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Marc Villemain
13 novembre 2006

Erreur de jeunesse

Une erreur que je commettais, plus jeune : je pensais que le désir d'amour était plus important, plus décisif, que l'amour lui-même. Je sais aujourd'hui, pour le vivre, que c'était faux.

12 novembre 2006

Baccalauréat


Qui est autorisé à me dire : "tu dois" ?
Ce fut le sujet de l'épreuve écrite de Français du baccalauréat, lorsque je le passais. Rétrospectivement, je me dis que c'est assez drôle d'être tombé sur cette question : je n'ai eu de cesse, depuis, de me la poser. Je n'avais récolté alors qu'un modeste 12/20, mais sans doute ne ferais-je pas beaucoup mieux aujourd'hui — ne serait-ce que parce que je continue d'ignorer la réponse.

10 novembre 2006

Chet, demain

Chet_Baker___Photo_Bruce_Weber
E
ntendre Chet Baker entonner
I Fall In Love Too Easily - et songer à ce qu'il nous restera, un jour, plus tard, demain, quand tout sera fini.

10 novembre 2006

Douleur visionnaire

KafkaFragments du Journal de Kafka, que j'avais naguère recopiés tels quel.

Nous sommes en 1911, Kafka a vingt-huit ans. Il est persuadé qu'il n'atteindra pas la quarantaine - et ne se sera trompé que d'un an. Il ressent une tension dans la partie gauche de son crâne. Voici ce qu'il en dit : "Cela me donne la sensation d'une dissection presque indolore pratiquée sur le corps vivant où le scalpel, qui apporte un peu de fraîcheur, s'arrête souvent et repart ou reste parfois tranquillement posé à plat, continue à disséquer prudemment des membranes minces comme des feuilles, tout près des parties cervicales en plein travail".

Plus loin encore, cette vision qui m'a très longtemps poursuivi, qui parfois a nourri mes rêves et, je crois, un peu de mon inspiration : "Sans cesse l'image d'un large couteau de charcutier qui, me prenant de côté, entre promptement en moi avec une régularité mécanique et détache de très minces tranches qui s'envolent, en s'enroulant presque sur elles-mêmes tant le travail est rapide".

9 novembre 2006

Charles Nodier forever ?


A l'adolescence, les phrases que l'on note dans nos petits carnets sont toujours un peu les mêmes, puisque c'est l'âge où s'agrègent et se compilent les réflexions les plus improbables et les pensées les plus contradictoires.

Ainsi notais-je, dans mes carnets du 20 août 1993, ce mot de Charles Nodier, que j'étais allé dénicher, allez comprendre, dans le Larousse mensuel illustré de 1920 : "À vingt ans, j'ai épuisé la lie de toutes les douleurs et, après m'être consumé dans des espérances inutiles, je me suis aperçu, à vingt ans, que le bonheur n'était pas fait pour moi". 

8 novembre 2006

Se préparer à se souvenir

Ces souvenirs, ou ces rêves de souvenirs ? Mais tous les souvenirs sont des rêves et certains moments de nos vies ont été en leur occurrence même si envahis par le rêve qu'à se souvenir d'eux c'est l'essentiel de notre passé mais aussi de notre désir, de notre avenir, qui se découvre.

Yves Bonnefoy
Dans un débris de miroirs - Editions Galilée

Il est difficile de démêler ce que nous conserverons, du souvenir d'un lieu ou des souvenirs que nous nous y sommes forgés. Les souvenirs sont comme des visages adverses qui se renvoient à la face leurs rides, leurs matérialités propres et leurs évanescences - rien n'est inoxydable. Et nous ne savons plus très bien, au fond, ce que ce souvenir-ci doit à cet autre-là - et réciproquement. Peut-être est-ce l'avancée dans l'âge qui me fait ainsi accorder davantage d'attention aux lieux que je traverse - comme si ce qui, auparavant, n'était au mieux qu'un décor de l'existence, prenait avec le temps les contours d'un aspect même (d'un lieu) de l'existence. Ou peut-être, au contraire, est-ce l'attention nouvelle que je m'efforce d'appliquer aux choses que je vis qui, en vieillissant, me fait accorder davantage d'importance au décor qui les a vu naître. Aussi, moi qui ai toujours traversé les choses et le temps avec une espèce de détachement un peu irresponsable - fût-ce pour mieux les refouler - je me surprends aujourd'hui à envisager ce que je regretterai d'une ville que j'aime (Paris) et que, pourtant, j'envisage de quitter.

Comme nous aimons nous préparer aux plaisir que nous projetons, comme nous jouissons par anticipation de ce qui est prévu qu'il advienne, il est possible de se préparer à se souvenir. Ce n'est pas une construction intellectuelle, c'est une sensation éprouvée. Tout d'abord parce que se préparer au souvenir, c'est se préparer à accepter de partir - ce n'est pas si évident, quand la ville s'appelle Paris, qu'on y a sa vie depuis plus de dix ans et que, quoiqu'en disent les sots, c'est aussi à Paris que se façonne et se fabrique ce qui, non seulement est contemporain du temps, mais ce qui attend notre temps. Ensuite parce qu'on ne quitte jamais un lieu avec l'absolue conviction d'avoir raison de le faire - comme on dit, on sait ce qu'on gagne, pas ce qu'on perd : on ne fait qu'entrevoir, et espérer. Enfin parce qu'accepter de considérer ce qu'on a sous les yeux comme du souvenir en cours de fabrication permet aussi de l'accepter comme souvenir, donc comme partie intégrante de soi - donc comme objet dont il est enfin possible de jouir tout en commençant à s'en détacher.

Et puis disons-le : Paris a changé. D'aucuns - ils ont l'énergie, l'ambition, la légèreté - s'en réjouissent ; d'autres - j'en suis parfois - s'en attristent. A bien des égards, la ville ne semble plus qu'un prétexte à l'expérimentation de fonctionnalités que l'on dit modernes et au façonnage de désirs que l'on espère nouveaux. Epicentre de la clinquance et gigantesque chaudron à fabriquer de l'exclusion, elle met tout le monde dans l'embarras : ceux qui s'en sortent parce que le spectacle de ceux qui ne s'en sortent pas vient gripper leur satisfaction de s'en être sortis ; ceux qui ne s'en sortent pas parce que le miroir que leur tend la ville anéantit jusqu'à leur dernier espoir. La ville lumière est devenue l'ombre d'elle-même : elle créé de l'événement là où il y avait de la culture ; elle mercantilise là où il y avait de la passion ; elle esthétise là où il y avait de la sueur. Elle compta pourtant, cette ville-là comme d'autres, au nombre des berceaux de l'humanité : c'est dans la ville que l'individu apprit à exister dans la communauté, c'est dans la ville que les communautés apprirent à composer avec les individualités qui s'y retrouvaient : je ne suis plus certain, aujourd'hui, de la pérennité de cette belle et moderne équation, du moins tant que triomphera le fantasme de la futuropolis - normalisation, hygiène et sécurité.

Que trouverai-je là bas - où je serai ?  Non pas l'envers du décor, non pas, même, son exact renversement, mais une terre où il faudra sans doute repartir de zéro, reconstruire l'humanité, et, finalement, recommencer le geste qu'ont dû faire les premiers hommes - les premiers urbains.

7 novembre 2006

Les cahiers au feu


Avant de me débarrasser une fois pour toutes de mes journaux intimes - les vrais, ceux que l'on écrit à un âge où l'on ne se supporte pas plus soi-même qu'on ne supporte ce qui nous entoure - je ne peux évidemment pas m'empêcher de les parcourir, ne serait-ce que pour m'assurer qu'il n'y aurait pas là, allez savoir, un souvenir, une anecdote, un bon mot pourquoi pas, qui pourraient m'être utiles. Eh bien non ! Comme prévu : peu de choses - rien. Sauf lorsque j'y suis authentique - ce qui est rare. Alors, ça et là, perce quelque éclair de lucidité douloureuse - ainsi cette note du 15 mai 1993 :
     
     "Deux heures du matin - Lecture du Journal de Kafka. C'est à désespérer d'écrire. Serait-ce alors la vanité qui me susurre d'essayer quand même ?".

7 novembre 2006

Classieux metal

Heavy_Metal___Dessin... suite au billet "Enfant du metal" (27/10/06)

Mon appréhension du hard rock et du heavy metal (dont les puristes recommandent chaudement le distinguo) est absolument et uniquement intuitive, pour ne pas dire empirique. Je m'y suis naturellement intéressé d'un peu près, mais ni plus ni moins que n'importe quel autre amateur. Qui plus est, je ne m'y suis intéressé qu'à l'aune de ce que j'ai pu vouloir y trouver lorsque j'en écoutais de manière, disons, assidue... Un peu comme dans le jazz, le milieu du hard et du metal est d'une telle diversité qu'on peine parfois à justifier les rapprochements usuels, du moins sur un strict plan musical. Tout comme la parenté peut paraître fort lointaine entre un Sidney Bechet et un Michel Portal, ou entre Keith Jarrett et Uzeb, que peut bien réunir Rush et Venom ? quoi de commun entre AC/DC et RhapsodyZZ TOP et Rammstein ? entre le hard rock bluesy de grand-papa Gary Moore et le folk metal de Finntroll ? Entre le brutal death metal et le progressive metal symphonique ? etc... Il y a pourtant un fil (dont je ne remonterai pas ici l'histoire, et qui au passage implique d'ailleurs autant le rock, hard ou pas, que le jazz) : c'est le blues. Le blues en effet a donné à tous ces genres, finalement et fondamentalement si différents, un même socle rythmique et harmonique ; une semblable manière de "faire tourner les grilles" ; d'enjamber les "ponts" ; d'insister sur les dissonances ; de laisser sa part à une forme maîtrisée d'imprévu. Il ne s'agit pas de mettre tout ce joli (ou moins joli...) petit monde dans le même panier, mais simplement d'insister sur l'importance de racines musicales communes nées au tournant du 19ème et du 20ème siècles - quand la musique dite classique connaissait elle-même, tiens donc, quelques révolutions...

Black_SabbathSi l'on s'en tient aux évolutions du heavy metal originel - sans doute incarné par Deep Purple, prolongé par Black Sabbath, Judas Priest et Iron Maiden - quiconque pourra constater une aspiration à une certaine majesté, voire à une certaine solennité. Derrière la force brute et le masque d'une certaine agressivité, il faut entendre le souci des musiciens d'installer des scènes et des climats qui emmèneront l'auditeur vers de nouveaux mondes, ou qui au contraire viseront à les ramener vers d'anciens - le point commun entre ces mondes étant d'être, au mieux mystérieux, au pire inaccessibles. Heaven and Hell, un des titres-phare de Black Sabbath, outre le léger effet de transe qu'attise en concert le charisme d'Ozzy Osbourne, véritable gourou s'il en est, illustre, même lointainement, cette aspiration à une forme de solennité guerrière et mythique présente chez certains compositeurs classiques de la fin du 19ème. Mais ce n'est qu'un début, tant Black Sabbath demeure marqué par une empreinte de headbangger (en gros, ceux qui balancent leur tête de haut en bas en guise de danse : j'en fus... !).

S'il est d'usage de se détester cordialement entre musiciens de jazz et de musique classique (les uns et les autres s'enviant mutuellement), un certain registre du heavy metal ne dédaigne pas, et de plus en plus, se tourner vers le classique - et cela sans aucune espèce d'aspiration démesurée, ou exceptionnellement, mais le plus souvent pour marquer leur admiration sincère. On ne compte plus les emprunts qu'il ingurgite et digère - plus ou moins bien.... Ozzy Osbourne (ou plutôt son guitariste, le regretté Randy Rhoads), empruntait souvent à la musique baroque. Parfois de manière un peu grossière - quoique efficace : on pense bien sûr à l'intro à l'orgue sur Mr. Crowley. Mais c'était parfois plus subtil ; ainsi est-il intéressant de mettre en parallèle son introduction, à la guitare sèche, de Diary of a Madman, et l'Etude #6 du guitariste classique Leo Brouwer. De la même manière, Ritchie Blackmore, un des guitaristes qui a le plus fait en ce domaine, a toujours beaucoup écouté de motets du Moyen-Age. Cela s'entendait déjà à la belle époque de Deep Purple et de Rainbow, mais son groupe actuel, Blackmore's Night, reflète davantage encore cette passion, avec plus ou moins de bonheur il est vrai - et s'éloigne au passage assez notablement du metal, pour devenir une sorte de Try Yann de l'Outre-Manche. Il faudrait aussi évoquer Uli Jon Roth, guitariste à la très enviable liberté, mais un peu dédaigné depuis qu'il a quitté Scorpions pour se consacrer à des projets personnels, disons, plus lunaires... (et/ou solaires : cf. Electric Sun). Et puisqu'on a évoqué Deep Purple, rappelons aussi que le groupe de Ian Gillan enregistra en 1969 son Concerto for group and orchestra au Royal Albert Hall de Londres.

Metallica___Ride_the_lightningMême un groupe tel que Metallica, réputé pour être le précurseur du trash metal, me semble pouvoir illustrer ce que je discerne de fondations classiques (même inconscientes) dans un genre qui en semble pourtant bien éloigné - mais je pousse peut-être le bouchon un peu loin. Cela me semble pourtant assez évident à l'écoute de leur album Ride the lightning (le seul, en vérité, à me plaire réellement). Son ambiance, lourde, martiale et mélancolique tout à la fois, ses longs passages instrumentaux, jusqu'aux thèmes abordés (en gros le comportement des humains, la solitude du prisonnier, la cruauté de la guerre - cf. For whom the bells told, un de leurs tout meilleurs morceaux que leur inspira le roman d'Ernest Hemingway -, ou encore le récit des Dix plaies d'Egypte), tout cela forme un tout qui, sans aspirer en quoi que ce soit à cette forme de noblesse qui connote toute référence classique, n'en constitue pas moins un bel ensemble instrumental. D'autres, plus savants que moi, ont bien dû le discerner également, au point de monter un quatuor à cordes en hommage au groupe, quatuor à tout le moins déroutant (et pour ce qui me concerne, assez peu ragoûtant) : Apocalyptica. Les musiciens, dont l'un d'entre eux opère tout de même au sein de l'Orchestre symphonique de Finlande, se disent expressément influencés par Chostakovitch, Prokofiev, Grieg, et... Metallica.

Iron_Maiden___PowerslaveCette dimension mythique, parfois mystique et en tout cas empreinte de religiosité, des univers du heavy metal (dont je parlais déjà dans mon billet du 27 octobre) se retrouve avec la réussite que l'on sait chez Iron Maiden, notamment dans les albums Peace of Mind (à mon sens le plus abouti) et Powerslave. Les influences culturelles du groupe, essentiellement littéraires et cinéphiles, se retrouvent ici explicitées. Ainsi To Tame a Land est-il inspiré du roman de Frank Herbert, Dune ; The Trooper illustre La charge de la brigade légère de Lord Tennyson ; Where Eagles Dare (Quand les aigles attaquent, intensément visuel) évoque le roman d'Alistair MacLean ; Quest for Fire est un hommage immédiat à La guerre du feu ; Flight of Icarus retrace la légende d'Icare ; Revelations, merveilleux de puissance et de profondeur, débute par une citation de Chesterton ; Sun and Steel se place sous la tutelle légendaire du samouraï Miyamoto Musashi, enfin The Rime of the Ancien Mariner, morceau de bravoure, tourne autour d'un poème de Coleridge (qui inspira d'ailleurs déjà un autre groupe, Rush, en 1977, avec le morceau Xanadu).

Rhapsody___Symphony_of_enchanted_landsIndiscutablement, la veine lyrico-mystique a la cote, reflet sans doute d'un certain malaise dans la civilisation, angoisse d'un futur technoïde et guerrier, inquiétudes pour l'éco-système, manipulations du vivant, dilution des individualités dans la grande mondialisation, etc. Cette grande inquiétude individuelle et métaphysique charrie son lot mystique, plus ou moins étayé, plus ou moins superficiel, et qui trouve dans la forme musicale classique un support de poids. Cela débouche souvent sur le souci, un peu nouveau dans le heavy metal, de l'orchestration. Certains s'en sortent plutôt bien, voire très bien, d'autres n'évitent pas toujours le piège du pompeux, voire du pompier. Mais il est certain que nous sommes au haut de la vague : Rhapsody, Nigthwish, Therion, Angra, Symphony X, Stratovarius, ou encore Fairyland en France : autant de groupes qui usent et abusent des chevauchées wagnériennes, des nappes de cordes,  des choeurs verdiens, bref d'un lyrisme désormais mieux qu'assumé : revendiqué.  Sans doute cela obéit-il chez certains à un goût profond pour le genre ; le chanteur de Manowar, rappelons-le, fit ses débuts à l'opéra, de même que la chanteuse de Nightwish. Reste qu'il y a là un bon créneau commercial - ainsi Angra qui, rappelons-le, avait déjà repris un Prélude en Do mineur de Chopin dans son album Rebirth, s'apprête-t-il à sortir Aurora Consurgens, directement inspiré des écrits de Saint-Thomas d'Aquin. Les groupes les plus innovants, les plus originaux, et les plus fondamentalement sérieux, sont à rechercher dans des genres hybrides. Je pense notamment à Opeth, dont j'avoue ne pouvoir écouter qu'un morceau sur deux (les plus calmes, pour faire vite...) : il se passe indéniablement quelque chose dans leur musique, quelque chose qui paraît tellement intérieur qu'aucune ornière ne semble pouvoir y résister : on alterne donc entre des passages d'un black metal de facture assez classique et de longues plages, quasi-floydiennes, parfois folk, au long desquelles les instrumentistes déploient des influences qui courent manifestement du jazz à la musique hindoue, tout cela sans jamais sombrer dans le kitsch - premier piège de tout syncrétisme. Il faudrait citer également le trop méconnu Pain of Salvation : comme Opeth, dont il se distingue toutefois par une esthétique technologique assez prononcée, le groupe s'appuie sur une grande palette de couleurs  musicales, servi en cela par une technicité à toute épreuve ; qui plus est, leurs textes attestent d'un souci littéraire et formel assez peu commun dans cet univers.

Yngwie_MalmsteenMais c'est évidemment la virtuosité qui d'emblée séduit les musiciens - et le public. Aussi débarque sur la scène, au début des années quatre-vingt, une génération de guitar heroes revendiquant haut et fort leur attachement à la musique ancienne. L'on pense d'abord à Yngwie Malmsteen, admirateur patenté de Vivaldi, d'Albinoni, de Bach, de Paganini, de Scarlatti ou de Beethoven. Si Eddie Van Halen avait certes ouvert la voie avec son solo Eruption, il se trouve ici complètement débordé par plus fougueux, plus fort, plus technique que lui - et aussi plus sincèrement épris de musique classique. La quinte (ou power chord) qui rapprochait déjà le jeu de guitare propre au heavy metal des accords utilisés dans le chant sacré chrétien traditionnel, se trouve ici amplement ornementée, et au torrent usuel de décibels se substitue une cascade de notes, au point d'avoir parfois l'impression d'assister à un concours de vitesse un peu froid et mécanique - mais ne fut-il pas reproché à Mozart de mettre parfois trop de notes dans ses compositions...? L'inspiration de Malmsteen ayant peu à peu fini par s'assécher, il faut compter aujourd'hui sur les petits prodiges que sont John Petrucci, Joe Satriani, Marty Friedman ou Jason Becker, pour n'en citer que quelques-uns, qui semblent avoir une vue plus large encore de leur instrument. Ainsi le jazz commence-t-il à faire ses premiers pas dans le heavy metal, et il n'est plus rare de trouver des guitaristes se revendiquer de John Mac Laughlin, de Bireli Lagrene, de John Scofield ou d'Al di Meola (lequel Al di Meola ne déteste d'ailleurs pas sonner un peu heavy ; à titre d'exemple, l'album live Tour de Force, en 1991). John Petrucci, guitariste de Dream Theater, revendique clairement parmi ses influences celle d'Alan Holdsworth, nettement plus connu dans les cercles du jazz et de la fusion. Et puisqu'on est dans Dream Theater, groupe qui réussit au passage à fusionner en une même musique maintes références éclectiques, je serais fautif de ne pas citer Derek Sherinian, l'ancien claviériste du groupe, qui semble vouloir passer à l'acte (malgré le scepticisme du milieu...) en s'engageant sur une voie que d'aucuns n'hésitent plus à qualifier de jazz metal... Mais jusqu'où iront-ils ? Les Conservatoires de Musique du 22ème siècle enseigneront-ils les exercices virtuoses des enfant de Jimi Hendrix ?

6 novembre 2006

Je ne lirai pas le Journal


Jacques_Brenner


Fût-il merveilleusement écrit (ce qu'à ce jour on ne sait toujours pas), je ne lirai pas les 750 pages de La cuisine des Prix, le tome V du Journal de Jacques Brenner, très opportunément annoncé quarante-huit heures avant l'attribution du Prix Goncourt. Non que je sois indifférent à la "vie littéraire" : il peut m'arriver de la trouver romanesque. Mais je me moque de pouvoir vérifier par la bande ce que chacun sait depuis 104 ans, quand fut décerné le premier Goncourt (à un certain John-Antoine Nau
). Je conçois l'amusement - ou l'agacement, selon le sort qui nous y est réservé - que peut susciter ce livre et les "révélations" qu'il est censé contenir - en gros que Jacques Brenner nourrit un amour sans os pour les chiens et que, Angelo Rinaldi ayant très envie, mais vraiment très envie, de faire plaisir à Jacques Brenner, il se met en quatre (ou disons à quatre pattes, ce sera plus drôle en la circonstance) pour lui en offrir un. Il est utile, même très utile, de connaître les arcanes de la vie littéraire, et je suis le premier à me réjouir que la France comptât en cette matière quelques incontestables spécialistes et praticiens - de véritables entomologistes, en vérité. Mais voilà, je ne suis pas convaincu que, de tout cela, la littérature sorte confortée - ni surtout que le but ait été de la conforter.

3 novembre 2006

Bastille à (re)prendre

prison
Je pense avoir été des rares spectateurs indirects, en tout cas résolument extérieurs aux institutions judiciaires, à répondre, il y a quelques semaines de cela, au questionnaire qui fit suite aux États généraux de la condition pénitentiaire organisés par l'Observatoire International des Prisons (OIP). Spectateur indirect, disais-je, puisque je partage mon existence avec une avocate pénaliste et qu'à ce titre, quelle que soit par ailleurs ma très ancienne et très spontanée allergie à certaines manifestations de la violence légale, mon intérêt initial pour l'univers carcéral et pour tout ce qui a trait, de près ou de loin, à la privation de liberté, s'en est peu à peu trouvé enrichi.

Ce qui est en cause ici, ce n'est pas la prison dans son principe - tout groupement humain doit pouvoir stopper dans son élan un individu qui s'avérerait immédiatement dangereux pour ses congénères. C'est bien là le seul intérêt (et le seul but officiel, faut-il le rappeler) de l'emprisonnement : protéger les individus et la société en empêchant d'agir celles ou ceux qui pourraient leur nuire. Cette vision est naturellement idyllique, et nul n'a jamais connu de geôles confortables - sauf, peut-être, certaines personnalités très fortunées ou jouissant d'un entregent peu ordinaire. Et si l'exemple nordique, le plus proche de l'idéal d'un univers carcéral respectueux des droits humains, semble commencer à faire quelques émules chez nous, nous n'y sommes pas encore, loin s'en faut.

Ce que nous savons de manière certaine, et dont attestent toutes les enquêtes un peu sérieuses, c'est que, au fil du temps, la prison française est devenue criminogène. Autrement dit, celui qui en sort aujourd'hui a plus de chances de commettre de nouveaux délits que de retrouver une existence que l'on qualifiera, faute de mieux, de normale. Il y a à cela mille raisons, qu'on pourra se contenter d'énumérer : désintérêt général, renoncement du politique, durcissement unanime des politiques de répression, peines exorbitantes, diminution des budgets, mauvaise ou insuffisante formation des acteurs, etc... Mais la raison essentielle, et d'autres l'ont dit infiniment mieux que moi, c'est que la société a les prisons, non seulement qu'elle mérite, mais qu'elle veut. C'est une volonté du temps, en effet, consécutive à certain état de notre civilisation, qui a fait des prisons françaises ce qu'elles sont - les pires d'Europe, selon un Rapport du Conseil de l'Europe paru l'an dernier. Or un certain pessimisme me semble aujourd'hui de mise : rien, dans la société, n'indique un quelconque début de commencement de renversement. Ce qui hier encore passait pour un fait divers tout juste bon pour la presse locale fait aujourd'hui les gros titres de tous les médias nationaux : à cette aune-là, et elle est décisive, l'on voit mal ce qui pourrait déclencher un quelconque mouvement - malgré l'action résolue de l'OIP . La campagne présidentielle qui s'amorce n'y aidera d'ailleurs pas : vous verrez que, d'ici le printemps, quelques faits divers sitôt oubliés donneront moult arguments à certains, voire à tous, pour muscler davantage encore leurs "discours". Il faudra donc attendre que le peuple français (dont on nous explique aujourd'hui qu'il serait le meilleur expert de l'évaluation politique) ait admis l'idée que, non contente d'être résolument immorale et anti-républicaine, la prison française est tout bonnement inefficace et contre-productive. Ce temps arrivera - mais quand ?

2 novembre 2006

Je passe

Enfant, je posais des questions : je voulais comprendre le monde - j'étais un enfant.
Adolescent, je l'avais compris : j'ai voulu le changer - j'étais un adolescent.
Au sortir de l'adolescence, j'ai hésité : le changer, oui, pourquoi pas, il est trop laid ; mais je voulais aussi, et tout autant, y goûter : cela fit de moi, peu ou prou, un socialiste.
Jeune adulte, je me suis fait honte ; il me fallait trancher : j'ai amorcé un mouvement de recul, de retrait - mais discret.
Adulte, les premières fatigues venant, j'ai commenté le monde - aidé en cela par la foule de ceux qui s'obstinent (à échouer) à le changer.
Premiers pas dans le vieillissement ; je commentais le monde avec colère : je le commente avec lassitude - avec réticence.

Plus tard, vieux et malade. Le monde n'est plus en moi. Je ne lui demande rien. Facile : il n'attend rien de moi.
Elle et moi - souvenirs et clins d'œil.
Et le marbre.

D'autres continueront. Mais ce sera plus dur.

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