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Marc Villemain
26 février 2008

Mon désolationnisme

J'avoue n'avoir jamais été particulièrement fier de mon pays. Je l'ai toujours aimé, parce que l'homme est ainsi fait que quelque chose en lui le voue à aimer de manière plus ou moins inconditionnelle ce qui l'a fait advenir, le lieu et le temps où il a pris vie, mais, aussi loin que je puisse remonter dans ma génération, il s'avère que les motifs de fierté patriotique sont pour ainsi dire inexistants. Je sais qu'il est tentant de préférer ce que l'on connait moins, qu'on ne déteste jamais autant que ce que l'on connaît le mieux, que la pensée magique peut prendre la forme aguicheuse d'une tentation de l'ailleurs : à cette aune, je me défie donc de mes propres impressions. Mais de la France, je suis surtout fier de ce qui ne lui appartient pas en propre, en tout cas malgré elle (sa géographie), ou de ce qui témoigne d'un ancien génie qui a déserté (sa culture et son histoire.) Aussi le sentiment d'appartenance peut-il ne pas se doubler d'un sentiment d'adhésion : je sens que j'appartiens à un pays, je sais que je n'y adhère pas. Il ne s'agit pas d'un rejet de principe, et certainement pas d'un rejet en bloc, mais de l'enracinement progressif d'une inconsolable tristesse devant le spectacle, non pas forcément du "déclin", mais d'une vigoureuse progression vers la déchéance.

Cette impression s'est bien sûr accrue avec l'élection de Nicolas Sarkozy, qu'accompagnent de concert le cynisme pornographique d'une droite qui peut en effet se targuer d'être décomplexée, et la bêtise d'une gauche dont les "nouveaux militants" ne trouvent rien de mieux à proposer qu'une charité de proximité teintée de fascination pour tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à du moderne. Elle prend toutefois ses racines bien avant ce funeste événement - sans que je puisse d'ailleurs la fonder avec précision dans l'histoire. Ceux de mon âge ont hérité d'un pays, voire, en partie, d'un continent, qui s'était peu ou prou libéré des carcans les plus tangibles de l'ancienne morale. De cela, nos parents sont sans doute assez fiers et, même si le bouillonnement caractéristique des années 70 a aussi produit ce lot d'inepties et de désinvolture dont nos "bobos" sont les héritiers directs, leur relative fierté est en partie compréhensible. Elle l'est d'autant, et surtout, que nous-mêmes, leurs enfants, ne trouveront rien de mieux à transmettre au futur qu'un pays devenu carcéral, truffé d'instincts, sans mémoire ni dessein, dont la sentimentalité bigote côtoie sans contradiction apparente une aspiration profonde (et de moins en moins secrète) à l'ordre et à la délation, un pays où le conservatisme peut prendre les atours avantageux de la jeunesse, de la gaieté, de la fête et du lien social.

Face à cela, trois attitudes possibles.
La première : ne pas abdiquer. Continuer la lutte. Plaider les racines de l'ancien monde sans jamais oublier ce qu'il contenait d'inique et d'effrayant, entailler le réel, résister afin que l'activisme et le bougisme ne défassent complètement ce qui nous fit.
La seconde : s'assurer qu'on passera entre les gouttes, rejoindre la social-démocratie, de droite ou de gauche, entretenir le mouvement ou son illusion vers un meilleur possible, une dignité à portée de main, un sens que l'on pourrait recouvrer.
La troisième : tourner le dos, rentrer chez soi, attendre que tout finisse car toute chose finit par finir, préférer le poids de sa culpabilité à l'échec programmé de sa bonne volonté, nettoyer son terrier et espérer que tout cela ne soit pas trop indigne.

Plus jeune, je me serais érigé en juge de ces trois attitudes : il n'y a pas de pire procureur qu'une jeunesse pleine d'idéal. Aujourd'hui, et très probablement demain, il me paraît évident, naturel et souhaitable, que chacun puisse se déterminer aussi librement qu'il en sera capable. Et advienne que pourra.

 

Commentaires
P
Vous avez raison et tord à la fois. En effet l'efficacité de la Démocratie est de créer une alternance de la Droite et de la Gauche. Avec une droite trop prolongée dans le temps, on stagne, avec une gauche trop prolongée, on avance trop vite. De plus le jeu s'est complexifié dans la politique car il existe à droite autant qu'à gauche des réfractaires à la Mondialisation. Même si la mondialisation est libérale et on le sait, il faut reconnaître ue seule la mondialisation peut étendre la Démocratie et élever les niveaux de vie. Donc comprendre maintenant ce qui est progressiste et conservateur est beaucoup moins facile qu'avant, et nombre d'abciens politiques en ont perdu leurs latins, non ? Il me semble donc que vous êtes dans ce cas, perdu dans des nouveaux sens politiques qui émergent, et qui vont devoir forger, inventer de nouvelles oppositions, de nouvelles idées, de nouveaux clivages. Vous avez été un grand déçu de la gauche et vous l'avez quitté. Vous avez quitté les "bobos" de la gauche, l'élite de la Gauche Caviar, les responsables des échecs électoraux depuis Mitterand. Mais Mitterand ne comprenait plus rien à la Politique à la veille de sa mort, non ? Sinon il aurait pu organiser sa succesion en termes d'Hommes et d'idées, non ?<br /> Aujourd'hui il y a deux gauches, ceux qui s'adaptent vers le centre gauche, voire vers le contre droit, et ceux qui en sont restés à la lutte des classes, non ?<br /> Et si on imaginait avec la lutte des classes une lutte pour les libertés individuelles, et une défense des consommateurs ? Et si la Gauche devanait un défenseur de la liberté face à l'informatique policière et commerciale, face aux vidéos de surveillance, face aux tortures et aux viols dans les prisons, face aux collusions des grands groupes qui font des accords illégaux entre eux pour s'entendre sur les prix, face à la pollution chimique dans les produits alimentaires.. renforcer l'adhésion aux Syndicats dans une France qui a le taux de syndicalisation le plus faible des Pays modernes ?<br /> Bref Faire en sorte ce que ni la Droite et ni la Gauche n'ont, n'ont jamais, jamais voulu faire...
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M
Oh, de toute façon, beaucoup de gens disent beaucoup de choses, n'est-ce pas... Pour le reste, vous avez résumé d'une phrase ce que je tentais d'exprimer.
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F
Marc, votre désolationnisme me plonge dans la désolance. Les Lol et ceux qui confondent le sentimentalisme avec le second coeur, celui qui bat bien plus fort que le muscle, diront que le mot n'existe pas. Je n'en ai pas trouvé, mais ça doit se situer entre le néant, une foi qui ne veut pas abdiquer et ma fatigue à poursuivre la civilisation de ma rébellion.
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