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Marc Villemain
22 mai 2007

Mourir, oui. Mais comment ?


Comme tout un chacun, il peut arriver que je pense à ma mort. Les moments perdus peuvent servir à cela. Il n'y a rien là de spécialement lugubre, plutôt quelque chose d'assez factuel. Simplement m'en représenté-je les lieux et conditions possibles. Sans doute n'est-ce pas véritablement moi qui y pense, mais elle qui me fait penser d'y penser. La nuance est importante : elle signifie autant qu'on se prépare à la mort qu'elle-même suggère que l'on s'y prépare. C'est comme dans une vie de couple : ça marche à deux.

Hormis l'imprévisible accident de la route (je n'ai pas de voiture), chute de vélo (que je ne pratique pas), ou coup de poignard dans une ruelle sombre (que je fréquente peu), l'infinité des manières de mourir peut sembler assez théorique. Aussi le plus probable, quoique loin d'être certain, est que nous mourions (est que je meure) d'usure, de fatigue ou de maladie. Ainsi me vois-je assez bien mourir, après une course effrénée avec mon chien sur les falaises d'Etretat, d'une petite défaillance du coeur ; le temps que les sauveteurs arrivent et qu'ils me transportent jusqu'à l'hôpital de Fécamp ou du Havre, le mal aura peut-être fait son boulot. Je peux aussi mourir du fait de poumons négligents ; la chose se produira alors dans un lit d'hôpital, après avoir pris le temps qu'il lui aura fallu ; mais je pourrais tout aussi bien mourir d'un mal à ce jour non encore diagnostiqué. Je pourrais aussi tomber dans l'escalier, sous le poids des cartons de livres (il faudra à ce propos, Marie, que nous réfléchissions assez précisément à la question du stockage). Ou, mais cela paraît peu vraisemblable en Normandie, parce que la sole n'était pas assez fraîche. Evidemment, ma statue se trouverait confortée si je pouvais trépasser à ma table de travail, rompu de m'être acharné plusieurs jours et nuits durant sur le grand livre qui bouleversera la littérature mondiale. Cette perspective est toutefois assez peu réaliste.

Il serait difficile de nier la part de vraisemblance de ces multiples projections. Pourtant, il est à parier que la mort trouve quelque ruse qui en vienne à bout. Le travail de préparation n'en aura pas été vain pour autant, les circonstances d'un décès n'ayant d'intérêt que dans le fantasme et le processus à l'oeuvre aboutissant de toute manière à la même chute. Ce qui est étrange, si l'on parvient à sortir des représentations doloristes ou tragiques de ce mauvais moment, c'est qu'on peut aisément en percevoir les vertus presque lénifiantes. Passer de l'état d'extrême vivant à celui d'absolu néant n'est pas une énigme, comme certains esprits romantiques pourraient le concevoir, mais un fait imperturbable - qualité qui lui donne précisément cet aspect ou cette dimension de grand apaisement. Un peu à l'image du calme serein qui semble régner à la surface de la lune.

Ensuite, il y a ce que l'on pourrait souhaiter. Aussi l'idéal, pour mourir dans quelque dignité, serait de le faire à la manière de ces animaux dont on dit qu'ils sentent venir la chose et, quelques jours ou semaines avant le gong, se défont de leur monde, lui tournent instinctivement le dos et s'en vont chercher l'arbre ou le coin de terre où ils expireront, seuls. C'est une très belle image de la mort, une de celles, en tout cas, qui s'approchent au plus juste de la communication qui s'est peu à peu établie entre elle et ce qu'il faut bien finir par désigner comme sa victime. Seulement voilà. S'il semble bien que cette représentation me corresponde relativement, si elle peut répondre à la part de fantasme que je ne peux réfréner à ce sujet, elle demeure insatisfaisante à ce stade. Car je voudrais à la fois pouvoir mourir seul et dans les bras de celle que j'aime. J'ai la solution du problème, et je l'ai trouvée dans la vie : un couple, un amour, c'est une solitude à deux. Ces deux solitudes aimantes n'en faisant plus qu'une, je pourrai alors mourir sans déranger mon monde, sans avoir à en essuyer le regard, et dans la compagnie la plus chère qui me soit. S'il ne s'agissait hélas d'en éprouver la fin, ce serait presque une image du bonheur.

Commentaires
F
Vivre c'est accepter de mourir et mourir c'est accepter d'avoir vécu.<br /> Je voulais faire un long discours sur le sujet mais je ne m'en sens plus force, donc se soir je m'en tiendrais a cette petite phrase. <br /> Chaque personne a sa perception de la mort, mais une chose que beaucoup on comprit ses qu'elle est toujours présente avec nous, tout au long de notre vie la mort nous suit tels un compagnons fidèle, certaine personne en tombe même amoureuse et finisse par la rejoindre consumer par leurs sentiments.
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F
Je suis l’esprit ou l’âme. J’hésite à utiliser l’un ou l’autre. Si je constitue l’être vivant, humain, je n’existe plus et je ne peux pas être l’âme. Si je suis l’esprit, je suis le représentant du souffle vital, là encore le vivant. Agathe m’a lâché(e) un jour d’été, alors qu’elle se promenait le long d’une route de campagne. On a décidé pour elle. On pourrait appeler ça le destin, des éléments isolés qui se rencontrent au même moment, au même endroit.<br /> Agathe et moi nous entendions bien ; une fusion totale entre son corps et mon impalpable, son invisible, ses sentiments, ses pensées. Elle était mon temps et mon espace, mon domicile permanent, sédentaire et pourtant nomade. Je partageais avec elle chacun de ses constituants physiques.<br /> J’ai assisté à ses funérailles, à cette étrange fin, cette maladie de la mort qu’est la vie. Déjà, je flotte dans les airs, parmi ceux qui pleurent mon identité de chair ; je frôle le temps qui passe.<br /> Je flotte un peu plus haut, salué(e) par mes frères de sang du spirituel. Je flotte toujours plus haut, prenant déjà conscience que je vais me promener dans l’immortalité, dans des mondes parallèles, des temps superposés. Que nous sommes nombreux, invisibles à l’œil, perçus quelquefois par certains d’entre vous. Oui, nous sommes une grande famille, des reliquats, déambulant, intouchables ; nous sommes l’esprit et l’âme à la fois, immuables dans notre irrémédiable impossibilité à contacter physiquement. Tour à tour, nous sommes les sans domiciles des bons, des guerriers, des joyeux lurons, des menteurs, des grands, des petits, des salauds, des fous, des sages, des cons, des poseurs de misères, des soldats de la peur, des curieux, des artistes, des assassins, des…, des…<br /> Nous avons perdu nos corps. Nous sommes orphelins, enfermés dans les univers interminables, condamnés au surpeuplement du néant, à la parfaite solitude d’une multitude d’âmesprits. Nos bons ne peuvent plus être touchés par nos criminels. Nos miséreux ne hurlent plus au pain quotidien. Nos artistes ne créent plus. Nos amoureux sont inertes. <br /> Terre poursuit son présent et son futur d’humains.<br /> Charles se recueille sur la pierre des poussières d’Agathe, pensant avec tristesse au jour où elle a rendu l’âme. C’est l’expression usuelle, on ne rend pas l’esprit, n’est-ce pas ?<br /> On pourrait croire, à bien y réfléchir, que j’étais en quelque sorte prisonnier du corps d’Agathe. Il n’en est rien ! En réalité, je me sens esclave de mon immortalité. Mon cosmos et mon ère illimités m’enferment dans la liberté d’être sans achèvement.<br /> Mais la faim de retourner chez Agathe pour y faire vivre son corps est toujours présente. J’ai tenté quelques incursions dans d’autres corps. Les phénomènes de rejet ont été nombreux ; les portes étaient condamnées par les facéties du rationnel et les abus de biens matériels. Il m’est arrivé d’entrer en contact avec certaines anatomies dont j’ai pu toucher les âmesprits. Ceci a causé quelques périls en la demeure, des émerveillements, des chocs ante-mortem, des révélations grandioses d’un ailleurs ressenti. Ces retours dans mon passé sont de courte durée, toujours suivis de nouvelles voltiges générées par des oscillations dont j’ignore l’origine.<br /> J’aspire à être un corps mortel vivant chaque instant avec une intensité telle que mon âme et mon esprit, le jour de mon trépas, seraient libérés de toute substance, mettant fin à l’éternel. <br /> Le journal de Stef (38) FB
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M
Il ne s'agit pas tant ici d'anticiper ou de préparer la vie future ou le moindre moment à venir que de se projeter dans sa propre cohérence. Vivre l'instant, soit, j'en suis d'accord, mais nos désirs fluctuent, changent, évoluent, et le plus malgré nous (le poids de l'expérience, des années, du corps etc...). Vivre l'instant nous aide à profiter de la vie, mais ne nous aide pas à nous appréhender nous-mêmes comme totalité. Cela procure de la sensation, pas forcément du sens. <br /> <br /> Par ailleurs l'idée d'attente est très passive ; or il s'agit au contraire de mobiliser notre énergie, nos envies ou autres, au service d'un accomplissement. <br /> Ecrire un livre, par exemple, serait chose impossible si l'on respectait à la lettre la morale de l'instant (ou alors, ce serait un livre très décousu, sans doute très original, mais auquel manquerait sans doute cette unité nécessaire). <br /> Vivre dans l'instant est agréable, mais que devient la mémoire ? et surtout : qu'en faisons-nous ? à quoi sert-elle ? La mémoire ne me semble à cultiver que, précisément, elle aide à mieux vivre au présent, et à s'assurer que le présent s'éternise...
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L
De plus, à trop vouloir anticiper notre vie future, on passe notre temps à attendre impatiemment que demain arrive car l'on a prévu telle ou telle chose et on en oublie bien souvent l'instant présent.<br /> <br /> C'est le meilleur moyen de voir défiler sa vie sans y participer, attendant constamment un évènement futur...
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L
De plus, à trop vouloir anticiper notre vie future, on passe notre temps à attendre impatiemment que demain arrive car l'on a prévu telle ou telle chose et on en oublie bien souvent l'instant présent.<br /> <br /> C'est le meilleur moyen de voir défiler sa vie sans y participer, attendant constamment un évènement futur...
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