Il faut croire au printemps lu par Pierre-Vincent Guitard
Quand l’enfance s’en est allée, que l’on aimerait tant retrouver le Paradis perdu, que faute de preuves formelles on ne peut rendre compte de ses actes à la Justice, difficile de se sentir libre. La culpabilité ronge le narrateur de ce roman qui, suite à la mort, sans doute accidentelle, de sa femme tente de reconstruire sa vie et embarque le lecteur dans son déni.
Trois nuits à se confier leurs adolescences, leur joie inouïe, inespérée - cette tristesse étrange, aussi, qui se niche en nous au sortir de l’innocence. écrivait Marc Villemain dans « Il y avait des rivières infranchissables ». Cet impossible retour à l’innocence enfantine, Marc Villemain tente de le réaliser à travers le fils de son héros parti à la recherche de cette mère dont nous savons que le corps a été jeté dix ans plus tôt du haut des falaises d’Étretat.
Le lecteur est pris à témoin d’une affabulation qui repousse toujours plus loin le moment de dire la vérité et ce faisant rend impossible l’avènement d’une vie nouvelle que le narrateur ne cesse d’appeler de ses voeux. Il en venait même à se poser ce genre de question : et s’il en profitait pour refaire sa vie. Vivre autrement - revivre ? C’était sa part obstinée d’enfance…
Bien sûr on suit l’évolution des relations entre un père et son fils, mais contrairement à ce que l’on perçoit lors d’une première lecture où l’on s’inquiétera peut-être de ce fils sans mère – [Mado] comprend que l’enfant ne connaît pas sa mère, que tout ça les empêche de vivre - lors d’une relecture, on pourra imaginer l’enfant comme celui qui vient prendre la place du père et lui donner l’espoir d’un printemps sans culpabilité. Il est à la fois l’avenir du père et celui qui se charge du péché originel. Marc Villemain le dit très clairement : De ce jour où il réalisa qu’il devait sa vie à un enfant dont il était le père, il n’aura de cesse de se convaincre que, de cet enfant, il était aussi le fils. Tout l’enjeu de ce récit est là, il s’agit de dire pour ne plus se sentir coupable : ils ne savent pas, eux, ce que c’est que d’avoir tué sans avoir voulu tuer. Ils ne savent pas ce que c’est que de mentir au monde sans jamais pouvoir se mentir à soi-même.
La nostalgie de l’enfance terriblement présente dans les textes de Marc Villemain et notamment dans le roman « Mado » revient ici comme en écho avec cette serveuse dont il tombe amoureux mais qu’il quittera pour une dernière fois laisser croire à son fils qu’il reste un espoir de retrouver sa mère… en Irlande où elle serait sur les traces de la femme d’un célèbre producteur de cinéma mystérieusement assassinée !
Marc Villemain joue ainsi à composer une fiction avec du matériau récupéré soit de faits divers réels (ici l’assassinat de Sophie Toscan du Plantier) soit semble-t-il de sa propre histoire. Marie, l’avocate des causes perdues, (et donc du présumé assassin de la femme du célèbre producteur de cinéma) dit d’elle-même que la culpabilité est son métier et interprète le rôle d’une femme habituée à défendre les coupables. Tout naturellement elle sera celle…
Ainsi Marc Villemain invente un narrateur musicien de jazz, et rend hommage à Bill Evans. Avec son écriture elliptique, il vous emporte jusqu’au bout de ce road-movie où le thème de la culpabilité ne quitte jamais le lecteur.
Pierre-Vincent Guitard
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Ce roman, cette fable dit aussi Marc Villemain, vous le lirez comme on lit une bande dessinée où l’auteur s’affranchit des frontières entre les niveaux de langue et n’hésite pas à forger ses propres mots pour créer un univers. Marc Villemain s’adresse au plus grand nombre pour un grand repas de réconciliation, un retour à l’oralité perdu. Ainsi les références à la chanson, sont nombreuses, de Brel à Brassens en passant par Maxime le Forestier, Mireille et Johnny Halliday mais aussi à ce que la littérature a de plus populaire, Cyrano, la Fontaine, Baudelaire Songe à la douceur d’aller là-bas forniquer ensemble sans oublier le cinéma avec Les Tontons flingueurs, la politique avec Marchais Liliane, fais les valises on rentre à Malevache et bien évidemment Astérix jamais nommé mais bien présent à travers Basile du Blaise le barde qui veut absolument chanter et que tout le monde veut faire taire. Réunis les Malevachiens comme de bons Gaulois boivent une dernière cervoise.
S’il y a une histoire - que l’on pourrait raconter en quelques mots - le vrai plaisir procuré par ce dit-roman se déguste dans son inventivité linguistique tout aussi savoureuse que la viande humaine. Il y a dans ce texte quelque chose de la truculance d’un Frédéric Dard. Fable que ce texte eucharistique, mais plus encore formidable farce qui prend à rebours notre époque individualiste pour inviter à ce qui aurait pu être un moment de vraie convivialité.
On se posera la question de la présence centrale de Ségolène
Comment passer à côté de ce :
SÉGOLÈNE [...], loyale !!!
Simple jeu de mot parmi tant d’autres dont regorge ce « roman » ou ... mais qui serait alors Valère ?
Quoi qu’il en soit on assiste à un art subtil de la dérision qui rend à la littérature une légèreté dont elle a bien besoin. Assurément une grande réussite que ce cannibalisme joyeux. Comme quoi les écrivains gagnent à écouter des chansons et à lire des bandes dessinées.
Pierre-Vincent Guitard
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Mado lu par Pierre-Vincent Guitard
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Ils virent qu’ils étaient nus - Genèse. Mais marc Villemain préfère écrire « elles » et, ce faisant, nous placer d’emblée au cœur de la nostalgie. Roman nostalgique ou roman sur la nostalgie, on hésite tant celle-ci est prenante. Jusqu’à son ultime résolution, la mort. Et pas n’importe laquelle, Mado disparaît dans l’eau noire. Inconsolable mélancolie est-il écrit.
Cela pourrait être le roman de l’enfance perdue : Mon enfance est morte, ils l’ont tuée. - dit Virginie - mais ce sentiment-là nous parle bien plus qu’il a parlé aux générations précédentes quand venait l’âge de se retourner sur sa jeunesse. Et ce romantisme revisité trouve ici, par catharsis, les moyens de se dépasser, de transmettre un héritage renouvelé à l’enfant du viol, Émilie. Il faut peut-être mettre en parallèle, l’histoire de la France et ce roman, puisqu’après tout il s’agit de littérature française, et donc d’identité française. Mado a perdu son honneur et doit aller au bout de sa mélancolie, permettre aux générations futures de trouver le chemin de la reconstruction. Nous n’en sommes plus là diront certains, la reconstruction a eu lieu, la France n’a plus besoin de revenir sur le passé du siècle dernier. En sont-ils si sûr ? Le temps de la littérature comme celui de la société est un temps long, les cicatrices se referment lentement.
Virginie ne parvient pas à faire le deuil de son amour homosexuel, à imaginer que Mado puisse vivre autre chose. Par deux fois elle nie l’évidence, malgré les apparences Mado ne peut aimer Julien pas plus que Florian, Virginie ouvrira donc son histoire à sa fille : Je voulais tout montrer à Emilie. […] Elle a contemplé l’océan et j’ai vu dans ses yeux une envie de vivre, une envie de joie.
Roman de l’enfance perdue, de l’innocence en allée, sans doute, mais surtout, mais aussi, roman où la vierge Virginie se délivre de la pécheresse Mado, avec elle retourne à la mer et l’y abandonne alors j’ai fait un pas en avant vers elle pour l’embrasser mais sa main s’est arrêtée sur ma joue en tremblant, elle a dit pardonne-moi je t’aime et a disparu dans l’eau noire.
Ainsi le romancier nous libère-t-il de nos démons, il nous prend au piège du romantisme pour nous inviter à nous en défaire et ce qui semblait être une bluette à la mode contemporaine, un petit roman d’amour lesbien, est tout au contraire une initiation à la vie. Virginie ne sera jamais celle qui épousera un homme gentil, celle qui s’installera dans une petite maison au bord de la mer, elle a déconné et enfanté une pauvre gamine, un rayon de soleil en plein désert. Que l’on songe au sens premier de déconner que je traduirais élégamment par "se sortir de là" et c’est bien ce à quoi nous sommes conviés.
Je ne dis rien du style, ni de la composition minutieuse du roman, d’autres le disent mieux que moi et le lecteur saura apprécier, je dis seulement que sous des apparences romantiques se cache un roman infiniment plus subtil qu’il ne veut bien le dire.
Pierre-Vincent Guitard a lu "Il y avait des rivières infranchissables"
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Adolescence, le sortir de l’enfance, de l’innocence, l’âge où sauter le pas, Marc Villemain s’y attarde, comme si, avant d’atteindre la cinquantaine, il éprouvait le besoin, une dernière fois, de se retourner sur le paradis perdu. Nostalgie des initiatrices, mais aussi des tout derniers jours de fraîcheur, parce qu’au-delà de la rivière un monde ordurier se dessine, celui d’un grand qui baise debout derrière la cloison et traite la fille de salope. Ces nouvelles racontent exclusivement la vie d’avant. Comment a-t-on fait pour entrer dans ce monde-là et parvenir un jour à évoquer ses amours enfantines à Venise sur les Zattere où l’on fête ses quarante ans de mariage avec celle dont on avait su tout de suite que
c’était elle pour la vie.
L’inquiétude est grande, les mots manquent pour franchir la rivière avec celle que l’on a choisie :
mais quelle parole en un tel instant pourrions-nous prononcer qui ne soit ni trop sotte ni trop maladroite, quelle parole pourrait ne pas échouer à dire ce que nous éprouvons.
Le héros de ces nouvelles est confronté au désir de dire ses sentiments, les mots ne lui viennent pas. Et c’est comme si cette rivière infranchissable qui sépare le monde de l’enfance du monde des adultes séparait également le langage en deux entités distinctes, comme si pour retrouver l’enfance il fallait inventer un langage perdu, une innocence inimaginable de ce côté-ci de la littérature. Âge de la pureté, Marc Villemain ose la nostalgie des premiers émois, en explore la complexité, en démasque l’ambiguïté :
Et lui qui ne sait pas, qui ne sait plus qui regarder, à qui parler, à qui sourire, lui qui voudrait tout, tout doit être possible.
Parce que la fin de l’enfance c’est cela, la fin de l’innocence c’est aussi une illusion qui se referme, désormais tout n’est pas possible, le rêve n’a duré qu’un instant :
Elle aura eu l’audace de l’inviter à danser le dernier slow [malgré le regard des grands frères], il aura eu celle de le lui dire en premier. Mais le slow est terminé – tout est terminé.
Désormais le rêve est brisé, l’harmonie n’est plus, s’en est allée la
voix d’une petite fille tellement pure qu’en elle rien ne semble disjoint, désaccordé, qu’en elle tout est à l’unisson.
On entend bien ce que dit Marc Villemain de l’enfance, cette enfance où le petit citadin pouvait être amoureux de la petite fermière. Cette unité-là n’est plus, le champ des possibles s’est rétréci, ne restent que la nostalgie et l’écriture pour lui donner droit de cité.
C’est ce sur quoi il insiste par l’intermédiaire de l’épouse de son héros :
[…] elle sait combien c’est cela, aussi, un écrivain, combien cela éprouve le besoin de ressasser, de revisiter, de revenir à soi.
Fidélité à soi-même que l’on retrouvera dans la toute dernière nouvelle, fidélité que l’on peut lire comme une réussite, bien sûr, que l’on peut aussi entendre comme un enfermement, un choix irrévocable qui ne trouve à se dépasser que par la création littéraire. Douze nouvelles, plus une qui les reprendra toutes, douze possibles c’est aussi cela que l’écrivain se permet, douze déclinaisons de cet instant unique de la première fois, comme un pied de nez à la vie et à sa fugacité.
Ces heures fugitives, l’écrivain nous propose de les prolonger avec lui, ne boudons pas notre plaisir,
[laissons-nous] un peu porter, comme si de [notre] enfance océanique [nous avions conservé] quelque chose d’un flottement, d’un ondoiement, un penchant pour la dérive.
Une critique de Pierre-Vincent Guitard
Cette fois encore les relations père-fils sont au coeur du roman de Marc Villemain. La langue est importante, celle du narrateur de ce petit roman n’est pas celle du Léandre du roman précédent (Le Pourceau, le Diable et la Putain), l’affrontement est plus contemporain, il met aux prises deux générations à travers les rues de la Capitale. D’une certaine manière cela peut faire penser à des événements récents. Deux conceptions de la vie ! mais ne commettons pas l’erreur d’y voir une illustration de l’actualité. L’affrontement générationnel entre les vieux avec leur bon sens paysan et les jeunes qui rêvent de prendre le pouvoir et d’exclure carrément leurs aînés de la vie publique - ils envisagent de leur retirer le droit de vote - cet affrontement au sein duquel l’allongement de la vie et le papy boom équilibrent les rapports de force menace de devenir réalité. C’est ce qui, dans le titre choisi par Marc Villemain, peut faire penser, avant que l’on ne lise l
’ouvrage, à une marche conquérante et victorieuse des retraités. Or, si l’on assiste bien à une manifestation et si on se laisse aisément prendre à cette fable sociétale, l’issue - que l’on ne dévoilera pas – mais dont on peut dire qu’à beaucoup d’égards elle rejoint celle du roman précédent, lui donne un sens plus psychologique que sociologique à l’encontre de ce que le sujet et le titre avaient pu contribuer à faire croire.
Ce sont deux générations qui s’affrontent, mais elles s’affrontent concrètement entre un père et son fils. Le point de vue du narrateur, celui des vieux, donc celui du père, donne à cette fable une pudeur que le langage paysan ne dément pas. Nulle part la parole n’est donnée au fils, mais le regard de l’ami de Donatien (le père), empreint de ce bon sens des hommes de la terre, restitue parfaitement la tendresse qui unit Julien à son père par-delà leurs divergences. Encore une fois le vieil homme – ici son ami – devra porter tout le poids de la culpabilité liée au meurtre, fût-il accidentel. C’est cette inversion apparente de l’Œdipe qui me fait dire que ce roman est dans la lignée du précédent.
L’opposition toutefois entre la langue du roman et celle du quotidien n’est plus celle qui sépare notre parler de la langue classique mais - et c’est sans doute là que se situe la vraie réussite de ce texte – celle qui nous fait retrouver une langue des terroirs que la modernité a mis de côté au même titre que ses vieux : Mais c’est qu’avec ça, dans les villes, c’est bien simple, les vieux, on ne les voyait plus. Langage parlé : Ou que j’y allais avec eux, ou que personne n’y allait. Qu’est-ce que tu veux répondre à ça. J’y suis allé qui rend un rythme simple, phrases courtes qui vont tout de suite à l’essentiel. C’est vrai que par chez nous les causeurs ne sont pas légion, même qu’on aurait plutôt ten
dance à s’en garder.
Les vieux ce ne sont pas seulement ceux qui sont atteints par la limite d’âge, ce sont aussi ceux qui ne se reconnaissent pas dans le langage de la jeunesse, qui résistent à cette arrogance et à cette soif du pouvoir qui laissent des gens sur le bord du chemin. D’où l’ambiguïté. Si le père est bien celui qui reste, sa victoire sur le fils est plus celle de la maturité sur l’enfance et l’adolescence que celle d’un être sur un autre. Mais une victoire amère qui laisse à la fois un sentiment de culpabilité et une certaine nostalgie.
Désormais le fils a pris les habits du père. Et maintenant Donatien est sur son banc, dans notre square d’enfance et sa requimpette, la tête à pleurer dans les mains.
Lire la critique dans son contexte original (sur Exigence Littérature)
Une critique de Pierre-Vincent Guitard (Exigence Littérature)
Pierre-Vincent Guitard vient d'écrire sur Le Pourceau, le Diable et la Putain un article dont le moins que l'on puisse dire est qu'il me fait immensément plaisir. Bien sûr, il y a l'éloge. Mais, et cela compte aussi, il y a le plaisir de lire un critique qui s'engage et court le risque de disséquer ce qui se dissimule entre les lignes et derrière le livre.
On peut lire l'article dans son contexte originel sur le site e-litterature.net
Roman du misanthropisme pourrait-on croire, c’est en tout cas ainsi qu’il se présente. Léandre le vieillard-narrateur serait aussi l’auteur d’un ouvrage intitulé : Le misanthropisme est un humanisme ; en écho à Atopia, l’ouvrage de son compère Eric Bonnargent, Marc Villemain produit ici un livre dont le héros se veut à l’écart des hommes, et se définit comme tel. Mais ce qui est frappant dans ce livre, ce qui vous accompagne dans votre lecture, c’est la déchéance du corps, Léandre est un vieillard qui fait sous lui, loin, très loin du héros auquel on s’identifie ! et bien sûr tout près de ce qui nous menace tous. Comme Flaubert disait Mme Bovary, c’est moi Marc Villemain pourrait énoncer « Léandre c’est moi, c’est vous » en ce sens le misanthropisme de son héros, sa réaction à la déchéance, est évidemment symptomatique de la condition humaine. Le misanthrope en effet ne juge pas, il jauge ; il ne jouit pas de la déchéance de l’autre, il vérifie qu’elle est notre lieu commun.
L’intérêt du livre est sans doute là, dans cette jouissance de la déchéance, le fait qu’elle soit niée la rend bien sûr d’autant plus suspecte. Parce que le personnage principal du roman, plus que Léandre, le père, c’est celui qui est désigné comme le pourceau, le fils, un fils qui s’est attaché au père : Mais ma veine fut que le pourceau était affublé d’un caractère à ce point mélancolique qu’il devint doloriste jusqu’à s’attacher à moi avec sincérité et que le père ne cesse de dévaluer parce qu’il n’a pas su être misanthrope, mais a au contraire sombré dans la lâcheté, l’irrésolution, l’esprit de sérieux, la complaisance à soi-même.
Bien sûr, Marc Villemain semble désigner ici la jeunesse contemporaine, mais est-ce si certain ? Il faut toujours être attentif aux textes empreints d’humour, l’humour étant souvent une façon de se cacher. On notera au passage l’insistance avec laquelle reviennent les scènes initiatrices dont cette pseudo scène primitive curieusement vécue par le Père ce qui en dit assez sur le peu de considération que le fils a de lui-même.
Si Léandre semble bien être celui que le titre appelle le Diable, reste un troisième personnage, Géraldine Bouvier, celle qui est appelée la Putain. La putain c’est aussi celle qui a couché avec le père et l’on n’est pas étonné de lire après que le Pourceau s’est suicidé une phrase évoquant le nouveau mari dont on ne sait s’il est celui de Géraldine ou de la mère du petit comme si l’une et l’autre se confondaient. De la même manière c’est sous les traits de Géraldine que Léandre imagine sa mère priant ses voisins de tente d’organiser leur tournoi de pétanque un peu plus loin.
On a ainsi un roman qui paraît être un roman philosophique sur la misanthropie et qui se révèle être un vrai roman familial, dont Marthe Robert* disait qu’il fallait y rechercher l’origine du roman moderne. Mais alors que dans le roman familial le héros trouve un moyen de s’affranchir du père soit en se prétendant enfant trouvé, soit en se prétendant bâtard, le Pourceau est une sorte de héros négatif, un héros qui plutôt que de prendre la place du père se suicidera. Curieux dénouement qui verra mourir le père sans que le fils puisse profiter de sa disparition ! Les relations entre les trois personnages de ce roman Le Diable – le Père-, le Pourceau – le Fils -, et la Putain – la mère/infirmière - en font un roman tout à fait moderne où le fils n’ose plus s’assumer et où la culpabilité prend le pas sur l’action qu’elle soit idéaliste ou pragmatique. A rapprocher d’une génération d’après-guerre qui n’ose plus s’emparer de la culture, ce que Marc Villemain lui reproche assez, et d’une civilisation qui se sent coupable d’avoir pollué la terre-mère et n’ose plus entreprendre.
Au total un roman à l’écriture légère et humoristique qui détourne les codes habituels du genre reflétant ainsi une époque décadente où ce n’est plus le fils qui tue le père mais l’inverse !
Sans avoir l’air d’y toucher, Marc Villemain dans un style assez classique bouleverse le paysage romanesque.
Pierre-Vincent Guitard
* Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman - Grasset, 1972