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Marc Villemain
5 juillet 2023

Il faut croire au printemps lu par Anaïs Lefaucheux

 

On the road (again)


La scène d’ouverture est digne d’un moment de cinéma. De nuit, vers Étretat, un homme roule, son fils bébé à l’arrière, et un corps dans le coffre, dont il doit se débarrasser. Ce sera chose faite.

 

Le récit rembobine ensuite le fil des événements (quand l’homme en question, musicien de jazz, rencontre la mère de l’enfant dans son club- la musique occupant une grande place dans le texte) avant de nous projeter une dizaine d’années plus tard au sein d’un road-trip père-fils d’une grande sensibilité, entre Bavière et Irlande. C’est que l’enfant aimerait comprendre ce qu’est devenue sa mère. Son père s’obstine à lui dire qu’elle a disparu un beau jour sans laisser de trace, mais l’enfant veut savoir, veut chercher, veut la retrouver. Ce vide béant qu’elle a laissé, il faut bien tenter de le remplir de projets, d’initiatives. Ce sera ce grand voyage international auquel nous assistons, les personnages se laissant porter par les pistes plus ou moins vagues qu’on leur indique.

 

La richesse de ce récit, ce sont notamment les allers et retours entre les personnages extérieurs, satellites tous prompts à apporter leur aide à ce touchant duo en quête de la femme de leur vie ; et l’intériorité agitée, anxieuse et lacrymale du père, qui sait qu’il ment et entretient son fils dans un mensonge qu’il a bâti de toutes pièces.

 

Le lecteur comprend bien vite que cette affaire cache un secret bien trouble, qui rappelle de tristes faits divers : un baby blues, une dispute qui dégénère, une chute malencontreuse, un accident mortel et voilà le père contraint de dissimuler le corps de sa compagne puis de faire accroire à une tout autre version des faits, pour éviter la condamnation qui aurait fait de son fils un orphelin total.

 

Tout le roman tourne autour de la question du crime et du châtiment.

 

Le personnage a beau chercher à faire diversion, à se mentir à lui-même, il est dévoré par la crainte d’être confondu, mais aussi par le remords et la culpabilité. Tiraillé entre l’envie de vider ce sac qui lui pèse depuis une décennie et la volonté de tourner définitivement cette page macabre, comme si elle n’avait jamais existé. Alors, il entre dans le jeu de ce fils pour lui faire plaisir, et part avec lui sur les routes pour donner l’illusion qu’il cherche et y croit encore.

 

Mélancolique à souhait, le roman tisse de belles symphonies humaines et amoureuses des rencontres et hasards qui vont se mettre sur la route du père et de son fils et faire de ce voyage une sorte d’initiation inoubliable. « Il faut croire au printemps » fait aussi la part belle à ces repas et boissons partagées, aux liens qui se tissent dans ces instants, avec générosité, hédonisme et une belle simplicité. Voilà qui m’a beaucoup évoqué, qu’il s’agisse de l’atmosphère générale, entre pluie et beau temps ou de ces chaleureuses séquences conviviales, le roman lu récemment de Pascal Garnier, « La théorie du panda ».

 

C’est d’abord l’employée de l’hôtel en Bavière, Mado (écho à un précédent roman de Marc Villemain, pour les connaisseurs) qui va émouvoir et émoustiller le père, avec qui il va se balader ça et là, une romance se dessinant … Le roman est dépaysant et donne envie de prendre le volant et le large, à l’aventure, disponible à l’événement. Le père est également déchiré sur les questions amoureuses, avec le sentiment de mentir à tout le monde et la conscience cruelle qu’il ne saurait mériter un amour sincère, étant donné qu’il se considère comme un meurtrier.

 

Puis, l’histoire nous emmène en Irlande, carte postale très alléchante, où père et fils vont faire la connaissance de Marie, une avocate française qui va faire chavirer le personnage et lui redonner goût à l’amour. Et surtout au droit de se l’accorder.

 

Je ne voudrais pas « spoiler » plus avant ce touchant roman qui, non content de nous offrir un scénario abouti, nous fait drôlement voyager, tout en posant d’insondables questions existentielles, déjà soulevées par Sophocle ou Dostoïevski sur la culpabilité et comment survivre avec la conscience d’avoir mal agi, d’avoir tué, d’avoir menti.

 

On pense aux dix commandements, aux péchés capitaux, des réflexions bibliques et éternelles transpirent de ces lignes.

 

Traitées avec une plume d’une belle poésie et avec un humanisme au (très) grand cœur, ces considérations font de « Il faut croire au printemps » un roman juste et émouvant qui s’avère être une véritable ode à la vie et à ses infinis champs de possibles, une fois la paix faite avec soi.

 

Superbe.

Anaïs Lefaucheux
À lire en ligne sur le blog d'Anaïs Lefaucheux

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