Ceci est ma chair lu par Xavier Houssin (Le Monde)
De qui dîne-t-on ce soir ?
L’ogre vient de rentrer dans sa chaumière. Il s’agite. Il a faim. « Je sens la chair fraîche », dit-il à sa femme. Lorsqu’il met la main sur Poucet et ses frères, cachés sous le lit, c’est pour lui une aubaine : au dîner, il a invité plein d’amis ogres. On sait que ce sont ses propres filles qu’il va égorger dans la nuit. Des petites au « teint fort beau, parce qu’elles mangeaient de la chair fraîche comme leur père ». Famille de monstres ? Au regard des protagonistes de Ceci est ma chair, de Marc Villemain, ils font piètre figure.
Dans ce conte drolatique et cruel, c’est toute une société qui s’adonne aux mœurs anthropophages. Et il ne s’agit pas de sauvages perdus dans des îles exotiques. Dans le duché de Michao, un « des grands Etats du monde », le cannibalisme est devenu une prescription sociale, une règle, une norme et aussi un art de vivre. On bâfre ses semblables avec élégance, car on peut être viandard et gourmet. Le livre est un régal. Une farce fine de grand-guignol truffée aux jeux de mots, de franche rigolade et de pessimisme grinçant, de poésie. S’y retrouve toute la démesure gaillarde et insolente du Villemain du Pourceau, le diable et la putain (Quidam, 2011). Cette fois, c’est furieusement swiftien.
Xavier Houssin
Le Monde des Livres