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Marc Villemain
5 février 2021

Isabelle Flaten - La folie de ma mère

 

Une mère, un père et passe

 

De ce que j’en sais, la possibilité de ce récit taraudait Isabelle Flaten depuis longtemps. On peut le comprendre : le livre à la mère – au père – peut bien être le livre d’une vie. D’Isabelle Flaten, on a toujours connu l’écriture nerveuse, parfois à fleur de peau, sans grands effets, comme travaillée par en-dessous par un je-ne-sais-quoi de colérique et de farceur, d’où naît ce style volontiers rapide, turbulent, incisif, parfois sarcastique. L’humour, donc, n’est jamais bien loin, retourné contre soi ou à visée plus sociologique, et c’est un humour dont on sait très tôt qu'il n’est jamais gratuit : plutôt l’indice d’une certaine humeur, agacement, impertinence ou coup de sang. Ce qui fait des livres d’Isabelle Flaten des objets finalement assez singuliers, où l’on peut tout à la fois rire ou sourire et se sentir lesté d’une certaine gravité ; d’un mot, disons que la légèreté apparente peut bien être lue comme une façon polie d’appuyer là où ça fait mal.

 

L’étonnant est qu’elle ne perd rien de ces attributs dans ce livre-ci, qu’il est tout de même difficile de considérer comme un roman et qui, par son registre et dans sa nécessité même, aurait bien la pu conduire à atténuer ce que son mauvais esprit a généralement de réjouissant. Isabelle Flaten se raconte, et se raconte à travers une mère qui n’en finit plus de côtoyer la folie : cela seul aurait pu suffire à édulcorer le fiel gaillard qui fait l’ordinaire de sa prose. D’autant qu’à cette mère insaisissable fait écho un père littéralement insaisi, comme nous le découvrons dans la dernière partie du livre. Autrement dit, rien ou si peu de ce qu’Isabelle Flaten raconte ne prête véritablement à sourire, et l’on ne peut pas ne pas éprouver l’espèce de grisaille ou de rire jaune qui teinte jusqu’aux scènes les plus cocasses (le trait folâtre de sa peinture des années 70, quand certaines marottes valaient certitudes idéologiques, vaut son pesant). Pour autant, jamais elle ne nous enfonce dans les marécages de la sentimentalité : elle a compris depuis longtemps qu’aucune périphrase ne sera jamais aussi nette et dure que l’exposé des seuls faits et motifs, et sait que jugements et sentiments croupissent dans l’eau de rose davantage qu’ils n’y croissent.

 

Exit le pathos, donc, qui ne résiste pas à une écriture étonnamment assurée dans ce type de récit propice à l’indécision, aux contournements ou aux évitements. Et l’on se surprend à constater, lisant ce livre qui devait être au bas mot assez déroutant à écrire, combien son écriture a gagné en précision, en mobilité, en maîtrise, mue par un rythme, ou plutôt l’évidence d’un rythme que je ne crois pas avoir rencontré, du moins à ce point, dans ses précédents textes, et qui achève de nous laisser sur une impression de grande maturité. Aussi me demandé-je si Isabelle Flaten ne serait pas, ici, à son meilleur.

 

Isabelle Flaten, La Folie de ma mère
Éditions Le Nouvel Attila

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