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Marc Villemain
25 août 2023

Il faut croire au printemps lu par Jean-Pierre Longre

Lecture sur le site de Jean-Pierre Longre

 

De la mort à l'amour

Il y a l’intrigue, et il y a tout le reste. En ce qui concerne l’intrigue, pas de véritable suspense : les premières pages racontent comment le protagoniste, musicien de jazz, jette le cadavre de sa compagne du haut d’une falaise d’Étretat, leur bébé blotti dans son couffin sur la banquette arrière de la voiture. Et l’on connaîtra peu à peu les circonstances du drame : l’amour pour cette femme qui venait l’écouter jouer tous les soirs, la dégradation progressive, celle de la femme et celle du couple, les disputes, jusqu’à la plus violente de part et d’autre et ses conséquences. Voilà le point de départ, la cause de « tout le reste » qui fait l’objet du roman.

 

Dix ans ont passé, accompagnés du sentiment de culpabilité et du mensonge constant, puisque tout le monde croit à la disparition, non à la mort. Quelqu’un ayant cru voir sa compagne en Bavière, il joue le jeu de la vérité fictive et va voir sur place, accompagné de son fils ; là-bas, il va rencontrer Mado, serveuse dans l’hôtel où ils sont descendus, Mado qui, avec sa simplicité et son sourire de belle jeune femme, fait la conquête du père et du fils. Mais ceux-ci doivent repartir, car on leur a signalé que leur compagne et mère serait allée en Irlande, dans le comté de Cork. Nouveau départ, donc, nouveaux paysages, nouvelles rencontres, dont celle de Marie, avocate séduisante, qui s’occupe dans la région d’une affaire médiatique de meurtre (transposition romanesque d’une affaire réelle qui, en 1996, a défrayé la chronique). Marie, compréhensive et déterminée, fait à son tour la conquête du père et du fils…

 

Ainsi l’intrigue meurtrière est-elle devenue périple européen, quête itinérante d’un fantôme plus qu’improbable. Et finalement, c’est encore tout le reste qui compte le plus : la musique, amie de tous les instants, sombres ou lumineux, plus indispensable encore que les mots : « Les mots, ça engage trop, et après tout la musique peut bien servir à cela – à s’en jouer, des mots : la musique comme trompe-l’œil, comme camouflage, comme un présent à ceux auxquels précisément les mots font peur, pour les autoriser à se déclarer, à déclarer leurs flammes, leurs peines, leurs remords ou leurs espoirs, sans qu’ils aient à rougir, ni à souffrir l’affreuse sensation de mise à nu. » Et aussi la relation complexe, riche de tendresse et de compréhension, entre le père et son fils de 10 ans : « Entre eux il s’étonnait toujours de correspondances naturelles, pour ainsi dire magiques. Étrangement, il aimait chez lui ce contre quoi il luttait en lui-même : une disposition à la réclusion, au mutisme et à la rêverie. Il aimait que son fils ne souffrît pas des fascinations ordinaires de ceux de son âge et ne fût pas dupe de l’écume des choses. À quoi d’ailleurs il n’était pour rien : l’enfant était né ainsi. Il n’emmagasinait pas seulement le monde alentour, il s’y ouvrait et le laissait jeter en lui ses racines. » Et enfin l’amour, qui se dit ou ne se dit pas, pétri de pudeur ou hérissé de sensualité.

 

Au-delà de quelques détails malicieux, qui nous font par exemple retrouver quelques noms rencontrés dans des romans antérieurs (Géraldine Bouvier, Mado, Marc Villemain lui-même), Il faut croire au printemps est un roman au style délicat et précis (qui au passage ne rechigne pas devant l’emploi du subjonctif imparfait, et c’est justice), un roman plein de sensibilité, de confiance dans le genre humain (une confiance qui ferait presque oublier le mensonge initial), un roman qui traque et saisit les émotions irrépressibles d’un homme à qui le destin a apporté, inséparables de la vie, le cauchemar et l’espoir, le malheur et le bonheur.

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