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Marc Villemain
4 février 2012

Dream Theater - Le Zénith - Paris, 3 février 2012 (+ extraits video)

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L
orsque j'étais gamin, mon entourage daubait toujours sur les hardos, ces brutes assurément joviales mais méchamment houblonnées ; le jugement était toutefois et systématiquement modéré par ces deux considérants de poids : c'est vrai qu'ils font de jolis slows et que leurs guitaristes ne sont pas manchots. Après un coup d'oeil furtif sur mes poignets très cloutés et la résille noire qui me couvrait les avant-bras, on s'entendait enfin sur l'idée que je traversais une période difficile, s'il en est, de l'existence : l'adolescence. Soit. Tout, dans le metal, n'est pas toujours d'une infinie finesse - si vous me passez cette allitération délicate. Quoique le genre n'ait pas l'exclusif apanage de la gaudriole. D'autant que les choses ont tout de même pas mal bougé, le genre rencontrant désormais un succès (au moins) planétaire. Ce qui, c'est systémique, charrie le meilleur comme le pire, c'est entendu. Il n'empêche. Si l'on pouvait, il y a trente ou quarante ans, s'en sortir avec quelques accords de blues, un bon ampli Peavy et une certaine rage au ventre, les (vrais) musiciens ont depuis envahi le metal au point de le faire parfois copiner avec le jazz et la musique dite classique. Si, à mon époque (ça va, papy ?), la virtuosité ne concernait guère que les gratteux à six cordes, l'arrivée, dans les années 90, d'un groupe tel que Dream Theater, a profondément modifié l'image que le milieu musical se faisait de ce "sous-genre." A l'aise à peu près dans tous les registres, tous enseignants dans les plus grandes universités de musique, les Dream Theater ont pour eux d'avoir l'oreille libertaire et d'être des fous de musique avant d'être les fans d'un genre. Ils sont tous d'ailleurs de formation peu ou prou classique, ce qui donne sans doute autant de bases que cela permet de s'en émanciper.

IMG_0015Ces quasi vétérans ont prouvé hier soir encore, dans un Zénith plein à craquer autant qu'il fut chaleureux, combien ils méritent leur place au panthéon des très grands groupes de l'histoire. Et s'il n'est pas interdit de trouver que leur dernier album, A Dramatic Turn of Events, pèche parfois par une légère mais froide complexité, l'épreuve de la scène montre que, à ce niveau-là de la technique instrumentale, cela n'affecte en rien ce que nous aimons aussi du rock : ses plaisirs cabotins, ses effluves dissidentes, sa théâtralité. La musique de Hans Zimmer ouvre opportunément le bal, suivi de l'Agnus Dei du presque déjà culte Bridges in the Sky. Les trois-quarts du dernier album vont y passer, mais, et c'est là le privilège des groupes de ce niveau et de cette notoriété, une tournée promotionnelle n'est jamais pour eux qu'une occasion supplémentaire de peaufiner la légende. Ainsi, même si cela ne peut être qu'un survol, nous avons droit à quelques heureuses incursions dans l'épopée du groupe, jusqu'à A Fortune of Lies, tirée du premier album, en 1989. Prise de risque bienvenue avec le tortueux 6:00, de l'album Awake (1994). Et succès assuré, bien sûr, avec le romantique, lyrique et très floydien The Spirit Carries On, extrait, lui, de ce qui est sans doute mon album préféré, Metropolis : Part II - Scenes of a Memory (1999.) L'enchaînement de deux morceaux acoustiques (The Silent Man, 1994 & Beneath the Surface) ne constitue sans doute pas le moment le plus marquant du concert ; cela eut le mérite toutefois de poser les choses et d'étayer l'ambition et la liberté du groupe. James LaBrie et John Petrucci sont assis sur leurs sièges comme deux folk singers de l'âge d'or, et il faut bien, aux premiers rangs, que les copains remisent leurs cornes du diable pendant un petit quart d'heure. Les puristes apprécieront les deux morceaux issus du Six Degree of Inner Turbulence, album dur, sans concession ; charge à l'album Images & Words (1992), qui contribua beaucoup à la mise en gloire du groupe, de parachever le triomphe du soir - notamment sur le rappel, Pull Me Under.

Je ne dirai pas grand'chose des musiciens en tant que tels, tant ce que j'aurai à en à dire sera convenu : c'est l'excellence même. John Myung à la basse (essentiellement six cordes) confirme ce que l'on sait déjà, à savoir qu'il est, depuis dix ans, l'un des meilleurs dans son genre ; aucunement démonstratif, habité, il joue comme d'autres jonglent ; Jordan Rudess, dont on sait ce que le groupe IMG_0059lui doit, est en très léger retrait, conformément au style du dernier album ; James LaBrie, grand bonhomme au charisme jovial et au regard clair, a su, avec le temps, étoffer son chant et lui donner une authentique profondeur - que l'on soit ou pas sensible à son timbre ; que dire de John Petrucci qui n'ait été dit déjà ? Invraisemblable guitariste, véloce, précis, au charisme rentré, il est toujours l'incontestable star. Mais nous étions bien sûr un peu plus attentifs à la prestation de Mike Mangini, successeur de l'impressionnant Mike Portnoy, membre fondateur du groupe qui, que l'on me pardonne cette facilité humoristique, n'avait, derrière ses fûts, guère de complexes. En s'en remettant à Mangini, le moins que l'on puisse dire est que Dream Theater ne prenait pas de risques : le bonhomme a commencé la batterie à l'âge de cinq ans et, tout gamin, s'amusait à refaire les solos de Buddy Rich ; auteur de plusieurs ouvrages sur les techniques rythmiques, enseignant à Berklee, il est par ailleurs détenteurs de cinq records du monde de vitesse à la batterie. S'il m'arrive plus souvent qu'à mon tour d'éprouver quelque impatience lors de la séquence obligée du solo de batterie, là, il faut bien dire que le problème ne s'est guère posé. Mangini tape fort, c'est certain, mais pas spécialement plus fort qu'un autre : surtout, il fait montre de bien plus d'imagination que la grande moyenne de ses confrères, et c'est peu dire qu'il a le polyrythme dans la peau.

Voilà donc plus de vingt ans que Dream Theater décline cette identité hybride et cette musique à la fois sombre et lumineuse, violente et mélodramatique, énergique et savante. Le déferlement technologique auquel le groupe est coutumier n'affecte rien du lyrisme et de la passion instrumentale de ces musiciens hors pair : c'est aussi cela, je crois, que le public acclame. Et nous repartons avec les images dont Dream Theater est le meilleur des pourvoyeurs, celles d'un monde brutal, mélancolique, torturé, mais empli de lumière, bourré d'énergie et traversé de larges ouvertures vers le grand ciel : Dream Theater mérite bien, comme on l'avançait lorsque le groupe naquit, sa qualification de Floyd du metal.

EXTRAITS VIDEO

1er extrait : Arrivée sur scène - Début de Bridges in the Sky


Dream Theater - Le Zénith - Arrivée sur scène - Début "Bridges in the Sky"

Second extrait : Breaking All Illusions (extrait - solo Petrucci)


Breaking All Illusions - Dream Theater - Le Zénith, Paris, 3 février 2012

SETLIST

- Dream Is Collapsing (Hans Zimmer)
- Bridges in the Sky
- 6 :00
- Build Me Up, Break Me Down
- Surrounded
- The Root of All Evil
- Drum Solo
- A Fortune in Lies
- Outcry
- The Silent Man
- Beneath the Surface
- On the Backs of Angels
- War Inside My Head
- The Test that Stumped Them All
- The Spirit Carries On
- Breaking All Illusions
- Rappel : Pull Me Under

Commentaires
M
Quel exposé! je vous reconnais bien là... Un concert, ô combien tentant! Mais dans mon purgatoire sudiste, les concerts se font si rares...
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M
Eh bien, je n'ai guère qu'à vous remercier d'avoir pris le temps de lire ce petit billet - qui est bien loin d'être complet, n'est-ce pas, mais enfin... Cordialement. MV
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P
Bonjour,<br /> <br /> bravo pour votre article qui résume bien toute la somme de travail et de talent qu'il faut réunir pour arriver à une telle musique qui réunit et transforme certaines constantes du métal et du progressif pour accoucher d'un style absolument unique, une énergie pure, noire mais intense, un lyrisme épique que ce concert a célébré. J'aime bien votre conclusion sur l'image du monde que relaie leur musique et le rapprochement inévitable avec Floyd.<br /> <br /> Cordialement.
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M
Franchement, s'agissant de LaBrie, je ne me suis pas posé la question. En fait, il s'éclipse pendant les longs passages instrumentaux ; passe derrière la batterie et s'en va boire un verre. Ce qui est toujours mieux que de rester sous les sunlights en faisant du headbanging, non ? (à son âge...!). <br /> <br /> <br /> <br /> Ayreon, oui, bien sûr. Excellent. Me manque pourtant quelque chose chez eux ; une chaleur, un lyrisme ; l'impression d'écouter un vrai groupe. Mais, bien sûr, The Human Equation est exemplaire.<br /> <br /> <br /> <br /> Merci, chère amie lettrée, d'être, si je puis dire, sortie un peu des "clous"... ;-)
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D
Merci pour ce compte-rendu... et ces extraits, alléchants!<br /> <br /> <br /> <br /> Petite question ceci dit : James LaBrie a-t-il enfin trouvé que faire de sa personne sur scène pendant les temps morts ?<br /> <br /> <br /> <br /> Et une non moins petite question-suggestion : vous qui aimez tant Scenes of a memory (mon album préféré, également), avez-vous écouté ce petit bijou qu'est "the human equation", d'Ayreon ?
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