterais un œil au dehors par moments très brefs en soulevant le petit opercule qui me protège des embruns, désireux seulement d'attendre que l'on me pique et me dévore gentiment.
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Nous autres ? Corps et humeurs, société et psychologie. Ces choses les moins intéressantes au monde, et qui le font tenir.
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Tout écrivain l'éprouve : le sentiment de sa profonde bêtise lorsqu'il parle, son impression d'incomparable intelligence dès qu'il se met à gribouiller. On pardonne d'autant mieux aux grands silencieux : ils ne mettent pas une stratégie à l'épreuve, ils se soumettent, pour survivre, à la rude vérité.
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Tout individu a devant lui deux voies : faire le vide ou le trop-plein. Pour une très grande part, il n'est pas responsable de son choix ; pour ce qui lui revient, et c'est fort congru, ce ne sont que les variantes d'un même cheminement vers l'impossible, deux modes d'accès à l'erreur. Il faut avoir éprouvé les deux pour le savoir. Parole de bigorneau.
Philippe Starck ou le retour au réel
« Tout ce que j'ai créé est absolument inutile. D'un point de vue structurel, le design est totalement inutile. Un travail utile, c'est astronome, biologiste ou quelque chose comme ça. Mais le design, ça n'est rien », vient donc de déclarer Philippe Starck, 59 ans, après que des années de créations en tous genres l'auront placé à la tête d'une fortune absolument colossale. Et le créateur d'enfoncer le clou : « J'ai essayé de donner à mes produits un peu de sens et d'énergie. Mais même quand j'ai donné le meilleur de moi-même, c'était absurde ». Aussi n'est-il plus surprenant que le pape de l'objet de consommation aborde finalement des territoires spiritualistes où il était jusqu'à présent assez peu attendu : « J'ai créé tellement de choses, sans vraiment m'y intéresser. Peut-être toutes ces années ont-elles été nécessaires pour que je me rende compte finalement qu'au fond nous n'avons besoin de rien. Nous possédons toujours trop ». Enfin cette prise de conscience s'accompagne d'un sentiment de culpabilité positive : « J'étais un producteur de matérialité. J'en ai honte. A l'avenir, je veux être un fabricant de concepts. Ce sera plus utile ». Même si cela reste à voir, là n'est pas la question ; et aucune raillerie ne vient ternir mon propos : il faut au contraire louer Philippe Starck, et le donner en exemple, lui qui, malgré son succès planétaire, ou peut-être en raison même de ce succès, se révèle encore capable d'interroger les fondements et le destin de son activité. Non, ce qui me réjouit en revanche, et au plus haut point, c'est la désillusion et le désabusement programmés de ces innombrables modernes qui nous ont assenés, ivres de leur pulsions créatives et vingt années durant, que le devenir de l'art passait par le design et l'esthétique du matériau ; qu'ils n'étaient pas des fabricants d'objets de classe (dans les deux sens du terme) mais des artistes prolongeant les intuitions sublimes de Michel-Ange ; qu'un produit du design valait bien la toile d'un maître. Il ne s'agissait en fait que de dissimuler le consumérisme du temps sous le vernis du Beau et de créer de nouveaux "segments" dans le marché des biens. Ce qui ne signifie pas que tout, dans le design, ne soit pas d'intérêt artistique, loin s'en faut ; seulement que l'imposture ne trompe que ceux qui aspirent à être trompés - sur la marchandise.
L'évolution
Les évolutionnistes consacrent le triomphe de l'évaluationnisme. Mais quand et par qui les évaluateurs seront-ils évalués ?
Rideau pour le petit Jean
Réputé pour châtier mon langage, je crains toutefois, ici, de déroger à la règle. Car vraiment, je vous le dis : on se fout de notre gueule !
Sophie Tapie et Jean Sarkozy, fille et fils respectifs de Nicolas et Bernard, pour les rares esprits à qui cela aurait pu échapper, furent donc recrutés par le producteur et metteur en scène Philippe Hersen pour jouer sur les planches un remake d'Oscar, célébré en leur temps par Pierre Mondy et Louis de Funès, puis par Edouard Molinaro. Philippe Hersen, le producteur et le metteur en scène, donc, fut apparemment un des seuls à ne pas faire le lien entre le petit Jean et le grand Nicolas : "Je ne savais pas qu'il était le fils de Nicolas Sarkozy" - en revanche, ami de longue date de Bernard Tapie, il lui était difficile de ne pas faire le lien avec sa fille. Aux dernières nouvelles, le petit Jean, finalement gros-Jean comme devant, a laissé tombé les gants (éventuel surgissement dans sa conscience du souvenir d'un temps où Paul Amar pouvait en offrir une paire à Bernard - Tapie - et Jean-Marie Le Pen), car "après réflexion" (waouh !), le jeune homme, préférant laisser parler son producteur plutôt que prendre le risque de bredouiller en bégayant, a décidé de "donner la priorité à ses études" - ce qui, à vingt ans, on en conviendra, n'est tout de même pas une idée aussi aberrante qu'elle en a l'air. Las !, le théâtre devra donc patienter encore un peu avant que le brillant jeune homme commence à en brûler les planches - mais trouvera matière à se consoler avec la jeune Sophie Tapie qui, elle, semble les avoir bien fixés (les gants). Nous attendons de savoir ce qu'en pensent les sociétaires de la Comédie Française.
Encore un matin
Une certaine manière de marcher, très lente, surtout au matin, dans la rue, ne jamais regarder devant soi mais au loin, vers et par-delà l'horizon, parfois vers la cime des arbres ou les fenêtres des derniers étages, ou carrément les yeux sur les godasses, et toujours en rasant les murs, surtout en rasant les murs, dans tous les sens du terme, et toujours très lent, laisser passer les gens, les vieilles et les enfants, les enceintes et les sœurs, les p'tits loulous et les bobos, même les animaux parfois, par politesse oui peut-être mais surtout pour ne pas déranger, pour ne pas être vu, marcher et s'effacer, et claudiquer presque, à force de lenteur, et retarder l'éveil à la foule, au monde, laisser passer surtout, s'incliner, dare-dare déposer les armes.
Le visage du destin
Il se réveille un matin le visage en chiffon, la peau bouillie par le mauvais sommeil, le vin les cigarettes et l'angoisse, il sait que sa laideur n'a de momentanée que son exagération, qu'elle en conspire de plus enfoncées et cruelles encore. Qu'elle n'est que prophétique.
Il faut solder le consumérisme
Comme chaque fois, c'est dans la rue que j'apprends « l'ouverture des soldes ». Ce matin, donc, trois longues files d'attente se répartissent avec ordre et discipline devant trois magasins de la rue du Dragon - que je traverse toujours pour rejoindre, à ma manière tout aussi disciplinée, le lieu de mon travail. Les patients consommateurs sont déjà très bien habillés, très bien chaussés, très bien peignés et très bien hâlés. Ma candeur est chaque fois prise en défaut, et chaque fois je me demande : mais que font-ils dans la vie qui leur permette de passer une matinée entière, au beau milieu de la semaine, à « faire les soldes » ? Où, comment, gagnent-ils leur argent ? Sont-ce tous des rentiers ? Quels besoins ont-ils de nouvelles robes, de nouveaux costumes et de nouvelles chaussures, puisque leur mise est déjà de très bon aloi ? Au même moment, dans la même rue, sur le trottoir opposé ou vingt mètres devant, scènes de la vie ordinaire. Une vielle gitane arrête les passants et leur propose l'aumône en échange de la bonne aventure. Trois Noirs fluorescents dans leur vert municipal dévident les grosses poubelles vertes de la rue dans leur bahut municipal, vert itou. Bloquant la rue, exaspérant les automobilistes, un livreur décharge son camion de lourdes caisses de bouteilles qu'il entrepose sur de lourdes palettes en bois. Les amateurs de soldes, eux, toujours patients, ordonnés et disciplinés, regardent le bout de leurs chaussures bientôt neuves.
Je suis un maillon de la chaîne
Je ne vois pas mieux qu'attendre son rendez-vous dans la salle d'attente d'une maison d'édition parisienne pour réaliser l'extrême humilité du statut d'écrivain. On y est toujours mécaniquement accueilli, sans égards ni regards, et on a toujours l'impression de gêner ceux qui travaillent à quelque tâche obscure et primordiale, empiler, tamponner et classer par genre les derniers manuscrits reçus, photocopier les documents comptables, mettre à jour les fichiers, préparer les réponses-types, distribuer dans les cases l'agenda de la maison, réserver une salle pour un cocktail avec un groupe "partenaire", annuler ou reporter un rendez-vous avec un auteur. On y est toujours assis dans un petit coin où ne reposent généralement guère plus de deux fauteuils (ici, un seul), à côté du pré-programme de la rentrée et des vieux magazines qui s'empoussièrent sur une table basse Ikéa. On s'y sent comme chez notre dentiste, et finalement c'est presque apaisant, ça nous remet à notre place. Il est rare, de nos jours, que les murs d'une maison d'édition transpirent la littérature. L'écrivain n'y est rien, juste un élément du dispositif. Un maillon de la chaîne.
Quel animal sommes-nous ?
Nous sommes des ânes qu'un peu de foin réjouit : j'avais retenu ce mot d'une ancienne lecture de Christian Bobin. Sans doute parce que, pour une fois, il ne nous cherchait pas d'excuse.