Mado : coup de coeur sur Onlalu
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Premier amour, dernier amour
Marc Villemain publie un magnifique roman d’apprentissage sur le passage complexe entre l’enfance et l’adolescence, l’identité incertaine à l’heure du premier amour et des premiers désirs. D’une plume délicate, sensorielle, sensuelle et à fleur de peau, l’auteur fait parler sa narratrice en deuil de son premier amour quinze ans auparavant.
« Je me souviens que j’étais nue et qu’ils s’élançaient derrière moi » : sur la plage, deux garçons ont dérobé la culotte d’une fillette de neuf ans ; c’est le souvenir fondateur de Virginie, celui qui marque une rupture irréversible entre l’enfance, territoire de la sauvagerie, de l’animalité et du bonheur, et la conscience de la sexualisation des êtres. Après la chute de l’Eden il n’y a plus d’innocence possible, et le roman tout entier est innervé par cette nostalgie incurable de l’insouciance et de la légèreté, seules lois du pays d’enfance. Après une ellipse de quelques années, on retrouve Virginie en fin de quatrième, où elle échange son premier baiser avec Mado, la fille la plus populaire du collège. Mado est l’élue que Virginie accueille dans son refuge, sa cachette sur la plage : une cabane de pêcheur abandonnée, perdue entre les herbes folles et l’océan. Là, à l’abri, les deux amies découvrent leurs corps, la sexualité et l’amour. Mado l’initiatrice est mûre, libre, parfois tyrannique envers la soumise Virginie, partagée entre désir romantique et jalousie irrépressible. Pour cette dernière, plus rien n’existe que cet amour brûlant qui renferme l’exaltation et la violence, les remords et les pardons, les passages d’un désespoir abyssal au bonheur absolu, le tout au temps de l’incertitude sexuelle, des expériences et des doutes : « On devrait tous mourir à quinze ans. Cela accroîtrait considérablement nos chances d’être heureux à vie ». De cette passion qui étymologiquement fait souffrir, la jeune femme de trente ans a gardé des séquelles, et rien n’est venu combler le vide ni apaiser la douleur laissés par l’absence de Mado. Marc Villemain a su créer là un petit bijou de sensibilité, où le sel et les embruns sont le goût de l’enfance et du premier amour, de la mélancolie et de la perte. Un coup de cœur absolu !
Aline Sirba
Mado lu par Josyane Savigneau (RCJ)
« Une Mado inoubliable » : deux minutes trente en compagnie de Josyane Savigneau, pour sa chronique bimensuelle sur RCJ.
Mado - Entretien avec Virginie Troussier - RCF, Dans les marges
La romancière Virginie Troussier m'a fait l'honneur de me recevoir à La Rochelle, dans les studios de son émission Dans les marges, sur RCF Charente-Maritime, et de se pencher sur Mado (Éditions Joëlle Losfeld).
Au-delà de son accueil, merci à elle d'avoir également écrit et prononcé ces quelques mots :
« Marc Villemain semble percevoir chez les hommes tout ce qu’ils contiennent, les plus infimes variations d’une pensée, ces mouvements subtils, fugitifs, évanescents, tout juste perceptibles. Avec Mado, son dernier roman, paru chez Joëlle Losfeld, l'écrivain capte les ondes entre deux jeunes filles, entre des embruns et la peau, entre un chagrin et une gorge, entre la lumière et les pupilles. Les émotions se télescopent et fusionnent. Il y a quelque chose de très physique, en écrivant l’amour, en captant l’intensité amoureuse. Poésie charnelle, symphonie organique, à peine une histoire, plutôt la partition d’un chant nourri d’images, de pulsations. Marc Villemain assemble avec une infinie sensibilité des mots comme des notes, des phrases comme des vibrations, captant les sensations au plus près de leur surgissement. »
En deuxième partie d'émission, Sophie Bobineau et Floriane Durey déploient, à partir de Mado, une « proposition d'écriture » ; quant à Cécile Jolas, elle propose quelques recettes gastronomiques pour le moins exotiques...
… L'émission dure une petite heure.
Les curieux pourront l'écouter ici, ou en cliquant sur l'image.
Mado lu par Franck Mannoni - Le Matricule des Anges
Sur la plage, deux garçons de 11 ans volent sa culotte de leur amie de 9 ans et refusent de la lui rendre. Un mauvais tour entre l'enfance et l'âge adulte, entre la farce cruelle et l'agression sexiste. La petite Virginie perçoit leur animalité foncière. Elle ressent sa position sexuée et refuse de se laisser catégorisée. « C'est mon premier souvenir en tant que femme » : « leur devenir-homme ». Dans ces instants à la fois tragiques et fondateurs, elle affronte la nudité, la honte, obligée de rentrer en pleine nuit rasant les murs, après avoir trouvé refuge dans une vieille cabane de pêcheur. Quelques années passent. En fin de quatrième, lorsque Virginie se sent attirée par Mado, une camarade, toutes deux sont submergées par cette histoire d'amour passionnée et transgressive : « Ce n’était pas dans mon époque, pas dans mon âge, pas dans mon milieu ». Leur bonheur sincère les mène vers un nouvel éden. Plaisir douloureux, quiétude angoissée, le couple maladroit vit par oxymores. Parallèlement à ce récit, une Virginie de 30 ans, mère d'une fille de 9 ans, pose par inserts un regard aigre sur son paradis perdu. Une courte séparation et le charme s'était rompu. Une affaire de jalousie qui tourne au vinaigre, un monde qui s'effondre : « Je me retrouvais telle que depuis toujours je fus, avec mes visions mortifères et mes pensées de tragédienne au petit pied ». Plus jamais elle n'a retrouvé cette fraîcheur, cet esprit d'aventure.
Le roman charnel de Marc Villemain renoue avec les thèmes abordés dans II y avait des rivières infranchissables (LMDA N°190), des nouvelles qui, déjà, exploraient l'éveil des sens, la rencontre de l'autre, les joies et les gouffres de l'adolescence. L'écrivain consacre ses plus belles pages aux portraits psychologiques de ses personnages. Il magnifie des êtres en construction, toujours un peu vacillants, deux âmes écorchées marquées au fer rouge par « la pire journée d'une année de bonheur ».
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges, n° 202, avril 2019 - Site
Mado sur France Bleu RCFM - Haute-Corse
Samedi 13 avril dernier, Mado avait les honneurs de l'émission DES LIVRES ET DÉLIRE, sur France Bleu RCFM, animée par Marie Bronzini, autour de Bénédicte Giusti-Savelli et Christophe Laurent.
On peut l'écouter directement ici ou la télécharger en podcast.
Mado lu par Jacques Josse
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Il y a Virginie et il y a Mado. C’est la première qui s’exprime. Ce qu’elle a à dire n’est pas évident. Il lui faut remonter le temps, revenir à ses neuf ans puis à son adolescence, bien poser le décor – l’été, le sable, le bord de mer, la cabane dans les dunes – pour raconter ce qui, quinze ans plus tard, hante toujours sa mémoire.
« Ma seule consolation est de n’avoir jamais eu d’amis : ainsi je n’ai à en regretter aucun. Il n’y eut que Mado, seulement Mado. Et chaque nuit elle me visite, et chaque nuit elle m’embrasse et m’étreint, et chaque nuit elle vient se venger. »
Ce que Virginie relate, en une longue confession, entrecoupée par le récit de ce qui illumina l’été de ses quatorze ans, c’est une histoire d’amour. De ses prémices à sa fin en passant par son apogée. Histoire unique, intense, dévorante. Passionnée, sensuelle entre deux jeunes filles qui découvrent ensemble le plaisir et les subtilités de leur corps. Solitaires, elles éprouvent les mêmes désirs tout en ayant des personnalités différentes. L’une, libre et radieuse, mais sombre parfois, dévore l’instant présent en affichant une grande liberté tandis que l’autre, plus farouche, plus impulsive, ne vit bientôt plus que pour cette relation sentimentale et charnelle qui occupe toutes ses pensées. Elle en vient à craindre que des rencontres fortuites ne viennent en perturber le cours. En elle, la jalousie, peu à peu, affleure. Avec son lot de souffrance, d’injustice, de honte, d’incompréhension. Aveuglée par le côté irrationnel de son attachement, et se croyant trahie, elle va commettre, pour se venger, un acte irréparable. C’est celui-ci qui la poursuit, des années plus tard, alors qu’elle est elle-même devenue mère.
« Je suis née au grand air, pour l’amour et la solitude, et me voilà en plein cœur de ville, ratatinée dans une cage à lapins. À ressasser ce que j’ai fait, ce que j’ai perdu, ce qui est mort, ce qui meurt, cœur sec et seins vides. Trente ans et déjà je me languis, et déjà je m’assèche. »
Derrière la beauté du littoral, la douceur estivale et les jeux espiègles – mais déstabilisateurs – qui ouvrent le roman, se profile déjà l’ombre d’un drame à venir. Il ne sera dévoilé qu’en fin d’ouvrage. Auparavant, Marc Villemain n’aura cessé d’étonner son lecteur. Le sujet qu’il a choisi d’explorer est assez casse-cou. Il ne pouvait le rendre crédible qu’en se maintenant – et c’est ce qu’il fait – en équilibre sur une corde tendue à l’extrême, entre volupté et suggestion, en restant percutant sans jamais basculer dans la facilité, sans outrance, sans eau de rose, sans psychologie hasardeuse. Cela implique une écriture maîtrisée, à fleur de peau, une langue précise, narrative, sensitive, rugueuse quand il le faut. C’est elle qui donne vie à Mado, l’ado fragile, entière et lumineuse qui court vers son destin.
Jacques Josse
Blog personnel de Jacques Josse
Mado lu par Christophe Laurent
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L'amour dingue et adolescente de Mado
« Quand nous sommes arrivées au ponton, nous avions une faim de loup. Il n'y avait pas beaucoup de place sur la petite planche qui faisait office de table, mais on a fait ça joliment. Deux grosses parts de gratin dans les assiettes, des serviettes à motifs roulées sur le côté, couteau à droite, fourchette à gauche, au milieu une bougie et les quelques fleurs que nous avions cueillies redressées dans un verre d'eau. On était heureuses et je crois que ça se voyait. »
Virginie aime Mado. Mado aime Virginie. Elles ont quinze ans et s'aiment d'une passion neuve, vierge. Qui dit passion dit dévorante mais c'est peut-être plus ici, c'est brûlant, destructeur, animal. Elles vont s'aimer dans un carrelet, ces petites cabanes de bois sur ponton, pour les pêcheurs de Gironde. Elles vont s'aimer chez un vieil oncle. Mais en secret, toujours. Dans une époque (les années 80 ?) peu propice aux sentiments déclarés entre filles, elles se cachent, se volent des regards, des gestes, quand les autres tournent la tête. Et puis il y a aussi de la jalousie, chez Virginie surtout. Jalouse de Florian, jalouse de Julien.
Roman magnifique sur la naissance à l'amour et la fin de l'enfance, Mado emporte le lecteur dans une décharge de sentiments puissants, ravageurs, dingues, de ceux qui font faire n'importe quoi mais qui sont aussi parmi les plus beaux. On peut se demander si le personnage principal assume son penchant lesbien parce qu'elle a été choquée par l'attitude de garçons à neuf ans, quelque chose de l'ordre du traumatisme après un jeu idiot de petits mecs. Est-ce que c'est cela uniquement qui la pousse plus tard vers Mado ? L'auteur y répond en partie. Et Virginie d'abord y répond. Virginie, emportée par ce qu'elle ressent, par cette sexualité dont elle ignorait tout, par ce coeur qui tape maintenant si fort près de Mado. Marc Villemain trouve le ton juste pour se mettre dans la peau de Virginie, son "je" est bien celui d'une gamine, d'une adolescente, tout à fait normale donc incandescente. L'auteur touche vraiment l'intime et offre aux lecteurs des scènes de sexe un peu maladroites, mais tellement primitives, spontanées, et sincères. La réussite de Mado est là, dans ce réalisme, sans psychologie de bazar. Parce qu'il s'agit, outre l'amour, de parler de deux filles qui s'embrassent, qui couchent ensemble. Et Villemain y arrive avec délicatesse et pudeur. Il y a du beau dans ces pages. Et du tragique. Introduit par les parenthèses d'une sorte de journal intime quinze ans plus tard, quand Virginie est maman d'une petite fille de neuf ans. Un écart terrible, effrayant, entre ces deux temps de la vie, quasiment un abîme. Ou un gouffre, de souffrances et de regrets.
Mado laisse un goût de larmes dans la bouche et la sensation d'avoir lu un très grand livre sur l'amour et la jeunesse.
Christophe Laurent
Mado lu par Claro (Le Monde des Livres)
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« Mado », de Marc Villemain : le feuilleton littéraire de Claro
Claro se révèle sensible à l’esthétique de l’émoi manifestée par Marc Villemain dans son nouveau roman.
COMME AU PREMIER JOUR
Avant même d’inventer un monde, de fabriquer des personnages, de bricoler des intrigues, l’écriture romanesque n’a d’autre choix que d’inventer une perspective, c’est-à-dire d’établir son camp de base dans un repaire plus ou moins secret d’où sera projetée, comme bon lui semble, la lumière. Ce qui sera raconté peut être banal ou extraordinaire, là n’est pas la question, on s’en doute. L’important, c’est que cette perspective, qui est davantage qu’un point de vue, qui est point de réflexion, de sensation, devienne très vite, pour le lecteur, le lieu d’embuscade privilégié de sa lecture. Les livres qui nous captivent le plus sont ceux qui nous donnent l’impression de s’écrire sous nos yeux, et nous donnent le sentiment, troublant, de participer à leur déroulement.
Pour cela, bien sûr, il y a plusieurs solutions. Le romancier peut se contenter de n’éclairer que le visible en recourant à des phrases aussi généreuses qu’un néon neuf – on lit alors son livre avec le même entrain qu’on met à aligner de la pâte dentifrice sur une brosse à dents, et très vite on recrache. Heureusement, certains écrivains préfèrent élire demeure dans les plis, la pénombre, et œuvrer à la confection d’impressions sismiques grâce auxquelles nous éprouvons, même au sein de l’ordinaire, la secousse de l’inédit. Pour Mado, Marc Villemain se livre avec subtilité à l’archéologie d’un trouble qui aurait pu, traité par d’autres, se déliter en bluette. Mais d’une simple liaison entre deux adolescentes, il a su faire un récit charnel où c’est sa phrase et pas seulement ce qu’elle expose qui trouble.
Il était une fois Virginie et il était une fois Mado. Avant de s’éprendre l’une de l’autre, un drame en apparence anodin va charpenter la vie entière de Virginie. Cette dernière, âgée de 9 ans, se baigne dans la mer quand elle se retrouve délestée de sa culotte et de son paréo par deux garçons – des jumeaux – qui l’obligent à affronter nue et la nuit et sa conscience. La scène se transfigure imperceptiblement en quelque chose de mythologique. La mésaventure de Virginie nous rappelle Artémis surprise par Actéon, « Suzanne et les vieillards » : c’est l’histoire immortelle de la femme piégée. « C’est bête d’avoir transformé une anecdote d’enfance, une péripétie balnéaire, un même pas événement, en une espèce de drame constitutif de la femme que je suis devenue », dit très tôt, lucide et blessée, la narratrice. Bête ? Plutôt que bête, l’épisode relève du bestial et vient révéler une part animale qui va innerver tout le récit. La mythologie est affaire de dévoration.
Les deux garçons ne se contentaient pas de rire, ils « bondissaient, beuglaient, crachaient, suaient, salivaient. Du haut de mes 9 ans, il me semblait voir ce qu’ils s’apprêtaient à être. Leur devenir-homme. Des hommes, voilà. C’est-à-dire, pour la gamine que j’étais, des bêtes sauvages, carnassières. Cannibales ».La confrontation avec cette animalité fait de Virginie elle aussi une bête fantasque, elle se met à courir « comme courent les biches, les lapins, les chevreaux » et finit par se terrer… dans le ventre d’un carrelet – non pas un poisson, mais une de ces cabanes de pêcheur qui de loin ressemblent à « des échassiers d’un autre monde ». Et quand elle finit par rentrer chez elle, sa mère lui donne une « gifle animale, une gifle de chair, nue de toute intention ». Il y aura aussi un poisson pêché aux dimensions christiques, « son regard de supplicié, le sang qui perlait le long de ses flancs olivâtres ».
Ainsi marquée, mordue, l’histoire de Mado peut devenir le récit d’un amour intense et ravageur, et Marc Villemain a toute latitude alors pour tracer sur la page des lignes de sensualités à la fois quiètes et fiévreuses, évoquer « cette suée légère à la racine [des] cheveux », la « tiédeur (…) progressive, lénifiante, enclose sur elle-même », la paume qui s’aplatit « contre [la] chair comme pour l’animer, la préparer ». Les jours passent, et la liaison entre Virginie et Mado, dans leur balcon sur la mer, se fait plus torride, plus profonde, ensemble elles apprennent l’adieu à l’enfance et les chemins du plaisir. Tout n’est plus que gestes et attentions, pensées et attentes brûlantes, la page enfle et respire au rythme de leurs rendez-vous, même si une voix blessée – celle de Virginie plus tard, devenue mère – nous rappelle par intermittence que le bonheur n’a pas duré, qu’il s’est passé quelque chose qui a tout englouti.
On aurait tort de réduire Mado à une fable moderne, et d’imaginer que l’auteur a voulu expliquer le saphisme de ses héroïnes par la bêtise crasse des jumeaux voyeurs. La passion qu’il raconte, il ne cherche pas à la rendre fabuleuse, préférant la bâtir par touches sensibles et discrètes, disséminant ici et là des motifs qui échappent au symbolique, comme ces chardons bleus dont les métamorphoses nourrissent la vie des deux amantes. J’ai parlé plus tôt d’une archéologie du trouble, mais l’on pourrait tout aussi bien invoquer une esthétique de l’émoi, tant Villemain en dresse le portrait sensible et saisissant, « jusqu’à la dernière ondulation de l’air ». Mado émeut. Qui dit mieux ?
Claro (écrivain et traducteur)
Mado lu par François Xavier (Le Salon littéraire)
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Mado, au-delà de l'amour
Marc Villemain nous avait déjà démontré sa maîtrise dans l’art de l’étude du détail chez les personnes âgées (Ils marchent le regard fier), dans sa capacité à décrire grandement les petites choses des braves gens que l’on n’entend pas – c’était avant les Gilets jaunes…
Le voilà quelques années plus tard relevant le défi de se glisser dans la peau d’une adolescente foudroyée par la passion amoureuse. Autant dire qu’il s’offrait un voyage à trois cents à l’heure sur des petites routes de campagnes avec neuf chances sur dix de finir dans le décor. Mais non, point de mur en pleine face, c’est plutôt un torrent d’émotions qui submergent le lecteur au point de ne plus parvenir à lâcher le livre. Lu d’une traite ce dimanche gris, j’avais de la lumière dans les yeux, chaud au ventre, parfois la gorge sèche, je sentais le vent dans les dunes, j’entendais la mer battre contre les piliers du carrelet ; j’y étais… avec Mado…
Tout débute par un jeu idiot entre deux garçons taquins et une petite fille de neuf ans qui se retrouve toute nue sur la plage, les deux zozos allant jusqu’à s’enfuir avec ses affaires après lui avoir ôté son maillot… Terrifiée, elle ira se terrer dans sa cabane, sur un ponton abandonné derrière les dunes ; y passera toute la nuit avant de regagner sa chambre aux premières lueurs matutinales. Quelques années plus tard, les deux garnements étant retournés chez leur mère, la désormais jeune fille peut alors renouer avec sa meilleure amie en classe de quatrième, au collège. Mais entre temps Mado est devenue une chipie, provocant son monde, rayonnante de beauté, ayant le mot juste et l’esprit libre, elle fascine autant qu’elle agace…
Va alors se nouer une relation qui, petit à petit, d’amitié amoureuse muera en amour puis en passion dévorante, dévastatrice, sexuelle et perverse, les deux amantes sombrant dans la perversion narcissique à tour de rôle, selon les influences extérieures, les garçons de passage…
Magnifiquement troussée dans une langue épurée et un rythme totalement maîtrisé, cette drôle d’histoire d’amour finira mal, mais au-delà du drame en point d’orgue infernal, c’est le parcours chaotique de la narratrice qui est fascinant. On la voit écartelée entre ses désirs, sa quête d’absolu, sa candeur, sa jalousie, sa folie destructrice, son empathie, sa force et son jusqu’auboutisme qui la conduira à commettre certaines bourdes. On touche ici à l’essentiel, à ce que la littérature a de plus indispensable : renommer l’indicible qui nous travaille chaque seconde, mettre à jour les ténèbres qui nous aspirent quand bien même on n’aurait soif que de lumière joyeuse. Il n’y a que l’être humain pour jouer ainsi avec le feu, se pencher toujours plus vers le vide et s’étonner après d’y être tombé. On n’a de cesse de vouloir détruire ce que l’on chérit le plus.
Vercors avait raison, nous sommes des animaux dénaturés…
François Xavier
Bertrand Runtz - Reine d'un jour
Fin de reine
Qui connaît un peu leur travail ne sera pas surpris que les éditions Finitude accueillent les univers très sensibles de Bertrand Runtz. À première vue, la nostalgie prime ; elle est même revendiquée. Mais ce sont des univers où l’hier résonne bien trop durement dans l’aujourd’hui pour être simplement éplorés. La crudité et la justesse du sentiment donnent tout son éclat et son intérêt à cette Reine d’un jour hors des modes. « Dans la famille, on ne remplace pas les disparus » : l’ouverture est grave, définitive, mais on ne saurait la dire amère. Sans paradoxe dans les termes, la sécheresse factuelle du constat n’est pas neutre : elle dit aussi, sans doute, la forme ténue du respect, à tout le moins de la considération, pour une certaine doctrine familiale. Jusqu’à éventuellement constituer un fondement où poser sa propre appréhension de l’existence.
Nous tournons donc en même temps que Bertrand Runtz les pages de ce cahier d’histoire, probablement la sienne. Et partons en sa compagnie à la rencontre de quelques personnalités aux destins aussi communs qu’exceptionnels – le propre, peut-être, de tout destin individuel. Enfin, quand même. Il y a cette tante, qui fera tant causer, ou au contraire dont l’existence, brimée, bridée, tue, acculera chacun à tenir le silence, fût-ce en taisant l'abjection, « cette femme au visage triste et marqué, la couronne légèrement de guingois, encadrée par les ombres portées du lustre, mais qu’on dirait plutôt produites par des grilles ou bien des bois d’animaux fantastiques », et qui commença sa vie de malheur en venant « au monde toute tordue, la tête collée sur une épaule. » C’est elle, cette improbable reine, dont le sombre souvenir nous saisit à peine le livre ouvert, elle dont le narrateur dit qu’il la « fixe pour l’éternité, dans l’odeur sucrée et un peu amère de la frangipane réchauffée. » Son histoire est une chose, et une chose terrible – qui s’achèvera dans cette « Maison d’Humanité Publique » où il la visitera, péniblement, à rebours, taraudé par un infini sentiment de culpabilité : « Du coin de l’œil, je l’observais détremper soigneusement ses petits-beurre dans le jus de pomme – mais cependant pas trop car sinon ils auraient risqué de se déliter au fond du verre – avant de les porter vivement à sa bouche qui s’ouvrait en frémissant aux commissures en les voyant s’approcher, comme douée d’une vie propre. C’était fascinant à observer. J’en avais le cœur au bord des lèvres. » Il n’y aurait sur la vie de cette femme rien d’autre à éprouver que de la compassion, parfois de la pitié. Et c’est aussi à travers ses yeux que Bertrand Runtz raconte cette histoire, avec une sensibilité très juste, très précise, sans se faire jamais le moindre cadeau. Car tout au long de cette Reine d’un jour, l’enfance n’en finit pas d’envoyer ses missiles, ses flammèches perçantes qui interdisent tout repos. Il y a du ressassement, donc, et c’est aussi dans ce ressassement que puise l’auteur, afin peut-être de pouvoir mieux vivre. C’est écrit très joliment, sans autres manières que celles que la pudeur commande ; je ne sais si notre époque tapageuse saura l’entendre. Je l’espère.
Bertrand Runtz, Reine d'un jour - Éditions Finitude
Article publié sur L'Anagnoste en 2011