vendredi 14 janvier 2011

Correspondances de Frédéric Berthet

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"
Écrivez des lettres, vous le regretterez ; n'en écrivez pas, vous le regretterez aussi ; écrivez des lettres ou n'en écrivez pas, vous le regretterez également, parce que, dans un cas comme dans l'autre, vous vous apercevrez toujours que quelqu'un (vous) manque. Envoyez missive sur missive à l'absent (à l'absente), ou bien refusant d'accepter cette absence que les lettres entérinent, faites comme si la Poste n'existait pas, de toute façon le piège est refermé. Mais si un soir, prenant la plume, vous en venez à écrire une page qui ne s'adresse plus à personne, alors, dans ce vide succédant à l'absence, vous aurez une idée de ce qu'est un roman, même si vous n'en écrivez jamais."

Cette citation de Frédéric Berthet, extraite d'un texte donné aux Nouvelles Littéraires (n° 2631 d'avril 1978), est placée en exergue de ses Correspondances (1973/2003) à paraître le 20 janvier à La Table Ronde.

C'est un document attendu. Qui dit beaucoup, bien sûr, sur la culture d'une époque ; mais plus encore peut-être sur Frédéric Berthet, ses apprentissages (la première lettre mentionnée date de 1969, il a alors quinze ans, et est adressée à Marcel Pagnol), et sa manière d'être. Berthet, dont on connaît déjà l'élégance, et ce talent niché au cœur de Simple journée d'été, de Daimler s'en va, ou de son Journal de Trêve (publié par Gallimard en 2006.)

 

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jeudi 3 décembre 2009

Le coq, le crapaud et les cinq vierges

 

100 monuments 100 écrivains

C'est sous ce titre que j'ai apporté ma contribution à un ouvrage original qui paraît ce jour : 100 monuments 100 écrivains - Histoires de France, aux éditions du Patrimoine (Centre des Monuments Nationaux).

Le coq, le crapaud et les cinq vierges est une fable qui m'a été inspirée par l'abbaye de Charroux, monument dont j'avais donc la charge pour ce livre. Il est probable qu'elle surprenne, non seulement les spécialistes, mais les habitants même de Charroux : c'est là toute l'originalité de ce beau livre, par ailleurs superbement illustré, que d'avoir laissé toute liberté à cent écrivains qui, chacun à leur manière, ont donc pu s'approprier les grands monuments de l'histoire de France.

100 monuments 100 écrivains - Histoires de France (Sous la direction d'Adrien Goetz) Prix : 80 € - 488 pages - 850 illustrations

vendredi 27 novembre 2009

Eternel retour

HenryPoulaille"La littérature est à la veille d'une transformation au contact de la T.S.F, du film et du disque ; secouée par les possibilités offertes par eux, elle est bien près de mourir. Elle a fait son temps."

Henry Poulaille, Nouvel âge littéraire, 1930.
Cité par Gilles Philippe & Julien Piat dans La langue littéraire, Fayard 2009.

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vendredi 13 juin 2008

Manchette

Je garde de Vialatte le souvenir de son aspect à la télévision, voici quelques dimanches, un petit vieillard crapaud, chauve aux paupières plissées, fait  pour la nudité ou le pardessus, habile, neutre et rigolo, avec de la réserve et un regard. Quelque peu satanique. Plaisant à observer et à écouter comme devraient l'être les auteurs de Fantômas.

Jean-Patrick Manchette, Journal du vendredi 14 mars 1969

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jeudi 12 juin 2008

Manchette

Les émeutes de 68 n'étaient pas étudiantes. Un moment, le mauvais côté qui fait avancer les choses a explosé, grâce à quelques voyous. L'émeute matée, le bon côté reprend le dessus, et surtout chez les étudiants, tous cons, accumulant en eux une extraordinaire quantité de tares, du simple fait qu'ils sont des étudiants. La honte devra être rendue plus honteuse encore.
Une majorité d'étudiants vote donc, et nécessairement vote la reprise du travail. Autrement dit,
des petites filles maigrelettes, avec d'amples jupons, et ressemblant par leurs gestes et leur tournure à de petites femmes, sautent à la corde, jouent au cerceau ou se rendent visite en plein air, répétant ainsi la comédie donnée à domicile par leurs parents.
De même, la journée d'action organisée le 12 février par la C.G.T. sera un échec. Toutes les actions lancées par les dirigeants sont destinées à maintenir l'ordre. Il est épineux d'être un dirigeant. Il faut créer sans cesse une demi-réussite assortie d'un échec total, pour conserver son pouvoir.

Jean-Patrick Manchette, Journal du jeudi 30 janvier 1969

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mercredi 11 juin 2008

Manchette

D'une façon vulgaire, on pourrait dire que mon adhésion à la théorie révolutionnaire est accompagnée de l'idée que rien ne m'oblige néanmoins à vivre d'une façon désagréable.

Jean-Patrick Manchette, Journal du vendredi 2 février 1968

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jeudi 22 mai 2008

Manchette

Il faut m'astreindre à n'écrire ici que lorsque je suis de bonne humeur, et surtout pas quand je me crois malheureux. Le chagrin rend stupide. Il ne faut pas écrire de stupidités.

Jean-Patrick Manchette, Journal du 29 décembre 1966

C'est là une injonction fréquente dans tout journal naissant ; il est rare qu'on s'y tienne. Mais il est très intéressant de noter cette récurrence, cette obligation que l'on se donne à se défier de ses humeurs ; non par optimisme, cela n'a rien à voir, mais par crainte que l'humeur éloigne de l'art, qu'elle soit, d'une certaine manière, antithétique à la démarche d'écriture. Quand je me crois malheureux, écrit Manchette, qui, dès la première page de son premier journal, et alors qu'il n'a que vingt-quatre ans, nous dit déjà que seuls les faits le mobiliseront, que tout examen ou raisonnement psychologique demeure tributaire de l'interprétation, donc de l'erreur.

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mardi 15 avril 2008

Le petit catalogue de la redoute littéraire (rentrée 2004)

Esprit Critique - Newsletter de la Fondation Jean-Jaurès - N° 45, octobre 2004
Article paru à l'occasion de la rentrée littéraire 2004
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Si l’on pare bien souvent la France du beau nom de « pays de la littérature » (Pierre Lepape), notre hexagone très lettré semble également trouver motif à se réjouir d’être le champion toutes catégories des rentrées et prix littéraires. Ainsi, tels de bons écoliers qui y auraient consacré leurs devoirs de vacances, les écrivains de ce pays y sont priés de rendre leurs rédactions à l’heure afin que les conseils de classe, composés eux-mêmes de plumitifs (parfois) émérites, disposent de suffisamment de temps devant eux pour parcourir les copies, décider de l’ordre définitif du classement et de l’attribution subséquente des prix. Vu de l’étranger, c’est-à-dire du monde entier, ce petit barnum de la concurrence intra et infra-littéraire a de quoi faire sourire. D’autant qu’au vu de la multiplication des récompenses, sucettes et autres sédatifs, chaque écrivain de l’hexagone ne tardera plus à pouvoir se vanter d’être lui-même détenteur d’un tel ornement (qu’il se nomme Goncourt ou bourse d’encouragement de la société des gens de lettres de Gif-sur-Yvette). Bref : ladite compétition des génies n’est pas nécessairement ni systématiquement très digne de la profession, nul besoin d’être un militant acharné de l’altermondialisation ou de l’anéantissement total de la primauté du marché pour en convenir. Mais le succès est là, indéniable : la bousculade de septembre ayant atteint, voire dépassé le niveau maximal du tintamarre acceptable (dit aussi « seuil de tolérance »), une seconde rentrée fut bientôt inventée, en janvier, laquelle, selon toute probabilité, devra elle-même se scinder en une troisième joyeuse et rentable occurrence (pourquoi pas en avril, après le retour des cloches ?).

Mon propos est un peu convenu, je n’en disconviens pas. Il n’en demeure pas moins que la montée en puissance du spectacle littéraire n’induit nullement une amélioration systémique de notre littérature : ce n’est pas parce que Danone multiplie ses sous-marques que les yaourts français s’exportent mieux, ni que leur qualité en soit plus incontestable encore (de toute façon, ils ont toujours été délicieux). Enfin, mais je vous épargnerai ma tirade sur le sujet, il semblerait (je dis bien : il semblerait) que la liste des nominés aux différents prix mentionnés ne soit pas toujours de la meilleure tenue. Et en effet, je suis toujours un peu surpris d’y lire, entre deux huitres aux perles précieuses, le nom de quelques bigorneaux à coquilles écornées. Mais ce sont là les limites naturelles du marché : j’enjoins chacun à accepter ce dommage collatéral inhérent à toute saine émulation.

De quoi se plaint-il ?, demandera le lecteur impartial mais optimiste : la surproduction littéraire, la multiplication des prix, des lecteurs, des couvertures de magazines, le coup de fouet à l’économie nationale, l’image et le rôle et la grandeur et la sublimité de la France dans le monde, tout cela n’est-il pas finalement la preuve de notre dynamisme culturel, de notre incontestable réputation d’incontestés ? Peut-être. Peut-être, après tout, devrions-nous chasser ces quelques ombres du sarcasme dépressif et nous réjouir de ces feuilles d’automne qui tombent par milliers et se ramassent comme elles peuvent. Peut-être, oui, devrais-je me réjouir de l’existence de ces centaines de romans ignorés, dont je rappelle que chacun requit de son auteur quelques nuits et mois d’humeurs contingentes. Alors disons simplement que j’ai une pensée émue pour celui qui verra paraître son livre le même jour que celui de tel gros étalon de telle grosse écurie, et que le million de dollars d’à-valoir d’Hillary Clinton vaut bien quelques larmes dédiées au scribe morose et forcené qui survit comme il peut dans l’horizon mythique de Saint-Florent-le-Vieil. J’en connais d’ailleurs qui en viennent à déposer une annonce chez le boulanger de leur quartier afin qu’au moins l’information parvienne aux oreilles de leurs concitoyens. À ceux-là, la patrie littéraire reconnaissante. Tuez-les tous, Angot reconnaîtra les siens (parole d’évangile).

Mais je prends du retard : octobre est déjà bien entamé, la pluie de médailles de novembre déjà programmée, et la rentrée de janvier se prépare déjà dans les officines (Entendez-vous dans les salons / Mugir ces féroces publicistes / Ils viennent jusque dans vos bras / Manœuvrer vos livres et vos achats). Cela dit, mieux vaut pour moi ne pas claironner trop haut : je n’ai pas essuyé toute la grêle de septembre. Je ne suis pas le seul, soit, mais c’est là malingre consolation. Comme je suis d’humeur fringante et positive, je décide pourtant ce jour d’épargner mes semblables, mes frères : j’ai trié le bon grain de l’ivraie et ne vous donnerai à déguster ici que d’incontestables nourritures.

*

Chapeau bas pour commencer aux éditions Joëlle Losfeld. Entre la publication (enfin !) des œuvres de Paula Fox (Le dieu des cauchemars, Personnages désespérés), et celle du nouveau roman de Dominique Mainard, l’éditrice confirme son rôle d’aiguillon défricheur. Paula Fox a beau être une vieille dame, ses livres résonnent d’une modernité éclatante au regard de ceux que quelques-uns de nos trentenaires nationaux et souvent savamment coiffés offrent à la pâture littéraire. On retrouve chez elle ce qui fait bien souvent le charme de la littérature américaine, ce quelque chose de lointainement féroce, désemparé, brut, et au bout du compte peu ou prou faulknérien. Nous devons à Jonathan Franzen, l’inoubliable auteur des Corrections (L’Olivier) de l’avoir redécouverte, elle dont il dit qu’elle fut pour lui « le guide indispensable ». C’est le génie paradoxal de ce peuple que d’engendrer à la fois un Bush et un Faulkner, une Britney Spears et une Ella Fitzgerald : gageons que les seconds éclipseront toujours les premiers, sur terre comme au ciel. L’aigreur de mon propos sur les trentenaires dont je suis ne doit pourtant pas occulter certains d’entre eux, à commencer, donc, par Dominique Mainard (Le ciel des chevaux), qui confirme en cette rentrée la beauté sereine et mélancolique de son écriture, d’où n’en finissent pas de sourdre les parfums de l’enfance : plonger dans Mainard, c’est s’immerger dans le conte de ces enfances qui ne passent pas, loin des sucreries coutumières. Dans le registre de l’enfance blessée, il est important, urgent, salvateur, de lire Henry Bauchau : son Enfant bleu, (Actes Sud) est sans doute un des livres les plus profonds de l’automne, et l’écrivain belge déploie son antienne de la souffrance et de l’espérance comme jamais peut-être il ne le fit. Du côté des écritures sensibles et contenues, il faudra aussi entrer dans Virginia  de Jens Christian Grondahl (Gallimard). Fidèle à sa manière très en sourdine d’épurer le sentiment, l’écrivain danois, traduit depuis un an seulement en France, confirme le succès de Bruits du coeur, paru l’an dernier, et offre avec ce court récit dramatique une lecture au classicisme parfait et à l’émotion tenaillée.

J’ignore par ailleurs ce que feront les conseils de classe susnommés, mais il semble difficile de ne pas réserver quelque égard définitif à Alain Fleischer, qui publie au Seuil un roman dont je m’étonne que les maîtres du Goncourt ne l’aient pas même retenu dans leur première sélection, et dont on sait pourtant déjà que l’histoire le retiendra comme un des regards les plus profondément mystérieux et subtils sur l’essentialisme totalitaire (La hache et le violon). En regardant la fin du monde commencer sous sa fenêtre, le récit nous aspire dans des courants d’air d’angoisses et d’absurde, tandis que passent, entre deux effluves d’Europe centrale, silencieuses et brisées, les ombres de l’humain. L’écriture de Fleischer est absolument somptueuse, d’une richesse orchestrale, métaphorique et poétique devenue trop rare dans la littérature française contemporaine. Et puisque nous évoquons presque malgré nous les vagues résonances politiques de la rentrée romanesque, difficile de ne pas songer à Jean-Paul Dubois, qui offre avec Une vie française (L’Olivier) une fresque doucement pessimiste et lointainement sociologique de la deuxième partie du vingtième siècle français. Un individu ordinaire déambulant un demi-siècle d’histoire hexagonale : l’idée n’a certes rien d’original. Mais on en sent ici la nécessité biographique, d’où quelques très jolis moments. Dubois excelle notamment dans la peinture des relations familiales, parentales, conjugales, amoureuses : partout où l’être doit communiquer avec ses semblables, l’homme devient timide, pudique, incertain, et c’est souvent très touchant. Certes l’impression de glisser sur les événements, renforcée par un usage un peu artificiel des différents présidents de la Vème république (dont les noms égrenés servent à chapitrer le livre), émousse un peu notre émotion, mais enfin, mené avec maestria, c’est redoutablement efficace. Dans la même veine générationnelle et nostalgique, Marc Lambron (Les menteurs, Grasset), toujours aussi brillant, livre un récit plus enlevé que de coutume. Il pose sur les années qui passent un regard empreint d’une humeur émue et auto-corrosive, et si l’on peut parfois s’agacer de quelques concessions à l’air du temps, il demeure un écrivain de la plus belle élégance. Comme pour Dubois pourtant, on aurait aimé que l’émotion vienne parfois nous saisir avec plus de rudesse, l’usage du grincement de dents étant parfois excessif : comme si la distance nécessaire à ces écrivains cinquantenaires n’était pas encore suffisante pour que l’émotion s’y fasse ronde et pleine. Daniel Rondeau (Dans la marche du temps, également chez Grasset) est autrement plus ambitieux – y compris pour le lecteur, si ne le rebute pas la perspective de corner mille pages. Ce n’est même plus un roman-fleuve, mais le fleuve d’un monde déjà retiré qui vient se jeter dans les estuaires de l’histoire. Il y a du réalisme à l’ancienne là dedans, et ce Rondeau alla Zola, comme l’écrit joliment François Reynaert, peut tout aussi bien vous emporter dans ses éboulis que vous figer dans ses complaisances. Au gré des événements, l’écriture se teinte de perfection classique (Rondeau est un spécialiste de Morand) et ou complaisance formelle (il est aussi maître ès Hallyday). Comme Dubois, comme Lambron, Rondeau mène la danse du bilan, et c’est parfois une danse du ventre, avec ses petites démagogies et ses grandeurs lascives. L’ancien militant de la Gauche prolétarienne a de toute évidence tourné la page, mais sans qu’aucun espoir, tout juste la vague espérance d’un homme conscient des explosifs qu’il recèle, ne vienne rallumer la mèche éteinte. Au bout du compte, cette peinture du siècle, qui semblait à certains une gageure, nous laisse sur une intense impression de vide : mais c’est le vide de l’étourdissement, l’impitoyable effet de miroir entre l’immensité de l’aventure humaine et la petitesse de ses acteurs. J’ai parlé plus haut d’Alain Fleischer en omettant de parler musique, alors que c’est dans sa corolle que se déploie le roman. Cela m’aurait d’ailleurs permis d’enchaîner tout en fluidité sur Christian Gailly (Dernier amour, éditions de Minuit), peut-être le seul écrivain français à écrire véritablement comme on soufflerait dans un sax. La musique continue donc de structurer cette prose accidentée qui fit merveille déjà dans Un soir au club ou dans Be-bop. Alors qu’elle débouche chez Fleischer sur quelque chose d’absolument étrange, bouffon, terrible, parfois combattant et militaire, elle se fait chez Gailly hésitation, inconstance, quasi-bégaiement. À cet écrivain-là, je n’en finis pas de tirer ma révérence, appréhendant chaque fois des leçons de  concision que je m’empresse de ne jamais respecter. À l’école des émotions tirées au couteau, blanches et chaudes comme l’indicible, Gailly est un maître. Dernier amour est donc un Gailly-type, et l’on peut bien s’attendre à ce qu’il en soit ainsi chaque année. Mon problème étant que, chaque année, je referme mon Gailly en proclamant que c’est le meilleur Gailly. Mais là je vous le jure, vraiment, c’est le meilleur – jusqu’à l’année prochaine, s’entend. Bientôt, nous nous précipiterons chez notre libraire le jour où paraîtra le nouvel opus, comme nous le faisons rituellement tous les ans avec le même et incommensurable plaisir pour ce bon vieux Philip Roth (La bête qui meurt, Gallimard). Égal à lui-même, Roth l’est. Mais justement : on aimerait parfois qu’il le soit un peu moins. Être meilleur que nous tous l’amuse manifestement, mais nous sommes en droit désormais de lui demander d’être meilleur que lui-même. Via le maître, retour, donc, en l’Amérique, pays qui, décidément, n’en finit pas de bousculer et souvent de dominer les lettres terriennes. Difficile de ne pas évoquer Rick Moody (L’étrange horloge du désastre, recueil de nouvelles paru chez Rivages, et A la recherche du voile noir, à l’Olivier). Moody est sans doute, avec Franzen et quelques autres, ce qui se fait de plus brillant et de plus explosif aujourd'hui aux États-Unis (quoiqu’il ne faudra jamais oublier l’inouï Tout est illuminé, de Jonathan Safran Foer, paru il y a un an ; ce garçon n’a pas même mon âge et porte déjà l’habit des classiques : scrogneugneu.)

Mais c’est quand même très injuste de me demander d’écrire un papier sur la rentrée littéraire. Notamment pour ceux qui ne sont pas cités ici, et que j’ai tant aimés, et qui le mériteraient tant. Je suis actuellement plongé dans La mort de l’oeil, du mutin Zagdanski (Maren Sell éditeurs). Les amateurs de cinéma sont invités à se précipiter sur le « Zag », lequel, comme à son habitude, ne laisse pas son lecteur de marbre. Ce qui me donne l’occasion de saluer la renaissance réussie et prometteuse de Maren Sell, directrice des mythiques éditions Pauvert et récemment remerciée par Fayard, auguste maison qui s’acharne malheureusement trop souvent à poursuivre son entreprise familière de racolage. Maintenant, je conçois plus qu’aisément qu’on ne s’intéresse guère aux dernières et ultimes nouveautés. En ce cas, convoquons les mânes des grands anciens et ne craignons pas d’être farouchement anti-jeunes : les inédits d’Antoine Blondin (Premières et dernières nouvelles, à La Table Ronde), ceux de François Mauriac (D’un bloc-notes à l’autre, chez Bartillat), cinglant à souhait et plus vivant que jamais : la mauvaise foi d’un chrétien aussi impitoyable ne peut qu’entraîner notre délectation. Et enfin l’intégrale des œuvres d’Antonin Artaud, dans la collection « Quarto » de Gallimard. Manière d’entrer par la grande porte dans l’exiguïté de la petite redoute littéraire française.

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mardi 19 février 2008

A propos de Robbe-Grillet, ou l'essence hypocrite de l'hommage politique

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J
e ne suis pas à proprement parler grand amateur d'Alain Robbe-Grillet, dont l'importance littéraire ou para-littéraire ne m'échappe pas, mais à l'écriture et aux univers duquel je n'ai jamais été plus sensible que cela. Il n'empêche que l'on ne peut qu'être confondu devant l'hypocrisie de l'hommage qui lui est rendu depuis hier. Je ne parle pas de Bernard-Henri Lévy, les deux hommes ayant toujours été proches, partageant notamment une même manière de revendiquer l'extrême liberté pour la création et éprouvant une même drôlerie, voire un même plaisir, devant la cocasserie du petit théâtre des adversités contemporaines. Je pense plutôt aux personnalités politiques qui, de droite et de gauche, louent, l'œil humide et la main sur le coeur, le chantre des ruptures, le rebelle aux routines institutionnelles et l'explorateur émancipé de toutes les intimités. Son ultime roman sentimental livrait et délivrait ses fantasmes pédophiles, incestueux et meurtriers : à cette aune, il est à tout le moins pittoresque d'entendre tout un pan de la bourgeoisie, celle qui rêve de transformer la psychanalyse en psychiatrie et de mettre préventivement en prison ceux que le sexe travaillerait un peu trop, dire son respectueux hommage avec autant de conformisme. Que le monde politique et le monde de l'art aient depuis longtemps rompu les ponts (hors période électorale), nous le savions déjà ;  le problème est que la culture n'irrigue tellement plus le politique que tout hommage, non seulement sonne faux (ce qui ne serait ni nouveau, ni très grave), mais achève de discréditer encore davantage des laudateurs tout émus de se sentir émus. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, voulut interdire à la vente un roman dans lequel l'auteur avait essayé, non sans mal, de pénétrer le cerveau complexe d'un pédophile ; une fois président de la République, il s'attriste de la disparition d'un écrivain qui, au soir de sa vie et de la façon la moins romanesque qui soit, confessa un certain nombre de tentations sexuelles à tout le moins non conformistes : comme quoi, pour cet héritier contrarié de 68, tout est politique, y compris la libido. Cela dit, à cette heure, on attend avec beaucoup d'intérêt l'hommage que, à son tour, Ségolène Royal
ne saurait manquer de lui rendre.

mardi 25 septembre 2007

André Gorz et D.

André Gorz et Dorine


Le suicide d'André Gorz et de son épouse Dorine résonne en chacun de celles et ceux qui ont appris à considérer l'existence comme une ponctuation absolue, et à l'aimer pour cela. Il n'est pas besoin d'avoir connu ou lu André Gorz pour que nous saisisse la beauté terrifiante de cette vision : un homme et une femme, deux octogénaires amoureux, étendus morts l'un à côté de l'autre, ayant seulement pris soin de placarder sur la porte de leur maison un mot à l'attention des gendarmes et de rédiger un adieu à des amis. C'est une image comme en aiment les romantiques, mais le romantisme s'épuise vite dans son incarnation, et ne nous reste au bout de cette vision que la souffrance qu'elle charrie ; alors nous effleurons avec peine ce qui conduisit l'un et l'autre à l'impérieuse nécessité de la délivrance.

Ceux qui ont lu Lettre à D. ne pourront le relire sans trouble : le livre annonçait l'acte ("Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l'autre.") Or c'est précisément parce qu'il fut écrit avant d'être accompli que la radicalité du geste, geste de vie et d'amour, paraît plus grande encore : quelle force d'âme dut être la leur, à eux qui mirent en acte les conséquences de leur amour ! S'ensuit la question que se poseront les amoureux authentiques : connaîtrons-nous telle extrémité ? Saurons-nous en faire un événement à l'intérieur même de notre vie ? En serons-nous capables ?

 

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