Philippe Starck ou le retour au réel
« Tout ce que j'ai créé est absolument inutile. D'un point de vue structurel, le design est totalement inutile. Un travail utile, c'est astronome, biologiste ou quelque chose comme ça. Mais le design, ça n'est rien », vient donc de déclarer Philippe Starck, 59 ans, après que des années de créations en tous genres l'auront placé à la tête d'une fortune absolument colossale. Et le créateur d'enfoncer le clou : « J'ai essayé de donner à mes produits un peu de sens et d'énergie. Mais même quand j'ai donné le meilleur de moi-même, c'était absurde ». Aussi n'est-il plus surprenant que le pape de l'objet de consommation aborde finalement des territoires spiritualistes où il était jusqu'à présent assez peu attendu : « J'ai créé tellement de choses, sans vraiment m'y intéresser. Peut-être toutes ces années ont-elles été nécessaires pour que je me rende compte finalement qu'au fond nous n'avons besoin de rien. Nous possédons toujours trop ». Enfin cette prise de conscience s'accompagne d'un sentiment de culpabilité positive : « J'étais un producteur de matérialité. J'en ai honte. A l'avenir, je veux être un fabricant de concepts. Ce sera plus utile ». Même si cela reste à voir, là n'est pas la question ; et aucune raillerie ne vient ternir mon propos : il faut au contraire louer Philippe Starck, et le donner en exemple, lui qui, malgré son succès planétaire, ou peut-être en raison même de ce succès, se révèle encore capable d'interroger les fondements et le destin de son activité. Non, ce qui me réjouit en revanche, et au plus haut point, c'est la désillusion et le désabusement programmés de ces innombrables modernes qui nous ont assenés, ivres de leur pulsions créatives et vingt années durant, que le devenir de l'art passait par le design et l'esthétique du matériau ; qu'ils n'étaient pas des fabricants d'objets de classe (dans les deux sens du terme) mais des artistes prolongeant les intuitions sublimes de Michel-Ange ; qu'un produit du design valait bien la toile d'un maître. Il ne s'agissait en fait que de dissimuler le consumérisme du temps sous le vernis du Beau et de créer de nouveaux "segments" dans le marché des biens. Ce qui ne signifie pas que tout, dans le design, ne soit pas d'intérêt artistique, loin s'en faut ; seulement que l'imposture ne trompe que ceux qui aspirent à être trompés - sur la marchandise.