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Marc Villemain
5 juillet 2007

Pierre Jourde, la fin

Suite et fin de "l'affaire Pierre Jourde" (évoquée sur ce blog le 22 juin dernier), avec la décision du tribunal correctionnel d'Aurillac de finalement condamner les cinq habitants de Lussaud, trois femmes et deux hommes, tous agriculteurs, à deux mois de prison avec sursis et 500 € d'amende pour le plus âgé d'entre eux (72 ans). Ce à quoi il faut ajouter 4 200 € de dommages intérêts pour le préjudice moral, et 2 400 pour le préjudice matériel. Signalons également que le plus âgé des prévenus fut frappé par Pierre Jourde, en effet très largement en état de légitime défense, qu'il passa plusieurs heures dans le coma, que ses blessures nécessiteront dix-neuf point de suture et provoqueront une perte d'acuité visuelle. Rappelons enfin que, initialement, le Parquet avait requis six mois avec sursis contre l'ensemble des prévenus.

D'aucuns se satisferont de cette clémence relative, arguant de l'inévitable exposition de l'écrivain lorsqu'il dresse des portraits peu flatteurs de gens qu'il connaît, qui par ailleurs ne semblaient lui manifester jusqu'alors que de la sympathie, à tout le moins une indifférence bienveillante, et dont on ne peut exiger qu'ils admettent spontanément les lois du genre romanesque. D'autres considèreront au contraire le grotesque de ce jugement, qui dégrade le principe de liberté artistique et romanesque en fait divers, et se seraient sans doute contentés d'une admonestation et d'une bonne frousse au tribunal, leçon de chose à l'appui. Pour ma part, immédiatement, je serais enclin à penser un peu tout cela à la fois : c'est dire mon embarras. Enclin à penser, en effet, que nul ne peut impunément frapper un homme, menacer sa famille et lancer des insultes à caractère raciste à des enfants, et que, en l'espèce, l'art du roman exige de la société et de ses membres qu'ils acceptent de laisser toute sa liberté à l'écrivain ; mais enclin aussi à penser qu'il y a un côté un peu ridicule, de la part dudit écrivain, à ne pas se contenter d'un jugement qui, quoiqu'il en dise, établit une culpabilité - seule chose qu'il soit légitimement en droit d'attendre d'une décision de justice. Car la déclaration de Pierre Jourde à l'issue du jugement, manifestement surpris que soit évoquée une "décision d'apaisement", et considérant que "ce jugement est très indulgent par rapport aux faits", me met mal à l'aise. Je ne me réjouis pas, en effet, d'entendre de la bouche de cet écrivain, toujours partant pour dénoncer les pouvoirs institués et toujours en tête des cortèges qui stigmatisent les puissants, que la justice n'a pas frappé assez lourdement. On aimerait d'ailleurs, au passage, savoir l'idée qu'il se faisait d'un jugement qui lui aurait semblé juste, et quelle décision de justice l'aurait agréé. L'ère de répression tous azimuts que nous traversons nous fait regretter cette confusion, devenue hélas ordinaire, entre l'établissement d'une culpabilité et l'alourdissement exponentiel des sanctions afférentes. Un moraliste se serait pleinement satisfait que la culpabilité soit publiquement reconnue, et aurait tout aussi publiquement demandé que l'on passe l'éponge, gageant que l'attitude du seigneur peut aussi constituer la plus noble et la plus opérationnelle des leçons de civisme.

Commentaires
A
Cher Marc,<br /> <br /> D'accord avec vous sur le principe.<br /> <br /> IL y a toujours quelque chose de la vengeance dans une décision de justice, ou plus exactement, une délégation de violence mise à distance.<br /> <br /> Jourde, non dénué de violence, apparaît tel qu'il est ici: un peu haineux.<br /> <br /> Se déprendre de la haine, difficile tâche, presque surhumaine.
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M
Une réserve : la décision de justice n'est pas aussi inintéressante qu'il y paraît. Nous ne sommes certes ni dans la littérature, ni dans la poésie, mais elle signifie quelque chose, elle fait sens dans l'économie générale (pardonnez ce jargon d'expert) des lettres et des lecteurs.<br /> <br /> A cette nuance près, je partage tout ce que vous écrivez. Et la question que vous posez est sans doute la seule qu'il faille se, ou lui, poser. C'est, dans sa formulation même et dans son principe, la question de la littérature.
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M
Cher Philippe,<br /> Je pense comme toi, en effet, que Jourde est un "fou de littérature" - et c'est pourquoi il ne m'aurait pas déplu qu'il le demeure jusqu'au bout. <br /> Et je veux bien croire, et penser, en effet, qu'il est un peu moins matamore que par le passé ; sans doute aurais-je dû également le souligner.<br /> Pour le reste, et puisque tout finit toujours par des symboles, puisque c'est une affaire de valeurs et qu'aucune valeur ne saurait avoir d'équivalent fiduciaire, peut-être aurait-il pu se satisfaire d'un euro symbolique. C'eût été de bonne communication, la culpabilité des prévenus n'aurait pas été moins établie, et son honneur n'y aurait rien perdu.<br /> Enfin, évidemment, je te reconnais dans la conclusion de ton commentaire ; qui résume très bien le paysage et sonne parfaitement juste...
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F
La décision de justice m'importe peu. Ce qui compte finalement c'est l'histoire. L'apaisement n'existe plus ou n'a jamais existé. Au demeurant, Pays perdu ne consiste pas à apaiser, ni l'écrivain, ni les habitants qui se sont reconnus, en lisant le livre je suppose. <br /> Pays perdu est du pur Jourde, une toile consistant à peindre les traits d'un genre humain.<br /> Jourde s'y veut libre et les pierres jetées sont une réponse à une autre liberté. <br /> Pour quelle(s) raison(s) avez-vous réellement écrit Pays perdu ? Voici ma question.
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D
Je viens de découvrir tes deux articles sur "Jourde vs. Citoyens d'Aurillac". Je me sens dans le même état d'esprit que toi, partagé donc. Sais-tu que L'esprit des péninsules cesse ses activités ? Du moins, le silence de Naulleau signerait un arrêt d'activité... J'ignorais aussi que Jourde et Naulleau t'avaient brocardé ainsi à la sortie de 'Monsieur Lévy'. Celà dit, quand tu écris : "Je ne me réjouis pas, en effet, d'entendre de la bouche de cet écrivain, toujours partant pour dénoncer les pouvoirs institués et toujours en tête des cortèges qui stigmatisent les puissants, que la justice n'a pas frappé assez lourdement.", je me permets de ne pas être tout à fait d'accord avec ce "toujours partant"... Jourde est je trouve de moins en moins partant, un peu moins chaque jour, j'y perçois même dans ce "relâchement" comme d'une mollesse, d'une sorte de dévolution : n'a-t-il pas fait assez parlé de lui à coups de scandales "littéraires" depuis ces dix dernières années ? D'accord avec toi sur son côté moral : de la morale dans les Lettres, il fut le parangon mais un temps seulement, le temps justement de produire des romans épais et somme toute, puisqu'il s'agit de ça, et que je l'ai lu, la chose ne m'aura pas procuré un "immortel souvenir". Je le sais susceptible, capable de mépris, possédant une haute idée de lui-même, mais au fond, c'est un fou de littérature, un nostalgique des années de la claque (1920-1960), autrement dit, Jourde c'est perdu dans notre temps. J'ai un peu de mal à accorder des excuses aux moments d'égarements d'une personne qui a souhaité devenir membre de la police des Lettres. Mais bon, quelle importance ? Bernard Werber vend, c'est l'essentiel.
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