Il faut croire au printemps lu par Olivier Vojetta (Le Courrier Australien)
Croire au printemps même en hiver – mode d’emploi
L’écrivain, éditeur et critique littéraire Marc Villemain, qui signe son roman le plus ambitieux, joue avec les stéréotypes du polar, du thriller et du road-movie.
DERNIER TOME DÉROUTANT DE LA « TRILOGIE DU TENDRE »
Dans la catégorie « je vais là où l’on ne m’attend pas », l’incomparable styliste Marc Villemain, 54 ans, se pose là, venu à la littérature relativement sur le tard, alors qu’il menait déjà un début prometteur sous les ors de la république, en tant qu’assistant parlementaire, chargé de mission, membre de cabinets ministériels et surtout comme plume d’un certain François Hollande, alors premier secrétaire du Parti socialiste. Alchimiste-opérateur de mélanges improbables, fasciné par les noces éclectiques des esprits vifs et des corps offerts, du romantisme et de l’érotisme, de l’amour éternel et de la séduction lascive, le lettré, au sens large, pratique une sorte de littérature expérimentale.
Avec un sens de l’hybridation poussée à l’extrême, comme on pouvait en juger avec Ceci est ma chair (2021), pot-pourri de dystopie et de science-fiction où les habitants du duché de Michão sont tantôt les protagonistes d’un conte philosophique, tantôt les héros d’une apologie du cannibalisme hygiénique. Ou Et que morts s’ensuivent (2009), fosse commune en papier de onze morts burlesques, extravagantes ou ordinaires, dans un style qui s’approche régulièrement du pointillisme et de la rigueur d’un médecin légiste et avec cet humour épars que l’on attribue aux cimetières.
Marc Villemain est reçu cette fois lors du Philo Bistro de l’Alliance Française de Sydney, en duplex entre l’Australie et Paris, avec un roman encore plus ambitieux, et bien plus épais. Il faut croire au printemps joue avec les stéréotypes du polar, du thriller et du road-movie pour mieux les confronter à des corps et des esprits qui les démentent. Un jazzman dépressif originaire d’Étretat, à court d’idées, est amené par un concours de circonstances dont on ignore tout à se retrouver en haut d’une falaise avec son fils en bas âge et le corps de sa femme enroulé dans une couverture. Réminiscence d’une mort survenue peu de temps auparavant qu’il parachèvera en beauté en poussant la femme momifiée dans l’océan.
Le père et le fils s’enfuient la tête baissée dans la vie et le lecteur les retrouve dix ans plus tard dans une déroutante intrigue faite de faux-semblants et de cœurs à prendre, où perdure désormais un mensonge rouillé et indéchiffrable, jusqu’à ce qu’une certaine avocate pénaliste prénommée Marie débarque…
Stylisme jusqu’au-boutiste de l’artiste en quête d’absolu esthétique
Il faut croire au printemps passe l’étude des sentiments humains au filtre d’une stylisation sans compromis possible, à base de phrases d’une beauté inoubliable, de perles de langage, le tout rehaussé par une sélection de drôleries et une bonne dose d’érotisme, qui, comme on le sait, est toujours le gage d’un « bon Villemain ». Le roman se présente moins comme une déconstruction du polar que comme une façon de le réinventer à sa façon, grâce à des descriptions presque lyriques, de la nature et des sentiments humains, creusant la distance avec les stéréotypes qu’elles incarnent.
En montant en gamme d’hybridation, la littérature de Marc Villemain pourrait accuser, en même temps, ses limites : une bienveillance presque devenue anachronique, une préciosité de langage qui arrive après d’autres stylistes à la dérive, une propension à botter en touche quand vient le sujet fondateur, ciment de tout, à savoir le jazz (une semaine d’enregistrement en studio rapidement escamotée). Il n’en n’est rien. Il faut croire au printemps touche toujours juste, par de beaux moments entre père et fils, entre père et amante(s), entre père et père, de soi à soi, notamment quand ce père victime d’être coupable ose pleurer, pleurer « comme pleurent beaucoup d’hommes : d’abord sur eux-mêmes ». Après avoir refermé le livre, impossible de ne pas écouter en boucle l’ultime et sublime enregistrement du pianiste Bill Evans, intitulé You Must Believe In Spring. Six minutes de beauté pure d’une ritournelle à laquelle Marc Villemain ne pouvait rendre plus bel hommage.
Philo Bistro avec Marc Villemain – Mercredi 7 juin –
Détails à ce lien : https://www.afsydney.com.au/whats-on/philo-bistro/
Ceci est ma chair lu par Olivier Vojetta
Ces quelques mots de l'écrivain Olivier Vojetta qui me font grand plaisir.
Mangez-le ! Mangez-le !
Avec Ceci est ma chair, Marc Villemain creuse, invente, joue, varie les voix et les registres, il va où il veut et passe d’une page follement drôle à un récit d’une rare cruauté, de considérations sociologiques à des références bibliques, du banal au vital. Il ose tout, fait preuve de la plus grande liberté et inventivité possible à chaque page. Dictionnaire goûteux et langoureux des expressions culinaires toutes faites mais pas que, son dernier roman joue dans la cour des grands, celle de Pierre Louÿs, avec une langue vivante et foisonnante, soucieuse de pittoresque et d’humour épique. Ils ont en commun un côté vicelard pas désagréable, il n’y a qu’à penser à cette « gracieuse Lisbeth [qui] capitonnait son gracieux fessier en suçotant quelques pénis farcis », une de ces trouvailles du langage qui n’aurait pas démérité dans La Femme et le Pantin, ce modèle du genre, veritable leçon en 13 chapitres à point c’est tout. Traqueur d’incongruités, fasciné par les carnations laiteuses, Marc Villemain est un génie du genre, un innovateur qui chaque fois surgit là où on ne l’attend pas. En le lisant, on s’abîme dans la littérature comme jeu et comme brûlure, dans l’amour toujours mêlé de la chair et des mots.
Olivier Vojetta est écrivain.
Visiter le blog d'Olivier Vojetta