Virginie Troussier - Au milieu de l'été, un invincible hiver
Virginie Troussier au faîte du récit
Voilà des années que je lis Virginie Troussier, et je dois dire que sa petite musique n’a jamais cessé de m’accompagner. Aussi bien, elle me semble occuper dans le panorama littéraire une place à part, discrète, en marge légère, mais de plus en plus reconnaissable. J’ai toujours été sensible à son écriture concurremment lyrique et délicate, d’une ferveur très maîtrisée, mais aussi à ses univers qui, même au plus haut du roman, s'arriment toujours, peu ou prou, à une sorte de récit intérieur. Dans ce nouveau livre au titre superbe, Au milieu de l’été, un invincible hiver, elle assume n’être plus strictement romancière pour s’en tenir à une sorte d’historiographie du drame ; mais où l’on retrouve tout ce qui fait l'énergique élégance de son écriture romanesque.
Le lecteur se souvient peut-être du drame du Pilier du Fréney, sur le versant sud du mont Blanc, qui endeuilla l’été 1961 et tint les médias français et italiens en haleine : la disparition de quatre alpinistes (sur une cordée de sept) de stature internationale (dont le Français Pierre Mazeaud, qui alors n'est pas tout à fait encore l'homme de loi et la personnalité politique que l'on connaîtra), après cinq jours et cinq nuits d'exposition à des vents et des températures que l’on peine seulement à s'imaginer. Vissée à hauteur d’homme, Virginie Troussier, née elle-même en haute montagne, tient le journal de bord et même les minutes de ce drame. La justesse documentée de ses observations, son empathie et son écriture très évocatrice nous donnent à en suivre le cours et nous permettraient presque d'éprouver l'effort surhumain que finissent par exiger de ces hommes le moindre geste, le moindre pas, la moindre parole. Aussi, progressivement, phrase après phrase, nous dérivons de la joie lumineuse et ardente des sommets vers les premiers signes de fatigue, de douleur puis de déréliction.
Au milieu de l'été... est une ode à l'état d'esprit camarade, solidaire, intrépide, pas tout à fait dénué d'un certain mysticisme, qui fait se tenir ensemble sept hommes au bout du bout de leurs forces et de leur désir de vivre. Comme toujours chez Troussier, le récit de ce qui est vécu fait fi de tout pathos, de toute rouerie, et sa quête de justesse étaye infatigablement le caractère poignant de ce qu'elle rapporte ou décrit ; sans avoir à y appuyer, elle montre bien d'ailleurs à quel point la quête des sommets est aussi celle d'une certaine hauteur d'âme. Au demeurant, l'on retrouve dans chacun de ses livres ce même désir farouche d'exprimer la nature exceptionnelle des sensations ultimes et de louer ce qui relève peut-être moins de la pratique sportive que de la réalisation d'un grand dessein : dans l'irréfragable solitude de l'homme, celui du dépassement et de la mise à l'épreuve de soi.
Virginie Troussier, Au milieu de l'été, un invincible hiver - Éditions Paulsen
Paraît également, aux Éditions Les Pérégrines, Nos champions, Corps et âmes.