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Marc Villemain
27 mars 2008

Philippe Starck ou le retour au réel

starck

« Tout ce que j'ai créé est absolument inutile. D'un point de vue structurel, le design est totalement inutile. Un travail utile, c'est astronome, biologiste ou quelque chose comme ça. Mais le design, ça n'est rien », vient donc de déclarer Philippe Starck, 59 ans, après que des années de créations en tous genres l'auront placé à la tête d'une fortune absolument colossale. Et le créateur d'enfoncer le clou : « J'ai essayé de donner à mes produits un peu de sens et d'énergie. Mais même quand j'ai donné le meilleur de moi-même, c'était absurde ». Aussi n'est-il plus surprenant que le pape de l'objet de consommation aborde finalement des territoires spiritualistes où il était jusqu'à présent assez peu attendu : « J'ai créé tellement de choses, sans vraiment m'y intéresser. Peut-être toutes ces années ont-elles été nécessaires pour que je me rende compte finalement qu'au fond nous n'avons besoin de rien. Nous possédons toujours trop ». Enfin cette prise de conscience s'accompagne d'un sentiment de culpabilité positive : « J'étais un producteur de matérialité. J'en ai honte. A l'avenir, je veux être un fabricant de concepts. Ce sera plus utile ». Même si cela reste à voir, là n'est pas la question ; et aucune raillerie ne vient ternir mon propos : il faut au contraire louer Philippe Starck, et le donner en exemple, lui qui, malgré son succès planétaire, ou peut-être en raison même de ce succès, se révèle encore capable d'interroger les fondements et le destin de son activité. Non, ce qui me réjouit en revanche, et au plus haut point, c'est la désillusion et le désabusement programmés de ces innombrables modernes qui nous ont assenés, ivres de leur pulsions créatives et vingt années durant, que le devenir de l'art passait par le design et l'esthétique du matériau ; qu'ils n'étaient pas des fabricants d'objets de classe (dans les deux sens du terme) mais des artistes prolongeant les intuitions sublimes de Michel-Ange ; qu'un produit du design valait bien la toile d'un maître. Il ne s'agissait en fait que de dissimuler le consumérisme du temps sous le vernis du Beau et de créer de nouveaux "segments" dans le marché des biens. Ce qui ne signifie pas que tout, dans le design, ne soit pas d'intérêt artistique, loin s'en faut ; seulement que l'imposture ne trompe que ceux qui aspirent à être trompés - sur la marchandise.

Commentaires
M
Le faux-semblant, d'ailleurs, voilà qui pourrait constituer une bonne définition du design.
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A
Quel bonheur, cette citation de Starck... Enfin un peu d'honnêteté dans une époque de faux-semblants.
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M
C'est précisément cette "pluralité" qui fait question, et qui me semble largement infondée - ou à tout le moins proclamée dans un enthousiasme que nul ne prend plus même la peine d'étayer.<br /> <br /> Conservatisme ? Je n'en sais rien, et qu'importe, ce n'est pas le problème. Les étiquettes de progressiste et de conservateurs sont d'ailleurs elles-mêmes devenues très conservatrices. <br /> <br /> Vous savez très bien que je ne parle pas de ça, je ne parle pas d'une supposée supériorité de l'immatériel ; ce n'est pas de cela qu'il s'agit : ce dont je parle, c'est du cynisme (très "progressiste", lui, pour le coup) qui consiste à parer le produit industriel, ou la gratuité d'un fantasme devenue projection objectivée, de toutes les vertus de l'art. Et s'il y a, dans l'intention initiale, quelque chose de la démarche artistique, elle se trouvera mécaniquement détournée de ses voies et de son dessein par le produit même de sa création.<br /> Enfin, et puisque vous en parlez, où avez-vous vu que "l'art est accessible maintenant à presque tous" ?
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P
Remettre en cause le design, c'est un peu par exemple remmettre en cause aussi la démarche de la peinture moderne. Il y a dans le moderne à prendre et à jeter, bein sur. Les classes dirigeantes de toutes époques ont été mécènes d'artistes qui ont scuplté leurs propres objets et peintures, qui sont considérés maintenant comme des oeuvres d'art. L'époque moderne veut que tous les arts puissent s'exprimer dans une ouverture totale, ce qui n'était pas le cas dans le passé. L'art est devenu pluriel, et maintenant objet de conssommation puisque le prix de l'art est accessible maintenant à presque tous. D'autre part un objet peut porter aussi un concept, et je ne pense pas qu'il y a vraiment une hiérarchie intellectuelle entre l'objet et le concept. Ce serait alors par exemple placer MARX au dessus de Léonard de VINCI, non ? Il y a chez vous, mon cher, une certaine forme de conservatisme qui traverse toujours beaucoup d'intellectuels en France, non ? Où on voit le concept, et par induction la pensée abstraite, au dessus du matériel. L'immatériel au dessus de matériel ? mais par exemple, la littérature, c'est matériel, non ? Les mots existent comme des objets, non ?
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