Les métiers de la mort - Dictionnaire de la Mort
Dictionnaire de la Mort, (s/d) Philippe Di Folco - Éditions Larousse
Notice Métiers du funéraire - Marc Villemain
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À la faveur peut-être du succès de la série télévisée « Six Under Feet », dont les héros, la famille Fischer & Sons, sont propriétaires d’un salon funéraire, et de manière sans doute plus fondamentale en raison de l’évolution programmée de la pyramide des âges, les métiers de la mort connaissent depuis quelques années une embellie certaine. En France, le chiffre d'affaires des services funéraires était estimé à plus de 1,5 milliard d'euros en 2002, celui de la marbrerie funéraire et des travaux de cimetière à 1,6 milliard d'euros, et celui des fleurs funéraires à 1,8 milliard d'euros (Rapport d'information n° 372 déposé le 31 mai 2006 par MM. Jean-Pierre Sueur et Jean-René Lecerf, commission des lois du Sénat.) Moyennant quoi, un peu plus de 35 000 personnes travaillent sur ce marché, à raison d’une moyenne annuelle de 525 000 décès ces dernières années. Les études de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) prévoient toutefois que ce dernier chiffre atteindra 600 000 en 2010, avant d’enregistrer un accroissement exponentiel de 100 000 par an jusqu’en 2030/2040. Les professions du secteur funéraire constituent donc une voie d’avenir : aucune période de chômage n’est attendue dans les prochaines décennies.
C’est lors de la Peste Noire, qui ravagea l’Europe entre 1347 et 1350, qu’apparurent les confréries, auxquelles il revenait de déposer les pauvres en terre, métier de la mort par excellence s’il en est. Les « fabriques », conseils composés de marguilliers et chargés de la gestion des biens paroissiaux, récupérèrent très vite leurs prérogatives ; inférant son titre de propriété sur les cimetières, l’Église revendiquera d’ailleurs longtemps son droit exclusif d’inhumation. Après la Révolution, les entrepreneurs privés se développèrent, et à leur suite une concurrence parfois un peu désordonnée. Aussi le Directoire prendra-t-il quelques dispositions afin de commencer à organiser le marché. Le 28 décembre 1904 enfin, la loi attribue le monopole de l’activité funéraire aux communes, qui pourront l’exercer en régie ou par concession de service public.
Les métiers de la mort ont connu de fortes évolutions tout au long du 20ème siècle. C’est le résultat à la fois de mutations socio-économiques (libéralisation, privatisation, hyperspécialisation), de bouleversements culturels (médicalisation de la fin de vie, déclin relatif des religions instituées, hygiénisme et attraction croissante pour les « soins du corps », déni de la mort), et du désintérêt dans lequel les établissements de santé ont longtemps laissé les défunts, abandonnant les « post-soins » à des opérateurs privés de pompes funèbres. Il faudra d’ailleurs attendre 1997 pour qu’une réglementation contraigne les établissements hospitaliers comptabilisant plus de deux cent décès annuels à concevoir des aménagements de type chambre mortuaire et structures d’accueil des familles. De fil en aiguille, la mort est entrée dans la « chaîne des soins », et les demandes croissantes de soins dits « palliatifs » constituent à cet égard une assez forte pression sur les établissements de santé.
Nous sommes loin du temps où les Egyptiens, pour ne citer que cet exemple, orchestraient en grande pompe le départ du défunt pour le monde d’Osiris : de nombreuses castes de métiers funéraires faisaient alors florès, danseuses et autres pleureuses étant chargées d’incarner le désespoir et l’affliction, et ce faisant de donner un tour cérémonieux aux funérailles. De nos jours, la mort en Occident est silencieuse, et plus de 70 % des individus décèdent en établissements de soins. Au centre du dispositif, il y a d’abord le « conseiller » ou « assistant » funéraire. Indissociable de la naissance des entreprises de pompes funèbres au 19ème siècle et grand ordonnateur des funérailles, ses fonctions se sont progressivement accrues et connaissent encore de fortes évolutions depuis l’ouverture du marché à la concurrence (loi n° 93-23 du 8 janvier 1993.) « De pourvoyeur de fournitures mortuaires et coordonnateur des principaux acteurs funéraires (famille, représentants religieux et publics) à conseiller commercial et "prestataire" de biens symboliques, l’assistant funéraire voit son champ d’intervention s’élargir vers la dimension symbolique de la pratique funéraire » (Revue française des affaires sociales). Et en effet, le conseiller funéraire reçoit les familles, organise, planifie et supervise avec elles les funérailles dans leurs moindres détails ; à l’occasion, sa présence peut être requise par la police afin de témoigner de la disparition d’une personne. Interlocuteur privilégié des endeuillés, sa fonction est donc d’autant plus complexe qu’il est aussi, de facto, un agent commercial, et qu’à ce titre son entreprise est en droit d’attendre de lui qu’il soit productif.
Les métiers de la mort sont naturellement chargés d’une connotation un peu déplaisante. Les employés du secteur y trouvent d’ailleurs matière à galéjade, éprouvant parfois quelque plaisir trouble à renseigner leurs interlocuteurs sur leur fonction sociale – quoique se défendant d’hériter du croque-mort de Lucky Luke, lequel trouvait toujours quelque intérêt très lucratif à la mort. Il est vrai que ces métiers exigent de leurs acteurs civilité, élégance, pudeur et discrétion, en sus d’une certaine technicité. Ainsi en va-t-il des ambulanciers, pour n’évoquer que le début de la chaîne qui mènera jusqu’à l’inhumation ou à la crémation, auxquels revient la charge de transférer vers une chambre funéraire ou mortuaire tout personne défunte à son domicile ou dans un centre de soins. Ou encore des agents de crématorium, qui doivent à la fois réceptionner les corps, accueillir les familles, ordonnancer les cérémonies, vérifier les dossiers de crémation, procéder à la crémation en tant que telle (mise en route du four, réglage, fonctionnement), disperser ou remettre les cendres aux familles, et assurer la maintenance du four.
Le thanatopracteur, « praticien des morts », est le plus récent des métiers funéraires, dont la fonction est justifiée à la fois par des impératifs sanitaires et par le souci de faciliter le travail de deuil en lissant le visage de la mort. Son travail consiste à nettoyer le défunt et à le désinfecter avant de lui injecter une composition antiseptique et aseptique à base de formol. En un peu moins de deux heures, le thanatopracteur aura donné au trépassé une apparence digne, écarté tout danger sanitaire ou infectieux, et pourra présenter le corps rhabillé et maquillé au domicile de sa famille ou dans un salon funéraire. On compte à ce jour environ 700 thanatopracteurs en France, mais la profession, encore très masculine, est appelée à se développer fortement dans les années qui viennent. Le thanatopracteur a suivi une formation en école spécialisée, est titulaire d’un diplôme national créé en 1994, et ne peut exercer sans habilitation préfectorale.
Reste que si la mort se médicalise, écho sans doute d’une société qui aspire à toujours plus de sécurité, de confort et de protection sanitaire, arrive l’inéluctable moment où elle redevient rudimentaire et recouvre son fumet naturel de terre et de cendres. Outre les médecins légistes, qui ont entre autres compétences celle de mener une tâche aussi ingrate que l’autopsie, et doivent ce faisant affronter ce que le corps humain a de plus organique, les métiers funéraires traditionnels ne sont pas davantage que les autres exposés à une quelconque crise de la demande. L’on citera ici les fossoyeurs, dont on oublie parfois que, s’ils inhument les morts, on peut aussi leur demander de les exhumer ; les porteurs, qui sont le plus souvent également chauffeurs, dont le travail consiste à transporter le défunt jusqu’au lieu de sépulture ; les marbriers, qui travaillent des blocs de granit dont le poids peut aller jusqu’à douze tonnes ; les graveurs de monuments, dont la technique délaisse de plus en plus la méthode manuelle pour adopter la gravure au jet de sable (malgré les risques de pneumoconiose consécutive à l’exposition à la silice) ; et bien entendu les gardiens ou conservateurs de cimetières, employés communaux qui font un peu office d’agents à tout faire : renseigner les entreprises de pompes funèbres, guider le public, emmener les cortèges jusqu’au lieu de sépulture, veiller à l’état du cimetière, assister personnellement aux inhumations. Il faut ajouter à cela que, dans un très grand nombre de petits cimetières, c’est sur le gardien que reposent les travaux d’entretien. A l’occasion, il peut même fleurir les tombes délaissées. Enfin, si cela ne fait nullement partie de ses attributions, il est souvent conduit à faire preuve d’écoute et de disponibilité, nombre de personnes en deuil n’hésitant à se confier à lui ; ainsi peut-il jouer un authentique rôle de soutien psychologique.
Enfin, l’on ne saurait taire certaines fonctions plus ou moins reluisantes (les bourreaux), voire franchement criminelles (les tueurs à gages), dont le point commun est d’être, eux aussi et à leur manière, des salariés de la mort.
La fonction du bourreau, ancienne et protéiforme, est naturellement très intéressante, en ce sens qu’elle se situe aux confins du droit et du meurtre. Pourtant, au début du Moyen-Âge, le bourreau ne se contentait pas de torturer et d’exécuter les arrêts de justice : il était aussi chargé de capturer les chiens errants, d’équarrir les animaux morts, d’ensevelir les corps des suicidés ou de nettoyer les cloaques ; sa mission pouvait même aller jusqu’à la surveillance des lieux de prostitution. Longtemps, sa fonction ne fut pas officielle, et le bourreau était d’ordinaire choisi au sein de la population, en dehors de la ville où la sentence devait être exécutée ; c’est sa professionnalisation, au cours du 13èmesiècle, qui en fera un individu honni par tous. Cette dernière remarque n’empêcha toutefois pas que sa fréquentation intime de la mort, ainsi que sa connaissance présumée de l’anatomie, le conduisirent parfois à faire office de rebouteux. La Révolution française contribua à réhabiliter sa fonction, lui restituant son statut de citoyen à part entière, puisqu’il ne pouvait auparavant ni élire, ni être élu. Son métier n’existe par définition plus dans les pays qui ont aboli la peine de mort ; dans les autres, les pouvoirs institués tentent, non sans maladresse, d’adoucir son image en lui attribuant des fonctions plus ou moins médicales.
Quant aux tueurs à gages, c’est encore une autre histoire… Dans Le Tueur, Confessions d’un ex-tueur à gages (éditions au Carré, 2004), le journaliste Alain Stanké a recueilli le témoignage de Donald Lavoie, qui fut le tueur à gages attitré d’une grande famille, les Dubois de Saint-Henri. Après qu’il eut commis pas moins de quinze meurtres pour le compte de ses employeurs, ladite grande famille retourne sa veste et met sa tête à prix pour un million de dollars. Conséquemment, Donald Lavoie change de camp et se met au service de la police. Il vit désormais sous une nouvelle identité, s’est marié, est père d’un enfant, et mène une vie parfaitement normale. La réinsertion n’est pas toujours un vain mot.
M. Villemain