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Marc Villemain
les humains
13 juin 2007

Quel animal sommes-nous ?


Nous sommes des ânes qu'un peu de foin réjouit
: j'avais retenu ce mot d'une ancienne lecture de Christian Bobin. Sans doute parce que, pour une fois, il ne nous cherchait pas d'excuse.

24 mai 2007

La solitude


On aime la solitude pour autant qu'elle ne nous laisse pas seuls avec nous-mêmes, pour autant qu'on la laisse libre d'en fréquenter d'autres et d'être entendue, parfois reçue par elles. On l'aime quand elle est une manière, la meilleure pour nous, pour notre besoin d'espace et de distance, d'accompagner le cours du monde. Elle nous abat dans l'instant même où nous n'entrapercevons plus notre silhouette dans le lointain.

9 mai 2007

(Petite) ville Lumière

J'ai passé bien du temps (trop, sans doute) à faire état de mes agacements politiques récents. La France a ce qu'elle mérite autant que ce qu'elle a voulu ; nous verrons bien, avec le temps, ce qu'il faudra penser de tout cela. Pour l'heure, notre nouveau président, non encore nommé, est en vacances luxueuses pour une soixantaine d'heures. Sans doute y avait-il plus adroit, et de meilleur goût, mais je ne vois pas là motif à une quelconque "montée au créneau". Les Français, d'ailleurs, s'en foutent - et même, à mon avis, lui donnent peu ou prou raison. Que le premier réflexe de la gauche (qui, en matière de faste et de somptuosité, n'est pas spécialement innocente) soit de retrouver ses traditionnels accents d'indignation morale nous donne une idée du chemin à parcourir. L'heure est donc à l'objurgation : l'analyse et le questionnement, préalables à toute refondation digne de ce nom, peuvent bien attendre encore un peu.

Tous, nous retrouvons un peu notre chez-nous. Le tumulte et la frénésie militante, avec ou sans carte politique, s'apaisent peu à peu. Les conversations en famille, les polémiques enflammées, les diatribes au zinc et les ferveurs spontanées s'espacent. L'exagération de soi, l'ampleur des certitudes, la boursouflure des opinions, les dispositions belliqueuses, parfois excommunicatrices, laissent place à une forme de distanciation quotidienne qui est aussi, disons-le, une manière de se situer dans le champ démocratique, voire de l'accepter. La France, son hymne, ses drapeaux, son imaginaire et ses slogans, rentrent au bercail des intimités - pour y sommeiller, et sans doute mûrir jusqu'aux prochaines échéances.

En écho, même très lointain, à cette séquence politique, je me suis fait l'autre jour cette réflexion que les grandes cités urbaines, que l'idée de la ville même, depuis toujours vecteurs, et vecteurs presque uniques, de la civilisation, sont devenues, au temps mondial du capitalisme, de dangereuses machines à destructurer les ontologies, à assécher les coeurs et à désorienter les projections de soi. Peut-être m'objectera-t-on que je me fais cette réflexion au moment où moi-même je me prépare à la perspective de quitter la ville : à cette aune, ma  réflexion n'aurait donc rien de conceptuel ou d'universel, et ne serait que le fruit de ma propre trajectoire. Possible. N'empêche : la ville a changé. Celle qui permettait hier que se nouent des solidarités de voisinage fomente aujourd'hui d'innombrables querelles dans nos tribunaux surchargés ; celle qui obligeait, par gestion bien comprise de l'espace, aux politesses et à la courtoisie que créent les cultures, échauffent désormais les esprits et les mots jusqu'à susciter des haines instinctives ; celle dont on pouvait vanter les promesses du brassage compartimente aujourd'hui comme jamais ; celle qui excitait les arts et les artistes charrie désormais la plus grande vulgarité consumériste ; celle qui offrait à l'individu l'incroyable luxe de se sentir seul dans la foule tout en demeurant solidaire de sa marche l'accule maintenant à regarder ses pieds dans la rue et à se terrer pour échapper aux regards - qui, tous, jaugent, jugent, et souvent condamnent.

Face à ce mouvement, que je crois régressif et par ailleurs bien loin d'être accompli, la France des villages et des petites villes, si elle accepte de considérer que la frontière du monde ne s'arrête pas à la clôture de son champ ou de son usine locale, pourrait bien incarner le lieu où non seulement l'individu peut se retrouver, mais où la collectivité peut apprendre à réapprendre les règles du savoir-vivre - et donc du savoir-vivre ensemble. Car je ne perçois rien du mouvement qui saura endiguer l'incroyable, l'indescriptible mouvement autodestructeur de la grande ville. Vient un temps où le retrait sur soi, qui n'est pas à confondre avec le repli, constitue une excellente manière de retrouver ce qu'il est d'usage d'appeler nos "fondamentaux". La mode, qu'attisent des bobos encore tout étonnés que la rude vaillance de la blogosphère n'ait pas suffi à couronner leur championne, est encore à la croyance en une ville riche de sa diversité, de ses chics friches industrielles, de son allure vive, jeune, puérilement provocatrice, de son frémissement permanent - comme on le dirait d'un coup d'état. Cet idéal, car c'en fut un, et des plus nobles, je crains qu'il ne soit devenu illusion, et, pour certains, simple idéologie. La réalité est peut-être que la ville a échoué, ou est en train d'échouer, non parce qu'elle porterait l'échec en elle-même comme le ciel les ténèbres, mais qu'elle est aujourd'hui l'accélérateur de tous les processus de destruction de ce qui, jusqu'à présent, faisait tenir les hommes ensemble. Ce qui était moderne hier, et qui, légitimement, jouissait de l'aura de ce statut, tend à se dégrader en processus crépusculaire. Autant dire en extincteur de Lumières.

25 avril 2007

Le pouvoir rend fou


Je m'étais pourtant juré de ne pas y revenir, et de ne plus évoquer cette campagne...

Hier en fin d'après-midi, vers 18 heures, Jean-Luc Mélenchon fait savoir qu'il quittera le parti socialiste en cas d'alliance avec l'UDF. Trois heures plus tard à peu près, lors d'un meeting à Montpellier, Ségolène Royal invite les électeurs de François Bayrou à construire autour d'elle une France "arc-en-ciel", avant de déclarer aux journalistes que, "bien sûr", elle prévoit d'intégrer des ministres UDF dans son futur gouvernement. Dans la salle du meeting, discret mais accompagné de quelques amis, Georges Frèche rayonne, bien que dénoncé comme raciste et conséquemment exclu du parti socialiste trois mois auparavant. L'impératif de cohérence n'étant que de peu d'importance dans cette campagne électorale, Ségolène Royal, acclamée pour son ouverture au centre qualifiée quarante-huit heures plus tôt "d'immorale" par Jack Lang (qui y voyait de quoi justifier l'exclusion de Michel Rocard), "d'inadmissible" par Pierre Mauroy, de "mystification" par Lionel Jospin, et "d'alliance de circonstance" par François Hollande, déclenchait concurremment une standing ovation en remerciant "du fond du coeur" l'extrême-gauche, et spécialement Arlette Laguillier. Comprenne qui pourra.

Admettons que j'admire la performance, pour faire plaisir aux petits Machiavel qui pullulent dans les réunions de section. Mais comment peut-on proclamer l'urgence de la rénovation politique et injurier de la sorte plusieurs millions d'électeurs ? Ceux qui ont voté pour Ségolène Royal, arguant à qui mieux-mieux que François Bayrou était "de droite" et qu'à ce titre jamais aucune alliance ne serait envisageable ? (et comment font-ils, au passage, victimes d'aveuglement, de schizophrénie ou de cynisme, pour, dans le même temps, applaudir à "l'ouverture" au centre et acclamer Arlette Laguillier ?). Ceux encore qui ont voté pour François Bayrou, que l'on a montrés du doigt comme "complices de Sarkozy" et qui se découvrent aujourd'hui tant de nouveaux amis, qui tous assurent partager exactement les mêmes valeurs qu'eux ? Et comment feront-ils pour voter, ceux qui refusaient d'avoir à choisir entre Bayrou et Sarkozy, maintenant que Royal a promis des ministres bayrouistes ?

Au-delà de la très relative crédibilité et authenticité de cette démarche d'ouverture, ce qui frappe est donc et d'abord sa parfaite indécence. Or cette indécence a une origine : ce qui meut le parti socialiste, au fond, et nonobstant la sincérité initiale des engagements individuels, c'est la seule conquête du pouvoir. Le PS, depuis 1981, ne se vit plus que comme un parti de gouvernement - il n'est d'ailleurs pas un parti d'élus pour rien. Seule importe la victoire de leur étiquette - et tant pis si le sens y perd des plumes, si la doctrine change au gré du vent ou des humeurs, s'il faut tordre le cou à Jaurès, aux électeurs ou aux engagements de campagne, ou s'il faut ajourner encore le questionnement sur le monde, et sur soi.

14 février 2007

Pornographique, cacophonique, hystérique : l'écoeurement nous gagne

On voudrait écœurer les Français qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Temps fort et depuis peu quinquennal de la société française, les élections présidentielles se donnent en spectacle, partout, en tous lieux et sur tous supports. Tout est bon, de tout bois on fait toujours un bon feu. L'hystérie militante a vécu : elle a désormais gagné la société tout entière. Les couvertures de journaux annoncent la couleur chaque matin, les radios et les télévisions réforment leurs grilles des programmes, des dizaines de sondages quotidiens tâtent le pouls du troupeau, des millions de blogs ad hoc fleurissent jusque dans les coins les plus reculés, les forums virtuels, tous plus véhéments les uns que les autres, sont pris d'assaut, et la plus pittoresque des associations trouve son mot à dire sur la bonne marche du monde. Nombreux s'en réjouissent, observateurs patentés ou acteurs auto-proclamés, assurant que cette effervescence collective est la preuve de l'excellente santé civique de notre nation, l'indice d'une patrie enfin résolue à remonter ses manches et à mettre la main dans le cambouis du monde. Les choses me semblent, à moi, un peu moins idylliques : sous couvert de participation, la société est devenue son propre média. Il était facile, hier encore, de stigmatiser la spectacularisation de la politique : elle était de la responsabilité des médias et des acteurs politiques qui, volens nolens, éprouvaient quelques difficultés à ne pas se prêter au jeu. Nous n'avons plus d'autres coupables aujourd'hui à désigner que nous-mêmes.

Moyennant quoi, Libération me tombe des mains chaque matin. Et s'il  me faut malgré tout admirer quelque chose, alors disons que j'admire l'imagination et l'inventivité dont doivent faire preuve, chaque jour, depuis et pour des semaines encore, les journalistes, commentateurs, experts ès opinions et autres filous de la comm' pour trouver une nouvelle manière d'aborder le sujet. N'imaginons pas une seconde que cette agitation permanente contribuât en quoi que ce soit à façonner notre compréhension du monde ou à stimuler notre intelligence collective, si elle existe : le chaos permanent des avis, des opinions, des diatribes, des revendications, des objurgations, des exclusions, cet incontrôlable pugilat exponentiel qui se targue de vertu démocratique, donne le ton de l'amertume qui se prépare. Les Français sont doués pour s'échauffer les sangs. Ils ont adoré se faire peur le 21 avril 2002 - avant de reculer devant l'énormité de la chose ; je suis à peu près certain, aujourd'hui, que si le souvenir de cette peur les tétanise encore un peu, ils sont, à tout le moins, mûrs pour le grand frisson.

Un jour viendra où l'on comprendra qu'une société de transparence est avant tout une société de surveillance. La seule chose que je ne suis pas en mesure d'évaluer, c'est s'il sera trop tard ou pas.

Et Dieu merci, je n'ai pas la télévision.

7 février 2007

Du début à la fin, et nous au milieu


Plus nous en savons du monde, moins nous le connaissons. L'assertion est brutale, mais l'impression plus forte que jamais. Mieux nous sommes informés, plus opaque nous apparaît le sens de l'aventure humaine. Chaque jour nous lisons et détruisons la presse de la veille : l'ennui n'est pas que nous oublions ce que l'on y a appris, mais qu'aucun esprit humain n'est en capacité de mettre autant d'informations en correspondance. L'intelligence du monde nous échappait hier par défaut de connaissances, elle nous fuit aujourd'hui par trop-plein d'informations. Dans les deux cas, c'est l'action des hommes qui en pâtit, au mieux assez vaine, au pire catastrophique. De ce hiatus, je ne sors pas. Il y a des êtres qui ont vu la naissance du monde, qui ont appris à le créer, et d'autres qui en verront la fin, sans doute dans de grandes souffrances. Nous, nous sommes entre les deux. C'est une très longue période, qui aura recouvert l'histoire de l'humanité. Mais nul ne peut douter que cette histoire est bornée.

3 janvier 2007

Les acteurs


Disons les choses simplement. L'éclosion et le lent enracinement de l'aspiration démocratique, densifiée à l'extrême lorsque les idéologies prométhéennes prirent le relais, ont donné à l'individu le sentiment de sa puissance en tant qu'acteur de l'histoire. De ce sentiment, nous ne nousdéferons pas facilement - suivant le principe de l'avantage acquis. De grands acteurs existent pourtant ; ils sont pour la plupart connus, quelles qu'aient été par ailleurs les conséquences de leurs actions. Mais ils sont peu nombreux, galvaudés parfois, récupérés toujours, méconnus le plus souvent. Le gros des troupes humaines, ceux-là mêmes qui forment les bataillons de la démocratie, est exclu de cette geste de l'action : nous ne sommes en réalité que des spectateurs, dans le meilleur des cas des témoins - mais des témoins voués au mutisme.

Le franchissement arithmétique des années, chaque 1er janvier, est un artifice calendaire, ludique et symbolique qui ne saurait détourner de cette lucidité : nos vœux, pour la plus grande part d'entre eux, demeureront pieux. Et le plus vraisemblable est que notre avidité à nous sentir acteurs de l'histoire ne conduise guère qu'à aggraver les choses. Je comprends qu'on puisse s'en attrister.

15 décembre 2006

Du courage

David_and_Goliath
P
ourquoi nous souhaitons-nous si souvent, à la moindre occasion, comme ça, au détour d'un bonjour ou d'un au revoir, pourquoi nous souhaitons-nous si souvent "bon courage" ? D'aucuns méritent cet encouragement : ils souffrent en leur âme ou dans leurs chairs, leur vie est un désastre, ou, plus simplement, requiert une obstination, une pugnacité, un courage particulier, justifié, parfois exemplaire. Mais cette sollicitude a atteint de tels degrés, s'est répandue à un point tel, qu'elle ne peut décemment recouvrir une quelconque réalité. Faire la queue dans une grande surface, respecter une obligation professionnelle, prendre sa voiture pour une durée supérieure à une heure, sortir acheter des croissants alors que le soleil n'est pas encore levé, ou même sans raison, parce qu'il faut bien que la journée se passe : tout est prétexte à cette sollicitude. J'ai chaque jour l'occasion de souhaiter bon courage à mon épouse ; mais je sais pourquoi : son activité dépasse de très loin mes capacités, physiques, psychologiques et morales, je sais que je m'écroulerais dans un lit d'hôpital au bout de dix jours de son régime, et ne conçois donc la possibilité même de son activité qu'à la condition de faire montre d'un courage que je n'ai pas, moi, à éprouver. Peut-être cela signifie-t-il, donc, que tous ceux qui nous souhaitent "bon courage" sont ceux-là mêmes qui, en leur for intérieur, savent qu'ils en manquent ? Peut-être. Mais cela va sans doute au-delà de cela. Car si l'on met de côté les cas les plus évidents (souffrance, abandon, solitude, misère, deuil, dépression, maladie, terreurs diverses), les occasions pour les contemporains occidentaux de faire preuve de courage sont somme toute assez rares. Tout au plus avons-nous besoin, pour vivre au jour le jour, d'un peu de volonté, de fermeté morale et d'énergie. Alors ? Alors il se pourrait bien que notre société, qui promeut comme aucune autre la promesse du bien-être, du confort, de l'esthétique corporelle, de l'enfance éternelle et de la mort sans douleur, qui valorise comme jamais l'organisation, la planification, l'anticipation, le contrôle social et le bien-nommé principe de précaution, qui prête une attention exorbitante aux moindres caprices, aux moindres plaintes, aux moindres frustrations, ne soit plus en mesure d'appréhender le dépassement de soi, de comprendre l'effort résigné, silencieux, assumé, d'accepter, même, l'idée que la vie ne soit pas jouissance perpétuelle. Tant et si bien que nous faisons de nos petits tracas motif de grandes doléances, et que nous nous sentons sincèrement satisfaits de nous-mêmes lorsque nous avons pu les surpasser. Laissant le vrai courage à d'autres - ceux qui n'ont pas même le loisir de s'en prévaloir.

4 décembre 2006

Le petit meccano

Meccano
Je  devais avoir une petite dizaine d'années lorsque je me fis mes premières réflexions politiques. Je m'en souviens car j'aimais consulter le grand Atlas du monde, ce grand Atlas où je découvris, un peu stupéfait et un tantinet défait, la petitesse physique de la France - dont je pensais évidemment que c'était elle qui menait la danse planétaire. Je ne sais plus en revanche à quelle exacte occasion je me suis formulé cette réflexion d'ordre plus concret, à savoir : comment faire pour que la société fonctionne ? Mon premier mouvement, quasi instinctif, fut, non seulement légaliste, mais systémiste. Je me disais, en gros, que si chaque individu adoptait un comportement qui fût à la fois responsable et moralement inattaquable, que si chacun y mettait un peu du sien (ne pas gaspiller de nourriture, aider les vieux à traverser sur les clous, respecter la loi, tendre la main aux pauvres et prêter ses jouets au voisin, donner à tous un frigidaire - garni - et un radiateur, bien travailler à l'école et bien se tenir à la messe), alors la société pourrait adopter son régime de croisière et entrer dans un mouvement de félicité continue. En fait, je regardais la société comme un jeu de meccano. Si j'avais vent, par la télévision, la radio, ou les discussions familiales, d'un problème quelconque, je me disais que toute solution résidait dans la mise à plat dudit problème : il fallait repartir de zéro, reconstruire brique après brique, pierre après pierre, pièce après pièce. Et j'éprouvais un plaisir assez exaltant à me savoir moi-même rouage parmi les rouages, petite main qui, par son comportement responsable et exemplaire, contribuait à ce que la grande roue continuât de tourner sans à-coups : si, à mon niveau, je mettais un peu de ma propre huile dans mon propre rouage, que je serrais convenablement les boulons (pas trop fort dans le cas où je sois conduit à les desserrer mais suffisamment tout de même pour que l'ensemble tienne), alors je ne voyais pas ce qui pourrait faire obstruction à la bonne marche du monde.

Naturellement, je découvrirai plus tard que ce systémisme-là était une charmante utopie - qui plus est aux fondements relativement bourgeois. Le systémisme est bien, pourtant, ce qui semble présider aux réflexions de nos dirigeants, actuels et futurs. Il part du principe que tout se tient, que le battement d'aile du papillon peut en effet faire éternuer un nourrisson allergique à l'autre bout du monde, que tout problème génère sa solution : que tout, finalement, est une question d'ordre. De la même manière qu'il faut ranger sa chambre et la nettoyer afin d'en éliminer les acariens, la société doit lutter contre ses propres scories, microbes et virus. L'hyper-hygiénisme contemporain, qui procède de cette vision du monde, ne postule pas autre chose : en éliminant la misère, nous éradiquons la violence ; en éliminant les différences, nous éradiquons les sources de conflit ; en remplissant les prisons, nous éradiquons les incivilités ; en éliminant les fumeurs, nous éradiquons le cancer ; en éradiquant le cancer, nous résolvons les problèmes de santé publique ; en résolvant les problèmes de santé publiqué, nous rebouchons le trou de la Sécu ; en rebouchant le trou de la Sécu, nous stimulons la machine économique ; en stimulant la machine économique, nous faisons le bonheur de tous ; etc... Ces vieilles croyances, nourries au biberon d'un scientisme mâtiné d'essentialisme et de progressisme, n'en finissent pas de conduire à l'échec : sans aller jusqu'à écrire (confesser ?) que c'était mieux hier, on ne peut décemment écrire que c'est mieux aujourd'hui. Finalement, il semble impossible que nous nous défassions de cette vision du monde : ce serait reconnaître que l'action des hommes est nulle et non avenue - parfois même contre-productive ou désastreuse. Et en effet, ce serait insupportable.

1 décembre 2006

Balthus underground

Les regards dans le matin du métro comme un tableau de Balthus, quand aucun visage ne se croise et qu'aucun oeil ne se toise. Nous tous, absorbés dans la mécanique vitale ; autant d'énergie employée à la conservation d'un job qui, pour la plupart, rétrécit le monde et ne sert qu'à remplir l'auge - mais qui pourrait se plaindre ?

30 novembre 2006

Le pire d'entre nous

Solitude
Il 'y a rien à faire d'autre que de retomber sur l'intarissable poncif - que son mauvais air de certitude ne fait pas moins juste : l'écrivain est un être seul. Le pire d'entre nous, celui, cynique, qui ne regarde plus le monde et les hommes que comme une seule et même occasion d'en tirer une bonne histoire, celui qui s'assure de sa cote dans les pince-fesses où il s'incruste parfois avec l'allure de celui qui maugrée, celui qui ne disserte plus sur la vertu que pour mieux s'en émanciper lorsqu'il s'agit de faire les comptes, celui qui vise le sujet qui vendra le plus quand c'est celui qui lui ressemblera le moins, celui qui traque, fouille, pille les autres, en arguant de sa bonne foi et en s'offusquant de la suspiscion générale, celui dont le moteur intime ne s'allume et ne s'attise plus qu'au contact de l'épée, de la hargne jalouse ou de l'échec rédempteur, celui qui ne lit plus les siens que pour s'assurer qu'il est bien le meilleur d'entre eux, ou pour vérifier que l'autre est toujours décevant, celui-là, cet écrivain-là, aussi mort sera-t-il au miroir de l'humanité, n'en sera pas moins seul devant son écriture. Cette solitude, davantage que son dernier repère, est, sera, son dernier territoire, rabougri peut-être, pathétique si vous voulez, misérable et vain sans doute, mais son dernier territoire tout de même, là où il habitera en conscience les ultimes parcelles son humanité. Dans ce moment, ce monde qu'il voue aux gémonies et auquel il aspire pourtant avec la même et enthousiaste verdeur que le puceau devant l'objet le plus indécent et le plus incandescent de son désir, ce monde ne sera plus rien : il se résumera au micro-périmètre du bureau, du stylo et du cerveau. Et rien ne pourra l'en faire partir. Fors l'amour.

27 novembre 2006

Swiftien

PersilQu'en est-il de la "guerre du Persil", dont on parla un peu dans le courant de l'été 2002, et qui voyait s'opposer, sur fond de diplomatie internationale, de vigilance européenne et de médiation américaine, le Maroc et l'Espagne ? Le Maroc a t-il finalement pu recouvrir la jouissance du petit rocher inoccupé ? l'Espagne a-t-elle accédé aux revendication des quelques chèvres qui y luttaient pour la liberté de paître ? Ou au contraire a-t-elle persisté à voir en ce rocher une zone dangereuse qui pourrait bien, un jour, devenir une plaque tournante pour la drogue et pour la très vilaine immigration clandestine ? Bref, quelqu'un pourra t-il me répondre : qui, des Gros-Boutiens ou des Petits-Boutiens, l'a finalement emporté ? La guerre du Persil a-t-elle eu lieu ?

23 novembre 2006

Houellebecq national

Dans mes diverses notes, je tombe sur ce mot de Jacques Julliard, paru dans le Nouvel Observateur - nous sommes en février 2002, la campagne électorale présidentielle bat son plein : La rencontre de Michel Houellebecq et de Jean-Pierre Chevènement dans la salle des pas perdus du souverainisme vaut bien celle d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection. Il fallait la trouver, celle-là...

22 novembre 2006

Proverbe


Proverbe sénégalais : Tous les soirs les singes s'endorment en rêvant qu'ils sont des hommes. Tous les matins les singes pleurent. Il se trouve que, parfois, je ne serais pas en total désaccord avec la proposition inverse — m'endormir en rêvant que je suis singe, et me marrer au réveil.

21 novembre 2006

Si gênant gène...

Je ne l'ai pas inventé, ce panonceau rencontré sur mon chemin : Nous vous prions de nous excuser pour le gène occasionné. Problème d'éthique chez les entrepreneurs de travaux publics ?

20 novembre 2006

Ronchonnez, ronchonnez...

Jean Clair - Journal atrabilaire


À
ronchonner avec sans doute un peu trop d'assiduité, il était prévisible qu'un esprit très facétieux dégote à mon usage plus ronchon que moi, m'obligeant de facto à de fort déprimantes comparaisons. Ma femme ne s'y est pas trompée — elle qui sait se révéler progressiste là où je l'attends conservatrice, et inversement réciproque : est-ce par esprit de malice ou au contraire par clin d'oeil complice, je l'ignore, toujours est-il qu'elle me flanqua donc entre les mains le Journal atrabilaire de Jean Clair.

Je pourrais certes me réjouir de trouver en ce clerc plus neo-réac que moi - mais à ce jeu-là, on est toujours gagnant. La réjouissance en effet s'arrête là si l'on considère l'objet présent comme une sorte de miroir, fût-il un tout petit peu déformant. Car les mauvaises humeurs de Jean Clair font souvent mouche, et l'on peut bien dans sa bile retrouver un peu de la sienne. Ainsi de ses quelques formules féroces sur les lubies contemporaines, dès lors notamment qu'elles s'enorgueillissent de transformer en art toute pratique quotidienne finalement plus proches du penchant instinctuel de l'animal que du geste sacré de l'artiste, ou qu'elles mettent en pièce les boniments institutionnels en matière de « politique culturelle » ; ou encore, parce que cela englobe peut-être tout cela, lorsqu'il s'agit de regretter la mort du silence.

La très profonde mélancolie de Jean Clair n'est pourtant jamais aussi juste que lorsqu'elle s'attache à sa propre pierre, et, comme dirait l'autre, quand le coeur est mis à nu. L'humilité n'étant qu'une vertu relative du personnage, à tout le moins très subsidiaire, la justesse de son observation n'est jamais aussi grande que lorsqu'il en revient à lui-même. Alors parvient-il à ravaler un peu de son orgueil et de sa foncière misanthropie, pour finalement épurer un propos qui devient assez peu discutable. Ainsi de la misère (qu'il a connue) et dont il dit, dans un geste assez désarmant, qu'on ne peut au fond rien en dire : « Elle laisse sans voix. Il faut passer outre, se taire, faire comme si ça n'avait pas lieu. On revient de la misère comme on revient de la guerre, absent, mutique : ceux qui sont allés au front ou dans les camps ne parlent pas. Ou bien longtemps après, quand la douleur s'est dissipée, laisse-t-elle enfin passer, non ce qu'elle a été, mais le souvenir confus de ce qu'elle fut. C'est le moment où l'on ne se souvient même plus que l'on ne se souvient plus. Je n'ai jamais été tout à fait rassuré. » Sans doute pourra-t-on lui objecter que Primo Levi entreprend d'écrire Si c'est un homme au sortir de la guerre, en 1947, mais nous accepterons de considérer ici l'exception.

Le problème est que ce Jean Clair-là n'est à sa verve humorale et générale qu'une saillie ensoleillée. Le propos se parsème ici ou là d'une telle aigreur qu'il m'est, à moi, difficile de le suivre sur la longueur. Difficile par exemple de le suivre quand il décrit ces intermittents du spectacle, « mangeant beaucoup, buvant sec et parlant haut », qui plus est rejoints par « quelques gros bras de Marseille », dont le tort ultime est finalement d'interrompre une représentation que l'on veut bien croire divine du Pierrot Lunaire de Schoenberg. Ou quand, dans une suite qu'il aimerait logique, il assène : « Arrière-grand père paysan. Grand-père instituteur. Père professeur. Exemple bien connu d'ascension sociale. Mais le fils ? Il deviendra musicien Pop, Rock ou DeeJee ». Ou encore quand il s'en prend à ces « jeunes filles, soumises à l'emprise de l'interruption de grossesse et au déni de la maternité » qui « exhibent avec tant d'indifférence ou de passivité leur ventre lisse et leur nombril », et ainsi mettent « en avant, invisible mais d'autant plus présent, le lien ombilical qui les rattache, lors même que les notions de descendance et de transmission ont été effacées, à la mère dont elles sont nées ». Pitoyable et manifeste décadence qui l'autorise à cette conclusion : « Pendant ce temps, furtives et balancées, couvertes de voiles aux profonds coloris, glissent ces femmes qui témoignent contre nous de cette discrétion du corps, de cette élégance et de ce maintien qui furent les signes extérieurs de notre culture et les garants de sa pérennité ».  Le lecteur est à tout le moins autorisé à douter que celles qui ont pu s'émanciper de leurs parents et/ou de leurs grands frères et/ou de quelques-uns des dogmes les plus discutables de leur religion, apprécieront comme il se doit et à leur juste valeur la touchante nostalgie de l'auteur et son si poignant lamento.

On ne peut donc impunément lire Jean Clair ; c'est d'ailleurs assez stimulant, drôle parfois, presque gai, tant il excelle au combat. Mais il faut le lire en jouant le jeu, c'est-à-dire avec un minimum d'empathie ; faute de quoi, de colère on refermera le livre — et ce serait dommage. Non, comme pourrait le penser tel militant un peu sot, car il faut toujours connaître l'ennemi afin de mieux le combattre, mais parce que ce qu'il écrit, et vit, est aussi une réponse disponible au monde tel qu'il va, et tel qu'il suscite cette réponse. Je sais gré à ma femme, donc, d'avoir fait de moi un progressiste bon teint par réaction — tout en lui suggérant, la prochaine fois et de préférence, de m'offrir un bon vieux Régis Debray, lequel sait laisser affleurer l'écrivain et le romancier en lui, au point de pouvoir m'embarquer dans sa colère sans me donner l'envie du pugilat — et même, parfois, en emportant ma conviction.

Jean Clair, Journal atrabilaire - Éditions Gallimard / Collection L'un et l'autre

17 novembre 2006

Joyeux de pauvres !

Métro bondé. Air irrespirable. Altercations banales. Surgit un de nos modernes gueux, qui redonne le sourire au wagon entier. Energie de la désespérance - la société urbaine sauvée par ceux-là mêmes qui en souffrent.

17 novembre 2006

Journal du 6 février 1996


Je fouille et farfouille toujours dans mes vieux journaux, non sans quelque malaise. J'en conserve certains états, certains mots - à fins d'archivage, c'est certain, mais aussi parce que, pour certains d'entre eux, et sans nécessairement le partager, comme c'est le cas ci-dessous, j'en comprends encore l'esprit.

     On demande trop à la vie. Elle n'est qu'un processus. Nous nous agitons : en vain. Seule l'extase intérieure, seul le côtoiement passager de la folie, peuvent, à cette vie qui s'impose, ajouter quelque sens et beauté. Qu'importe de vivre s'il n'y a pas d'œuvre à la clé ? Vingt-sept ans, et pas l'ombre d'un commencement d'œuvre en vue.

8 novembre 2006

Se préparer à se souvenir

Ces souvenirs, ou ces rêves de souvenirs ? Mais tous les souvenirs sont des rêves et certains moments de nos vies ont été en leur occurrence même si envahis par le rêve qu'à se souvenir d'eux c'est l'essentiel de notre passé mais aussi de notre désir, de notre avenir, qui se découvre.

Yves Bonnefoy
Dans un débris de miroirs - Editions Galilée

Il est difficile de démêler ce que nous conserverons, du souvenir d'un lieu ou des souvenirs que nous nous y sommes forgés. Les souvenirs sont comme des visages adverses qui se renvoient à la face leurs rides, leurs matérialités propres et leurs évanescences - rien n'est inoxydable. Et nous ne savons plus très bien, au fond, ce que ce souvenir-ci doit à cet autre-là - et réciproquement. Peut-être est-ce l'avancée dans l'âge qui me fait ainsi accorder davantage d'attention aux lieux que je traverse - comme si ce qui, auparavant, n'était au mieux qu'un décor de l'existence, prenait avec le temps les contours d'un aspect même (d'un lieu) de l'existence. Ou peut-être, au contraire, est-ce l'attention nouvelle que je m'efforce d'appliquer aux choses que je vis qui, en vieillissant, me fait accorder davantage d'importance au décor qui les a vu naître. Aussi, moi qui ai toujours traversé les choses et le temps avec une espèce de détachement un peu irresponsable - fût-ce pour mieux les refouler - je me surprends aujourd'hui à envisager ce que je regretterai d'une ville que j'aime (Paris) et que, pourtant, j'envisage de quitter.

Comme nous aimons nous préparer aux plaisir que nous projetons, comme nous jouissons par anticipation de ce qui est prévu qu'il advienne, il est possible de se préparer à se souvenir. Ce n'est pas une construction intellectuelle, c'est une sensation éprouvée. Tout d'abord parce que se préparer au souvenir, c'est se préparer à accepter de partir - ce n'est pas si évident, quand la ville s'appelle Paris, qu'on y a sa vie depuis plus de dix ans et que, quoiqu'en disent les sots, c'est aussi à Paris que se façonne et se fabrique ce qui, non seulement est contemporain du temps, mais ce qui attend notre temps. Ensuite parce qu'on ne quitte jamais un lieu avec l'absolue conviction d'avoir raison de le faire - comme on dit, on sait ce qu'on gagne, pas ce qu'on perd : on ne fait qu'entrevoir, et espérer. Enfin parce qu'accepter de considérer ce qu'on a sous les yeux comme du souvenir en cours de fabrication permet aussi de l'accepter comme souvenir, donc comme partie intégrante de soi - donc comme objet dont il est enfin possible de jouir tout en commençant à s'en détacher.

Et puis disons-le : Paris a changé. D'aucuns - ils ont l'énergie, l'ambition, la légèreté - s'en réjouissent ; d'autres - j'en suis parfois - s'en attristent. A bien des égards, la ville ne semble plus qu'un prétexte à l'expérimentation de fonctionnalités que l'on dit modernes et au façonnage de désirs que l'on espère nouveaux. Epicentre de la clinquance et gigantesque chaudron à fabriquer de l'exclusion, elle met tout le monde dans l'embarras : ceux qui s'en sortent parce que le spectacle de ceux qui ne s'en sortent pas vient gripper leur satisfaction de s'en être sortis ; ceux qui ne s'en sortent pas parce que le miroir que leur tend la ville anéantit jusqu'à leur dernier espoir. La ville lumière est devenue l'ombre d'elle-même : elle créé de l'événement là où il y avait de la culture ; elle mercantilise là où il y avait de la passion ; elle esthétise là où il y avait de la sueur. Elle compta pourtant, cette ville-là comme d'autres, au nombre des berceaux de l'humanité : c'est dans la ville que l'individu apprit à exister dans la communauté, c'est dans la ville que les communautés apprirent à composer avec les individualités qui s'y retrouvaient : je ne suis plus certain, aujourd'hui, de la pérennité de cette belle et moderne équation, du moins tant que triomphera le fantasme de la futuropolis - normalisation, hygiène et sécurité.

Que trouverai-je là bas - où je serai ?  Non pas l'envers du décor, non pas, même, son exact renversement, mais une terre où il faudra sans doute repartir de zéro, reconstruire l'humanité, et, finalement, recommencer le geste qu'ont dû faire les premiers hommes - les premiers urbains.

26 octobre 2006

Resucées barbares

Images saisissantes de cette colonne de réfugiés tibétains, tirés comme des lapins par des gardes-frontières chinois postés en surplomb d'un glacier. C'est du déjà vu (Espagne, Bosnie etc...) : les images de la barbarie humaine sont toujours des resucées.

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