THEATRE : Retour au désert -Bernard-Marie Koltès
Alors que l'étoffe bleu/blanc/rouge semble vouloir recouvrer quelque vigueur (électorale) aux balcons de la francité, l'entrée de Bernard-Marie Koltès au répertoire de la Comédie Française, avec une pièce sur les séquelles de la guerre d'Algérie, a quelque chose du pied de nez dont on aurait grand tort de ne pas se réjouir. Reconnaissons donc à Muriel Mayette qui, au "Français", a succédé à Marcel Bozonnet dans les conditions que l'on sait, une certaine iconoclastie. Il peut certes paraître étrange de faire entrer Koltès au répertoire avec une de ses très rares pièces qui fût une comédie. Mais on nous rétorquera que Molière fait figure en ces lieux d'auguste prédécesseur, ce qui n'est pas un mauvais argument ; ce choix, de toute façon, n'est pas ce qu'il importe de discuter.
Car notre gêne vient d'ailleurs. Il semble en effet qu'on ait cherché à purger ce texte de sa part de drame pour n'en faire saillir que les reparties les plus allègres, les situations les plus cocasses ou les scènes les plus boulevardières (qui ne sont pas, loin s'en faut, les plus abouties). Sans doute le texte est-il volontairement hétéroclite, sans doute joue-t-il sciemment de la confusion des registres et de l'immixtion de l'onirique dans le réel, sans doute même était-il de la volonté de l'auteur de nous faire rire, fût-ce en grinçant. Mais cela n'explique pas une mise en scène que les velléités de modernité font parfois chuter trop bas. Je pense ici à la déclamation de Martine Chevallier, pantalon en jean devant le rideau rouge, tenant à la main un micro à la réverbération exagérée, numéro d'animateur dont je ne m'explique toujours ni le sens, ni l'intérêt artistique. Ou encore à ces scénettes qui confinent aux sketchs, c'est-à-dire où le comique de situation et de posture emporte le fond tragique. Et il faudrait dire un mot aussi de l'apparition dans le ciel d'une ancienne épouse décédée, selon un procédé qui n'a, lui, rigoureusement rien de moderne, mais qui au contraire ferait s'esclaffer dans le moindre vaudeville. Tout cela ne crée pas même une atmosphère, qui aurait pu être réussie à force d'être singulière, mais interdit au contraire que toute ambiance s'installe. A force de ne plus savoir s'il faut ou pas sourire, à force de douter du rire, on perd le fil de l'action pendant que le texte perd de son sens. La légèreté et le premier degré rendent l'ensemble grotesque, quand le grotesque se serait satisfait de n'être que suggéré.
Bien entendu, tout n'est pas aussi décevant - pas mauvais, décevant. Même si on peut avoir l'impression que les acteurs peinent à s'y retrouver (et comment ne pas les comprendre ?), ils font preuve d'énergie, et d'abnégation. Michel Vuillermoz est assez magistral dans son rôle de nouveau riche arrogant et cynique, et Grégory Gadebois est parfait dans le rôle du fils paumé, tétanisé par le père, fantasmant une émancipation qui passerait par la prise de l'uniforme. Bref, les acteurs ne sont pas vraiment en cause, mais c'est un peu comme si eux-mêmes échouaient à trouver la bonne voix, le bon espace, le bon créneau. Même Catherine Hiegel, évidemment très juste, me semble pourtant légèrement en retrait, et je ne crois pas que cela tienne seulement au fait qu'elle n'ait ici qu'un second rôle. Reste que la mise en scène de cette pièce était sans doute un défi, tant l'auteur lui-même a pris un malin plaisir à mélanger les genres et les registres. Mais si elle passe à côté, sans doute est-ce d'avoir opté pour une lecture exagérément immédiate, littérale. La musique, composée pour l'occasion par Michel Portal, permet d'habiller les changements de scènes et de redonner une profondeur inquiétante à la pièce. Mais ce n'est pas suffisant, et surtout cela ne tient pas très longtemps. Dommage.