Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Marc Villemain
19 novembre 2008

De mon silence

D'aucuns, lecteurs fidèles ou simplement vigilants, s'étonneront peut-être de mon silence, à l'heure où pourraient se jouer, non seulement l'avenir du parti socialiste tel que nous le connaissons depuis trente-cinq ans (et tel que j'y ai, naguère, milité), mais la remise à plat du paysage idéologique français, voire européen.

L'explication par la lassitude, dont je ne saurais nier qu'elle possède bien des fondements, n'en serait pas moins insuffisante - et, selon l'angle d'où l'on se place, en partie injuste. S'il est vrai que ce qui semble mouvoir la vie politique française, et la manière même dont elle se meut, peuvent à l'occasion m'affliger ou me faire sourire, en tout cas me décourager, cette force à l'oeuvre n'en prend pas moins son sens dans l'évolution générale du monde. La lassitude est chose normale : aucun citoyen ne peut décemment se sentir obligé de porter intérêt à ce qui  ne lui apparaît plus que comme un spectacle assez vain, et souvent vulgaire, en plus d'être parfaitement prévisible. Le champ politique ne nous renvoie plus guère qu'une onde d'hystéries cumulatives, faites d'arrangements permanents avec l'histoire et d'augustes certitudes bien réparties : de cela seul, il serait légitime, en tout cas excusable, de se sentir las. Toujours est-il que je ne trouve au fond aucun motif de réjouissance à ce que le champ politique ne suscite plus chez moi autre chose qu'un vague mouvement d'ironie ou de dégoût.

Toute personne qui prêt attention, non seulement à la politique, mais à l'évolution de l'humanité, se retrouve au coeur de trois tentations, qu'il faut tout à la fois et paradoxalement savoir entretenir et éviter.
- La tentation de la nostalgie :
non en raison de ce type de croyance, peu conséquent, qui pourrait conduire à considérer que c'était mieux avant, mais parce que les mouvements politiques contemporains semblent de très piètres héritiers de l'histoire, ce qui les conduit à voir patiner leurs doctrines. L'histoire en effet ne sert plus qu'à cautionner le présent, et l'on n'en use plus que comme d'un impensé fonctionnel dont on manipule les symboles à la seule fin de se placer soi-même dans l'histoire. Cette tentation de la nostalgie, qui ne manque ni d'attraits, ni de ressorts, induit toutefois une forme assez mécanique d'impuissance au présent.
- La seconde tentation est celle de la radicalité, qui fait écho à la précédente et obéit au même sentiment déçu, à la même insatisfaction que procure un présent également étouffant et creux. Elle a pour avantage de secouer les inerties et d'obliger aux remises en question, mais, par indifférence relative au passé, et d'une certaine manière au réel, court le risque de l'échec permanent en s'abonnant à l'impossibilité d'entraîner suffisamment d'adhésion à ses causes ou à ses méthodes.
- Enfin il y a ce que je désignerai par la tentation de la raison, qui induit une rationalisation de l'idée de gouvernance, comme on le voit à l'oeuvre un peu partout, les véritables dirigeants (ou décideurs) étant les experts anonymes et les techniciens de haut vol qui foisonnent dans toute collectivité publique : leur but, mieux : leur mission, se résume à une veille constante afin d'organiser l'adaptation permanente à un système donné.

Tout  cela est bien sûr très schématique, mais il est certain, toutefois, que les forces politiques françaises ont à gérer en leur sein ces multiples tentations, également inopérantes quand elles sont investies séparément, sans doute plus judicieuses dès lors qu'elles sont acceptées et pensées conjointement. Pour revenir à ce qui me fournit l'occasion de ce propos, les différents courants du parti socialiste, auquel on peut adjoindre quelques-unes de ses petites forces d'appoint, se sont longtemps organisés autour de ces trois paradigmes, et continuent peu ou prou à le faire.

Nous ne rencontrerions donc que le changement dans la continuité - même si je ne peux m'empêcher de penser que tout cela se joue tout de même un cran en-dessous de ce que nous avons pu connaître dans le passé. Mon désinvestissement, presque total aujourd'hui, obéirait donc à des mobiles plus personnels. Je ne me satisfais pas, pourtant, de cette impression, récurrente, que toute ingérence du champ politique dans la pensée finit par la salir. Mais si je veux bien m'accuser de tous les torts et de toutes les démissions, je ne peux m'empêcher de déplorer l'état assez pitoyable du discours politique contemporain, que ne contribue pas à améliorer l'arrivée de nouveaux militants, dont on nous dit dans un souffle de béatitude extasiée qu'ils sont plus jeunes, plus énergiques, plus déterminés,  plus mobiles et plus ouverts que jamais, mais dont on peut tout aussi bien penser qu'ils sont moins instruits, moins lucides, moins soucieux des temps humains, de l'histoire et du monde, spécialement dans le cas de ceux qui, adeptes d'une manifestation à peine réactualisée du renouveau charismatique, disent vouloir rallumer tous les soleils, toutes les étoiles du ciel. Dans le meilleur des cas, l'enthousiasme de cette génération montante retombera comme un soufflet lorsqu'elle se heurtera au plafond et comprendra qu'on a beau monter et monter encore, le ciel nous demeurera toujours inaccessible. On fabrique ici, en dépit des apparences contraires, une génération de cyniques.

Le spectacle socialiste a donc des odeurs de vieille soupe à l'oignon. Soit. Ce n'est pas grave, on l'a déjà vu, et cela passera. Ce n'est en tout cas pas suffisant en soi pour se détacher de ce qui se joue ; il suffit de ne pas y prêter plus d'attention qu'il n'en faut. Ce qui inquiète, pourtant, et qui de facto m'éloigne plus encore de ce mouvement, c'est l'audience proprement régressive d'une rhétorique qui confond sciemment la morale et la politique et se joue d'aspirations spirituelles informulées au niveau individuel à la seule fin de combler un désarroi doctrinal et de s'enchaîner à un mouvement de foule. On ne dira d'ailleurs jamais assez combien la complaisance des médias, loin de conforter la légitimité de l'action politique, la discrédite au contraire, et pour longtemps.

Au fond, je reste persuadé qu'a de l'avenir politique celui ou celle qui en reviendra à quelques fondamentaux. Il ne s'agit pas tant de renouveler des têtes, ou d'exhiber une quelconque diversité, ou de bousculer les organigrammes internes, ou de prôner une nouvelle façon (laquelle ?) de faire de la politique, mais de recoudre le fil de la pensée. Or il ne saurait y avoir de pensée politique conséquente sans un substrat culturel qui ne se contente pas d'enthousiasme pour la nouveauté et de dévotion à la masse, toutes choses dont nous découvrons les socialistes obnubilés, et alors que nous attendons toujours de leur part une quelconque charpente doctrinale sur leur vision des relations internationales, de la culture, de la justice ou de l'économie.

Mon silence n'est donc qu'un retrait, à la fois volontaire et contraint. L'âge aidant et le temps passant, je ne vois pas bien ce qui pourrait m'en faire sortir, même s'il est vrai que l'histoire a des raisons que la raison ignore. Je sais en tout cas que la désignation d'un nouveau Premier secrétaire ne devrait pas y changer grand-chose.

Commentaires
D
Toute personne qui prêtE attention, non seulement à la politique, mais à l'évolution de l'humanité, se retrouve au cœur de trois tentations, qu'il faut tout à la fois et paradoxalement savoir entretenir et éviter.<br /> <br /> - la tentation de ne rien faire ? Je peux être attentif mais, effectivement, m'en tenir à mon quant à soi, mon chez moi, en citoyen mou, en quelque sorte.<br /> <br /> - Saint Antoine<br /> <br /> - Sisyphe heureux<br /> <br /> - du suicide
Répondre
D
Toute personne qui prêtE attention, non seulement à la politique, mais à l'évolution de l'humanité, se retrouve au cœur de trois tentations, qu'il faut tout à la fois et paradoxalement savoir entretenir et éviter.<br /> <br /> - la tentation de ne rien faire ? Je peux être attentif mais, effectivement, m'en tenir à mon quant à soi, mon chez moi, en citoyen mou, en quelque sorte.
Répondre
R
de ce que j'en sais, "la base" ne remonte pas en haut de l'appareil, <br /> et d'ailleurs aujourd'hui la messe est dite...<br /> le ps est mort, comme il l'est d'ailleurs depuis bien longtemps, depuis que le vieux est passé à la tête de l'état, entraînant tous les dommages que l'on sait, sans les intérêts <br /> vouloir lui redonner vie était la seule bêtise commise par la dame en question, qui j'espère saura désormais en tirer les leçons et construire ailleurs ce que ceux qui veulent bouger attendent
Répondre
A
On reconnaît bien là ton scepticisme débonnaire, une sorte de pessimisme assez philosophique, qui définit avec de la justesse ce qu'il ne faut pas faire, sans pouvoir établir ce qu'il convient de fonder. <br /> <br /> Il y aura recomposition, à mon avis du PS, au moins sur sa gauche. Le départ de Mélenchon, qui tente de faire die LInke en France, aura une répercussion.<br /> <br /> Le PS se trompe de stratégie, à mon sens, et pour plusieurs raisons. La première est qu'il a vieilli, sociologiquement. Les militants sont vieux, au PS, et le parcours type d'un socialiste dirigeant de section est celui d'une femme ou d'un homme initialement PSU en 68 qui se retrouve conseiller régional rocardien à soixante ans, pas dénué de bonne volonté, mais dépourvu de souffle.<br /> <br /> La deuxième est qu'il est un parti de notables qui tiennent à leurs places, exactement comme l'UMP. Un Georges Frêches en est la caricature pitoyable.<br /> <br /> La troisième est plus fondamentale, et je crois que Jaurès pleurerait toutes les larmes de son corps s'il ressuscitait et assistait au spectacle: les socialistes sont dépourvus de morale, au sens qu'ils sont obsédés par le pouvoir, au détriment du projet - merci François Mitterrand.<br /> <br /> Alors, il reste encore quelques rares hommes de valeur. Ce parti est en voie de molettisation.
Répondre
M
Il me semble un peu audacieux de résumer l'action politique à l'entretien de l'illusion et de l'utopie, m'enfin...<br /> <br /> Juste un mot : je n'ai pas "dénigré", il se trouve juste que je ne partage pas l'inspiration de ce qui anime celle à laquelle vous faites allusion. Ce en quoi, foin de dénigrement, je la critique en effet. <br /> Quant à (re)donner la parole à "la base", outre que cela ne saurait constituer une fin en soi et que ce n'est pas toujours la panacée, c'est à la fois faux et démagogique : la base, dans ce parti, a depuis belle lurette la parole - ce qui, d'ailleurs, n'est pas étranger aux difficultés qu'il connaît. C'est un parti où l'on vote beaucoup en interne ; à tel point que le taux de cotisation a fini par servir d'argument politique...
Répondre