Céline Righi - Les Choses de la nuit
Righi fortissimi
Dira-t-on de Céline Righi qu’elle éprouve une sorte de sentimentalité à l’égard des mondes d’hier, de contentement intime à y retrouver un certain type d’humanité – une certaine simplicité d’âme et de cœur, parfois une rusticité ? C’est bien possible. Car après Berline, dont j’avais déjà eu le privilège d’être l’éditeur, la voilà qui nous ramène dans ces mêmes années 1960, quoique dans un univers bien différent de celui, tout de fer et de charbon, qui servit de décor à son premier roman. Cette fois, c’est le Saint-Germain-des-Prés illustre de Boris Vian et de Jean-Paul Sartre qu’elle nous fait arpenter, en suivant pas à pas la destinée d’un certain Henry Dawnson, trompettiste américain qui, par bien des traits, rappellera la figure, devenue quasi-objet de culte, de Chet Baker – ce n’est pas sans raisons que le roman faillit bien avoir pour titre Almost Blue. Enfant de l’Amérique profonde et de la Grande Dépression (qui donne lieu ici à des descriptions très évocatrices), Henry Dawnson voit sa carrière internationale brutalement interrompue à la suite d’un accident très singulier. Tellement singulier que nous n’en dirons rien ici, mais suffisamment tragique pour qu’il en vienne, à la veille de ses cinquante ans, à se demander si une vie dont son instrument serait banni vaut encore la peine d’être vécue.
Au-delà des années 1960, il est un autre point commun à ces deux romans : chaque fois, il est question d’un homme empêché. Mineur de fond prisonnier sous sa berline ou musicien dans l’incapacité de jouer de son instrument : si, dans les deux cas, Céline Righi fait appel à des pans de sa propre existence (cette petite-fille de mineur est également chanteuse), c’est ce motif de l’empêchement à être qui, lancinant, traverse jusqu’à présent son travail romanesque. En tant que cadenas verrouillé sur la liberté immédiate de l’individu, bien entendu, mais aussi dans les implications affectives et psychiques qu’entraîne tout ce qui borne son désir et sa volonté.
L’on retrouve dans Les Choses de la nuit bien des façons qui faisaient le charme de Berline et qui émurent les lecteurs : un timbre de voix rapide et poétique, sec, jamais exempt d’humour, et cette intuition profonde que l’espérance ne déserte jamais tout à fait la vie, même lorsque la tragédie semble devoir y étendre son ombre. Roman de la réminiscence, de l’introspection, du déracinement et de la perdition (mais aussi de l’amour), Les Choses de la nuit interroge, non sans rudesse, le sens et l’impermanence de l’existence. Mais la gravité n’interdit pas le désir, ni n’empêche la poésie. Si bien que le roman se double peu à peu d’un hommage presque espiègle à la musique, à la chanson, au cinéma – aux choses de la vie.
Céline Righi - Les Choses de la nuit
Sur le site des Éditions du Sonneur