Céline Righi - Berline
Les wagonnets de l'histoire
- À rebours de tout un courant littéraire qui tire parfois un peu lourdement sur le filon sociologique, Céline Righi, petite-fille de mineurs de Lorraine, livre dans ce premier roman une évocation originale, libre, saisissante, exempte de toute complaisance misérabiliste, de l'existence d'hommes qui, encore adolescents parfois, passèrent la moitié de leur vie au fond des mines. Évocation d'un monde pour ainsi dire mort à la modernité, taraudé par la maladie, le déclassement, les privations, et dans lequel les parenthèses de douceur ou de plaisir, parce qu'elles étaient rares, étaient toutes bonnes à ouvrir, Berline, à sa manière mordante et poétique, témoigne à la fois du souci de conserver, voire entretenir la mémoire d'une époque révolue mais qui résonne fortement encore dans l'est et le nord de la France, et d'un désir de sonder les conséquences intimes, affectives, psychologiques qu'une telle existence pouvait avoir à l'échelle d'un homme.
Au drame inaugural de ce roman, l'effondrement d'une mine, fait écho le refus de Fernand, protégé in extremis par une « berline » retournée sur lui (à l’instar de Franz Riva, rescapé de la catastrophe de Rochonvillers, en 1919, dont la figure a inspiré Céline Righi), de céder à l'effondrement intérieur. Or ce qui le fait tenir n'est pas tant le vague espoir, dont on ne saurait dire s'il est éperdu ou raisonné, de s'en sortir, que la ressouvenance émue, tantôt attristée, tantôt badine, quelques fois amère, de ce que furent son enfance, sa famille, ses copains, ses béguins, sa vie. Là-bas, chez lui, on est mineur de père en fils et, dès la naissance, un homme qu'on enterre — et pas question de déroger à la règle, même si lui s'était rêvé jardinier : plutôt retourner la terre qu'avoir à y descendre. De souvenirs en réminiscences, d'empreintes obscures en reconstructions, Fernand, tout en luttant contre ce qui paraît inéluctable, se laisse irriguer par un réseau de motifs sensoriels, manière pour lui de lutter contre tout ce qui enterre et enserre — jusqu'à ce chant d'oiseau, double entêtant de sa conscience, écho à ce canari que les mineurs avaient coutume de descendre avec eux dans la mine : si l'oiseau mourait, ou même s'il ne chantait plus, alors c'est qu'un coup de grisou se préparait.
Écrit avec une simplicité qui pourrait être l’autre nom de la pudeur, ce premier roman d’une grande justesse parvient à extraire de sa noirceur de nombreuses pépites de lumière, de tendresse et d’humour. Autant dire que je suis très heureux de pouvoir en être l'éditeur.
Céline Righi, Berline
À découvrir sur le site des Éditions du Sonneur
Lou Darsan - L'Arrachée belle
La route (se retrouver sur)
C'est ce qui rend exaltante toute lecture d'un premier livre : on y entre vierge de tout savoir et de toute référence - et pour peu que l'on se pique de critique, on ne peut guère s'appuyer sur les travaux d'aucun confrère... L'exaltation est d'autant plus forte lorsqu'elle se double, c'est le cas ici, d'une certaine appréhension à ne pouvoir cerner comme il le faudrait l'intention et la singularité de l'auteur - en l'occurrence de l'autrice. Car L'arrachée belle n'est pas un texte qui se donne facilement. D'ailleurs il n'est pas jusqu'à son statut qui ne soit difficile à caractériser : disons une sorte de roman, pas vraiment un récit, en tout cas ni conte, ni chronique ; peut-être une déambulation, une errance, une échappée. Une arrachée, est-il plus justement écrit : tout comme il faut à la jeune fille de cette histoire s'arracher au sentiment du désœuvrement, de la routine d'une vie de couple devenue brutale à force d'indifférence, à soi-même aussi et à certaines injonctions de la civilisation, il faut se défaire ici de la tentation du système et de la typologie - tentation que réduirait d'ailleurs à pas grand-chose la liberté d'écriture et de mouvement de Lou Darsan.
L'arrachée belle est le livre d'une fille. Pas seulement parce que les hommes n'y ont franchement pas le beau rôle, mais parce que maintes filles et femmes (mais je confesse ne pas pouvoir l'expliciter plus avant) devraient s'y reconnaître. À quoi cela tient, difficile à dire... Peut-être à une certaine manière, rude et délicate, franche et pudique, nette, précise, de décortiquer les sensations. Car c'est un texte dominé par les odeurs, les matières organiques ou végétales, taraudé par des images de proliférations, traversé par une nature souveraine qui donne le la de la psyché humaine - et lieu, au passage, à quelques pages somptueuses. Peut-être aussi cela tient-il à une certaine révolte, sourde, lancinante, comme une sorte de dépit amoureux contre le corps, ses épreuves, son empire. Enfin parce que sourd de ces lignes un impérieux désir de libération qui est sans doute, si ce n'est naturellement au moins historiquement, davantage le propre de la femme que de l'homme ; le personnage principal n'est d'ailleurs jamais nommé : son genre (« Elle ») tenant lieu d'universel.
Il y a dans les actes et les pensées de cette jeune nomade qui se voit comme une sorte de monstre d'asocialité, dans la fuite perpétuelle de ce « lapin domestiqué qui se rêve vanneau migrateur », comme un profond désir de ré-ensauvagement. Il n'est d'ailleurs pas interdit de penser que ce livre témoigne aussi, fût-ce entre les lignes et heureusement sans donner lieu à quelque intention dissertative ou édifiante que ce soit, de ce qui travaille notre temps : un certain sentiment de saturation devant les commodités modernes, les prouesses technologiques, la maîtrise des identités, le maillage social. Le texte n'entre pas dans ces considérations, du moins pas expressément, mais témoigne d'une lassitude mâtinée de rage devant un monde où tout un chacun se sent voire se sait prisonnier du grand filet sociologique. On a ainsi le sentiment que cette jeune fille vagabondant, faisant du stop, passant de lieu en lieu, allant de paysages en paysages et parcourant l'espace comme une exploratrice avide de sensations nouvelles, s'est lancée dans la quête un peu folle et probablement impossible à satisfaire de sa propre viscéralité, pour ainsi dire de son propre état de nature. Comme si le monde extérieur - la société -, à force de l'avoir déréalisée, la poussait à courir après une sorte de primitivité idéelle. D'où l'impression que l'on peut avoir de n'être pas toujours très éloigné de l'école du nature writing, voire survivaliste. D'où aussi ce vitalisme sombre, cette espèce de panthéisme païen, d'onirisme, de gestes confinant à l'ésotérisme - autant de motifs qui m'ont parfois fait songer aux romans et nouvelles de Romain Verger.
Reste qu'il serait erroné d'insister sur cette seule impression de noirceur : si je parle de vitalisme sombre, c'est bien aussi pour dire combien l'aspiration à la vie, au mouvement et à l'énergie inspire ce texte. Il faut donc tout autant insister sur la douceur extrême que dissimule une certaine forme de radicalité, laquelle, certes, ne laisse pas vraiment le choix au lecteur, mais ne recouvre pour autant jamais ces impressions plus délicates où l'intime se révèle fragile, friable, et dont une certaine nostalgie n'est jamais absente, non plus que quelques beaux élans bucoliques. Si tout semble extrême, ce n'en est pas moins toujours travaillé par une authentique douceur, exempte de tout glamour, presque animale, imprégnée d'une nature vue concurremment dans ses aspects les plus infimes et comme un tout souverain.
Sans doute serait-il loisible d'émettre quelques réserves : l'ensemble est peut-être un peu long, et j'aurais parfois voulu atténuer quelques raffinements un peu coquets, mais ce serait vraiment chercher la petite bête entre les lignes d'un premier livre. Non, vraiment, il y a de quoi être admiratif devant la puissante originalité des images et la redoutable précision d'une langue remuante, inventive, sachant exactement ce qu'elle veut et conférant à chaque phrase et à chaque évocation une grande et belle densité. Mais chacun fera sa propre lecture de ce texte, qu'il me semble non seulement illusoire mais inapproprié de chercher à circonscrire trop nettement : après tout, il faut bien que les choses échappent - comme sa destination échappe à celle qui va, errante, le long du chemin.
Lou Darsan, L'arrachée belle
Sur le site des Éditions la Contre Allée
Laurine Roux - Une immense sensation de calme
Après Des carpes et des muets, d'Édith Masson (Prix Erckmann-Chatrian 2017), j'ai donc la chance d'être l'éditeur d'un autre très beau premier roman. J'allais d'ailleurs commencer en disant que ces deux textes évoluaient dans des registres très dissemblables, pourtant l'on pourrait au moins leur trouver une certaine communauté d'esprit – un goût partagé pour l'étrange, un même désir de propager le trouble et de faire de la nature un quasi personnage, une même attention à la rugosité première du monde. Les ressemblances pourtant s'arrêtent là : pour le reste, nous sommes aux antipodes – et pas seulement géographiques, même si les deux sont nettement orientés à l'Est...
Nous savons peu de choses de Laurine Roux, qui est toutefois est loin d'être une inconnue pour les amateurs de nouvelles ; elle reçut d'ailleurs, en 2012, le Prix International George Sand. Professeur de lettres modernes, lectrice de Giono, de Cendrars (dont elle fit l'objet de ses études universitaires) ou de Sylvie Germain, cette voyageuse connaît bien les terres du Grand Est glacial dont il est ici question, et revendique aussi l'influence déterminante – et perceptible peut-être – du McCarthy de La Route... Voilà pour l'esquisse d'un univers très marqué, sauvage, organique, non exempt de lyrisme ni de poésie.
* * *
Sous nos yeux, un monde réchappé d'une ancienne guerre. Les hommes sont morts, ne restent que quelques femmes et des enfants. Les terres alentour sont ingrates, les montagnes menaçantes : on dit – les très vieilles femmes disent – que tout là-haut se seraient établis des "Invisibles", créatures dont on ne sait rien ou seulement ce qu'en souffle la rumeur, ce qui est pire. Une jeune fille pourtant y rencontrera l'amour. Et y jettera toute sa vie.
Une immense sensation de calme est un texte peu ordinaire. On pourrait invoquer le conte noir, mais ce ne serait pas tout à fait exact : il y entre trop de lumière, trop de cette clarté fuyante mais tenace qui conduit le livre aux limites du merveilleux. L'on sent chez Laurine Roux une certaine inclination pour la fin du monde (McCarthy rôde...), mais jamais aucune tentation de l'uchronie, et moins encore de la science fiction. Ce qui l'occupe dans ce roman, c'est, d'une certaine manière, de transposer le continuum humain dans l'univers du conte ; et si l'on s'approche du merveilleux, alors c'est un merveilleux plausible, du moins jamais complètement improbable.
D'ailleurs, étrangement, ce roman fait du bien. Évidemment pas dans l'acception du feel-good contemporain, et c'est peu de le dire, mais en ce sens qu'il pose un regard à la fois très cru et très sensible sur notre destinée, comme si dans la boue, la souffrance et la lutte reposait ce qui forgeait et exhaussait notre humanité même. L'âpreté des visions, des couleurs, matières, limons, odeurs, sang, pourriture, humeurs, le dispute à des élans poétiques parfois admirables, pleins de profondeurs et d'échos, et l'on se trouve bien vite captivé par cette énergie souterraine qui doit autant à des élans viscéraux qu'à des intuitions quasi mythologiques. Et si c'est moins un monde d'après la tragédie qui est ici dépeint que le tragique même du monde, on se laisse étonnamment entraîner par l'étrange beauté qui subsiste et s'acharne. Avant de refermer le livre et de retourner vaquer dans nos vies en éprouvant quelque chose qui, en effet, n'est pas loin de nous procurer une immense sensation de calme.
Laurine Roux, Une immense sensation de calme - Éditions du Sonneur
PRIX SGDL RÉVÉLATION 2018 de la SGDL
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On peut lire ici le très joli texte que Laurine Roux a donné au site « Le Off des Auteurs » : elle y dit en quelques paragraphes l'origine d'Une immense sensation de calme.
Édith Masson - Des carpes et des muets
Édith Masson m'offre donc d'être son premier éditeur - à tout le moins dans le domaine du roman, les amateurs de poésie la connaissant peut-être déjà. Et je me réjouis d'autant plus qu'elle ait fait ce grand saut dans le romanesque qu'elle s'y sera lancée pleinement, avec un très fort désir de narration, de tension, de personnages et, osons le mot, d'efficacité, sans jamais rien étouffer de cette voix première qui remue en elle. À cette aune, Des carpes et des muets a des allures de petit miracle, qui parvient à donner au lecteur des sensations pas très éloignées de ce que put nous procurer, par exemple, un Simenon, tout en ménageant un large courant poétique souterrain.
Comme c'est souvent le cas dans les beaux romans sensibles, le prétexte littéraire est ici tout simple.
Un matin, des villageois (quoique jamais nommée, la terre de Lorraine, bien plus qu'un simple décor, irrigue largement le roman) découvrent des ossements humains entassés dans un sac en plastique noué à l'échelle du canal. Se posent alors des questions assez naturelles en telle circonstance : qui, pourquoi ? Dès lors, il pourrait être tentant de lire Des carpes et des muets comme une enquête de type policier ; pourtant, c'est tout juste si nous nous éprouvons la curiosité de la résoudre : car ce que l'on pressent dès les premières pages du livre, c'est que la tension résidera moins dans la révélation d'un ou d'une éventuelle coupable que dans cette manière, presque imperceptible, volontiers insidieuse, qu'ont les différents protagonistes de se situer dans l'histoire, de lui conférer un sens, une mémoire, une généalogie - et, par là, d'éprouver combien eux-mêmes sont fragiles et vivants.
C'est probablement une des choses qui m'ont le plus séduit, lorsque je reçus ce texte : de me sentir embarqué dans la fréquentation de ces personnages étrangement ordinaires, bien plus que dans une simple investigation. Autrement dit, c'est avant tout un climat que pose Édith Masson, tout en ambiguités, malaises et discordances, et c'est finalement moins l'incident qui inaugure le texte que sa portée dont on se souviendra. Car dans ce roman dont bien des aspects sensibles se devinent et se lisent entre les lignes, elle a su, en peu de mots, mettre un tout petit monde en mouvement et lui donner un tour presque universel : après tout, c'est bien de là que nous venons, tous, d'une toute petite communauté au sein de laquelle l'autre, le parent, le voisin, finit toujours par prendre le visage du monde. C'est dans ce bucolisme contrarié, cette sorte d'éternel agreste, que l'écrivain joue de ces silences qui nous sont si difficiles à résoudre lorsque nous dialoguons. Car si tout, dit-on, revient toujours au silence, alors peut-être faudrait-il dire aussi que tout revient toujours à la parole ; ce qui souvent ne fait guère de différence, tant nous demeurons encombrés, empêtrés de nous-mêmes, noués enfin à un autre que jamais l'on ne pourra complètement atteindre.
Nous sommes loin ici de la veine sociétale à laquelle nombre de romans contemporains s'essaient. Car si la littérature peut bien se donner pour objet de témoigner, n'oublions jamais qu'il est, pour y parvenir, mille manières. On peut se saisir d'un fait divers, d'un drame, d'une tragédie même, on peut s'arrimer à de grandes et exemplaires destinées, fussent-elles méconnues, on peut s'emparer de telle ou telle circonstance humaine pour dire son fait au monde, mais on peut aussi vouloir simplement illustrer combien tout cela se répète et ne fait que se répèter encore - et s'en émouvoir. Gageons, pour le dire autrement, que nous trouverons probablement qui a enfoui ce squelette dans un sac en plastique, mais soyons bien certains pour autant que le crime ne s'en répétera pas moins : c'est le principe même de la vie.
Des carpes et des muets, Édith Masson
Éditions du Sonneur
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Goncourt de la Nouvelle : Nicolas Cavaillès - Vie de monsieur Leguat
Le prix Goncourt de la Nouvelle 2014 vient d'être attribué, ce mardi 4 mars 2014, à Nicolas Cavaillès.
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Il y a chez Nicolas Cavaillès, dont cette Vie de monsieur Leguat est le premier roman, quelque chose qui n'est pas sans rappeler les humanistes de la Renaissance : une attention particulière à la nuance et à la précision - autrement dit une certaine éthique de la justesse -, la revendication de la liberté de l'esprit, un sens très assuré du Beau, une manière de donner de l'amplitude à la pensée et à la phrase, un refus de l'emphase et du tape-à-l'oeil, un certain détachement du monde aussi, modulé par une sensibilité particulière, pour ainsi dire pré-sociologique, au réel et aux manières de vivre des hommes. Bref, tout ce qui pourrait constituer le caractère de que l'on appelait naguère un gentilhomme, gentilhomme qu'à bien des titres incarne ce François Leguat, lequel ne connut donc jamais la postérité de ces grands explorateurs dont nous connaissons les aventures depuis l'école primaire, et qui pourtant vécut une vie comme on ne peut plus même imaginer qu'il fut possible d'en vivre. Je serai même presque enclin à voir dans ce prestigieux substrat humaniste ce qui, chez Cavaillès, le détourne de l'intention romanesque pure ; quelque chose qui pourrait dire, en substance : à quoi bon l'invention, quand la vie des hommes est toujours plus riche que toutes nos improbables chimères ? Il n'y a pas, ou peu, chez Cavaillès, l'envie de divertir, d'enchanter ou de faire rêver ; Vie de monsieur Leguat atteste plutôt d'un désir de témoignage, de transmission, presque d'édification. Mais, Cavaillès sachant ce qu'écrire veut dire, son écriture, imagée, évocatrice, ferme et délicate, à la fois ample et épurée, finit par conférer à ce texte une sorte de gravité légère et presque euphorisante. De là sourd une tension, un cheminement, aussi peut-on dire, oui, que, de roman il est tout de même question - d'ailleurs qu'est-ce que le roman, sinon, aussi, cette force assez mystérieuse qui confère à nos mots les plus simples et à nos intentions les plus nettes la puissance des vies réinventées ?
De ce François Leguat, on ne sait, encyclopédiquement, qu'assez peu de choses, si ce n'est, donc, qu'il naquit français vers 1637 pour mourir londonien à l'âge de 98 ans (ce qui est déjà assez remarquable), qu'il fut, avec tant d'autres, chassé de France par la révocation de l'Edit de Nantes, qu'avec dix autres de ses compagnons d'infortune il prit les mers sur une petite frégate baptisée L'Hirondelle et que, comme en écho anticipé à l'Oceano nox que Victor Hugo n'a pas encore écrit (Combien ont disparu, dure et triste fortune ! Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !), la plupart n'en revinrent pas. Vivant de peu, de rien, inventant une vie sur des îles parfois à peine plus grandes qu'un gros rocher, Leguat connut les fers, les maladies et toutes les dérélictions possibles de la chair, la trahison et la brutalité de ses congénères, l'adversité conjuguée de la nature et des hommes, avant de mourir dans les bas-fonds de Londres, où Cavaillès, sans doute ici un peu romancier, l'imagine, racontant une vie d'aventures aux pauvres bougres qui, à des heures indues et le ventre plein de mauvais alcools, l'écoutent peut-être, non sans distraction, un peu comme on prend plaisir à entendre un oiseau chanter dans sa cage. Trois vies en une, c'est ce que nous dit Nicolas Cavaillès de ce François Leguat, dont le portrait tout de courage et d'humilité, d'abnégation et de constance, de sagesse et de curiosité pour le monde, ne pourra que toucher le lecteur. Pas un roman, donc, ou pas tout à fait, moins encore une de ces chroniques voyageuses qui rendent le lecteur impuissant à distinguer entre le vrai et le possible, entre l'imaginable et l'improbable, mais, plus humblement et sans affectation, le récit très sensible d'une vie à la fois exemplaire et dramatique, héroïque et retirée, taraudée par l'appétence à la vie et le côtoiement incessant de la mort, et où pointe la belle et enchanteresse nostalgie des mondes éteints.
Mes recensions d'ouvrages des Editions du Sonneur, où j'officie comme éditeur,
ne sont publiées que sur ce seul blog personnel.
Lire la présentation de "Vie de monsieur Leguat" sur le site des Editions du Sonneur
L'écrivain, la peintre et le comédien : un soir au Sonneur
Les Editions du Sonneur affichaient complet, jeudi dernier, lors de la soirée organisée autour du premier roman de François Blistène, Moi, ma vie son oeuvre.
Tandis que Michelle Auboiron donnait en peinture son écho personnel au livre (avant de mettre la toile en jeu lors d'une tombola), Claude Aufaure, avec la verve qu'on lui connaît, en lisait quelques extraits.
Vous pouvez ci-dessous visionner le bref mais ingénieux montage réalisé par Charles Guy en souvenir de cette soirée.
Liens :
- François Blistène aux Editions du Sonneur ;
- Le site de Michelle Auboiron et Charles Guy.