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Marc Villemain
21 novembre 2024

Cinéma : Le Royaume, de Julien Colonna

 

 

Voilà donc deux films français consécutifs sur la Corse et ses troubles séculaires : après « À son image », de Thierry de Peretti (dont j’ai parlé ici), voici « Le Royaume », premier film de Julien Colonna, fils de Jean-Jérôme, parrain présumé de la Corse-du-Sud qui trouva la mort en 2006 dans un accident de la route (ce que le film, prenant ses libertés, ne montre pas vraiment), événement qui entraîna de facto toute une série de règlements de comptes sur l’Île de Beauté. Si le film de Peretti sortait déjà du lot, tout en péchant selon moi par un excès de sophistications et de menues complaisances, celui de Julien Colonna, qui ébranle plus profondément, fait montre d’une remarquable maturité.

 

Sans doute cela tient-il au fait que le réalisateur se tient résolument à son parti (au prix peut-être d’une certaine ambiguïté quant aux faits et plus encore aux méfaits du Colonna réel, auquel aucun spectateur ne peut s’empêcher de songer) : celui de montrer la fabrique progressive, méthodique d’un lien puissant entre un « bandit d’honneur » et sa fille qui, devenue adolescente, n’accepte plus d’être tenue à l’écart de ce qu’elle devine, surprend ou comprend, de même que les chemins que peut emprunter (pour le meilleur et pour le pire) la transmission d’un héritage familial implacable. Cette relation filiale est donc le thème revendiqué du film de Julien Colonna, et c’est bien là sa liberté ; la chose s’entend d’ailleurs parfaitement eu égard à sa propre expérience, quand bien même il aime à insister sur la part fictionnelle du film. Reste que cette relation, qui ne va pas de soi, est splendide tant elle est absolue et magnifiquement incarnée par deux comédiens non-professionnels : Saveriu Santucci (berger et guide de montagne dans la « vraie » vie), incroyablement crédible dans son rôle de père aimant et de chef de clan froid et mystérieux, et Ghjuvanna Benedetti (étudiante infirmière et pompier volontaire à la ville), incandescente dans le rôle de sa fille, Lesia. La toile de fond est violente, on s’y attend, mais tout passe par les yeux de cette adolescente emplie de désirs et de doutes, et par ceux de ce père dont chaque trait s’adoucit en sa présence. Julien Colonna filme avec autant de brio les scènes d’action, peu nombreuses mais taillées à l’os, qu’une certaine idée de la Corse, tantôt sèche et nerveuse, tantôt alanguie sous ses moiteurs. Jusqu’à égrener au cœur d’un récit très tendu, très épuré dans son intention, un je-ne-sais-quoi de langoureux. Probablement un des films français les plus saisissants de l’année 2024.

 

 

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