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Marc Villemain
10 juillet 2013

Ils marchent le regard fier : critique de Virginie Troussier

 

 

La querelle des Anciens
selon Marc Villemain

 

Marc Villemain pourrait bien ôter son nom de la couverture, l'écrivain serait vite reconnu. Il est de ces auteurs qui cisaillent le mot, le taillent au plus près de l'os. Il y ajoute une forte singularité, une langue travaillée, originale, délicieusement désuète, et puis un ton. Un ton lié au temps.

 

Ils marchent le regard fier semble exalter une impossible fixité des choses. Mais c'est avant tout le roman d'un écrivain pour qui la seule réalité qui vaille existe dans les mots, celle qui garde ce qui nous échappe. Ce temps fascine parce qu'il dure et s'en va tout à la fois. Comme un vieillard, qui raconte soudain, avec une émotion inattendue – le passage de la vie. Tout souvenir semble une obsession fructueuse. Les premières lignes forment déjà une bombe à retardement. Un suspense rôde. La scansion du temps est-elle obligatoirement rythmée par les creux de la vague, la roue qui tourne ? Sans doute, le temps d'une vie, les vies de ceux que nous avons connus, aimés ou simplement approchés, et auxquels nous survivons, compte, et ce temps se compte, en années, palpables.

 

Ce sont ces années qui sont relatées par le narrateur, ami de Donatien. Ami et témoin d'un drame auquel on se prépare « Je voudrais pouvoir raconter les choses telles qu'elles se sont vraiment passées. Il ne faut pas inventer, je ne vais dire que ce qui est dans mes souvenirs. »

 

En racontant, le narrateur affectionne le souvenir et la contemplation, la mélancolie des escapades et des rêves populaires. En nous parlant, le narrateur oublie parfois la fin, le dénouement, et il se met à flotter au-dessus du temps et des lieux qu'il traverse. Ces lieux, ces noms, ces anecdotes paysannes, Marc Villemain les fait rouler sous sa plume avec gourmandise. Le temps, dans ces moments précis, ne vaut qu'à l'échelle de l'individu qui passe à travers les décennies sans jamais se laisser atteindre par l'histoire collective, et ne cesse de courir mentalement derrière son vieux monde.

 

Dans ce récit, Marc Villemain nous projette dans une époque qui pourrait être la nôtre, prônant la jeunesse, oubliant, rejetant les plus âgés. Marie et Donatien ne supportent plus ces situations, ces humiliations, faites par les plus jeunes, et forment une révolte pour contrer ceux qui veulent leur mort. Deux camps s'opposent, les gens âgés et les jeunes, Marie et Donatien sont au cœur de cette révolution, et face à leur fils Julien, qui a choisi naturellement le camp adverse. Jusqu'où seront-ils prêts à aller pour qu'ils soient enfin reconnus ? Jusqu'où les souvenirs vont-ils nous mener ? Ils rappellent l'irrécupérable enchantement de leurs jeunes années, découvrant vite que le temps des hommes ne revient jamais sur ses pas.

 

Les vies que nous menons ne retourneront pas à leur point de départ. Elles sont faites d'arrachements successifs, par lesquels nous devons faire plusieurs fois le deuil de nos actes. La prose limpide de Marc Villemain jette une lumière crue sur les secrets, décortique les pulsions qui minent et les remords dont on ne se sépare jamais. Le temps passe, tout comme le drame, expliqué avec une telle sensibilité que la fragilité de l'homme nous claque au visage. Car le temps fuit, mais Marc Villemain ne nous donne finalement pas à le lire, ce temps-là. Beaucoup plus sensible au temps intime, celui qui au contraire ne fuit pas, mais stagne, il nous parle avec émotion du temps de la solitude, ce temps qui pèse autant sur les enfants et adolescents que sur les vieillards. Ce temps sans repères, qu'il faut parcourir de minute en minute et qui requiert de nous invention, projets, retours sur soi, capacité à se faire exister soi-même par le recours à la vie intérieure, à une force qui n'a plus de nom. Nous avons tous à faire face à ce temps-là.

 

Virginie Troussier pour ActuaLitté

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